Préface du rédac’ chef (G. Verdin) : Après une chronique très technique mais qui a rencontré un franc succès, sseb22 est de retour avec la traduction d’un article plus classique, du moins plus habituel pour cette rubrique qui évoque souvent l’Histoire du jeu vidéo. Or il est intéressant, mais souvent difficile et pas toujours si pertinent, d’identifier le premier jeu à avoir fait ceci ou cela, inventé une mécanique de gameplay ou carrément créé un genre. Et Maze fait indéniablement partie de ces titres fondamentaux car il cumule à lui seul plusieurs « premières » comme on va le voir… Il avait d’ailleurs été logiquement évoqué dans un épisode de Retropunky consacré au FPS, publié par une coïncidence amusante quelques semaines seulement avant l’article dont sseb22 a réalisé la traduction. À ce sujet, je me suis permis, outre l’ajout habituel de graisse pour faire ressortir les noms propres, d’intégrer trois images dans le deuxième chapitre (La guerre des Maze). L’article d’origine n’était en effet égayé visuellement que par des citations redondantes avec le texte, et que l’on peut hélas difficilement retranscrire avec la mise en page du Mag.
Le premier First-Person Shooter
Comment un groupe d’étudiants à la fac a marqué l’Histoire du jeu vidéo à l’aube de l’informatique personnelle et des réseaux
Par Richard Moss, publié sur Polygon le 21 mai 2015
Ça a commencé comme une expérience. Steve Colley venait de comprendre comment faire tourner un cube à l’écran quand Howard Palmer a suggéré qu’ils pourraient en faire un labyrinthe tridimensionnel.
C’était en 1973. Ils étaient en dernière année de lycée dans un programme « travail-études » en lien avec la NASA dans lequel on leur avait demandé de tester les limites des mini-ordinateurs PDS-1 et PDS-4 d’IMLAC. Leur programme de labyrinthe prit vie avec de simples graphismes en fil de fer et peu des attributs des jeux modernes. Vous pouviez marcher avec une vue à la première personne, chercher la sortie et c’était à peu près tout. Il n’y avait pas d’objet ou de personnage virtuel. Juste un labyrinthe.
Mais Maze allait évoluer durant l’été et les années suivantes. Bientôt, deux personnes allaient pouvoir occuper le labyrinthe ensemble, sur deux ordinateurs séparés mais connectés ensemble. Puis, elles allaient pouvoir se tirer dessus et même jeter un œil derrière un coin de mur. Plus tard, jusqu’à huit personnes pourraient jouer dans le même labyrinthe, abattant leurs amis sur l’ARPANET – un ancêtre d’Internet. Vingt ans avant que id Software ne révolutionne l’industrie avec Wolfenstein 3D et Doom, Colley, Palmer et les étudiants du MIT Greg Thompson et Dave Lebling inventèrent le premier FPS (NdT : First-Person Shooter ou jeu de tir en vue subjective).
Ceci est l’histoire de Maze, le jeu vidéo qui peut probablement se targuer d’avoir plus de « premières » que n’importe quel autre jeu : le premier FPS, le premier jeu multijoueur en réseau, le premier jeu avec, à la fois, un mode en vue subjective et en vue objective (à la troisième personne), le premier jeu avec des outils de modding (NdT : pour modifier le jeu et/ou créer du contenu) et plus encore.
Le Ames Research Center de la NASA
Greg Thompson a toujours été plus intéressé par l’électronique que par la médecine vers laquelle son père, anesthésiste, tentait de le pousser. Mais il a eu le parfait mentor, John McCollum, qui était professeur d’électronique au lycée Homestead et dont Thompson pense qu’il est le héros de l’ombre de la Silicon Valley. L’exemple le plus probant est que les co-fondateurs d’Apple, Steve Wozniak et Steve Jobs (qui était une classe au-dessus de Thompson), ont appris les connaissances nécessaires pour fabriquer l’ordinateur Apple I de McCollum (NdR : Jobs n’avait toutefois pas ces connaissances selon Wozniak qui a créé la machine seul).
