CHRONIQUE : L’Histoire de Psygnosis

The History of Psygnosis (Retro Asylum) par Paul Driscoll (couverture de Phil Hockaday)Comme je l’avais promis sur les réseaux sociaux ou lors d’un récent podcast, voici ma traduction de l’eBook de Paul Driscoll consacré à l’éditeur britannique Psygnosis. Cela tombait sous le sens après mes chroniques dédiées à Sensible Software et Ocean, d’autant que Psygnosis est sans aucun doute encore plus populaire, comme en témoigne l’accueil qui a été fait aux différents articles le concernant sur le Mag. Et beaucoup d’entre vous attendaient ma traduction avec impatience, se disant parfois prêts à payer pour une version française ! Ainsi, rapidement après avoir mis en ligne la chronique de sseb22 sur la Dreamcast, j’ai contacté l’équipe de Retro Asylum afin de leur demander l’autorisation de traduire ce livret réalisé à l’origine pour préparer leur 92ème podcast – ils ont de l’avance sur nous ! Ils ont accepté à condition que je crédite bien entendu l’auteur original et que je communique l’adresse de leur site, qui constitue une véritable mine d’information pour les anglophones. Avant de passer à la traduction, je précise qu’elle ne couvre que les pages 3 et 6 à 47, c’est-à-dire l’historique à proprement parler.


Avant-propos

Quand Sam Dyer et Steve Erickson de Retro Asylum m’ont demandé un coup de main pour faire des recherches afin de préparer leur prochain podcast sur Psygnosis, c’était pour moi un honneur de m’y atteler. Le problème, cependant, c’est que je ne sais pas faire les choses à moitié, et au fur et à mesure que je réunissais le fruit de mes recherches et que les pages s’accumulaient, une idée me vint à l’esprit. En compilant mes notes sous une forme agréable à lire, cela pourrait faire un livret gratuit pour accompagner le podcast, une sorte de déclaration d’amour conjointe à Psygnosis, remontant à ses origines au sein d’Imagine Software, et allant jusqu’à sa disparition en tant que SCE Studio Liverpool en 2012. Ce livre raconte cette histoire, qui est suivie d’une longue liste exhaustive des jeux publiés par l’éditeur (la Psygnosiclopédie). Enfin, une galerie compile les meilleurs jaquettes produites au sein de Psygnosis. Dans tous les cas, j’espère que vous apprécierez, et qu’on se reverra sur les forums de Retro Asylum.

Paul Driscoll, dit « The Drisk »

L’avant Psygnosis

Eugene Evans, programmeur star chez Imagine, a fait les gros titres de l'époque

Avant de pouvoir parler de Psygnosis, il faut se pencher sur la société Imagine Software. Ce studio célèbre de Liverpool a été fondé en 1982 par deux anciens employés de Bug Byte Software (NdT : plus de détails dans notre chronique sur Ocean), Mark Butler et David Lawson, bientôt rejoints par Eugene Evans, un ami de Mark. Ils ont publié de nombreux classiques du Spectrum, du VIC-20 et du Commodore 64 au début des années 1980, des titres comme Arcadia (1982), Ah Diddums (1983) et Alchemist (1983), entre autres. Pour les enfants de ma génération, c’était le job de rêve, une société où même des gosses de seize ans roulent en Porsche ou en Ferrari. Bien entendu, une telle extravagance était alors dans l’air du temps, et d’ailleurs largement mise en avant par les magazines spécialisés et même les quotidiens nationaux de l’époque… C’était la coqueluche de l’industrie, inattaquable, et c’était beaucoup trop beau pour être vrai…. Vraiment trop beau.

En effet, même si les trois jeux cités plus haut sont vraiment bons, ils éditaient aussi beaucoup de bouses… Et d’un coup l’écart devenait énorme entre les gros budgets marketing et les chiffres de vente décevants. Et cela a empiré quand Imagine a commencé à investir lourdement dans deux nouveautés, Psyclapse et Bandersnatch, qui devaient révolutionner le Commodore 64 et le Spectrum. Ces deux jeux si ambitieux nécessiteraient l’utilisation d’un accessoire pour augmenter la RAM de ces ordinateurs. Imagine a ainsi créé une imposante campagne marketing présentant le projet en pleine page, quelques semaines seulement après son lancement. En 1984, le studio était suffisamment connu au Royaume-Uni pour que Commercial Breaks, une émission de la BBC, leur consacre un reportage. Celui-ci était supposé nous présenter le job de rêve, au cœur de ce nouvel Eldorado qu’est le développement de jeux vidéo. Mais au lieu de ça, le documentaire a immortalisé la banqueroute d’Imagine en direct, le 9 juillet 1984 :

D’un coup, tout le personnel s’est retrouvé au chômage, et confronté à l’huissier qui essayait de tout faire saisir, y compris les disquettes et les cassettes contenant le fruit du travail déjà accompli pour créer Psyclapse et Bandersnatch. Les employés d’Imagine se retrouvaient ainsi à faire la course pour sauver le maximum de matériel et de programmes avant que l’huissier ne les en empêche. Le catalogue de l’éditeur a alors été vendu à Beau Jolly, et la marque cédée à Ocean Software. Quelques mois plus tard naissait une nouvelle société, Finchspeed, créée par le cofondateur d’Imagine, David Lawson, et par Ian Hetherington, son directeur financier. On y retrouvait également beaucoup de programmeurs d’Imagine Software comme Eugene Evans. Ils ont alors délaissé les micros 8-bit pour se concentrer sur l’Atari ST et l’Amiga, ont repris le travail effectué sur Psyclapse et Bandersnatch pour le combiner en un seul jeu, Brataccas. Bien entendu, sur les machines 16-bit, une extension mémoire n’était plus nécessaire pour le faire fonctionner. En 1986, le jeu était fin prêt, et il ne restait plus qu’à trouver un nouveau nom pour le studio qui résumerait tout ce que cette nouvelle société essayait d’incarner.

