WONDER BOY: THE DRAGON’S TRAP
Windows, Xbox One, PlayStation 4, Switch
Catégorie : action-RPG
Joueurs : 1
Développeur : Lizardcube
Éditeur : DotEmu
Date de sortie : 18/04/2017 (consoles)
Prix : 19,99 €
Site Officiel : http://www.thedragonstrap.com/
(testé sur Switch)
Le piège de la malédiction ou l’inverse.
Un jour, une de mes collègues largement plus expérimentée que moi m’a dit, à propos de ma fatigue à faire et refaire la même tâche, « faire et refaire, c’est toujours travailler ». J’ai du répondre de manière polie mais intérieurement, j’ai roulé des yeux comme un vulgaire ado qui sait tout. Et pourtant, avec le recul c’est elle qui a raison. En effet, la répétition apprend toujours à automatiser une tâche ou à l’envisager avec toujours plus de recul et par conséquent de compréhension approfondie. Pourquoi je vous raconte ça, moi ? Eh bien parce qu’un jour j’ai sans doute dit, texto : « Mouais bof, les remakes, blablabla, l’absence d’idée, blablabla, la fin de la créativité, blablabla, la mort du business… » Je déplorais sans doute un énième remake / reboot / soft reboot. Ou alors je me plaignais de Shantae ½ Genie Hero. Non, ça c’est pas possible, c’était avant sa sortie. Mais bref, je disais donc du mal d’un reboot quand soudain, Internet m’annonça la sortie d’un remake de Wonder Boy III: The Dragon’s Trap. Et là, au lieu de faire le blasé j’ai roulé par terre de longues minutes dans ma propre bave d’aise. Tout ce préambule sert à vous dire que si ce que vous cherchez dans cette critique est de l’objectivité, passez votre chemin. Je ne me crois pas capable, structurellement, d’avoir un regard objectif sur un jeu aussi « fondateur » pour moi – au sens où il fait vraiment partie des titres qui sont à l’origine de ma passion pour le jeu vidéo, mais sans doute aussi pour le genre appelé aujourd’hui Metroidvania.

Le jeu permet de revenir à tout moment aux graphismes (et au son) de l’original
Enfin, et ce sera fini pour l’intro, j’ai le luxe ultime de pouvoir me passer de contexte sur la saga Wonder Boy, tout simplement parce que nous avons fait un podcast complet sur la question il y a à peine quelques semaines, et je vous invite vivement à vous y référer si vous souhaitez en savoir plus sur le rôle central de cet épisode, et pour la saga et pour le jeu vidéo en général !
Des clefs, des portes.
En 1989, il était plutôt rare qu’un jeu vous accueille in medias res, à savoir au beau milieu d’une quête commencée lors du dernier niveau du précédent épisode, Wonder Boy in Monster Land (1987). Parce que là, après deux lignes d’introduction, vous vous retrouvez lâché dans l’antre du boss final, MEKA Dragon. Et très vite vous allez vous apercevoir de deux choses :
- Vous êtes absolument « craqué » – un petit tour par les menus vous indique que vous êtes porteur de l’équipement légendaire, rien que ça…
- Il va falloir apprendre à naviguer car prendre une mauvaise sortie d’écran vous conduit à devoir refaire une (courte) séquence de jeu.
Vous voilà donc dans le rôle d’un héros légendaire à l’assaut de la forteresse d’un ennemi sadique. Très vite, heureusement, vous vous retrouverez face à MEKA Dragon dont vous saurez disposer avec facilité. Mais quand je disais sadique, j’étais en fait encore assez loin de la vérité car en plus d’avoir un château qui peut vous faire boucler – spatialement ou dans le temps, je n’ai toujours pas d’indice quant à la réalité du pouvoir de vous faire refaire des salles entières si vous ne prenez pas la bonne sortie… –, MEKA Dragon est mauvais joueur. En effet, en poussant son dernier souffle, il produit une flamme bleue qui vous traque et vous transforme en lézard/dragon (NdR : /dinosaure/Yoshi ?), et provoque l’effondrement de son château ! Nan, franchement, t’es relou MEKA Dragon, tu peux pas mourir en paix comme n’importe quel boss de jeu vidéo ?

