Retour sur la vente aux enchères du Micral N

L'unité centrale du Micral N

Préface du rédac’ chef (G. Verdin) : C’est en mai – l’information avait été relayée dans la presse à l’époque (Ouest France, Le Figaro, Midi Libre, etc.) – que nous avons été prévenus de la vente aux enchères d’un exemplaire du Micral N, considéré comme le premier micro-ordinateur de l’Histoire, qui s’est tenue le 11 juin au château d’Artigny, près de Tours. Or, comme vous allez le voir dans cet article rédigé par notre président Philippe Dubois, non seulement nous n’avons hélas pas pu empêcher son acquisition par un Américain, mais nous n’avons pas pu obtenir des photos de l’évènement par nos envoyés spéciaux afin de publier un article sur le moment… Par conséquent, j’avais pensé profiter du recul pour en tirer un édito qui poserait aussi la question de la sauvegarde du patrimoine français ; certains estiment en effet que le Micral n’est pas si rare, qu’il ne s’agit pas forcément d’un « vrai » micro-ordinateur au même rang que l’Apple I, et surtout qu’au-delà du fait qu’il est effectivement sorti en premier, son influence véritable sur l’industrie serait en revanche plus discutable… Cependant, après réflexion, il m’a semblé que l’article de Philippe se suffisait à lui-même, et j’ai donc décidé de le publier sans grande modification, et de vous proposer bientôt un édito sur un sujet différent, mais tout aussi intéressant je l’espère.


Le 11 juin 2017 a eu lieu au château d’Artigny une enchère exceptionnelle pour la communauté des collectionneurs de matériels informatiques anciens et, d’un point de vue plus général, pour le patrimoine numérique et industriel français. Ce n’est ni plus ni moins qu’un très rare exemplaire du premier micro-ordinateur au monde, un Micral de la société R2E de 1973, qui a été adjugé à 50 000 euros –  une somme toutefois modique par rapport aux montants astronomiques auxquels s’envolent les dernières cartes mères d’Apple I chez Christies à New York…

Le Micral est reconnu comme étant le premier micro-ordinateur au monde, c’est-à-dire et pour être précis, un ordinateur commercial utilisant un microprocesseur, ici un 8008 de la société Intel qui l’inventa en 1971 suite à l’avènement de l’Intel 4004. Même les kits de programmation sur micro-processeurs américains sont ultérieurs et datent de 1975, comme le kit KIM-1 de la société MOS. Et les premiers micro-ordinateurs américains équipés donc de microprocesseurs sont sortis eux aussi en 1975 comme l’IMSAI 8080, que l’on voit dans le film WarGames (1983), ou en 1976 avec le célèbre Apple I. Le Micral, lui, est né pendant l’été 1972, alors que le premier microprocesseur 8-bit de la société Intel, le 8008 à 800 KHz, venait d’être commercialisé. Il était destiné principalement à équiper en tant qu’« automate industriel programmable » les serres informatisées de l’Inra (Institut National de Recherche Agronomique), puis se retrouva notamment à piloter les portiques automatiques des autoroutes de Grenoble. Il est dit qu’il s’en est vendu près de 90 000 unités ; cela nous parait cependant exagéré et la rareté actuelle de la machine tendrait à prouver que bien moins ont trouvé preneurs…

Nous avons rencontré son inventeur, Monsieur François Gernelle, en 1999 à la sortie du jugement contre TF1 dont il était sorti vainqueur. En effet, la chaine avait diffusé en 1995 un reportage dans lequel M. André Truong Trong Thi, alors chef de l’équipe dans laquelle officiait M. Gernelle, était présenté comme l’inventeur du Micral. François Gernelle avait à la suite du jugement organisé une conférence de presse avec quelques journalistes et moi-même (Philippe Dubois), afin d’expliquer l’affaire et sa volonté de faire passer le message de sa paternité.


François Gernelle, le père du premier micro-ordinateur

L’association MO5.COM a été rapidement mise au courant de l’enchère publique concernant le Micral. Nous tenons  d’ailleurs à remercier ici les nombreuses personnes qui, sur les réseaux sociaux principalement, nous ont alerté de l’enchère et de l’opportunité que cela pouvait représenter pour l’association. Soyons précis. Il existe déjà plusieurs exemplaires de micro-ordinateurs Micral en France mais, sauf erreur, nous n’en avions dénombré que trois recensés de manière sûre (NdR : quatre selon la presse, plus celui-là) avant cette enchère ; un prototype est dans les collections du Musée des Arts et Métiers, donné en décembre 2003 par François Gernelle, et un autre (uniquement l’unité centrale) se trouve dans les collections de la Cité des Sciences et de l’Industrie. Cet exemplaire devrait être actuellement présenté au Musée des Confluences de Lyon depuis 2009. Le dernier dont nous faisons mention est officieusement en vente et actuellement dans les mains d’un ancien employé de la R2E, et dont la mise à prix actuelle nous empêche pour l’instant de nous y intéresser…

