MONSTER BOY ET LE ROYAUME MAUDIT
Windows, Xbox One, PlayStation 4, Switch
Catégorie : action/aventure
Joueurs : 1
Développeur : Game Atelier
Éditeur : FDG Entertainment
Date de sortie : 04/12/2018 (consoles)
Prix : 39,99 €
Site Officiel : http://www.monsterboy.com/
(testé sur Switch)
Viens danser / La Balunga / C’est la chanson de l’été
Souffrez-vous de « fear of closure » ? Vous repoussez la conclusion d’une tâche de peur que ce qui vient après ne soit pas du même niveau, ou ne vous procure pas autant d’accomplissement ? Je ne vous cacherai pas qu’en ce qui concerne ce jeu, aussi bien lui-même que l’ensemble de la trilogie du retour de Wonder Boy, j’ai fait une très très grosse crise de fear of closure. Sur la « trilogie » (NdR : comprenant le remake de The Dragon’s Trap et Aggelos), ce n’est pas évident quand on bosse autour d’un sujet depuis près de deux ans maintenant (et bien plus que ça en terme d’attente de la sortie des jeux), ce n’est vraiment pas aisé de mettre un point final. Alors je rassure mes milliers (milliards ? douze ?) de fans, je ne parle pas de point final à mon travail pour le Mag ! De toute façon, j’ai vendu mon âme à Guillaume et à la manière du Phantom of the Paradise, je suis diaboliquement lié à lui ; seule sa fin pourra entraîner la mienne. Autant vous dire que vous allez encore en bouffer des intros sans queue ni tête et des références sorties de nulle part.
Mais je m’égare…
Alors oui, Monster Boy, donc, est le troisième et pour l’instant le dernier – énorme bouffée d’angoisse due à la fear of closure… – épisode :
- du revival français autour de la saga après The Dragon’s Trap, remake ultime de Wonder Boy III: The Dragon’s Trap (1989, Monster World II) chez Lizardcube et Aggelos, jeu hommage tellement wonderboyesque que même sans la licence on a aucun doute, chez Storybird
- de la saga Wonder Boy (NdR : le septième ?) à l’heure où je vous parle – il est 15h25 à l’heure de mon ordinateur, mais finalement qu’y a-t-il de plus relatif que les heures et le temps ?
Parce que oui, Monster Boy est un Wonder Boy. Et le jeu va vous le rappeler environ sept-cents fois au cours de son déroulement. Pourtant, à l’origine, le projet de Game Atelier n’était aussi qu’un hommage à la saga au travers de leur création, Flying Hamster. Et puis le Kickstarter s’est fait remarqué d’un éditeur, FDG Entertainment, puis de Ryuichi Nishizawa lui-même (le papa de la saga) et bim, bam, boum ! En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, Flying Hamster II devenait Monster Boy – et pas Wonder Boy pour d’obscures raisons de licence, comme si la saga n’était pas déjà un formidable clusterfuck de droits et de marques (NdR : c’est en fait toujours la même raison, à savoir que le nom Wonder Boy appartient à SEGA, mais pas les droits des jeux en eux-mêmes)…
On parlera donc dans un premier temps d’hommage. Mais comme les Wonder Boy, à partir du second épisode, Wonder Boy in Monster Land (1987), on parlera aussi de jeux d’action/plateformes à la progression non nécessairement linéaire, qui sous sa forme actuelle et pragmatique (ce qu’elle implique en termes de jeu, de pratique et d’attendu) est nommé par des gens sur les Internets le Metroidvania – parce que oui, Monster Boy est un Wonder Boy, mais moderne. On parlera donc dans un second temps de progression non nécessairement linéaire. Mais, pas comme tous les Metroidvanias récents, Monster Boy est une réussite absolue ; donc, dans un troisième et dernier temps, on parlera de triomphe.