La flamme bleue par laquelle tout a commencé !
Une fois sorti de son antre, les règles ont changé ; il faudra repartir du côté opposé pour trouver une issue au milieu des briques qui essaient de vous tomber droit sur le museau, et des ennemis toujours là à essayer de vous enterrer dans le château avec leur chef ! Heureusement, ils se montrent au final coopératifs et dès la première confrontation sous forme de lézard/dragon (il crache des flammes mais s’appelle Lizard-Man), l’ennemi occis lâche une clef pour ouvrir la porte fermée que vous aviez peut-être aperçue avant d’aller DELETE de la surface de la terre le gros rageux de MEKA Dragon. Une fois sorti du château, les ennuis ne font que commencer.
Vous apprenez rapidement que pour mettre un terme à la malédiction, il vous faudra mettre la main sur la Salamander’s Cross que d’autres vils dragons cachent. Et pour atteindre ces sales bêtes, il vous faudra parcourir Monster World. Mais pas de façon linéaire. En effet, très vite en arrivant dans le village qui sert de hub central à l’aventure, vous vous apercevrez que vous pouvez choisir plusieurs chemins dont deux ont l’air bloqués : l’un par une porte qui nécessite une clef, l’autre par des blocs recouverts d’un motif à damier blanc et noir avec une porte de l’autre côté, donc potentiellement accessible. Tout l’enjeu maintenant est de trouver la clef et trouver quoi faire avec ces blocs-là ainsi que les différents blocs suspicieux qui pavent le Monster World. Bref, parcourir le monde par le biais de ces portes mais aussi de pouvoirs qui repousseront les limites de votre univers praticable. Mesdames, messieurs, vous voici devant un jeu d’aventure non linéaire « à la Zelda » mais dont la navigation principale se fait sur le mode jeu de plateformes comme un Castlevania II: Simon’s Quest ou un Metroid – en bref, un proto-Metroidvania…

La transformation en souris permet de marcher aux murs pavés du motif de damier
« On ne naît pas femme, on le devient »
Visionnaire, Simone de Beauvoir savait d’emblée qu’après la transformation en lézard/dragon, le personnage principal allait passer par plusieurs étapes, des transformations avant de retrouver son intégrité physique, et se demander si l’existentialisme est un humanisme. À chaque nouveau dragon à vaincre, une nouvelle étape de la malédiction vous permettra d’arpenter les blocs à damier, de nager sous l’eau, de frapper des blocs sous vos pieds puis de tout simplement voler. Si la narration est absolument minimaliste – seul le cochon qui fume et les divers marchands auront des choses à vous dire –, la progression se fait de façon tout aussi minimaliste, chaque nouvelle transformation vous permettant de « dépasser » un obstacle qui vous bloquait jusque-là. Le souci c’est que du fait de cette austérité narrative, qui ne doit rien à des créanciers européens, seule la curiosité saura vous sortir des moments de doute sur la marche à suivre.
D’ailleurs, le jeu encourage énormément la curiosité avec un détail très simple, détail qui aura quand même été à l’origine du projet de remake : les portes. Il y a des tas de portes cachées dans le jeu et les connexions qu’elles permettent entre les diverses régions de Monster World font que ce dernier parait tout à fait enchanté, ou du moins absolument pas soumis aux mêmes règles élémentaires de la physique. Et du coup, en plus de vous faire voyager à tort et à travers entre lieux lointains, le jeu vous donne une impression assez euphorisante, celle de réussir à toucher ses confins, voire à vous jouer de lui en découvrant des « out of bounds », des zones hors du jeu praticable, alors qu’elles sont en réalité tout à fait pensées pour que vous y mettiez les pieds ! C’est une bouffée d’air frais absolument phénoménale car les séquences entre les diverses transformations sont finalement incroyablement linéaires – l’épave de galion ou la pyramide de la souris ne vous diront pas le contraire…

Certains niveaux sont quand même très linéaires…
Le jeu sent fort son design des années 1980, mais comment le lui reprocher ? OK, en 1989 les sauts étaient au pixel près. OK, les combats impliquaient des manœuvres étranges pour toucher les ennemis – ah, ce saut pour tomber pile à la bonne distance à chaque coup… OK, la difficulté augmentait juste par la multiplication excessive d’ennemis dans des goulots d’étranglement, ennemis dont le palette swap seul (la modification de la couleur sans toucher au sprite lui-même) est un marqueur de leur niveau. Mais tout ça au final, ça a le goût des bols de Smacks du mercredi aprem et des matches de foot avec une balle de tennis cachée dans un ballon constitué de plein de feuilles de papier en boule (NdR : une tradition corse, sans doute). Pour les gens qui ont connu ces sensations. Pour les autres, difficile à dire mais le jeu se donne les moyens pour réussir l’invocation des souvenirs d’enfance.
Radicalisation de la nostalgie ou Nostalgisation de la radicalité ?
Vous aurez remarqué que jusque-là, je n’ai parlé que des mécaniques de jeu, du level design et technique de gruge pour jouer au foot avec de bonnes sensations alors qu’avec vos potes vous avez déjà cassé la moitié des vitres du rez-de-chaussée de votre école avec des ballons bien trop durs et des frappes bien trop loin des cages. Ce n’est pas pour créer un suspense, ou pour faire à l’inverse beaucoup d’autres critiques sur le jeu, mais tout simplement parce que Wonder Boy: The Dragon’s Trap est un remake que je qualifierais de jusqu’au-boutiste. Par rapport à l’original de 1989, rien, je dis bien absolument rien n’a été touché des mécaniques. Vous pourrez donc parcourir le jeu exactement à l’identique, sauf dans les menus – ce que personnellement je déplore, parce que je suis un gros con qui aime bien la fausse complexité des menus qui te font croire que tu comprends à merveille un truc complexe… À l’identique jusque dans le graphisme, même si le format de l’image est en 16/9e de nos jours, la musique et même les ajouts – de nouvelles zones sont accessibles pour chacune des formes du héros/héroïne (ajout de cette version) – sont complètement basés sur l’exploitation de votre curiosité à titiller littéralement les confins du jeu. Le travail de conservation du patrimoine ludique de Wonder Boy III: The Dragon’s Trap est absolument remarquable par l’exigence à rendre le jeu sous sa forme la plus pure.