La renaissance

Au départ, le nouvel éditeur devait porter deux noms. Psygnosis, du grec (NdT : et non du latin comme c’est écrit dans le texte original) psy (l’esprit) et gnosis (la connaissance), sonnait bien et devait être utilisé pour les jeux d’aventure et de stratégie. Les jeux d’action seraient ainsi différenciés par le label Psyclapse, un clin d’œil évident à leurs racines d’Imagine Software, et au jeu Commodore 64 du même nom qui n’est jamais sorti. Mais la marque Psyclapse sera totalement abandonnée en 1990. Dès le départ, Psygnosis a vu grand en allant chercher Roger Dean, un illustrateur innovant et connu dans le monde entier, pour créer les logos et les typographies de ces nouvelles sociétés. Dean avait été l’un des premiers à révolutionner les jaquettes d’albums dans les années 1970 et 1980, et Psygnosis espérait qu’il en fasse autant pour l’industrie du jeu vidéo. Dans une interview pour Retro Gamer, Roger Dean a brièvement évoqué comment Psygnosis l’avait approché, ce qu’on lui avait demandé ainsi que la genèse du fameux logo : « C’était absolument évident pour moi. Ils me soumettaient plein de noms et j’ai abouti au titre et au logo. Ils voulaient quelque chose qui signifie la connaissance, le futur, la sagesse, le divertissement (rires). Le hibou était donc le choix logique. Pas la seule possibilité, mais la plus évidente. Et ce look mécanique permettait d’avoir un hibou futuriste. »

Brataccas (1986, Amiga/Atari ST/Mac OS)Brataccas, le premier jeu de Psygnosis, est sorti en 1986. C’était un jeu d’aventure ambitieux, avec beaucoup de charme et d’humour. L’histoire vous met dans la peau de Kyne, un scientifique accusé d’un crime qu’il n’a pas commis par un gouvernement corrompu. Il a été piégé pour avoir refusé de dévoiler le procédé qui permet de créer un être supérieur. Le jeu lui-même relève des labyrinthes sans fin tels qu’on en voyait sur 8-bit. Compte tenu de son âge, il n’est pas si mauvais, mais il n’a pas si bien vieilli quand on y joue sans les œillères de la nostalgie. Les contrôles sont horribles par défaut, et c’est tout aussi injouable à la souris. Pour le rendre à peu près praticable, appuyez sur la touche d’aide d’un Amiga (ou Page suivante sur un émulateur), puis sur F6 pour modifier les contrôles du clavier – cela reste horrible, mais au moins vous avez une chance de vous en sortir. En revanche, on peut quand même dire que la superbe jaquette signée Roger Dean confère au jeu un vrai cachet et le fait ressortir du lot.

L’ère 16-bit

Psygnosis a sorti de nombreux autres jeux. Ils ont fait fort dès le début avec un titre comme Terrorpods, inclus dans le bundle Ten Star alors fourni avec la plupart des nouveaux Amiga. De même, le jeu Barbarian a conquis bon nombre de joueurs. À l’époque, Psygnosis commençait déjà à s’imposer comme un éditeur dont les jeux avaient des graphismes incroyables, entièrement conçus pour l’Amiga et l’Atari ST. C’était très important dans la mesure où les autres sociétés continuaient alors de se concentrer sur le marché 8-bit, les micros 16-bit devant se contenter de portages (souvent peu) améliorés de titres 8-bit. Cela le différenciait donc de ses rivaux. Mais le jeu qui a véritablement révélé l’éditeur, c’est Menace, que lui a présenté un studio écossais qui venait juste de se former. Ce shoot ’em up était révolutionnaire pour l’époque, offrant l’arcade à la maison en termes de graphismes et de gameplay – du moins il en donnait alors l’impression. DMA Design, aujourd’hui connu en tant que Rockstar North, avait été créé par d’anciens camarades de classe, David Jones, Russell Kay, Steve Hammond et Mike Dailly. Ils s’étaient rencontrés il y a longtemps, en 1983, au club informatique de l’université Kingsway à Dundee. L’aîné du groupe, Jones, avait perdu son emploi chez Timex et souhaitant apprendre à programmer des jeux, il a utilisé sa prime de licenciement pour se payer un Amiga 1000.

Menace (1988, Amiga/Atari ST/Commodore 64/DOS)En inconditionnels des shoot ’em up, ils se sont finalement mis à créer leurs propres jeux, avec des titres comme Zone (Russell Kay) ou FreekOut (Mike Dailly). Pendant ce temps, David Jones travaillait sur un jeu appelé CopperCon-1, sous le nom de studio Acme. Le titre était inspiré par son shoot préféré en arcade, Salamander (Konami). Il l’a montré à plusieurs éditeurs comme Hewson, qui y voyait le moyen de porter sur 16-bit son jeu Zynaps, mais David a refusé et est allé voir ailleurs. Or Psygnosis a aimé le jeu et l’a signé immédiatement. Puisque toute l’équipe travaillait désormais dessus, et comme le nom Acme s’avérait déjà pris, il fallait un nouveau nom au studio. Plusieurs possibilités ont été envisagées, comme Alias Smith And Jones ou Visual Voyage, mais c’est finalement DMA Design qui a été retenu. Cela signifie « Direct Memory Access » (accès direct à la mémoire) ou « Doesn’t Mean Anything » (« ne veut rien dire »). Mike Dailly se souvient avec émotion de cette époque : « Je venais de me faire virer de la fac et je ne savais pas quoi faire, et tout d’un coup on me propose le job de rêve ! Ma mère pensait que j’étais fou que je perdais mon temps dans la mesure où les jeux étaient conçus dans un garage à l’époque, mais je m’en fichais parce que j’étais un vrai développeur et j’étais même payé pour ça. » À sa sortie, CopperCon-1 a judicieusement été rebaptisé Menace. Les critiques étaient relativement bonnes aux alentours de 75%, relevant la finesse des graphismes mais trouvant le gameplay peu excitant. Cette sortie néanmoins importante allait révéler à la fois DMA Design et Psygnosis.