À l’été 1972, McCollum a réussi à faire inscrire Thomson à un programme de « travail-étude » de la NASA de niveau universitaire au Centre de Recherches Ames. Là, Thompson rencontra deux autres lycéens de la baie de San Francisco, Steve Colley et Howard Palmer. Ils travaillaient au laboratoire d’images de synthèse au Centre Ames de la NASA qui conduisait des recherches sur la modélisation de la dynamique des fluides pour aider à la conception des futurs engins spatiaux.
Le laboratoire possédait plusieurs IMLAC. Ces mini-ordinateurs programmables avec affichage graphique étaient en quelque sorte les ordinateurs personnels haut de gamme de l’époque, avec assez de mémoire pour gérer un utilisateur faisant tourner ce qui était alors considéré comme un programme de taille raisonnable. Colley, Palmer, Thompson et le reste du groupe avaient pour tâche d’explorer les capacités de ces systèmes : expérimenter et repousser leurs limites. Étant des adolescents, cela les a, bien sûr, menés à faire des jeux. Ils commencèrent avec des jeux en 2D comme Pong et autres clones des premiers jeux d’arcade tels que Drop Zone, auquel ils s’adonnaient régulièrement à la sandwicherie Togo du coin dans l’espoir de réussir un score suffisamment élevé pour gagner un sandwich gratuit.
En 1973, Colley comprit comment faire tourner un cube en 3D fil de fer sans que les arêtes à l’arrière ne soient visibles. Jusque-là, Colley et Palmer, membres les plus âgés du groupe, avaient évité de coder des jeux. Ils se concentraient sur des logiciels sérieux et « utiles ». Mais un jour qu’ils réfléchissaient à faire quelque chose d’amusant, ils pensèrent à la création d’un jeu de labyrinthe multijoueur et en réseau. Palmer pensa que ce serait cool de le faire en 3D mais Colley doutait de la faisabilité, jusqu’à ce que Palmer remarqua que ça pourrait fonctionner si le labyrinthe n’avait que des angles droits. Colley, tout excité, revint le lendemain avec une implémentation de cette idée, que Thompson qualifie judicieusement de tas de cubes posés les uns à côté des autres. Les cubes visibles formaient les murs tandis que les autres faisaient office de couloirs. À partir de là, Thompson continue : « En gros, vous aviez un labyrinthe. Vous pouviez voir des couloirs dans lesquels vous pouviez avancer. »
Le labyrinthe était petit avec une taille de 16 carrés par 32. Thompson déclara que ses graphismes donnaient vraiment une sensation d’espace et qu’ils aimaient, tous les trois, vagabonder dans les couloirs à la recherche de la sortie. Mais Colley nota, dans une rétrospective du DigiBarn Computer Museum que ça devint assez vite lassant. Il était possible de trouver la sortie du labyrinthe, mais c’était tout. Puis, l’un d’entre eux eut une idée : et s’il y avait quelque chose d’autre dans le labyrinthe ? Colley ajouta donc quelques lignes de code et relia deux IMLAC entre eux directement avec un câble série. « Il semblait tout simplement naturel que deux machines puissent communiquer entre elles » dit Thompson quand on lui demande comment ils en sont venus à cette idée.
Tout à coup, deux personnes pouvaient déambuler ensemble dans le labyrinthe, chacun avec son nom composé de 1 à 8 caractères flottant dans l’air et une simple indication graphique montrant l’emplacement et l’orientation de chacune : deux points pour les yeux si l’autre joueur vous fait face, des flèches s’il regarde vers la gauche ou la droite et rien du tout s’il est de dos.
Pour rendre les choses encore plus intéressantes, ils ajoutèrent des balles. Il était maintenant non seulement possible de voir quelqu’un d’autre mais aussi de lui tirer dessus. Et, cerise sur le gâteau, Colley ajouta le fait de pouvoir jeter un œil derrière un coin de mur avant de s’avancer dans le couloir. Votre point de vue se décalait pour voir le prochain couloir tant que vous laissiez la touche appuyée mais vous ne pouviez rien faire d’autre pendant ce temps.
