Préface du rédac’ chef (G. Verdin) : La formule est désormais rodée. Tous les six mois, nous consacrons un podcast à un magazine mythique et, peu après, nous en proposons une chronique. Celle-ci combine les recherches effectuées par Yves Breem en amont, et ce qui a été dit durant ce podcast qui restera sans doute dans nos mémoires. Nous ne sommes pas encore tout à fait fixés sur ce que l’on vous réservera en juin après Joypad, Player One et Tilt, ni s’il s’agira d’ailleurs d’un magazine ou de quelque chose d’un peu différent pour changer… En revanche, il est probable que la prochaine chronique, elle, soit plutôt basée sur un livre à la manière de la dernière en date, consacrée à l’histoire du studio Sensible Software. Évidemment, le récent livre sur Ocean fait office de candidat idéal mais nous verrons bien le moment venu. En attendant, place au premier magazine français dédié à notre discipline favorite qui célèbre en outre ce mois-ci, ironiquement, les vingt ans de son tout dernier numéro, en janvier 1994…
Un magazine qui parle de jeux vidéo, est-ce vraiment sérieux ?
Au début des années 80, le jeu vidéo commence à devenir un loisir de masse. Surfant sur ce succès annoncé, le groupe de presse français Les Editions Mondiales décide de lancer un magazine spécialisé sur tous les supports, le premier d’Europe. Pour ce faire, ils signent un accord avec Katz Kunkel Worley Inc, éditeur américain du premier magazine de jeu vidéo au monde, Electronic Games. L’objectif est d’en proposer une traduction française avec 50 % d’articles traduits et 50 % de contenu français. Un deal qui sera abandonné au bout de trois ou quatre numéros, faisant de Tilt un titre au contenu éditorial 100 % français. Un numéro zéro d’une quinzaine de pages, aujourd’hui introuvable, est distribué exclusivement aux financeurs. Ces derniers ayant donné leur accord, le numéro 1 de Tilt est publié en kiosques en septembre 1982. Précurseur de son genre, ce magazine bimestriel n’a rien à voir avec ce que vont devenir les magazines de jeux vidéo par la suite. Le jeu vidéo n’est pas encore reconnu comme un loisir « noble » mais plutôt comme un jouet. Les éditeurs et la presse informatique de l’époque jugent donc qu’il n’y a pas de créneau pour le jeu vidéo, sinon, ils l’auraient déjà pris ! L’éditeur de Sciences et Vie avait d’ailleurs refusé de publier Tilt à ses débuts. Tilt n’est donc pas pris au sérieux par rapport aux magazines informatiques qui font plus professionnels. Le magazine parle aux enfants qui forment la majorité des joueurs, mais cherche également à élargir son lectorat aux moins jeunes, en allant au-delà de la petite communauté de gamers adultes.
Jeux électroniques ou jeux vidéo ?
À l’époque, on ne parle même pas de jeux vidéo, mais de jeux électroniques (c’est d’ailleurs le sous-titre de Tilt). Dans les faits, le magazine traite et possède des rubriques sur tout : jeux vidéo, jeux de société, jeux sur calculette (rubrique Sésame), jeux de plateau, jeux électroniques (rubrique Les Minis) et bien entendu les jeux d’arcade (rubrique Service Compris), où flippers et jeux vidéo ont droit au même traitement. Tous les styles de jeu sont tellement interconnectés que la rubrique Challenge propose même des comparatifs entre différents types de jeux basés sur le même thème ! Soit, il y a déjà une rubrique pour les tests, mais il y a aussi tellement de machines à l’époque que le magazine propose un banc d’essai tous les mois ! La rubrique de news (le célèbre Tilt Journal) ne parle même pas vraiment de jeux vidéo, mais plutôt de ce qui gravite autour : magasins, éditeurs, fan clubs.
Le magazine propose aussi des visites guidées de grandes salles d’arcade dans le monde (Cartes Postales), ce qui ne sera jamais repris à l’avenir. Il ne parle pas encore d’astuces, mais simplement de la manière de « bien jouer » à un jeu… Tilt souhaite aussi expliquer l’intérêt des jeux au grand public en interviewant des personnalités fanas de jeux vidéo : le présentateur télé Yves Mourousi, Eddy Mitchell ou encore Karen Cheryl. Il propose également dès le numéro 3 des dossiers sur l’intégration du jeu vidéo dans la société. Enfin, il veut devenir un lieu d’échange pour la communauté avec ses petites annonces lancées dès le numéro 2 et qui resteront jusqu’à la fin ! Les premiers membres de cette grande aventure sont au nombre de cinq : Bruno Barbier, le rédacteur en chef, Jean-Michel Maman (le premier testeur de jeu vidéo de l’histoire de la presse), Jean-Michel Blottière, Jacques Harbonn ainsi que deux autres personnes qui feront un passage éclair toutefois : Philippe Adjutor et Nicole Masson, qui est donc la première femme à travailler dans la presse vidéoludique. L’équipe est très rapidement rejointe par Jean-Pierre Cuvier, Olivier Chazoule et Bertrand Ravel, suivi de Patrice Desmedt en 1984.