À toutes les pièces que j’ai glanées / avant…
…Et qui sont devenues des souvenirs maintenant, à ce farming goldé, à ce secret trouvé, je m’en souviens depuis / enfant… La séquence d’introduction du jeu (pas le petit film avec générique aussi bien en anglais qu’en japonais) fait excessivement fort ; en même pas une minute, votre oncle visiblement éméché vient mettre le brin sur votre plage favorite où vous pêchiez pépouze, et vous vous dites qu’il faut faire quelque chose car il transforme tout le monde en animal, plus ou moins mignon. Et là, la musique commence. C’est le thème de Wonder Boy in Monster Land (1987, WBIML). Comme dans WBIML, vous entrez, vous prenez votre équipement, une plateforme apparaît, vous pouvez monter sur le toit et en sautant à un endroit précis, faire apparaître des pièces… Ce passage a la même structure et à l’endroit où se trouvait la première taverne de WBIML, il y a… Ouais ben essayez vous-même, vous verrez. Puis le jeu reprend son cours propre, jusqu’à Pepelogoo, le bleu, celui de Monster World IV (1994, MWIV), lequel recherche une « fille aux cheveux verts ». Alors moi, à ce stade là, je jouais les yeux embrumés de larmes, mais heureusement Pepelogoo est plutôt une sorte de compagnon comique qui se met dans des situations de plus en plus débiles, et le tout dans un rôle de pur PNJ avant assez tard dans l’histoire. À peine plus tard, le jeu nous la joue, non pas comme Beckham (quel film !), mais comme Wonder Boy in Monster World (1991, WBIMW) avec des bottes pour aller sous l’eau. Puis, après votre première transformation en cochon – ce n’est pas un spoiler, toute la comm’ du jeu a été faite autour des transformations – pirate et borgne, comme le marchand de Wonder Boy III: The Dragon’s Trap (1989, WBIIITDT), une séquence de jeu vous oblige à bien choisir votre chemin pour progresser en utilisant les pouvoirs nouvellement acquis, lesquels révèlent une marche à suivre qui va vous sembler étrangement familière (WBIML & WBIIITDT). Puis encore plus loin, à l’arrivée dans votre première ville, vous allez carrément tomber sur le temple des héros, orné de vitraux représentant Bokke en pagne (NdR : Wonder Boy, 1986), Bokke en armure légendaire, Shion et Asha. À ce moment précis, j’ai fondu en larmes, oui, oui. Et les hommages par kilotonnes ne s’arrêtent pas là ; il y en a même quelques autres qui poussent le bouchon particulièrement loin, mais c’est tellement délirant que je préfère vraiment vous les laisser découvrir…
Là, normalement vous avec bien compris que Monster Boy est un Wonder Boy ; il n’y a plus vraiment de doute. Et que pour le fan béat que je suis, la suite ne va plus être très objective. Détrompez-vous ! Bien au contraire, quand on joue autant sur la corde du fan, à un stade aussi poussé, moi ça a plutôt tendance à me rendre suspicieux ; trop de nostalgisme cache souvent des cadavres vermoulus dans les placards de la qualité du jeu. Pour autant, si on ne doit pour le moment que juger de la qualité avec laquelle les hommages sont gérés, on est plutôt très satisfait au final. On n’est ni dans l’hommage forcé, ni la blinde de références vaines ; toutes celles égrenées par le jeu s’intègrent parfaitement à la progression, à l’histoire – c’est émouvant parfois, vraiment – et surtout démontrent à quel point Monster Boy est le futur de la saga avant d’être juste une vitrine du passé. Et c’est mené de façon admirable, avec même un luxe supplémentaire.