À ce stade, Maze n’intéressa pas grand monde en dehors de ses trois créateurs mais ça allait vite changer après le lycée. À la rentrée 1973, Colley entra à Caltech et Palmer à Stanford pendant que Thompson prit Maze et le reste de leurs programmes sur IMLAC au MIT. Là-bas, il participa au Project MAC qui allait plus tard devenir le laboratoire d’informatique de l’institut et il rencontra le groupe de modélisation dynamique, qui faisait des jeux de leur côté.
La guerre des Maze
Dave Lebling était probablement la dernière personne qu’on penserait être impliquée dans la création du premier FPS. C’est le co-fondateur d’Infocom, société qui produisait des jeux d’aventure pour les ordinateurs personnels avant que ce genre de jeux ne soient graphiques. Les jeux, imaginatifs, uniquement à base de texte d’Infocom, dominaient le marché dans la première moitié des années 1980, avant la montée en puissance des jeux d’aventure graphiques. Et Lebling a co-écrit le premier et sans doute le plus célèbre d’entre eux : Zork, une aventure dont il est à la fois surpris et ravi qu’elle soit encore source d’inspiration pour nombre d’esprits créatifs. Mais avant ça, Dave Lebling a aidé à rendre Maze plus animé.
Lebling ne se souvient pas s’il était possible de tirer dans la version de Maze que Thompson apporta au MIT. « Vous vous baladiez dans un labyrinthe et c’était tout » dit-il. Mais que cette fonctionnalité ait été implémentée avant ou juste après l’arrivée de Maze au MIT, Lebling et Thompson se mirent rapidement à travailler ensemble. Thompson se concentrait sur la partie IMLAC puisqu’il connaissait mieux cette machine et Lebling sur le PDP-10, le gros ordinateur central (NdT : le « mainframe ») situé à l’étage et auquel tous les IMLAC étaient connectés.
Au centre Ames de la NASA, chaque IMLAC faisait tourner seul sa version de Maze et calculait les positions en interne, une obligation qui pouvait entraîner des divergences d’un appareil à l’autre sur le fait de savoir si quelqu’un a été touché ou non. Avec un ordinateur central, il était possible de lui déléguer cette tâche, le laissant coordonner tous les mouvements des joueurs et les leur transmettre ensuite.
« Cela prit un certain temps à débugger, » se souvient Lebling, « mais cela fonctionna et c’était vraiment cool ». Avec l’aide de Lebling, Maze gagna la possibilité de gérer jusqu’à huit joueurs en réseau. Thompson coda une fonctionnalité de sauvegarde des scores et des éléments graphiques de missiles traversant un couloir. Et Lebling programma un éditeur de labyrinthe pour que les joueurs puissent créer leurs propres nouvelles cartes.
« C’était très simple », explique-t-il. « Vous lanciez un éditeur de texte dans lequel vous créiez une grille avec des… j’ai oublié quel caractère était utilisé mais ça pouvait être n’importe lequel sauf l’espace. Vous créiez juste une grille avec des caractères textuels dans laquelle il y avait des « 1 » là où étaient les murs et des « 0 » là où il n’y en avait pas et le programme compilait le tout ».
« Les gens essayaient diverses idées bizarres pour leurs labyrinthes, » dit Lebling. Mais le labyrinthe par défaut était le plus utilisé : « Il avait des parties sinueuses et aussi de longs couloirs donc vous pouviez potentiellement vous cacher et tirer sur quelqu’un qui était assez loin puis retourner vous cacher tandis qu’il mourrait ».
Tout le monde se passa le mot dans le labo qui hébergeait les huit IMLAC. « Les gens commencèrent à y jouer et ça devint énorme – c’était un phénomène viral, au sens actuel du terme, » dit Lebling, « parce qu’on n’était pas le seul groupe de recherche dans le labo ».