Un fonctionnement très particulier, aux antipodes de ce qui se fera par la suite
La manière de réaliser un magazine de ce genre à l’époque de Tilt est d’une rare complexité. Tout le maquettage est réalisé à la main, avec de la colle, du papier et des ciseaux ! Et quand il s’agit d’inclure des photos d’écran, c’est encore plus compliqué ; il faut prendre des photos du moniteur à la volée dans une pièce entièrement plongée dans le noir. Après développement, il faut trier les nombreux clichés pour n’en choisir que quelques unes – un véritable travail de titan. Précurseur de la presse vidéoludique, les méthodes de Tilt seront copiées par la suite par la concurrence. En revanche, Tilt va garder pendant toute son existence un type de fonctionnement très particulier. Au début des années 80 il n’existe aucune distribution officielle des jeux vidéo par les éditeurs. Il est donc décidé que c’est uniquement celui qui amènera un jeu à la rédaction qui aura le droit d’écrire à son sujet ! Chaque journaliste se crée ainsi un réseau de fournisseurs, soit dans les rares boutiques spécialisées, soit via des circuits pirates, et enfin via les éditeurs à partir de 1988… Ce fonctionnement vise à créer un esprit de compétition entre les différents pigistes, qui sera en partie contrecarré par quelques membres de la rédaction qui vont partager leurs sources avec les novices. Autre originalité du magazine par rapport à ce que deviendra la presse vidéoludique, l’équipe de Tilt, à quelques exceptions près, n’est pas composée de passionnés mais de journalistes issus de formations très diverses (agronomie, pharmacie, médecine, musique…). Ces derniers écrivent bien mais ne jouent pas beaucoup pour certains d’entre eux. Ceci explique le turn-over des débuts : à l’exception d’Harbonn et de Blottière (pourtant pas un joueur lui-même), aucun fondateur ne dépassera les trois ans au sein du magazine.
Les jeux micro prennent l’avantage dans Tilt
Dès le départ, Tilt va plutôt bien marcher, malgré le côté sérieux et austère qui va lui coller à la peau pendant de nombreuses années. Les lecteurs répondent présents, d’autant plus qu’en tant que précurseur le magazine n’a aucune concurrence et n’a donc aucune pression sur l’actualité qu’ils peuvent traiter en retard ! Le succès du magazine va cela dit en étonner plus d’un, y compris outre-manche, où on ne tarde pas à réaliser qu’un des facteurs du succès est simplement la publication d’images des jeux dans les tests (les magazines britanniques n’affichaient que les jaquettes). Au cours de ces trois premières années d’existence, Tilt commence peu à peu à trouver ses marques. Dès novembre 1983, le dernier numéro de Tilt de l’année devient le « Guide des Jeux Vidéo », un numéro spécial où tous les jeux disponibles sur toutes les machines sont soumis à un banc d’essai. Le numéro ne se contente pas de récapituler les tests précédemment réalisés, tous les jeux étant réévalués en fonction de ce qui est sorti entre-temps dans chaque genre.
En parallèle de ce guide sont décernés les Tilt d’Or des meilleurs jeux dans chaque catégorie. En partie élus par les lecteurs, le plus gros des récompenses est décidé par la rédaction, à la suite d’une réunion d’une journée entière. Les observateurs de l’époque avouent d’ailleurs que les jeux français étaient avantagés dans le palmarès final. A partir de 1985, ces récompenses sont remises au cours d’une soirée, coorganisée avec Canal + jusqu’à la fin du magazine. Tilt se spécialise dès les premières années dans le jeu vidéo, et spécifiquement le jeu micro. Au cours des deux premières années, elle se débarrasse ainsi de toute la partie jeux de société, jeux électroniques, jeux sur calculette, jeux d’arcade et jeux de plateaux. Elle intègre en contrepartie, comme dans d’autres magazines informatiques de l’époque, une rubrique listing permettant de recopier des programmes de jeux. Sans surprise, le magazine est renommé Tilt – Micro/Jeux/Vidéo en mars 1984 (date où il devient mensuel) puis en Tilt Microloisirs en septembre 1985.
Un magazine concentré sur des genres « sérieux »… mais toujours pas pris au sérieux
C’est d’ailleurs en 1985 que le magazine change fondamentalement de visage, l’augmentation des publicités permettant au titre de prendre sa pleine mesure. C’est l’année du départ de Bruno Barbier, remplacé au poste de rédacteur en chef par Jean-Michel Blottière. Accompagné d’Olivier Hautefeuille (son frère) et Nathalie Meistermann, Blottière va lancer de nouvelles rubriques ayant souvent un angle plus sérieux que les rubriques historiques comme Tilt Parade, qui traite des serious games et des logiciels de création. Rebondissant sur le Plan Informatique pour Tous, qui doit doter les écoles de micro-ordinateurs, Tilt lance aussi Kid’s School sur les jeux éducatifs. Enfin, Tilt donne ses lettres de noblesse aux jeux d’aventure, en proposant la rubrique SOS Aventure qui teste séparément les jeux d’aventure (y compris les RPG), ainsi qu’une rubrique Message in a Bottle qui vient en aide aux lecteurs bloqués dans un jeu et qui en font la demande. S’il peut sembler étrange de nos jours de distinguer les jeux d’aventure des autres, ils étaient à l’époque considérés comme les jeux pour adultes par excellence.
