THE MESSENGER
Windows, Switch
Catégorie : action/aventure
Joueurs : 1
Développeur : Sabotage
Éditeur : Devolver Digital
Date de sortie : 30/08/2018
Prix : 16,79 € (PC), 19,99 € (Switch)
Site Officiel : http://www.sabotagestudio.com/
(testé sur Switch)
La rédaction du Mag MO5.COM, entre bureaux luxueux et canapés Chesterfield ; l’ambiance est feutrée, on sent qu’il y a des thunes dans tous les coins. Dans le fond du large espace, un bureau éclairé d’une sublime lampe banquier. Guillaume, le rédacteur en chef, règne en maître sans avoir besoin de faire preuve d’autoritarisme forcené, son charisme est si impressionnant que rarement les rédacteurs osent s’approcher directement. Comme vous l’ont sans doute déjà dit les autorités compétentes, lors des éclipses solaires une observation directe pourrait vous causer des dommages irréversibles. Pourtant au péril de sa vie et en rassemblant tout le courage possible, en allant même chercher les ancêtres qui auraient fait Verdun en 14 et la Japan Expo récemment pour se donner du cœur à l’ouvrage, un rédacteur, que l’on nommera Jérôme-Philippe pour d’évidentes raisons d’anonymat, pousse la lourde porte…
– Bonsoir Guillaume-sensei !
– Qui t’a dit de rentrer ici ? Tu es qui d’ailleurs ?
– Un simple rédacteur. Vous savez, celui qui ne se farcit que des Metroidvanias.
– Ah oui, toi… j’ai oublié ton nom mais on va t’appeler Jérôme-Philippe, j’ai pas vraiment envie de savoir qui tu es vraiment, hein ? Bon tu veux quoi ? Je te préviens, si tu veux être augmenté c’est non, tu reçois déjà suffisamment de points de passion© eu égard à la nullité du travail que tu fournis…
– Non, ce n’est pas ça… J’ai… Excusez moi d’avance mais… J’en peux plus des Metroidvanias, je… Je rêve de double saut la nuit, d’artefacts bidon qui apprennent à mon perso à juste se baisser, de grandes clefs qui ouvrent de grosses portes, je… Je suis à bout Guillaume-sensei, je…
– Ne dis rien de plus, le jeune. Tu sais quand même que le néorétro c’est notre fond de commerce et que les auteurs actuels ont tendance à un peu considérer ce genre comme co-substanciel à la vague rétro. Donc, il va te falloir t’endurcir pour faire ton trou ici. Mais comme je ne suis pas un monstre, et que j’ai déjà mangé quelques éditeurs malveillants qui surfaient sur l‘opportunisme™ pour mon quatre heures, je vais être magnanime. Tu vas tester ça, The Messenger. C’est hardcore, c’est pixelisé et c’est un hommage. Tu m’en diras des nouvelles…
– Vous êtes trop bon Guillaume-sensei…
– Va, et ne te retourne pas ; je pourrais changer d’avis.
– Merci…
Alors que Jérôme-Philippe quittait l’auguste bâtiment du Mag MO5.COM, il ne put s’empêcher d’entendre le tonitruant éclat de rire qui semblait provenir de l’antre du rédacteur en chef. Que lui réservait vraiment ce geste de magnanimité inattendu…
Don’t push me ’cause I’m close to the edge…
Oh, une école de ninja, un graphisme typé 8 bits, des sons qui craquent… Vite, vite, laissez-moi latter de l’ennemi en virevoltant et… Euh, pourquoi y a des dialogues et je peux aller à droite et à gauche, là ? Ah, c’est un tuto, génial. Ah ben oui, en 2018, même quand c’est de l’action pure, on nous met un petit tuto, on n’a pas tous eu une borne de Black Tiger comme nounou en 1987. Alors, on m’apprend quoi en fait, à sauter ? Un tuto pour le saut ? Ah non, pardon, je me suis emporté, on m’apprend une arcane top secrète de l’école des nainjas que je représente, le « saut du nuage ». Ici point de double saut – Guillaume-sensei n’avait donc pas menti, béni soit son nom – mais la possibilité de réaliser un nouveau saut une fois une lanterne (un candélabre de Castlevania mais chez les nainjas si vous voulez) brisée, un ennemi frappé ou encore mieux un projectile ennemi. Cette école de nainjas à trouver le moyen de solidifier le sol sous les pas de ses élèves si ceux-ci attaquent quelque chose après un saut ! En voilà une mécanique novatrice et qui promet de faire virevolter le héros… Enfin si vous détachez bien l’attaque du saut. Dans ce cas, un petit nuage apparait sous les pas du nainja et vous indique que vous pouvez à nouveau faire un saut. Ça vous parait compliqué ? Eh bien prenez sur vous parce que vous n’êtes qu’au début des ennuis !