Les gens venaient des autres étages du bâtiment juste pour jouer à Maze. « Les IMLAC étaient suffisamment rares pour que nous dussions nous inscrire pour les utiliser, » explique Lebling. « Donc les gens venaient au milieu de la nuit pour jouer et se tirer dessus ; il y avait un classement et tout ». Thompson raconte que n’importe quel étudiant ou professeur pouvait se créer un compte sur le système, donc ça s’est su rapidement dans le campus. Vingt ans avant que les « deathmatches » de Doom ne phagocytent les réseaux des résidences universitaires, les étudiants du MIT faisaient la même chose sur des ordinateurs normalement dédiés à la recherche scientifique de haute volée.
Motivés par cette popularité, les deux développeurs continuaient à ajouter des fonctionnalités. Ils aimaient bien jouer à Maze mais leur vraie passion tenait surtout dans son amélioration, apprendre toujours plus et impressionner leurs amis. Cependant, les notes de Thompson commencèrent à baisser : « Je passais probablement beaucoup de temps à coder et à le faire marcher parce que ce jeu m’intriguait », dit-il, « J’avais envie de le faire et j’étais en plein apprentissage ». La motivation de Lebling différait quelque peu : « Écrire [des jeux] et regarder les autres s’amuser avec était, je pense, plus fun qu’y jouer moi-même » avoue-t-il.
Ils ajoutèrent une vue de dessus vers laquelle vous pouviez basculer pour voir l’ensemble du labyrinthe et mieux vous repérer mais, en contrepartie, pendant ce temps, quelqu’un pouvait vous surprendre assez facilement. Thompson ajouta des codes de triche avec lesquels il était possible de passer à travers les murs pendant que Lebling développait des joueurs-robots.
« Il n’y avait pas toujours assez de joueurs pour rendre le jeu intéressant », dit Lebling, « donc j’ai décidé d’écrire un petit programme de robot vraiment stupide – stupidité artificielle conviendrait bien mieux qu’intelligence artificielle, ici. Vous pouviez activer un tas de robots. Si vous vouliez jouer seul avec sept robots, ç’aurait été possible. Et les gens faisaient ça : les robots se baladaient dans le labyrinthe et vous tiraient dessus. »
Les robots étaient trop bons pour beaucoup de joueurs. « Nous avions dû les rendre plus lents que la normale », se souvient Lebling, « Ils étaient capables de s’adapter et de décider qu’ils vous avaient battu trop souvent et donc de se rendre plus stupides ou, au contraire, de se faire plus intelligents si vous étiez plus fort qu’eux. Il y avait un peu de feedback en jeu, ici ».
Cependant, note Lebling, les robots n’étaient pas de réels substituts pour les joueurs humains. C’était simplement une sympathique option quand vous « vous ennuyiez et que vous vouliez jouer ».
Le meilleur joueur de Maze, Ken Harrenstien, récrivit assez vite la majorité du programme sur l’ordinateur central pour le rendre plus efficace pendant que Charles Frankston faisait la même chose sur la partie IMLAC. Il fut ainsi plus pratique pour deux instances ou plus de Maze de tourner sur le PDP-10 central.
Pendant ce temps, un autre membre du groupe du recherche, Tak To, écrivit un programme appelé Maze Watcher qui permettait aux gens de regarder les matches sur des ordinateurs graphiques tels que les Evans ou les Sutherland LDS-1. « Vous pouviez vous asseoir dans le labo qui hébergeait ce type d’ordinateur et encourager vos amis qui jouaient, » se souvient Lebling, en imitant des « Allez, allez, allez ! Oh non ! Il est juste au coin ! ».
La popularité de Maze ne se cantonna pas aux seuls murs du MIT. Ils partagèrent le code source à travers tout le pays via l’ARPANET. Lebling croit se souvenir que le premier match de Maze effectué sur l’ARPANET se déroula entre des étudiants du MIT et de l’Université de Californie, à Santa Cruz (UCSC). C’était lent car l’ARPANET de ce temps-là n’était qu’un réseau à 50 Kbps, ce qui représente plusieurs ordres de grandeur de moins que les connexions Internet d’aujourd’hui de plusieurs mégabits voire gigabits par seconde. Mais c’était magnifique.