Je ne sais pas si c’est vraiment conscient mais je finirai par le savoir ; le jeu cite aussi Shantae abondamment – preuve, s’il en fallait encore une, que c’est bien le demi-génie qui était l’héritière légitime du héros légendaire. On assiste ici à un phénomène, qui me parait remarquable, où une saga « mère » intègre en son sein des codes d’une saga « fille » (NdR : comme les derniers Tomb Raider avec Uncharted ?). La carte et la disposition des points de téléportation font très fortement penser au premier épisode de Shantae sur DSiWare, Risky’s Revenge, et ce n’est qu’un exemple. Bref, Monster Boy ne cherche jamais à cacher d’où il vient, ni où il va. Mais cela suffit-il à en faire un jeu intéressant ? D’un point de vue de la circulation des idées d’architectures ludiques et d’évolution, c’est une somme tout à fait pertinente, mais à la pratique, cela en vaut-il la peine ?
Moving To The Left / Moving To The Right / Big Generator / Moving Through The Night
Qu’on se le dise, qu’on se l’écrive, même, les Monster World (ce qui exclut Wonder Boy (1986) et Wonder Boy III: Monster Lair (1988)) sont des jeux d’aventure/plateformes avec très tôt un déroulement non nécessairement linéaire – même dans WBIML, le premier Monster World, il y a des allers-retours. Forcés, certes, mais des allers-retours, ce qui n’était pas sans créer de soucis pour un jeu d’arcade. WBIIITDT vous plaçait dans un hub menant à des environnements que vous parcouriez linéairement en one-shot – personne n’a envie de refaire le Shogun’s Castle, OK ? –, les transformations étaient bien fléchées et sans la Tasmanian Sword – attendez, le jeu à trente ans, vous n’allez pas me dire que c’est un spoil ? –, il n’y avait aucune transformation à la volée, ce qui fait que les environnements étaient faits pour une transformation spécifique. MWIV était encore pire avec les aptitudes et la montée en puissance de Pepelogoo (sauf si vous connaissiez l’astuce du debug merchant), ce qui en faisait un jeu effroyablement linéaire – mais un bon jeu quand même, hein ! Bref, tout ça pour vous dire que même dans ses itérations les plus « libérales », les Wonder Boy restaient des proto-Metroidvanias – chaque fois que j’écris ce mot, Jérôme-Philippe le courageux testeur de The Messenger meurt un peu plus à l’intérieur… Mais que pouvait donc être une version moderne de ces designs si particuliers ? Eh bien, Monster Boy est un… Metroidvania.
Étonnant, non ? Pas tant que ça en fait, si vous vous rappelez que c’est Wonder Boy qui a digéré Shantae et son meilleur épisode. Néanmoins, la philosophie des développeurs fait que vous pouvez tout récupérer en un passage et donc avoir des pérégrinations bien linéaires au sein d’un environnement donné (le volcan, les nuages, la forêt – du classique de la licence, quoi) et revenir au hub central, un village donc, où vous pourrez glaner une quête secondaire au long cours, les partitions de Banjo Guy Ollie. Comme quoi, ça reste bien ancré dans le canon de l’architecture ludique maison. Avec néanmoins une carte (modernitayyyy) et une direction générale à suivre (modernitayyyyy… ou comme dans Super Metroid (1994), mais c’est le jeu du futur depuis toujours) et surtout, des puzzles environnementaux que vous pouvez résoudre uniquement en enchainant l’ensemble des transformations dont vous disposez à cet instant. C’est parfois assez sportif (transformation pendant un saut ou timée), mais c’est souvent très intuitif et donne des passages particulièrement aériens. Qui vous font prendre conscience que les épisodes précédents collaient systématiquement des semelles en béton armé aux héros et héroïnes. Il y a quelques séquences avec des instadeath mais globalement la partie plateforme est particulièrement bien menée – jusqu’à ce que qu’elle soit « cassée » par l’avant-dernière transformation, mais vous pouvez remettre des pièces dans le jukebox de la virtuosité aérienne avec la dernière transformation et ses « téléportations ». Niveau baston, vous allez quand même pester contre quelques hitboxes (NdR : boîtes de collisions) incompréhensibles, surtout sous l’eau, contre la portée des attaques de la grenouille (hommage à la souris de WBIIITDT dira-t-on) et contre le manque d’impact de certaines attaques ennemies, ce qui vous fera vous étonner de mourir au milieu d’un saut. Mais c’est vraiment peu de chose par rapport à la virtuosité de certaines situations ou à l’intelligence de certaines énigmes – « Haaa, c’était çaaa la solutiooon ! » allez-vous vous écrier plus qu’à votre tour. En plus, le jeu propose quelque chose que j’aime personnellement beaucoup en termes de level design et que j’appelle le « poking » ; au lieu d’avancer par tronçon entier avec parfois des choix à faire avant de revenir, la progression passe par des petites avancées, un coup à gauche, un coup à droite, avant une résolution globale d’un environnement. Ce qui permet parfois de s’extasier, vraiment, devant la capacité des designers de Game Atelier à « ludifier » à l’extrême de tout petits environnements et de donner beaucoup de variété sur des petits itinéraires.
