
En début de semaine dernière, une étude publiée par la Video Games History Foundation a fait grand bruit dans le monde du retrogaming : « 87% d’absents : la disparition des classiques du jeu vidéo ». Cet article de Kelsey Lewin se repose sur une enquête menée conjointement avec le Software Preservation Network, et publiée par Phil Salvador. Ce dernier a ainsi vérifié la disponibilité aux États-Unis d’un échantillon d’un millier de jeux sortis entre 1960 et 2009, et constate que 87% d’entre eux ne peuvent être acquis de manière légale. Or si l’on ne discute pas le résultat de cette enquête, ce sont plutôt les conclusions et surtout la manière dont elles ont été présentées qui posent question. Certains articles comme celui d’Ars Technica ont abordé le sujet de manière plus mesurée, mais d’autres comme celui de Time Extension ont misé à fond sur l’alarmisme, titrant que 87% des jeux sont « menacés, dans un état critique » plutôt qu’indisponibles à la vente, et reprenant dans son sous-titre une comparaison discutable de Lewin : « Imaginez si la seule manière de regarder Titanic était sur cassette VHS ». Mais hormis la présence éventuelle d’une cracktro et certains cas particuliers comme les jeux électromécaniques, une ROM ou une image disque constitue la copie exacte d’un jeu vidéo et n’offre en aucun cas la qualité dégradée d’une VHS. Ce qui va influer sur l’authenticité de l’expérience, c’est la qualité de l’émulation, et c’est donc une question de préservation du hardware, fondamentale mais décorrélée de la disponibilité des jeux. « Les données, la ROM, le. bin, l’archive, l’image de la disquette ou de la cassette audio, elle existe presque nécessairement quelque part. Il y a toujours quasiment quelqu’un qui s’est occupé, de manière souvent illégale il faut le dire, de sauvegarder, d’archiver ces jeux vidéo » rappelle notre président Philippe Dubois.
Car il a logiquement été sollicité par la presse francophone pour réagir sur cette étude, et il a notamment répondu à un article de Georges Lekeu pour L’Avenir. Dénonçant un titre exagérant la réalité pour faire le buzz, il explique que « si ces jeux ne sont plus disponibles sur le marché, ils n’ont pas pour autant été effacés, éradiqués. Ils existent encore, ils ont été sauvegardés de manière totalement désintéressée par des institutions et des collectifs un peu partout dans le monde. Si Microsoft, Nintendo ou Sony ne les proposent pas sur leur boutique en ligne, c’est parce qu’ils n’ont pas d’intérêts financiers. » En effet, si la Video Games History Foundation a tout à fait raison de reprocher aux éditeurs de ne pas préserver eux-mêmes leur patrimoine, il ne faut pas oublier que ce travail de réédition a toujours un coût, et qu’il n’est pas forcément rentable quand la grande majorité des jeux sont dans les faits disponibles en ligne gratuitement, même si c’est de manière illégale. D’ailleurs, on peut aussi discuter du point de vue de l’association américaine selon lequel le piratage réserverait les classiques à une sorte d’élite de geeks ; c’était sans doute vrai dans les années 1990, mais le piratage s’est (hélas ?) largement démocratisé aujourd’hui. Évidemment, cette étude est avant tout un cri d’alarme pour que le travail des associations soit davantage pris en compte, et qu’elles puissent préserver des jeux vidéo sans que cela soit fait d’une manière pas tout à fait légale, en profitant d’une zone grise. Notre président prend notamment le cas d’Internet Archive, qui « peut faire un petit peu ce qu’il veut car il a réussi à nouer de bonnes relations avec le congrès américain et à bénéficier de lois qui le protège au moment d’archiver des jeux vidéo. » En revanche, on est tout à fait d’accord avec eux qu’il est fort dommage que les institutions comme la BnF puissent conserver du jeu vidéo mais pas forcément le diffuser au public, à moins de bénéficier d’une accréditation de chercheur…
Mais c’est justement parce que l’association est solidaire du combat que mène la Video Games History Foundation que l’on trouve que la manière dont a été présentée l’enquête de Phil Salvador (qui en explique plus en détail la méthodologie à cette adresse), est discutable et peut-être même contreproductive. Parfois, lorsque l’on tire la sonnette d’alarme un peu trop fort, on risque de ne pas être pris au sérieux ou de décourager toute action, de donner l’impression qu’il est trop tard pour agir. Or si le combat pour pousser les éditeurs à exploiter leur catalogue est sans doute perdu d’avance, il est encore tout à fait temps de légitimer le travail de préservation des associations.