Blood Money (1989, Amiga/Atari ST/Commodore 64/DOS)Comme Mike Dailly se le remémore sur son site web, « Dave a débuté Blood Money le 4 janvier 1989 sur son PC 386-DX flambant neuf à 25 MHz, avec un environnement de développement qui lui permettait de transférer le code compilé sur l’Amiga en un instant ! Psygnosis, qui était satisfait par Menace, avait en effet envoyé à Dave un nouveau jouet, et il ne s’est pas fait prier pour en tirer parti. Comparé à son Amiga 1000, cette machine était très, très rapide. Le programme entier était compilé avant même que votre doigt ne relâche la touche. » Blood Money a été achevé la même année, prenant son inspiration d’un autre shoot ’em up favori de David, Mr. Heli de Irem. Blood Money était encore un excellent défouloir, avec pour ainsi dire quatre shoot ’em up en un, chacun avec son propre véhicule et son level design. Le magazine CVG lui a attribué 85%, précisant « [qu’]un chouia plus de variété aurait permis au gameplay d’être au même niveau de qualité que les graphismes et le son, mais il faut reconnaître que Blood Money est un défouloir sacrément bon. Sans aucun doute l’un des meilleurs jeux du genre sur Amiga à ce jour. »

Mais Psygnosis n’a pas mis le pied à l’étrier qu’à DMA Design. Reflections est un autre studio qui a créé de nombreux jeux pour Psygnosis au cours des années, à commencer par Ballistix mais aussi les Shadow of the Beast bien entendu. Plus tard, ils sont passés à Destruction Derby et à la série des Driver. Le fondateur de Reflections, Martin Edmonson, se remémore son premier contact avec Psygnosis : « Je me souviens leur avoir amené une version complète de Ballistix et une démo primitive de Shadow of the Beast, à l’époque où ils étaient encore installés dans la vieille aciérie de Robert Smith sur Dock Road – le jour et la nuit avec l’énorme bâtiment de verre du Wavertree Tech Park où ils ont été par la suite. » Ballistix a bien marché, avec des notes au-dessus de la moyenne. Pourtant, ce qui est au fond l’adaptation du jeu de société Crossfire n’avait donc rien de très excitant. CU Amiga lui a attribué 76%, le trouvant « à la hauteur du standard d’excellence des jeux Psygnosis, mais étant adapté d’un jeu qui a environ quinze ans, il ne peut pas être très original. On attend à présent l’adaptation d’Attrap’Souris. » Mais Martin Edmonson était déjà au travail sur un autre titre, qui allait montrer aux joueurs ce dont leurs 16-bit étaient capables. Edmonson a eu l’idée de Shadow of the Beast après avoir lu le passage sur le scrolling en parallaxe dans le guide hardware de l’Amiga signé Addison-Wesley.

Shadow of the Beast (1989)

Il s’est vendu incroyablement bien, même au prix exorbitant de £35 (NdT : dans les 80 € avec l’inflation) – un T-shirt illustré par Roger Dean était toutefois offert. Certains lui ont reproché de tout miser sur la forme au détriment du fond, mais c’était exactement ce que réclamaient les joueurs affamés sur Amiga à l’époque : des jeux qui mettaient en valeur leur nouvelle bécane. Zzap lui a donné 83%, soulignant qu’il était « très beau à regarder, très difficile à jouer et très cher. » Reflections a immédiatement planché sur une suite, en cherchant clairement à ne pas bouleverser le principe du jeu et son ambiance, et de se concentrer à la place sur le gameplay et d’enrichir la formule initiale. Le premier Beast avait été gravement handicapé par ses prouesses graphiques. Pour cette suite, ils ont donc créé un tout nouveau système de scrolling qui, bien qu’étant moins impressionnant visuellement, avec moins de couleurs et de couches en parallaxe, offrait un scrolling dans plusieurs directions, et surtout permettait de déplacer les sprites en totale liberté sur le décor. Ce qui, bien entendu, les a libérés de contraintes de design, et leur a permis d’intégrer au jeu des énigmes intéressantes. Pour la musique, l’auteur de l’original, David Whittaker, n’était hélas pas disponible et ils ont enrôlé un nouveau musicien appelé Tim Wright.

Il se souvient dans une interview pour Square Enix Music Online : « Après qu’on m’a demandé de composer la musique de Beast 2, j’ai écouté le travail accompli par David sur le premier Shadow of the Beast avec l’objectif de faire aussi bien voire mieux, ce qui constituait un défi intimidant. David était l’un de mes grands héros en matière de musique, alors se retrouver à sa place était à la fois excitant et terrifiant. Martin Edmonson de Reflections était très impliqué en ce qui concerne la musique. Il avait des idées très précises sur ce à quoi elle devait ressembler… jusqu’aux sonorités du synthétiseur KORG M1 qu’il voulait entendre. Heureusement, j’avais un bon ami qui avait ce modèle exact, ce qui nous a permis d’échantillonner les sons de Martin, en plus d’autres qui me semblaient bien fonctionner. Le style était franchement défini par le premier Shadow of the Beast, mais je souhaitais aller plus loin et le rendre plus sombre et plus proche d’une musique de film que l’original. Un autre ami, Steve Nuttall avec qui j’avais travaillé chez Littlewoods, était un guitariste de talent et je voulais des riffs de guitare électrique sur quelques morceaux, les thèmes de l’écran-titre et du game over. Le générique était un thème original bricolé à partir d’environ une heure de guitare, tandis que la musique du game over reprenait celle d’une cassette envoyée par Martin avec l’instruction de la copier. Des années plus tard, j’ai découvert que la musique que j’avais copiée provenait d’un court passage d’un épisode de Deux flics à Miami ! Étrangement, ce morceau avait aussi été composé par un type appelé Tim. »

Shadow of the Beast II (1990)

