Un titre surprenant pour ceux qui pensent que l’esport est apparu avec Starcraft ou Quake. Bien plus ancienne, la compétition de jeu vidéo était déjà de mise au début des années 1970…
C’est en effet aujourd’hui que nous fêtons les 41 ans de l’esport (l’article original a été publié le 19 octobre, NdR) et bien qu’il y ait eu des matchs de jeux vidéo un peu avant (dès 1958), c’est exactement le 19 octobre 1972 que naissait la pratique du sport électronique telle que nous la connaissons aujourd’hui. Tout a démarré simplement. D’un simulateur de gravité sur de l’informatique au sein du MIT (Institut Technologique du Massachusetts) est né le premier jeu vidéo de l’histoire : SpaceWar. Lorsqu’ils apprennent qu’ils vont recevoir un PDP-1, Stephen Russell et Martin Graetz imaginent un jeu de tir afin de montrer toute la puissance de la machine, Wayne Wiitanen apportera sa participation en donnant l’idée d’un jeu dans l’espace. L’idée de base du titre est de modifier un programme afin de trouver une alternative amusante aux présentations d’ordinateurs lors des journées portes ouvertes de l’université et se transforme en premier jeu vidéo de l’histoire (statut certes discutable mais ce n’est pas le propos, NdR).

Une photo officielle d’un PDP-1, le premier ordinateur de la société Digital Equipment Corporation.
Dans sa version originale, le but du programme est simple : survivre à la gravité d’une étoile au centre de l’écran. Cependant Stephen Russell, son principal programmeur, ajoute une spécificité au logiciel, il est libre et surtout open-source. Dans la première version du programme, il n’existait qu’un joueur devant éviter une gravité de plus en plus forte, mais rapidement avec l’évolution qu’apportent les autres contributeurs et les idées de ses deux confrères, le titre s’améliore et il s’y ajoute un objectif : détruire un adversaire qui est une torpille spatiale… N’oublions pas que nous sommes en 1962 et la guerre froide fait rage ; les États-Unis sont à la pointe de la recherche et le programme originel n’étant à la base destiné qu’à calculer la gravité terrestre sur les missiles intercontinentaux, le titre du jeu prend ici alors tout son sens. Et l’évolution rapide du programme dans toutes les directions apportera d’indispensables aspects qui ont marqué le jeu vidéo moderne, le cumul des points et par extension le top 10 des plus gros scores enregistré en mémoire, l’augmentation du nombre d’adversaires accoudée à une IA basique… Mais la plus grosse évolution sera une révolution pour le premier jeu vidéo de l’histoire, ce sursaut majeur, c’est un réel mode multijoueur.

Le prototype dessiné de la “manette” utilisée pour SpaceWar. Composée d’un levier de direction et d’un autre servant à gérer la vitesse de propulsion et bien évidemment, d’un bouton de tir.
Et c’est au sein de la salle 26265 du Hingham Institute Warfare que naît ce changement qui va permettre aux scientifiques et aux étudiants qui les accompagnent de s’affronter alors qu’ils ne faisaient que modifier, adapter et faire évoluer leurs codes respectifs des différentes versions du jeu. Cette modification qui a eu lieu entre janvier et mars 1962 va voir exploser l’utilisation du jeu par les autres étudiants… Pourtant, et bien que ce soit sur ce jeu qu’il soit apparu, il va falloir plus de dix ans avant de voir naître l’esport à proprement parler.

De gauche à droite : Stephen Russell, Peter Samson et Dan Edwards matchant pendant les journées portes ouvertes. La photo a probablement été prise par Martin Graetz.
Évidemment, il est probable qu’il soit rapidement apparu des matchs après la naissance du multijoueur de SpaceWar mais la première trace d’une compétition en tant que telle remonte à Octobre 1972, c’est-à-dire plus dix années plus tard. C’est Stewart Brand, 33 ans, diplômé en biologie de Stanford qui va documenter cette première compétition de jeu vidéo pour le magazine Rolling Stone, les « Intergalactic SpaceWar Olympics » !
Et en dix ans, beaucoup de choses ont évolué ; le jeu vidéo explose littéralement depuis quelques mois notamment grâce à Pong, les bornes d’arcades envahissent les cafés et bowling ici et là, à travers l’Amérique. Pourtant, de nombreux joueurs restent attachés à SpaceWar surtout au sein des laboratoires américains et canadiens. C’est donc non plus au MIT (sur la côte Est) mais au laboratoire d’intelligence artificielle de Stanford (sur la côte Ouest des États-Unis) que va se dérouler cette première compétition « esportive ».