Il va sans dire que cela fait peu pour le sol national d’un ancêtre commun aux deux milliards de micro-ordinateurs utilisés de nos jours, mais c’est surtout que les machines dénombrées précédemment sont quasiment nues, sans périphériques d’entrée/sortie, de stockage, et très peu de documentation, a contrario de l’exemplaire vendu aux enchères. Il est de ce fait le plus complet que nous ayons jamais vu. Sur les photos prises à l’occasion de l’enchère, on peut très bien apercevoir la fameuse unité centrale, entourée d’un double lecteur de disquettes 8 pouces un peu plus moderne de 1976, un télétype qui servait d’entrée/sortie, et même un terminal certainement branché à l’une des toutes premières cartes vidéo texte pour cette machine :

Le Micral N complet

Le Micral N complet avec son terminal à gauche, son unité centrale surmontant le double lecteur de disquettes au centre, et le télétype à droite

Du coup, son importance était pour nous capitale et nous voulions tout faire pour que la machine puisse rester en France. En effet, comme vous le savez certainement, le but de l’association MO5.COM est de préserver le patrimoine numérique. Du fait de notre ascendance, et surtout ici concernant un objet aussi important par rapport à l’histoire de l’informatique, essayer d’acquérir une telle machine française est pour nous une priorité.

Et nous avions déjà œuvré avec Jean-Baptiste Clais pour sauvegarder une des plus grandes collections informatiques françaises en 2007, la fameuse collection Bizoirre, du nom du collectionneur, co-auteur du très célèbre site internet bordelais Old-Computers.com. Il nous semblait déjà, avec une telle opportunité, que des collections patrimoniales de matériels numériques aussi importantes devaient absolument rester en France, pour plus tard – nous l’espérons tous – pouvoir être présentées dans un musée adéquat. En 2007, Jean-Baptiste avait réussi à faire acheter cette collection par le CNAM pour une somme déjà conséquente, et son inventaire vient juste d’être achevé. D’ailleurs, le CNAM songe actuellement à la présenter en exposition, du moins en partie.

Nous nous félicitons tous du succès de cette opération, et nous avions voulu la reproduire en 2012 avec la mise en vente d’une des plus grandes et prestigieuses collections françaises de jeux vidéo. Constituée de nombreux « full sets » de consoles japonaises et plus de 7000 titres en excellent état, cette collection avait été mise aux enchères à un prix inabordable afin que le vendeur puisse se faire connaitre internationalement. Et c’est ainsi qu’un groupement de musées américains a pu réunir l’argent nécessaire pour la transaction – il est question ici d’une somme supérieure à 300 000 euros. Cette collection fantastique, l’œuvre d’une vie, est définitivement partie de France, et ne reviendra jamais. Quel dommage !

Télétype du Micral N

Avant l’essor des moniteurs, le télétype permettait de communiquer avec un ordinateur en générant une bande perforée

Alors, pour ce fameux Micral en vente aux enchères, nous avons tout fait en notre pouvoir pour qu’il puisse rester en France. Surtout que nous ne parlons pas du tout des mêmes montants ; la mise à prix de celui-ci était de 20 000 euros « seulement », une broutille par rapport aux 110 000 euros du dernier Apple I en date. Jean-Baptiste Clais a contacté via des réseaux internes les responsables de collections patrimoniales des institutions françaises. Le résultat fut malheureusement nul. Nombre de personnes contactées n’ont même pas daigné répondre, alors qu’il s’agit ici et nous le rappelons à toutes fins utiles d’un objet patrimonial rarissime. Quant à nous, MO5.COM, nous avons contacté à ce sujet plusieurs institutions dont le CNAM, l’ACONIT ou la Cité des Sciences. Finalement, devant le peu d’engagement de la majorité des institutions contactées, nous avons essayé de lever en désespoir de cause une somme suffisante pour essayer de gagner l’enchère. Peine perdue ! Malgré des promesses de don jusqu’à plus de 10 000 euros, nous n’étions encore qu’à peine plus haut que le prix de départ de l’enchère, ce qui était d’emblée insuffisant…

Finalement, le Micral est parti à 50 000 euros auprès d’un collectionneur américain (NdR : Paul G. Allen, de Seattle). Nous pensons savoir de qui il s’agit, et il se peut d’ailleurs que ce soit la même personne qui ait essayé d’acheter la collection Bizoirre en 2007. Nous allons donc tenter de le contacter pour négocier un travail commun sur la précieuse machine. Nous ne manquerons pas, bien entendu, d’informer la communauté de nos travaux sur ce sujet.

Interview de Philippe Dubois sur France Info le 7 juin 2017 :

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