Shadow of the Beast 2 est sorti en novembre 1990 et s’est vendu par camions, étant aussi inclus dans un bundle Amiga appelé Screen Gems, contenant également Night Breed, Back to the Future 2, Days of Thunder et Deluxe Paint 2. De nombreux joueurs (dont moi-même) ont craqué pour cette démonstration technique. La plupart des critiques de l’époque étaient favorables. Il a eu 84% dans Amiga Action où on pouvait lire « Les graphismes sont aussi bons que dans le 1 et le son est excellent, mais le gameplay est nettement meilleur et dès le départ, on peut partir dans plein de directions différentes. Le jeu est plutôt difficile mais on s’y fait assez vite, et l’on progresse à chaque partie. Le seul défaut que je trouve au jeu réside dans ses temps de chargements. À chaque mort on doit attendre une minute avant de rejouer et cela casse le rythme. Mais le jeu est énorme et c’est un must, même s’il est un peu chérot. » Mais tous n’étaient pas aussi positifs comme CVG qui ne lui a mis que 59% en déclarant : « Hmmm… Pas vraiment mauvais, mais des graphismes resplendissants ne peuvent pas masquer une mauvaise maniabilité. »

Shadow of the Beast III (1992)En octobre 1992, Reflections sort Shadow of the Beast 3. Et ils ont de nouveau été attentifs aux retours des joueurs, pour en faire le meilleur jeu de la série. Les critiques étaient globalement positives, avec des notes à 90% ou approchant. Stuart Campbell, d’Amiga Power, lui a mis 71% à cause de sa courte durée de vie – seulement quatre niveaux – mais a apprécié le jeu. Il écrit : « C’est beau, le son est bon et le gameplay est bon, mais à vous de voir si cela vaut quinze Livres par semaine. Moi, je n’en suis pas certain. » Néanmoins, le jeu n’est pas parvenu à se vendre aussi bien que ses prédécesseurs, alors que les autres développeurs sur Amiga étaient en train de rattraper leur retard sur les prouesses techniques de Reflections. De plus, beaucoup de joueurs associaient la série Shadow of the Beast à des jeux jolis mais pas terribles à jouer. Ce qui est dommage car ce troisième épisode est un titre très agréable, à des années-lumière de ses prédécesseurs en termes de gameplay. Martin Edmondson évoque l’évolution de la série des Beast : « Pour être honnête, il était moins excitant que le premier. Beast 1 était notre premier jeu conçu pour l’Amiga, il est arrivé plus tôt dans le cycle de vie de la machine, et il poussait son processeur graphique dans ses derniers retranchements. Quand on s’habitue à une machine et à ce qu’elle est capable de faire, une partie de la magie s’estompe et vous commencez à réfléchir à la prochaine machine. »

Psygnosis a révélé un autre studio prestigieux, Raising Hell Software. Aujourd’hui, on les connaît davantage, bien sûr, en tant que Bizarre Creations et pour leurs jeux MSR et Project Gotham – pour info ça a changé quand ils ont été rachetés par Sega et que la présence du mot « enfer » dans leur nom posait problème. Raising Hell a été créé en 1987 au nord-ouest de l’Angleterre par Martin Chudley. Il avait envoyé une démo du jeu sur lequel il travaillait à Psygnosis qui l’a signé sur le champ. Ce titre s’appelait The Killing Game Show et est sorti en janvier 1990. C’était un shoot ’em up étonnant dans lequel on contrôle un robot marcheur qui doit tirer sur tout ce qui bouge tout en atteignant la sortie en haut de la zone, alors que le niveau de l’eau ne cesse de monter – imaginez un mélange entre Rainbow Islands et RoboCop. La presse de l’époque a adoré, soulignant sa difficulté élevée, mais louant ses graphismes et son gameplay fluide. Amiga Format lui a mis 92 % : « Alors que vous pensiez que les shoot ’em up soignés et inventifs étaient l’apanage des portages de jeux d’arcade ou des grosses licences, arrive Psygnosis avec un nouveau joyau qui va ravir vos yeux et vos oreilles. En plus, ce n’est pas juste de la poudre aux yeux – le gameplay est aussi remarquable. L’action est frénétique et les énigmes difficiles, le jeu vous accroche et ne vous lâche plus. Matez la superbe intro, lancez la partie et éclatez-vous ! »

Lemmings (1991)Mais revenons à DMA Design. Bien qu’ils aient connu un certain succès avec Menace comme avec Blood Money – le premier s’est vendu à 20.000 exemplaires et le second à 40.000 – on ne peut pas dire qu’ils avaient frappé fort. Mais tout cela allait changer le jour de la Saint Valentin 1991, avec la sortie d’un certain Lemmings. L’idée en a germé quand Scott Johnson a essayé de créer les plus petits sprites possibles. Il n’était descendu qu’à une taille de 16 par 16 pixels, quand Mike Dailly a répliqué qu’il pouvait la réduire à 8 par 8, et s’est mis au travail. En l’espace d’une pause-déjeuner d’une heure, il avait créé un groupe de petits personnages qui se faisaient écrabouiller sous un poids. Gary Simmons a ajouté quelques animations comme la bouche qui croque, et a redessiné les personnages, comme on peut le voir à la droite de cette dernière. Russell Kay a alors fait remarquer qu’il y avait matière à créer un jeu avec ces rongeurs qu’il s’est mis à appeler lemmings, et forte de ce concept, l’équipe a débuté le développement. La première démo du jeu avait été refusée par Psygnosis comme par d’autres sociétés, car ils n’y voyaient pas encore un jeu viable. Mais sans se décourager, DMA en a poursuivi le développement sans éditeur, confiant dans le potentiel de ce titre.