Un match à cinq participants pendant la compétition des Intergalactic Spacewar Olympics.
Le lieu qui accueille principalement des PDP-10 va exceptionnellement faire dans le retrogaming et lancer un programme qui a onze années au compteur, originellement programmé sur des PDP-1. La puissance des PDP-10 permet à cinq vaisseaux de se lancer en même temps dans l’arène tout en remettant les compétiteurs dans un cadre proche des pionniers du jeu vidéo.

Bruce Baumgart, le gagnant de la première compétition esportive de l’histoire paradant avec son pad
Les règles sont simples et classiques, les matchs se déroulent en FFA (Free For All, chacun pour soi) de 5 joueurs et les quelques participants présents ce jour là (une bonne vingtaine d’après les témoignages) vont en découdre toute une partie de la matinée. Éliminer un adversaire donne un point, être le dernier en donne un autre alors que se faire détruire son vaisseau en fait logiquement perdre un. Après quelques matchs, c’est finalement Bruce Baumgart qui remporte la compétition et un abonnement d’un an au magazine Rolling Stone. Sponsorisée semble-il par le mensuel, la rédaction offre à la compétition un article dans le numéro de décembre 1972 ; c’est la première fois qu’une compétition de jeu vidéo apparaît sur une couverture de magazine dans la presse. Ce tournoi, clairement en avance sur son temps, est un premier melting-pot de technologies de pointe à travers l’informatique, ainsi que du hacking d’où est né le jeu, de la culture des sixties–seventies, d’une presse toute aussi regardante de tout changement sociétal même mineur dans une époque extrêmement vivante.

À gauche : Des compétiteurs profitent des bières offertes devant une TV modifiée avec un XDS940 affichant une femme aux seins nus (ce qui était normalement interdit). À droite : Pam Hart, la seule compétitrice des SpaceWar Olympics… Plus de vingt ans plus tard, elle travaillera chez Microsoft, Google et Flipboard.
Bien que les Intergalactic SpaceWar Olympics soient la première compétition de jeu vidéo de l’histoire, il est probable qu’il y en ait eu d’autres… Il est en effet difficile de croire que plus de dix années se soient écoulées sans que des compétitions dans un cadre moins officiel ou en tout cas, moins public n’aient eu lieu. Les rares preuves qui permettent aujourd’hui de donner un âge à l’esport sont principalement l’article du magazine Rolling Stone et les photos associées (la photo du match en cours étant particulièrement difficile à trouver), mais les premiers échos de rencontres compétitives suivies par un public remontent à 1958 dans un tournoi improvisé autour de Tennis for Two… Mais ce sera le sujet d’un autre article !
Détails et précisions :
– Les 5 vaisseaux utilisés pendant le match sont identifiables par quelques différences et comportent chacun un nom propre : Pointy Fins, Roundback, Birdie, Funny Fins et Flatback.
– Première également ce jour là, une compétition en équipe qui sera remportée par Slim Tovar et Robert E. Mass.
– Avec la présence de Pam Hart, tout porte à croire que la première compétition de l’histoire était mixte.
– Les rares photos diffusées ont principalement été prises par la célèbre photographe Annie Leibotviz âgée à l’époque de 23ans et travaillant pour le magazine Rolling Stone.
– Il est toujours possible de jouer à Spacewar sur un des cinquante PDP-1 fabriqué en 1959, il faut juste aller au Computer History Museum à Mountain View en Californie (actuellement, cette partie du musée est fermée).
Sources :
– Stewart Brand ”Rolling Stone” (N°123, spécial 5 ans / 7 décembre 1972)
– Mathieu Triclot “Philosophie des jeux vidéo” (2011)
Mais aussi : Gamasutra, Kotaku, Linkdin et Wikipédia
Publié à l’origine sur In esport we trust