Pourtant, le premier quart du jeu est une balade de santé pour votre messager, qui doit apporter le parchemin le plus sacré de son école pour sauver une humanité au bord du gouffre – un peu comme vous la plupart du temps, mais les possibilités offertes par le saut du nuage vous donnent vraiment l’impression d’être rapidement un prince des nuées. Et plus vous avancez, comme dans du beurre, plus vos possibilités de fendre les airs s’enrichissent ; vous pouvez planer, lancer un grappin, vous accrocher aux murs (enfin certains murs et seulement pendant un certain temps), lancer des shurikens de pure énergie… Et une fois que vos nombreuses possibilités d’interagir avec l’environnement seront toutes acquises, vous allez fendre des distances énormes en moins de temps qu’il n’en faut à Jérôme-Philippe pour taper cette phrase. Enfin en théorie, si vous ne vous embrouillez pas trop les pinceaux et si vous êtes résilients.
Parce que très vite, vous allez commencer à mourir, souvent, beaucoup, bêtement, à un millimètre de la paroi, à un saut du nuage de la prochaine plateforme, à trois pixels du point de sauvegarde. Et vous allez donc faire la rencontre d’un petit démon, qui ne vous en veut pas contrairement aux autres du jeu, quand même pas si nombreux – je crois bien qu’il y a plus de sprites différents pour les boss que pour les ennemis de base. Ce petit démon, Kazimodo, vous sauve la vie, tout simplement, moyennant un certain nombre de cristaux obtenus après votre retour à la vie. Le total que vous aviez juste avant de mourir est lui inchangé, mais n’augmentera pas tant que Kasimodo prélèvera. Et il le fera le plus souvent jusqu’au point précis où vous êtes mort ; c’est une mécanique très maligne pour nous pousser toujours de l’avant (NdR : elle sert surtout à éviter le farming excessif en cas de morts répétées même si, dans certains passages vraiment ardus, on arrive quand même à faire gonfler son pécule, ce qui peut d’ailleurs permettre d’adoucir le challenge). Et d’ailleurs The Messenger est une force qui va ; la meilleure astuce que l’on puisse vous donner c’est « avance toujours, avance ». Jusqu’au crochet au foie… Même si le jeu a une capacité folle à vous donner de vous accrocher pour progresser, quelques fois, il va vous falloir soit dépenser des cristaux pour obtenir des pouvoirs nouveaux – heu, attendez, on n’est pas en train d’assister à une montée en puissance, hein ? – soit vous creuser un brin la calebasse pour progresser.
I’m trying not to lose my head
Mais du coup, il est où mon jeu d’action éclair plus puissant que Ninja Gaiden, Ninja Spirit ou n’importe quoi avec un nainja ??? Je m’aperçois du coup que je n’ai pas encore fait le point « hommage/remake/reboot/rip-off/plagiat »… Ben on va faire vite, c’est un bel hommage (spoiler alert : de façade) à Ninja Gaiden (NdR : son compositeur Keiji Yamagishi a d’ailleurs créé deux thèmes du jeu). Du coup, est-ce que c’est un jeu pour « un certain public » comme les hommages aux Megaman/Castlevania/jeux d’action-plateformes à progression non nécessairement linéaire ? Non.