Lemmings 2: The Tribes (1993)Le jeu présenté de nouveau à Psygnosis après avoir créé quelques niveaux, l’éditeur l’a enfin compris et a obtenu le droit de le publier. Et il a fait l’unanimité dans la presse à sa sortie avec des notes dépassant les 90%… Amiga Format lui a mis 92% : « Lemmings est un plaisir à jouer et peut rapidement devenir une vraie obsession. Quatre modes de jeu sont disponibles en plus du mode deux joueurs. Mais vous aurez besoin de toute votre concentration et de votre adresse pour finir un niveau et obtenir le mot de passe du suivant. Il y a plus de 160 niveaux, et chacun d’eux peut se résoudre de différentes manières. Vous devez trouver la meilleure, compte tenu des actions disponibles et de votre méthode préférée. Comme le dit le poète, il y a plus d’une manière de faire exploser un lemming. » Lemmings s’est vendu à 55.000 exemplaires rien que le jour de sa sortie. John White, responsable software, se souvient : « J’étais notamment chef de projet sur Lemmings, ce qui m’a amené à prendre l’avion pour Dundee régulièrement – les gars savaient ce qu’ils faisaient mais avaient parfois besoin d’un cap. On les a financés, équipés, et on les a conseillés en termes de croissance. En contrepartie, nous avions l’exclusivité des droits et, dans le cas de Lemmings, je me souviens être allé à un show en Allemagne en sachant qu’on avait le jeu du salon. C’était un contrat standard ; Lemmings appartenait à Psygnosis, pas au développeur. On apportait l’argent et le soutien créatif à leur concept, et ils touchaient des droits d’auteur. » Lemmings a été un énorme succès pour Psygnosis, un phénomène planétaire. Il va sans dire que DMA a enchaîné avec plusieurs suites : Oh No! More Lemmings, Lemmings 2, All New Word of Lemmings, 3D Lemmings et Lemmings Revolution, même si aucune d’elles n’est parvenue à retrouver l’élégante simplicité de l’original.

Agony (1992, Amiga)Un autre grand studio a ainsi fait ses débuts : Art and Magic. Franck Sauer, l’auteur des graphismes remarquables d’Agony, raconte cela merveilleusement sur son site, et j’ai repris son récit presque tel quel (j’espère que ça ne le dérange pas) : « Après avoir fini Unreal, on a débuté un nouveau projet pour l’Amiga, avec le nom de code Twilight, qui devait être la suite d’Unreal. Yann [Robert] ne pouvait pas participer parce qu’il faisait son service militaire. Nous n’étions donc que trois : Marc Albinet, Yves Grolet et moi. Comme Yves était le seul programmeur de l’équipe, nous avons dû revoir l’ambition du jeu à la baisse. Marc avait déjà travaillé sur un shoot ’em up (Illiad) pour le Commodore 64, et nous a suggéré de faire un jeu de ce genre parce que c’est plus facile. Sauf qu’on allait de nouveau pousser l’Amiga dans ses derniers retranchements et rendre le développement bien compliqué de toute façon. La manière dont nous nous sommes répartis le travail est la suivante : Marc a pris en charge les niveaux 2, 3 et 5, et j’ai fait les niveaux 1, 4 et 6. Nous ne voulions pas de vaisseaux et d’univers futuristes. On a opté pour un monde de fantasy dans un décor naturel, et on a revisité les thèmes classiques : la mer, la lave, les marais, etc. Comme on cherchait à faire le meilleur shoot ’em up sur Amiga, on s’est demandé comment ajouter une plus-value à l’ensemble. À l’époque, on était très impressionné par la série des Shadow of the Beast. Ces jeux offraient certaines des meilleures intros du jeu vidéo, avec des cinématiques magnifiquement animées. Alors on a convaincu Marc de réaliser une séquence narrative entièrement animée pour l’introduction du jeu. De mon côté, j’ai réalisé six illustrations, une par niveau pour le présenter durant le chargement. On s’est ensuite mis à créer un prototype. C’était comme un tournoi, le concours du plus grand nombre de plans de scrolling en parallaxe. Ils en avaient beaucoup dans SotB, mais sans superposition, comme pour le ciel dans les passages en 3D d’Unreal. L’Amiga permettait de superposer deux zones de jeu, et beaucoup de titres en tiraient parti. Mais Yves a trouvé le moyen de superposer davantage de plans, et a développé un prototype de scrolling de trois pleins écrans en parallaxe. C’était vraiment hallucinant, du jamais vu sur Amiga et la sensation de profondeur était incroyable. »

Agony (1992, Amiga)

« On a pitché Agony en 1991 alors qu’on était en train de présenter notre précédent jeu, Unreal, au salon ECTS de Londres. Steve Riding, producteur chez Psygnosis, est venu sur notre stand (en fait celui d’Ubisoft) et on lui a montré un prototype d’Agony en privé. Il était très impressionné et nous a invités, Yves et moi, à un dîner le soir même – il voulait le jeu à tout prix. Il faut savoir qu’à l’époque, toutes les stars de l’industrie comme Reflections ou DMA signaient chez Psygnosis. Faire partie de cette famille nous aurait semblé incroyable. On s’est compris malgré la barrière de langue – on parlait alors à peine anglais – et pendant le repas, on a réalisé qu’on partageait tous les deux la même idée de la direction que devait prendre le jeu. Bien entendu, Steve avait bien préparé la rencontre et nous avait accueilli avec des sacs plein de goodies Psygnosis. C’était le bon vieux temps. On est parti avec un grand sourire. Le contrat était signé quelques jours plus tard. Dès lors, on a changé le titre en Agony – on cherchait un nom commençant par la lettre A pour qu’il arrive en tête des listes des détaillants – et on a utilisé un hibou comme personnage principal, parce qu’on trouvait ça vraiment cool. C’était notre idée, pas celle de Psygnosis. »

