CHRONIQUE : Le sceau de qualité Nintendo

Sseb22 m’avait proposé la chronique précédente alors que je m’apprêtais à en écrire une autre, mais c’est encore un autre sujet que je vous propose aujourd’hui. Avec l’arrivée de la Wii U, l’éternel débat revient : Nintendo est-il toujours à la hauteur ? À la hauteur de quoi, on peut se le demander, puisque leur dernière console de salon a été, quoiqu’on en pense, la plus vendue de leur histoire. Ce qui est en revanche certain, c’est que la société a perdu une partie de son public, bien souvent acquise durant l’âge d’or de la Super Nintendo, et d’ailleurs pas uniquement grâce à des jeux maison. Et l’un des arguments favoris de ces anciens fans déçus, c’est que le Sceau de Qualité a perdu de sa valeur. Certains faits leur donnent raison en apparence ; en 2003, aux États-Unis, le sceau a été changé de Official Nintendo Seal of Quality à simplement Official Nintendo Seal. La qualité s’est-elle réellement perdue, ou le constructeur a-t-il voulu éliminé une ambiguïté ? Les critères de licensing ont-ils changé ? La NES laisse, encore aujourd’hui, des souvenirs tenaces à toute une génération, mais les jeux de la 8-bit étaient-ils tous bons pour autant ? Les réponses à ces questions peuvent être subjectives, mais il y a tout de même des faits indéniables à rappeler.

L’un de ces faits devrait suffire à clore le débat ; le sceau de qualité a été créé par Nintendo of America en 1988. Or, jusqu’à preuve du contraire, Nintendo est une société japonaise. C’est au Pays du Soleil Levant que toutes les décisions principales sont prises, que tous les plus grands hits sont développés. Et j’irai même plus loin : presque tous les classiques de la NES viennent du Japon, des grandes licences first-party (Mario, Zelda, Metroid) aux chefs d’œuvres des éditeurs tiers, Capcom, Konami, Namco, Enix et bien d’autres. Même si vous pourriez peut-être en trouver, je vous défie de me citer instantanément un grand jeu NES développé aux États-Unis. Attention, je vous rappelle que Rare vient d’Angleterre, et sa production, certes prolifique, a toujours été, surtout à cette époque, plutôt inégale d’autant qu’elle était régulièrement sous-traitée.

S’il le mérite amplement, Mega Man 3 est loin d’être le seul jeu NES dont la boîte arbore le sceau de qualité

Donc, si la Famicom avait la réputation de proposer une ludothèque de qualité, cela ne tenait sûrement pas au moindre sceau de qualité, qui n’a jamais existé au Japon. En revanche, le constructeur avait pris des mesures drastiques. À vrai dire, la 8-bit ne devait pas accueillir de jeux d’éditeurs tiers initialement, comme c’est expliqué dans L’Histoire de Nintendo Vol.3. Plus d’un an après son lancement, la console a reçu les jeux de six éditeurs privilégiés, mais les conditions se sont vite durcies, sans compter les royalties à reverser : Nintendo contrôlait le nombre de cartouches produites et la promotion des jeux dans ses publications, et surtout un éditeur (autre que les « privilégiés ») ne pouvait sortir plus de trois jeux par an (cinq par la suite). Cela dit, certains ont su contourner le problème, comme par exemple Konami qui a créé de fausses filiales, Palcom (Tortues Ninja) et Ultra Games (Metal Gear), pour en éditer davantage.

Mais comme l’explique Hiroshi Imanishi : « Dans notre contrat de licensing, il n’y avait aucune règle délimitant les critères de qualité intrinsèque d’un jeu. Nous n’étions aucunement en droit de porter un avis sur l’intérêt des jeux tiers, de leur potentiel ludique ou commercial. Les seuls aspects pour lesquels nous pouvions intervenir, c’était quand le contenu abordait des thèmes comme le sexe, la violence ou le non-sens. » ¹ Cela dit, le principe des quotas et des royalties, s’il a été très mal vécu par beaucoup d’éditeurs dont Namco, a été instauré pour assurer un certain niveau de qualité. Car les éditeurs avaient ainsi intérêt à choisir les jeux les plus porteurs, et à passer plus de temps à les peaufiner. La règles des « trois jeux » est d’ailleurs basée sur l’estimation que quatre mois est, à l’époque, la durée idéale pour développer un jeu.

Les difficultés liées à la localisation nous auront parfois épargnés quelques daubes comme Takeshi no Chōsenjō (Famicom)

Mais les mauvais jeux existent tout de même sur Famicom. Prenez Takeshi no Chōsenjō par exemple. Le jeu de 1986 jouit aujourd’hui d’une aura culte, parce que l’occident a découvert en Takeshi Kitano un grand cinéaste à la fin des années 90, mais il est à peu près certain que si le jeu nous était parvenu à l’époque, il aurait fini dans le fond d’une poubelle. De manière générale, seule une petite partie du catalogue a été importée sur les NES occidentales. Bien entendu, les jeux qui n’ont pas traversé nos frontières posaient en général des problèmes de traduction (les RPG, exemplairement), mais il ne faut pas oublier les nombreux titres basés sur des licences alors inconnues chez nous. D’ailleurs, grâce au succès des dessins animés tirés de mangas, certains nous sont parvenus, mais demandez au Joueur du Grenier ce qu’il pense de Dragon Ball – Le Secret du Dragon et des Chevaliers du Zodiaque – La Légende d’Or