Bim bam boum, aucune psychologie, aucun accompagnement du lecteur vers l’acceptation de la vérité, The Messenger n’est pas ce que vous croyez ! Tout d’abord, des pans entiers des niveaux sont en fait juste des « écrans » et l’objectif sera donc de passer cet écran, non pas tant bien que mal, mais selon une solution finalement relativement précise faisant du jeu plus un puzzle d’action qu’autre chose. Oui, vous avez bien lu, je prétends que The Messenger est d’abord un jeu de réflexion dont la résolution passe par une certaine maîtrise des ressources ludiques à votre disposition. Finalement, le saut du nuage, le saut planant, le grappin et les ascenseurs ne peuvent pas être utilisés n’importe comment. Il s’agira moins de sauter ou de frapper très vite que de comprendre que quand la distance est grande ou le boss invincible de face, c’est du grappin qu’il faudra jouer. Et une fois cette règle durement apprise digérée, le jeu gagne encore en intérêt. C’est à la coordination parfaite de vos pouces, de vos yeux et surtout de vos petites cellules grises que vous devrez votre salut ainsi qu’une grâce phénoménale dans le franchissement d’abimes sans fond. Et le jeu vous donne suffisamment de moyen pour rendre épique la moindre salle vide et criblée de piques.
Le forage de vos capacités cognitives ne s’arrête pas là ; entre deux énigmes pratiques, à résoudre en employant le bon moyen face à l’ennemi qui vous fait face – autre astuce, ne considérez pas les ennemis comme des choses à abattre, considérez-les comme des plateformes pures et simples ! –, vous aurez au sein des points de sauvegarde et de dépense de vos cristaux des discussions aussi absurdes que drôles et bien écrites avec « des gars en robes ». Le studio derrière le jeu étant québécois, l’adaptation en français de France est impeccable et vous pouvez même y jouer en français du Québec – et tout ça alors que je vous parlais dernièrement de Robert Charlebois. Coïncidence ? J’en doute. Mais très vite, à mesure que l’histoire se déroule et les jokes s’enchaînent, quelque chose va commencer à clocher et à partir du troisième tiers du jeu, tout va partir en poutine. Vous devenez un super nainja, le style graphique passe en 16 bits, un dragon vous poursuit dans des séquences d’instadeath assez pénibles (NdR : je les ai toutes réussies du premier ou deuxième coup, moi !) et boom, vous êtes un des gars en toge bleue…
Woh woh woh, je suis pas venu ici pour souffrir, c’est quoi ce trafic ? Attendez ! Le pire c’est qu’on apprend coup sur coup que vous disposez d’une carte, d’un inventaire et que les niveaux que vous avez parcouru sont interconnectés dans l’espace et le temps, occasionnant de nouveaux puzzles, non plus uniquement pour progresser, mais pour retrouver divers éléments qui permettront de débloquer des nouveaux env…
AH AH-AH AH AH
Je… Je… À l’orée de la folie, je viens de comprendre le rire tonitruant de Guillaume-sensei… Car à ce point du jeu, et en n’abandonnant pourtant pas ce qui est le cœur de son expérience, la résolution d’énigmes de plateformes, The Messenger est devenu… un Metroidvania.