Peut-être un peu trop magnifique. La légende raconte que Maze fut plus tard banni pendant un temps par l’agence DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) qui opérait l’ARPANET parce que la moitié de tous les paquets (ce sont les données, en gros) envoyés sur le réseau chaque mois l’étaient entre le MIT et Stanford. Les directeurs de laboratoire J. C. R. Licklider et Al Vezza s’étaient inquiétés bien avant ça que Maze puisse être considéré comme trop frivole. Ils découragèrent l’utilisation de Maze au labo, financé par la DARPA, pour garder l’ambiance sérieuse et les IMLAC disponibles.
Lebling continue : « [Maze] a congestionné les IMLAC qui étaient une denrée rare. Pour faire tourner Maze, vous deviez charger le programme du jeu à la place du terminal habituel parce que ces machines n’avaient que 8 Ko de mémoire, [donc] les gens le chargeaient puis oubliaient de charger à nouveau le terminal ou alors la machine plantait et ils ne savaient pas comment rebooter un IMLAC, ce qui n’est pas très difficile mais plus que de rebooter un PC d’aujourd’hui ».
Pour lutter contre ça, les directeurs bannirent Maze (malgré le fait qu’ils avaient été eux-mêmes repérés plusieurs fois en train d’y jouer et d’apprécier le jeu). Mais ce fut une résistance futile (NdT : je n’ai pas pu résister). Les ordinateurs étaient connectés en réseau donc les gens téléchargeaient simplement le jeu depuis un autre ordinateur ou cachaient du code fait pour télécharger le jeu à nouveau. Cette bataille escalada et quelqu’un ajouta un programme daemon (du code qui tourne en tâche de fond) conçu pour repérer et faire planter les instances de Maze.
Ce chasseur de Maze était facile à circonvenir, soit en recompilant le code de Maze avec une signature différente, soit en désactivant le daemon car le système n’avait aucune mesure de sécurité. « C’était en fait un truc entre les hackers et les non-hackers, » dit Lebling, « Une petite guéguerre entre ces deux camps ».
Du hardware pour Maze
À l’automne 1976, Greg Thompson, Mark Horowitz et George Woltman s’inscrivirent ensemble à un cours de conception numérique de matériel d’ingénierie électrique. Pour leur projet de classe, Thompson suggéra qu’ils conçoivent un système dédié à faire tourner Maze.
« Je pensais que ce serait sympa et nous avons commencé à réfléchir à sa fabrication. Cela semblait plutôt compliqué mais c’était excitant et en discutant entre nous, on pensait pouvoir trouver un moyen pour effectivement l’implémenter, » dit Horowitz. « On en a parlé aux profs et ils nous ont répondu, en gros, qu’ils ne pensaient pas que c’était une bonne idée mais que si on voulait, on pouvait essayer ».
Le trio détermina qu’il serait plus facile de fabriquer le jeu s’ils le rendaient plus compliqué. Alors que le Maze original était en fait un labyrinthe bidimensionnel dessiné avec des segments, le nouveau allait être entièrement en 3D. Dans la version hardware de Maze, vous pourriez tourner dans n’importe quelle direction à l’intérieur d’un cube de 16 par 16 par 16 composé de quatre étages dans chaque dimension.
« La raison, pour laquelle nous avions fait ça, est que ça rendait le jeu complètement symétrique », explique Horowitz. « Il se trouve que, d’un point de vue du matériel, il était plus facile d’opérer ainsi car il y avait moins de surfaces particulières. Vous marchiez donc dans un labyrinthe sans gravité, essentiellement. Vous pouviez tourner à gauche et à droite mais aussi vers le haut ou vers le bas ».