Tim Wright« On avait déjà travaillé avec Jeroen Tel de Maniacs of Noise sur d’autres jeux, et je souhaitais une musique orchestrale pour celui-ci. Il est venu chez moi et on a discuté de nos besoins, de nos contraintes, on lui a montré le prototype. Et c’est avec joie que Jeroen nous a fourni la musique orchestrale et grandiloquente qu’on entend durant le jeu. Psygnosis a rehaussé l’ensemble en signant presque tous les musiciens de l’époque pour ajouter leurs contributions à l’intro et aux écrans de chargement ; c’était juste dingue. Quand je repense au jeu, ce qui me frappe, c’est la liberté avec laquelle on a pu créer une œuvre personnelle. L’implication de Steve s’est limitée à nous aider à améliorer encore plus le jeu pour qu’il égale les standards de Psygnosis. Il a pu nous avoir les meilleurs musiciens de l’époque, et l’intro au piano de Tim Wright en est la preuve. C’est le contraire absolu de la culture d’entreprise des éditeurs d’aujourd’hui, qui essaient d’imposer leur vision fluctuante et leur connerie de stratégie marketing. Au final, Agony est souvent comparé à une œuvre d’art, et est souvent cité parmi les plus beaux jeux de l’Amiga, et j’en suis très fier. Mais tout n’était pas rose et alors que le jeu prenait forme, Steve a annoncé une mauvaise nouvelle. Le jeu tenait déjà sur trois disquettes et il n’était pas possible d’inclure la cinématique d’intro. Ajouter une disquette aurait rendu les coûts de production prohibitifs. On était désolés pour Marc qui avait déjà beaucoup travaillé sur les animations. À la fin du projet, Yves a dû partir lui aussi faire son service militaire, et le jeu a été repoussé plusieurs fois jusqu’à sa sortie en 1992. Malheureusement, l’Amiga n’était plus la machine ultime alors que les consoles 16-bit gagnaient de nouveau du terrain et que le PC multimédia pointait le bout de son nez. D’où le succès mitigé du jeu malgré son statut culte. »

Walker (1993, Amiga)

John White était le numéro huit chez Psygnosis, et son boulot était de gérer les développeurs tiers, à qui l’on doit les jeux cités précédemment. Dans une interview pour le magazine Edge, il se souvient : « Dans les premiers temps, c’était fantastique, je voyageais tout le temps. Les développeurs essayaient de nous berner, mais on savait ce qu’ils fabriquaient. Mon rôle était de dénicher et de former de nouveaux talents, et de développer l’aspect artistique. Ian Hetherington était le créatif et le vrai responsable – c’est sa vision qui a guidé Psygnosis. (…) On avait des bureaux à l’Aciérie – quelques pièces dans un vilain coin de Liverpool. Tous les jours, quand je quittais le travail, ma voiture de fonction était dégoutante. Psygnosis appartenait en partie à Robert Smith, qui possédait également le concessionnaire Mercedes local et l’Aciérie. Ian et Jonathan Ellis ont établi le contrat pour racheter la société et le stock. En contrepartie, Robert a touché des royalties pendant un certain temps. (…) Je me souviens être allé dans les premiers salons avec la marchandise et être revenu avec des dizaines de milliers de Livres. Tout ce que je faisais, c’était discuter avec les développeurs et les programmeurs pour essayer de les recruter. Ian et Jonathan ont géré la boîte selon leur vision, et ont décroché pas mal de licences. »

Psygnosis a évidemment sorti des tas d’autres jeux sur Amiga et Atari ST, beaucoup trop pour pouvoir les évoquer en détail. […] En résumé, en ce qui concerne cette période focalisée sur l’Amiga et l’Atari ST, quand on achetait un jeu Psygnosis, on pouvait être certain :

  • qu’il débuterait par une cinématique impressionnante, occupant souvent une disquette à elle seule.
  • qu’il aurait des graphismes bien classe, un son incroyable et que ce serait le jeu idéal pour épater vos copains qui jouent sur consoles.
  • qu’il serait livré dans une énorme boîte arborant une superbe illustration de Roger Dean.
  • que cette boîte contiendrait également un poster ou un T-shirt en bonus.
  • que ce jeu coûterait le prix exorbitant de £35.
  • que le jeu lui-même puisse, en fait, ne pas être si génial…

Le passage au CD-ROM

Microcosm (1993, FM Towns/Mega CD/3DO/CD32/MS-DOS)Psygnosis s’est toujours tourné vers l’avenir et ainsi, dès 1991, une équipe dédiée a été mise en place pour étudier les technologies du futur. Appelée le Psygnosis Advance Technology Group, on lui doit un codec maison de Full Motion Video (FMV) et des techniques pour améliorer le streaming de données à partir d’un CD. Le tout premier fruit de son travail est sorti en octobre 1993 sur FM Towns et Mega CD, et en mai de l’année suivante sur PC, CD32 et 3DO. Présenté comme un shoot ’em up à mi-chemin entre After Burner et le film Le Voyage fantastique, c’était un jeu révolutionnaire dès sa longue introduction de 400 secondes, superposant des acteurs live à des décors générés par une station Silicon Graphics coûtant plusieurs dizaines de milliers d’euros ; il fallait un serveur équivalent à un paquet de disques durs pour les 6,5 Go nécessaires au stockage de cette intro sous forme non compressée. Tout dans la conception de ce jeu s’est révélé excessif, avec un développement initial estimé entre $600.000 et $700.000, une somme astronomique pour un jeu vidéo à l’époque. Tout aussi impressionnante, la musique a été réalisée par Rick Wakeman, l’ancien chanteur de Yes (NdT : il s’agirait en fait du claviériste), suite à une rencontre avec Psygnosis lors d’un concert.

Microcosm (1993, FM Towns/Mega CD/3DO/CD32/MS-DOS)Mais en dépit d’une réalisation à gros budget, le jeu lui-même n’était en fait pas si bon, avec un gameplay rudimentaire qui lui a valu des accusations de privilégier la forme au détriment du fond. Néanmoins, en tant que joueur à l’époque, je suis bien placé pour témoigner de mon excitation d’alors quant aux nouvelles possibilités que le format CD pouvait offrir. Amiga Format l’a sans doute mieux résumé en lui donnant 87% et en écrivant : « Le futur des jeux vidéo est là. Ce n’est peut-être pas le plus jouable, mais il restera une date dans l’histoire du divertissement. » Jeff Bramfitt, graphiste sur Microcosm, se souvient de son travail chez Psygnosis : « C’était grisant de bosser là-bas, parce que tout le monde était excité par les nouvelles possibilités qui s’ouvraient devant nous. C’était effectivement un tout nouveau moyen d’expression, avec un gros potentiel et d’un coup on se trouvait à l’avant-garde. » Il est vrai que les premiers jeux Psygnosis sur CD-ROM n’étaient pas très bons. Mais on ne peut pas nier que l’éditeur avait de l’avance en exploitant ce format qui intéressait beaucoup de monde… Notamment Sony.