Et me voilà arpentant de nouveau ces niveaux, pas si grands finalement, pour retrouver des notes de musiques galactiques et des concepteurs de ponts, résolvant des dilemmes du passé pour progresser dans le présent et réciproquement, toute chose égale par ailleurs. Ils l’ont fait, ils ont fait sauter le jeu. Et je suis persuadé qu’ils ont cru que c’était une bonne idée ! Parce que c’est généreux de leur part, après avoir produit un jeu qui se rit des genres, de lui redonner une nouvelle impulsion pour toujours surprendre le joueur gavé de nouveautés formatées, clonées, copiées – avez-vous fait attention au passage le long de volcans et de sources chaudes dans Le Souffle de la Nature Sauvage et La XIème Quête du Dragon ? J’dis ça, j’dis rien… Mais voilà, comme on était déjà dans le néorétro, peut-être fallait-il en garder un peu sous le coude pour la suite, comme Castlevania II: Simon’s Quest (1987) après Castlevania (1986), quoi. Est-ce que The Messenger 3 sera le meilleur de la saga, du coup ? Je m’égare, mais le coup est rude. La lucidité me quitte, je n’ai pas une minute à perdre pour conclure avant que l’abomination qui rôde au seuil de la dissolution de mon égo ne m’engloutisse tout à fait…
Allez Jérôme-Philippe, raccroche-toi à ce que tu sais… Égrène ton missel du Metroidvania… Et là, je m’aperçois qu’il ne m’est d’aucune aide sur les clefs, les portes et les sauts. Car vous n’engrangerez plus de nouveau pouvoir vraiment marquant pour progresser. En fait, vous devrez parfois refaire à l’identique certaines séquences de plateformes pour progresser et juste aller d’un bête point A à un encore plus bête point B alors que, habituellement dans un Metroidvania respectable, vous êtes devenus si puissant entre temps que la progression n’est plus juste limitée par la maîtrise des éléments de plateformes – pensez à la screw attack sur la fin de Super Metroid (1994), ou bien au gravity jump dans Symphony of the Night (1997). Et cette lassitude est quand même bien dommage parce que le jeu a encore des choses à vous raconter et des boss dantesques à vous présenter – enfin sauf le dernier, mais encore une fois c’est un hommage à un jeu avec un joueur d’ocarina en culotte courte (NdR : Wonder Boy in Monster World (1991) ?). Il est donc temps de conclure cette éprouvante aventure, aussi fourbe que la figure du nainja qui la porte… On est monté haut, si haut, qu’on a connu l’ivresse des sommets, on a connu la zone (quand vos mains vont plus vite que votre cerveau, pensez à Super Hexagon…), on a connu la mort, mais aussi la vie, l’envie de toujours aller plus loin, de briller pour enfin délivrer le Message et le(s) Messager(s) au monde… Pourquoi avoir coupé cet élan ? Pourquoi m’avoir trompé plus que surpris, pourquoi ?…
Ici s’arrête le manuscrit envoyé par on ne sait qui à la rédaction du Mag. Quant à Jérôme-Philippe, nul ne sait ce qu’il est devenu. Pourtant, parfois, dans le silence cossu de la rédaction, un AH AH-AH AH AH résonne sans qu’on sache d’où il vient vraiment…
To Be Continued…
Important!
L’avis de Guillaume-sensei : Il est clair que The Messenger est d’emblée très old school, tant au niveau du gameplay (le saut du nuage assez technique comme mécanique de base) que de la réalisation, avec une bande-son 8-bit parfois stridente d’ailleurs. Visuellement, si la partie 16-bit est superbe, la 8-bit est plus inégale ; outre les répétitions de tiles soulignées par une résolution (640×360) sans doute trop élevée dans ce mode, certaines postures du ninja sont maladroites et quelques sprites, en particulier les gros boss, sont un peu moches… Certains aspects m’ont moi aussi agacé comme les ennemis qui respawnent à la seconde où ils quittent l’écran alors qu’il y a pas mal de scrolling, et je ne suis pas forcément client de l’humour (l’inspiration Monkey Island du jeu), mais il faut reconnaître que c’est globalement bien fichu. Cela dit, je n’ai pas pu encore voir la partie Metroidvania, étant bloqué (juste avant ?) par un boss à s’arracher les cheveux… Bref, je crois que je préfère quand même la chanson.
Verdict : Ascenseur émotionnel rare dans le néorétro, The Messenger réussit presque tout ce qu’il touche et si vous avez les réflexes et la patience, vous tenez sans doute un des jeux de l’année.