C’était aussi perturbant que ça en a l’air mais ils trouvaient ça grisant. Puis Woltman ajouta des joueurs-robot. « Ils jouaient vraiment mieux que nous car ils n’étaient jamais désorientés », se rappelle Horowitz. « Ils ne faisaient que suivre quelques règles simples pendant qu’ils étaient à la recherche des joueurs et quand ils les voyaient, ils tiraient ».
Pendant ce temps, Horowitz était trop occupé à essayer de se repérer dans le labyrinthe : « [J’étais] en train de me rappeler où était le haut », dit-il. « Eux, ils s’en fichaient. Ils ne faisaient qu’avancer, trouver des ouvertures et continuer à avancer ».
À l’instar de la version IMLAC de Maze, vous pouviez augmenter ou baisser la difficulté des robots mais ici, cela dépendait juste de la fréquence du processeur. « Si vous vouliez jouer plus vite, il suffisait d’accélérer la cadence du CPU et tout le système allait un peu plus vite », explique Thompson.
Quant à l’affichage, en l’absence de processeur graphique, ils ont dû être inventifs. « On a fini par utiliser des oscilloscopes car ils étaient déjà là pour nous aider à déboguer le matériel », dit Horowitz. « On s’en servait en mode X-Y et j’utilisais un affichage vectoriel. Donc, au lieu de balayer l’écran trame par trame (NdT : via le raster scan), je dessinais de vraies lignes dessus ».
Horowitz réussit aussi à dessiner des balles que vous pouviez voir voler à l’écran, devenant progressivement plus grandes quand elles s’approchaient ou plus petites quand elles s’éloignaient de vous.
Le jeu était si impressionnant que le trio obtint des notes presque parfaites pour leur projet et le labo garda ce Maze version hardware pendant un an ou deux pour le montrer en exemple de jeu aux étudiants suivants. Et Horowitz, de son côté, est surpris non seulement que des gens s’intéressent encore aujourd’hui à ce projet mais aussi que lui-même s’en souvienne encore : « J’ai une très mauvaise mémoire. Je ne me souviens pas ce que j’ai fait il y a deux semaines et encore moins il y a 40 ans. Mais je me souviens encore du jeu Maze : comment il était, à quoi les graphismes ressemblaient et comment il fonctionnait. Je me souviens à quel point c’était excitant de le construire ».
L’héritage
Les nombreux créateurs de Maze suivirent chacun leur voie. Lebling et quelques-uns des membres de son groupe de modélisation dynamique fondèrent Infocom pendant que Thompson resta dans l’industrie technique en tant que consultant, ingénieur et designer pour des sociétés comme Digital Equipment Corporation (NdT : DEC), nCube et Cisco. Steve Colley fonda nCube qui devint un des leaders des débuts de l’industrie de la vidéo à la demande. Horowitz fut nommé directeur du laboratoire d’informatique de l’Université de Stanford et George Woltman finit par découvrir plusieurs des plus grands nombres premiers connus.
Maze continua à vivre, évoluant et se diffusant dans le monde informatique. Jim Guyton récrivit la version IMLAC pour les affichages par rasters des ordinateurs personnels Alto et Star de Xerox, le renommant Maze War au passage et ajoutant la mini-carte en bas de l’écran principal du jeu (NdT : c’est cette version qu’on voit le plus souvent sur Internet). Deux membres de la toute jeune équipe Macintosh d’Apple virent cette version et codèrent chacun la leur pour faire des tests : Bus’d Out, dont l’alpha fuita, servit à Gene Tyacke pour tester les premières versions du protocole réseau AppleTalk tandis que Burt Sloane écrivit Maze Wars pour servir de démonstration pour le transfert de fichiers et un serveur de messagerie.
Le Maze Wars de Sloane fut retravaillé et amélioré par MacroMind pour la première version commerciale de Maze, sortie en tant que Maze Wars+ sur Mac en 1986. Ceci mena plus tard au développement par Callisto Corporation d’une version plus sophistiquée et complète (sans parler des 256 couleurs) nommée Super Maze Wars en 1993, aussi pour le Mac.