Il y a beaucoup plus de détails mais le level design est intact
Mais Lizardcube ne s’est pas arrêté là. Bien au contraire. La forme remise au goût du jour avec le trait agile de Ben Fiquet et les musiques de Michael Geyre et Romain Gauthier (adaptées des thèmes originaux de Shinichi Sakamoto qui font danser Guillaume sur la Side Crawler’s Dance depuis 1989 – plutôt depuis 2007, NdR) apporte une modernité absolument bienvenue sous la forme de nuances. Pour la musique, cela se traduit par des boucles identiques au niveau de la mélodie mais déclinées différemment et avec des tonalités qui peuvent rappeler le jazz manouche, la musique japonaise voire la java. Aussi, tout en étant parfaitement entrainants, les thèmes ont acquis des personnalités, des couleurs musicales qui les enrichissent et les rendent souvent terriblement sexy – ON VEUT L’OST SVP !!!!! Les graphismes et surtout l’animation procèdent exactement du même principe. Si l’original se permettait déjà des bouilles incroyablement cartoonesques quand votre héros prenait des dégâts (avec un recovery très particulier mais qui envisageait chaque ennemi comme l’occasion d’un duel) ; il faut voir le lion trainer son énorme épée bâtarde ou le lézard/dragon se lover dans sa queue quand il se baisse pour comprendre quelle minutie et quel amour ont été mis dans ce ravalement de façade. Dernier exemple : dans l’original, le héros donnait l’impression de glisser et le rythme de vol de l’aigle n’était pas lié aux battements visibles de ses ailes. Ici, ces petites scories sont cachées sous des étapes d’animation supplémentaires qui font tout à fait oublier les limites de la jouabilité d’origine. J’ai la sensation que ça modifie du coup un peu les boîtes de collision mais sans preuve tangible de ce que j’avance – Omar, si tu lis ce test, je veux bien que tu éclaires ma lanterne là-dessus ! –, je préfère m’arrêter à mes sensations sur ce point.

L’animation si particulière de Lizard-Man accroupi !
Bref. Vous l’aurez compris, un matériau brut de son époque, bien qu’un peu en avance sur pas mal de points, se retrouve serti dans un écrin tellement beau et travaillé qu’il exsude de l’amour et du chocolat chaud par tous ses pixels. Est-ce qu’il conviendra aux joueurs de 2017 ? S’ils sont soucieux de patrimoine vidéoludique et conscients des limites du matériau de base, ils trouveront probablement la plus belle déclaration d’amour faite à un jeu fondamental pour beaucoup de petits Européens. Dans la Divine Comédie de Dante, Dieu aime tant Marie que lui, le créateur, décide de devenir sa créature – je ne vous rappelle pas le principe de la Trinité, ça reste une critique de jeu vidéo ici et je suis pas sûr que mon bien aimé rédac’ chef aime mes digressions théologiques. Ici, Omar Cornut et Ben Fiquet aiment tellement The Dragon’s Trap qu’ils ne se contentent pas d’être dans l’hommage, mais décident de devenir les créateurs d’une forme transfigurée et à la fois parfaitement respectueuse d’une de leurs œuvres favorites. Accéder à la substance même de l’objet pour s’en attribuer, avec humilité, une part de sa paternité.
Bravo, les gars !
Verdict : Avec une durée de vie de quatre heures mais des souvenirs pour la vie, The Dragon’s Trap est le remake le plus jusqu’au-boutiste jamais créé. Il fallait bien ça pour le plus beau souvenir d’enfance de nombreux d’entre nous.