Et aux États-Unis, c’est encore pire. Mais pourquoi le sceau de qualité a-t-il été créé là-bas ? En réalité, il l’a été pour les mêmes raisons qui ont poussé Nintendo à créer les quotas : ne pas reproduire les erreurs qui ont mené au krach de 1983. Or, c’est avant tout aux États-Unis que le mal a été fait. Là-bas, les consoles ont rapidement été balayées par les micro-ordinateurs, et Nintendo aura fort à faire pour imposer la NES en 1986. Si l’adaptation d’E.T. est souvent pointée comme la responsable du krach, elle n’est en fait qu’un symbole fort d’une crise nettement plus complexe. Sur VCS 2600, au départ, Atari éditait tous les jeux, exactement comme pour la Famicom, et ne mentionnait pas les développeurs. Ces pourquoi certains d’entre eux, furieux, ont quitté la société pour fonder Activision en 1979, le tout premier éditeur tiers de l’Histoire.

L’absence de licensing sur Atari 2600 a ouvert la porte à des horreurs comme Custer’s Revenge

Mais pas immédiatement, car un procès oppose Atari et Activision jusqu’en 1982. L’accord ouvre certes la porte à des classiques comme Pitfall!, mais l’absence d’accord de licensing fait que n’importe qui peut alors sortir un jeu sur la console. 1500 jeux sortent en l’espace de quatre ans. Non seulement la qualité n’est pas toujours au rendez-vous, mais les jeux sont tout simplement injouables, bogués, au contenu douteux (avec des jeux parfois pornographiques) ou les trois à la fois. L’objectif de Nintendo en 1988 est donc de rassurer les parents, en assurant que les jeux et accessoires sont au moins compatibles. Y compris le fameux Power Glove qui, en passant, est un produit Mattel et non Nintendo. Le descriptif officiel du sceau est alors « This seal is your assurance that NINTENDO has approved and guaranteed the quality of this product » mais la même année, « approved and guaranteed » devient « evaluated and approved. » Probablement pour éviter que les acheteurs croient que les produits sous soumis à une garantie.

Mais aux États-Unis comme au Japon, le mot « qualité » est à prendre au sens industriel. Après tout, n’importe quel éditeur aujourd’hui soumet chacun de ses jeux à des contrôles d’assurance qualité. Ils servent uniquement à déboguer le jeu et à vérifier son contenu, mais en aucun cas il n’assure que le jeu sera bon. La NES, comme toutes les consoles à succès (au hasard, la Wii) connaîtra donc son lot de shovelware et de jeux à licence bâclés. N’oubliez pas que l’Angry Video Game Nerd s’appelait Angry Nintendo Nerd à l’origine. Bien entendu, quelques-uns des titres testés (les jeux bibliques !) ne justifiaient pas d’une licence officielle, certains éditeurs ayant contourné la sécurité de la puce 10NES qui équipait les cartouches occidentales. Mais des bouses comme Top Gun ou Retour vers le Futur avaient bien le sceau de qualité sur leur boîte…

La puce 10nes d’une cartouche Super Mario Bros. / Duck Hunt

Le sceau de qualité a donc toujours été un simple outil de communication. Sa nomenclature précise demeure assez vague, et certains se sont même amusés à recenser les nombreuses variantes. Au-delà des différents looks du macaron, sa dénomination et son descriptif change d’un pays à l’autre et selon les époques. Aujourd’hui, le sceau américain ne mentionne donc plus « quality » et correspond à ceci : « The official seal is your assurance that this product is licensed or manufactured by Nintendo. Always look for this seal when buying video game systems, accessories, games and related products. » Bref, il est juste là pour indiquer que le produit est sous licence Nintendo. Sur les territoires PAL, il demeure l’Original Nintendo Seal of Quality, mais sa description varie, la branche australienne du constructeur étant de loin la plus démagogique, car elle seule prétend garantir les qualités de divertissement des produits.

De gauche à droite : le sceau américain original (1988), le sceau PAL, le nouveau sceau américain (2003)

S’il peut être pertinent de se demander si les jeux signés Nintendo sont aussi bons que par le passé, le sceau de qualité n’a donc rien à faire dans le débat. Et il est même ironique que certains haters, qui désapprouvent la communication récente du constructeur, se laissent berner par un argument marketing aussi artificiel. Les accords de licensing ont eux probablement évolué depuis la NES, mais s’ils se sont assouplis, c’est probablement plus en terme de contenu « mature » et je doute que les détracteurs voient un inconvénient à ce que des jeux comme Killer 7 ou MadWorld voient le jour. Et si Nintendo avait conservé les quotas aujourd’hui, leurs machines accueilleraient encore moins de jeux d’éditeurs tiers. Encore une fois, ce sont ironiquement les plus fervents critiques de la société qui lui reprochent son manque de souplesse vis-à-vis des petits studios ! Les jeux n’étaient pas forcément meilleurs avant, mais la nostalgie a la mémoire sélective, pour le meilleur et pour le pire, et ne retient que les hits.

¹Nintendo Gulliver Shôhô no Himitsu, Ichiro Utsumi (Nihon Bungeisha, 1991)

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