L’ère PlayStation

Archive de PR Newswire, 22 mai 1993 :

Ce 22 mai 1993, Sony Electronic Publishing Company a acheté le développeur et éditeur de jeux vidéo basé à Liverpool Psygnosis Ltd., un leader reconnu dans le jeu vidéo et les logiciels sur CD-ROM. Cette acquisition de Psygnosis amplifie grandement les capacités de développement interne de Sony Electronic Publishing. Psygnosis va continuer de produire et de distribuer des logiciels sous la marque Psygnosis, tout en développant pour la filiale jeux vidéo de Sony Electronic Publishing. Olaf Olafsson, président de Sony Electronic Publishing et de Sony Imagesoft : « Psygnosis et son management vont jouer un rôle intégral dans le développement du divertissement interactif de pointe, ainsi que dans notre expansion en Europe. » « Nous sommes ravis et excités à l’idée de travailler avec Sony Electronic Publishing, une société dont le nom et la réputation sont synonymes d’innovation et d’excellence technique, » a déclaré Jonathan Ellis, le directeur général édition de Psygnosis. « L’alliance de deux sociétés aussi complémentaires permettra à chacune de bénéficier des forces et des talents de l’autre, et de poursuivre notre croissance et notre pénétration du marché mondial de l’industrie du divertissement. » « Travailler avec une société du calibre de Sony va nous permettre d’établir et de développer notre réputation de pionniers de la technologie innovante du CD, et de repousser les limites du divertissement au-delà des attentes, » a déclaré Ian Hetherington, directeur général développement de Psygnosis. « Cette nouvelle association avec Sony Electronic Publishing va nous ouvrir les portes d’un nombre incroyable de projets, et elle représente l’achèvement de nos réussites passées. » Jonathan Ellis et Ian Hetherington vont continuer d’officier en tant que codirecteurs généraux de Psygnosis.

Sony PlayStation (photo : François Doury pour MO5.COM)

Tout d’un coup, Psygnosis avait été vendue, Sony possédant 50% des parts de la société. C’était logique du point de vue de Sony, qui détenait ainsi la moitié de l’un des plus gros éditeurs mondiaux, et à l’avant-garde de l’utilisation du CD comme support de jeu vidéo. Et du côté de Psygnosis, c’était logique aussi puisqu’ils pouvaient continuer comme avant, n’étant même pas obligés de sortir leurs jeux uniquement sur les machines Sony. John White explique ainsi à Edge pourquoi Sony a acheté Psygnosis : « Psygnosis a été acheté par Sony America, et non pas Sony Japan qui gérait l’électronique. Les États-Unis ont vu dans cet achat le moyen stratégique d’acquérir des jeux pour compléter leurs films et leur contenu TV. Sony America voulait acquérir un fournisseur de jeux vidéo pour l’associer au hardware. C’était l’idée initiale. Je suis certain qu’il y a eu des tas de tractations derrière, mais ils voulaient créer une société versatile. Les négociations ont eu lieu entre Ian, Jonathan et SCEA, mais une fois l’acquisition effective, ils ont un peu fait appel à moi pour mettre en place SCEE. Ils avaient Phil Harrison sur place et on devait trouver des bureaux et lancer l’activité. Après six mois à essayer de définir ce qu’on faisait, la direction a changé et on m’a fait revenir chez Psygnosis, et Phil chez SCE. »

WipEout (1995, PlayStation/Saturn/PC)Le premier jeu de Psygnosis sur PlayStation était pour le moins spécial… Baptisé WipEout et publié en août 1995, ce jeu de course futuriste empruntait au Powerdrome (1988) de Bullfrog, à F-Zero et même à Mario Kart, remis au goût du jour avec une bonne dose de cool pour les joueurs de la génération PlayStation. Lee Carus, graphiste sur WipEout, s’est souvenu pour Retro Gamer de la manière dont ce titre séminal a vu le jour : « Je crois que tout a commencé par une conversation alcoolisée entre Nick Burcombe et un de ses anciens collègues, Jim Bowers, dans un pub appelé Shrewsberry Arms à Oxton, dans la banlieue de Birkenhead. » Cette discussion a mené Jim Bowers à s’atteler à une première vidéo-concept qui a suffisamment impressionné la direction de Psygnosis pour donner le feu vert au projet immédiatement. Il n’a fallu que quatorze mois à l’équipe de WipEout pour créer le jeu, un délai extrêmement court pour seulement dix personnes. Avec l’aide d’une liste impressionnante de tubes de dance et de techno signés par les artistes du moment, il a su reconquérir parfaitement les jeunes adultes qui avaient grandi avec le jeu vidéo, et leur montrer que c’était encore de leur âge. On peut donc estimer que WipEout est l’un des jeux les plus importants de la PlayStation, et un tournant pour son succès mondial. Une telle réussite ne pouvait que mener à un grand nombre de suites, et il faut reconnaître que Psygnosis a su vraiment repousser les limites avec chaque épisode, améliorant le jeu à chaque itération. Grâce à cela, WipEout est resté une licence populaire chez les joueurs du monde entier, et un joyau dans le catalogue de la PlayStation de Sony. D’ailleurs, c’est par un jeu WipEout que SCE Studio Liverpool (ex-Psygnosis) a terminé sa carrière avant de malheureusement fermer ses portes en 2012.