Néanmoins, cette extase metroivaniesque doit être un peu tempérée par un passage, le manoir. En effet, à ce moment-là du jeu, le poking, au service de la résolution d’un puzzle géant à l’échelle de la bâtisse, devient un peu lourd. Et d’autant plus lourd qu’avant un patch, il n’était pas évident que le cœur des débats à cet endroit portait sur la capacité ou non à pouvoir « posséder » un meuble à la manière d’un poltergeist. À ce moment-là, la progression devenait bien trop hachée. Ça a été patché depuis mais pfiou ! C’était éprouvent au point que j’ai fait deux-trois jours de pause, de déception. Si, si, de déception… Mais une flamme a paru à mes yeux et j’ai retrouvé la foi en le Garçon Merveilleux. Et la suite à été glorieuse…
Je sais que tout le monde n’est pas très fan du design général ; il est vrai que certains personnages non joueurs ont des bouilles très génériques (les enfants ratons laveurs, la dame Panda, Mysticat), mais par contre les itérations du héros et de son oncle sont parfaitement réussies. Les environnements sont parfaitement reconnaissables et jouissent des caractéristiques génériques qu’on attend d’eux – si vous ne connaissez pas le concept de pragmatique des effets génériques, je vous conseille les ouvrages de Dominic Arsenault – pour peu que vous disposiez des compétences génériques adéquates – bref, que vous ayez une idée de ce que proposera un monde de glace ou un volcan. Pour le manoir, vous ne vous attendiez à rien… La musique est un subtil mélange de reprises de thèmes phares de la licence et de nouveaux parfaitement adaptés. On peut néanmoins préférer, pour les reprises, celles de The Dragon’s Trap. Les combats de boss vont plus faire travailler vos méninges que vos pouces – coucou Iconoclasts, ta descendance est assurée. En un mot comme en cent, à moins que vous n’ayez attendu de ce jeu que des combats et de la plateforme pure, c’est un triomphe. Une relecture moderne, subtile, riche, respectueuse, bourrée de contenus (trente heures environ pour un run à 100% que vous pouvez réaliser sans New Game+), pas si simple et le tout sur un rythme élevé qui ne faiblit jamais – bon, à part dans le manoir… Vous n’imaginez pas la violence que je m’inflige actuellement en essayant de dresser par écrit le bouillonnement vidéoludique que m’a offert Monster Boy. C’est très difficile de rendre avec des mots, aussi forts et recherchés soient-ils, ce qui a animé mes pouces, mes yeux, mes oreilles, mon cerveau et plus profondément mon âme et mon cœur de joueur né à la discipline avec Wonder Boy ; c’est une torture. Mais il faut témoigner, témoigner que non seulement vous tenez le Wonder ultime, mais aussi le jeu néorétro ultime (jusque-là), l’arbre qui porte en lui toute la forêt et dont les graines seront celles qui engendreront de futurs triomphes et de nouvelles promesses.
Verdict : Le néorétro a retrouvé un héros et comme c’est un Wonder Boy, il est légendaire.