Maze apparut également sur plusieurs autres plateformes. Xanth Software le porta sur Atari ST en tant que MIDI Maze en 1987. Son titre reflète l’utilisation de câbles MIDI pour relier les ordinateurs entre eux pour les matchs en multi-joueurs. « On faisait transiter les inputs des joysticks dans [le réseau en] anneau » nous explique le programmeur, Michael Park, par mail, « ensuite, chaque machine mettait l’état de son monde à jour et redessinait l’écran puis ça se répétait. Tout le monde devait attendre l’ordinateur le plus lent (celui qui prenait le plus de temps pour le rendu de l’affichage) ».
Ils écrivirent aussi une version Atari 8 bits qui fut terminée mais qui ne sortit jamais et un groupe allemand, mené par le codeur Markus Fritz, fit de la rétro-ingénierie sur MIDI Maze pour pouvoir le mettre à jour et corriger des bugs pour MIDI Maze 2. Fritz stipule que cette version ne s’est vendue qu’à 200 exemplaires mais il s’est quand même formé une sorte de culte un peu partout dans le monde avec des joueurs qui se rencontrent encore aujourd’hui pour des tournois semi-réguliers (NdR : chaque année lors de la convention ADN par exemple).
Maze est aussi arrivé sur Game Boy, renommé Faceball 2000 pour l’occasion, et d’autres consoles, portables ou de salon, du début des années 1990 ainsi que sur Palm OS, NEXTSTEP et plus encore.
Ses créateurs d’origine sont quelque peu déconcertés par la longévité et l’héritage de Maze. « Ce n’est qu’une petite contribution que nous, les gens qui m’entouraient et moi, avons faite en poussant cette technologie vers quelque chose de fun », dit Thompson. « Le jeu existe probablement depuis l’âge de pierre. Il y a juste différentes manières de le concrétiser. Et le truc sympa avec les ordinateurs et les réseaux est qu’on peut être connectés ; on peut jouer avec d’autres personnes. Il n’est pas nécessaire d’être physiquement présent dans la même pièce et on peut vivre l’expérience d’avoir l’impression d’être dans un bâtiment alors qu’on n’y est en fait pas ».
Lebling fut surpris par le succès de Maze et pense que le genre du FPS qui domine le jeu vidéo maintenant le doit en partie à Maze. Mais « cela ne veut pas dire qu’il n’existerait pas sans Maze », note-t-il. « C’est comme ce qu’on dit en science-fiction, à savoir que le moteur à vapeur a été inventé parce que c’était dans l’air du temps. Il y avait une convergence de développements techniques, d’idées et de culture qui faisait que faire quelque chose comme Maze semblait être une bonne idée ».
D’ailleurs, Infocom aurait pu devenir une compagnie de FPS plutôt que de jeux d’aventure textuels. Ils fondèrent Infocom avant de décider quoi développer et l’une des idées était de transformer Maze en borne d’arcade. Cela n’aboutit pas car trop de personnes ayant entendu parler de ce projet, dans l’idée de lever des fonds pour cette société embryonnaire, craignaient que « les nerds n’aient pas d’amis ».
« Je pense que ç’aurait été sympa à jouer », dit Lebling, remarquant que les salles d’arcade étaient en fait des lieux d’interaction sociale. « Un simple « Tu m’as tiré dessus ! » aurait pu entraîner des bagarres et des rixes de poivrots dans la salle d’arcade ».
Quoi qu’il en soit, personne n’aurait pu croire que Maze allait perdurer, et encore moins prévoir une révolution du jeu vidéo qui allait arriver 20 ans plus tard. « Je pense qu’il s’agissait juste de la combinaison de suffisamment d’esprits brillants au MIT et qui ont ensuite ré-implémenté le jeu sur d’autres systèmes », conclut Thompson. « Parce que c’est fun, parce que ça plaît et que, à cette époque, c’était le dernier cri de la technologie. C’était un bon outil de test. Vous pouvez le justifier comme vous le souhaitez, mais les gens codaient le jeu parce qu’ils voulaient un peu frimer avec les trucs cool qu’ils pouvaient faire ».