Destruction Derby (1995, PlayStation/Saturn/PC)Psygnosis a sorti un autre classique le 31 octobre 1995 sur PlayStation. Cette fois, on le devait à Reflections, et il s’apparentait aussi à un jeu de course. Appelé Destruction Derby, il constituait une formidable alternative au genre car, ressemblant aux véritables derbys de démolition, il s’agissait autant de se tamponner les uns dans les autres que de franchir la ligne d’arrivée. Le jeu est né dans l’imagination de Martin Edmondson et de Michael Troughton qui, en tant que fans de derbys, estimaient que cela ferait un titre très amusant. Psygnosis leur a donné le feu vert et ils sont parvenus à livrer le jeu en seulement neuf mois. Martin se souvient dans une interview pour Retro Gamer : « C’était une période captivante avec le rachat de Psygnosis par Sony et le buzz autour de la nouvelle PlayStation. Je me souviens que certains employés de Psygnosis devaient cacher leurs badges sur les salons pour ne pas être submergés comme des stars cernés par les paparazzi. » Avec deux projets PlayStation de ce calibre au sein de Psygnosis, il était naturel qu’une rivalité saine naisse entre l’équipe de WipEout et Reflections, et cet esprit de compétition pour tirer parti de la PlayStation a sans doute contribué à rendre les deux jeux aussi bons que possible. Martin se souvient de la première présentation du jeu à Ken Kutaragi de Sony : « Il est venu avec une équipe d’ingénieurs et je lui ai fait une démonstration du jeu. Il était très enthousiaste et avait souvent le sourire, mais sa seule vraie remarque était qu’il trouvait vraiment dommage qu’aucun débris de voitures ne restait sur le circuit. Je me souviens avoir pensé – mais je ne l’ai bien sûr pas dit : vous réalisez bien sûr à quel point on pousse déjà votre hardware pour ajouter en plus des débris sur tout le parcours ! Il avait raison cela dit ; si seulement on avait pu le faire. » Destruction Derby était un grand jeu, et ceux qui à l’époque ont critiqué son côté simpliste n’ont rien compris au concept. C’est supposé être du divertissement bas du front et un peu régressif, et de ce point de vue il a réussi avec brio.

Ken KutaragiJohn Gibson, chef de projet chez Psygnosis détaille dans une interview pour Retro Gamer les raisons pour lesquelles Sony a commencé à prendre le contrôle total de Psygnosis des mains de Ian Hetherington : « Cette époque représentait encore l’âge d’or du développement de jeux vidéo, la mentalité Imagine était encore intacte. On pouvait encore trouver un paquet de voitures très chères dans le parking, et tous les employés ainsi que leurs chiens avaient droit à leur voiture de fonction. Fatalement, ce train de vie ne pouvait pas durer et quand Sony a réalisé qu’il arrosait des millions et n’en tirait pas grand chose, les choses ont vite évolué avec d’abord le vote de l’éviction de Ian Hetherington au conseil, puis la fermeture de tous les studios affiliés. En l’espace de quelques années, Psygnosis est retourné à son point de départ. Seulement ce n’était plus Psygnosis, mais SCEE. » Jeff Bramfitt, graphiste sur Microcosm, se lamente aussi sur le sort de Psygnosis : « Les choses ont commencé à partir en vrille quand Sony a pris les rênes, changeant constamment le management qui s’est peu à peu éloigné de la production pour se tourner vers les évolutions de carrière, la créativité muselée et l’arrogance. » John White, chef de projet, réfléchit pour Edge à ce qui a capoté avec Psygnosis : « Dès que je suis arrivé, on a doublé de taille chaque année. On est arrivé à 400 et Ian a dit que l’année prochaine, ce serait 800. Vous pensez que cette croissance est naturelle, mais au bout du compte, même avec une stratégie, on ne l’a pas géré aussi bien qu’on aurait dû par manque d’expérience. On a perdu le contrôle. WipEout a fait partie de la dernière génération de jeux durant laquelle ce qu’on faisait fonctionnait. Ça a dégénéré parce qu’on avait trop de succès quand la nouvelle direction est arrivée. Pour moi, c’était devenu horrible. J’avais vécu six années magnifiques mais les deux dernières étaient mauvaises. J’ai fini par comprendre ce qui n’allait pas et j’ai dit à Ian qu’on manquait d’entraînement au management et que notre inexpérience était la cause de nos problèmes. Il m’a dit que j’avais raison mais que c’était trop tard. J’ai été mis sur la touche, à un différent poste où je n’étais plus heureux. »

Psygnosis a édité de nombreux classiques du jeu vidéo, que ce soit la série des DiscWorld, les innovants Colony Wars, G-Police, ou encore la série impressionnante des Formula One de Bizarre Creations, avant qu’ils ne rejoignent Sega puis Microsoft pour signer les jeux Project Gotham. Même en 2000, quand Sony a changé le nom de Psygnosis en SCE Studio Liverpool, il a continué de sortir des titres de qualité qui ont bonne réputation auprès des joueurs comme de la presse spécialisée (NdT : retrouvez-en la liste complète dans la seconde section de l’eBook).

La fin d’une ère…

Le 22 août 2012, Sony a confirmé la rumeur qui voulait que SCE Studios Liverpool, autrefois connu en tant que Psygnosis, venait de fermer ses portes. Sony a alors émis ce communiqué : « Au sein de SCE Worldwide Studios, nous menons régulièrement des études pour nous assurer que nos ressources peuvent imaginer et produire des projets de grande qualité, innovants et viables commercialement dans un marché de plus en plus compétitif. Dans le cadre de ce processus, nous avons passé en revue et évalué tous les projets actuels et futurs sur le court et le moyen terme, et nous avons décidé de procéder à des changements dans nos studios européens. Il a été décidé que le studio de Liverpool devait fermer. Le studio de Liverpool a été une part importante de SCE Worldwide Studios depuis le lancement de la PlayStation, et a contribué grandement à la marque au fil du temps. Toutes les personnes impliquées dans le studio de Liverpool, par le passé ou aujourd’hui, peuvent être très fières de ces accomplissements. Néanmoins, il nous a semblé qu’en concentrant nos investissements sur d’autres studios qui travaillent actuellement sur de nouveaux projets excitants, nous serions plus à même d’offrir le meilleur contenu possible aux consommateurs. Nos locaux de Liverpool vont continuer de fonctionner, et d’héberger plusieurs départements essentiels de WWSE et SCEE. Cela n’enlève rien à l’immense travail que WWS accomplit et aux incroyables jeux et services que nous avons créé, et continuerons de créer, que ce soit cette année et à l’avenir. »

Psygnosis 1984-2012
Tu vas grandement nous manquer.

Le logo emblématique de Psygnosis

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