Séparer les deux était donc une manière de contenter les deux publics de gamers de l’époque. D’ailleurs, d’une manière générale, Tilt met surtout en avant les jeux d’aventure et les simulations, s’enfermant un peu trop, de l’avis de certains membres de la rédaction, dans ces deux « genres ronronnants » au détriment des autres, en particulier les jeux d’action étiquetés « pour les enfants ». Si Tilt commence à vraiment bien marcher, le magazine est toujours incompris d’une partie de la société. Après le test du jeu X Man, on demande à Tilt de choisir entre rester un magazine pour enfants ou devenir une revue pornographique ! De même, après leur dossier sur le piratage en septembre 1985, ils sont contactés par des pirates prêts à coopérer avec la nouvelle loi ! Enfin, certains gamers qui utilisent les petites annonces pour échanger des jeux se retrouvent embêtés par la police pour recel de jeux copiés… Autant d’anecdotes incroyables à imaginer de nos jours, mais qui n’empêche pas le succès du titre !
L’arrivée des gamers à la rédaction
Avec l’augmentation des recettes publicitaires, la rédaction triple presque de volume en deux ans. En 1986, au moment où le magazine adopte la notation sur 20, on voit l’arrivée d’Alexandra de Panafieu, Jean-Philippe Delalandre, Matthieu Brisou, Denis Scherer, Dominique Leclerc et Didier Guilhem. Ils sont suivis en 1987 par Eric Cabéria, Alain Huyghues-Lacour, Jean-Loup Renault et Ivan Roux. Malgré les nouvelles machines de Nintendo et Sega, la partie consoles reste limitée à quelques pages, le magazine se concentrant plutôt sur l’actualité micro, mettant en avant les qualités techniques des jeux au détriment du gameplay. On trouve même dans ses pages des leçons de dessin informatique. C’est aussi en 1987 qu’est lancé le service minitel de Tilt (3615 Tilt), majoritairement dédié aux astuces, et qui est géré conjointement par la rédaction et une équipe dédiée. À la même époque est enfin lancé le Club Tilt (qui offre aux membres des avantages et des réductions), ce qui prouve le succès du magazine qui tourne dans les 80 000 ventes mensuelles en 1988.
À l’image de Huyghues-Lacour, la rédaction de la fin des années 80 est davantage férue de jeux que ses prédécesseurs, ce qui se confirme par l’arrivée en 1988 de Dany Boolauck et d’Olivier Scamps, au moment où Meistermann, de Panafieu et Leclerc quittent le magazine, suivies un an plus tard de Scherer, Guilhem et Roux. Avec plus de gamers en son sein, Tilt prend un caractère plus passionné. Le magazine se concentre moins sur ses genres de prédilection (aventure, simulation) et traite un peu plus de l’actualité consoles, sous la pression des constructeurs qui voient d’un mauvais œil que leurs machines ne soient pas suffisamment traitées.
Tilt, suite à l’enquête annuelle de satisfaction des lecteurs, va poser les jalons de ce qui va devenir le modèle classique d’un magazine de jeu vidéo, au sens moderne du terme. Avec la nouvelle formule de septembre 1988, le mensuel intègre enfin à Tilt Parade (appelé quelque temps 15/15) de vrais previews et news, propose tous les mois des soluces et abandonne les rubriques désormais obsolètes. Il n’y a en effet plus besoin d’expliquer comment jouer ou d’offrir des reportages sur le jeu vidéo dans la société, car le média est désormais intégré dans les mœurs. Enfin, il n’y a plus assez de nouvelles machines pour faire un banc d’essai tous les mois, alors que Tilt disposait de cette rubrique depuis ses débuts – ce qui signifie qu’au moins une nouvelle machine sortait chaque mois ! Mais le magazine conserve encore de nombreuses particularités par rapport à la concurrence, à l’image de la rubrique proposée par Roux et intégralement dédiée aux logiciels de création graphique. Tilt marche suffisamment bien à l’époque pour lancer une version « Tilt Bis » qui transforme de facto le magazine en bimensuel. Mais alors que les ventes sont au rendez-vous, Tilt redevient mensuel au bout de quelques mois (en janvier 1989) par manque d’annonceurs. Cette fin prématurée entraînera beaucoup de licenciements, accompagnés même d’une grève.
Tilt dépassé par les magazines des éditeurs plus petits
Alors qu’il a atteint jusqu’à 120 000 ventes mensuelles, Tilt, au début des années 90, n’est plus le numéro un des magazines de jeux vidéo, dépassé progressivement par des publications plus « jeunes » (Joystick, Génération 4). En effet, le titre ne réussit pas à s’aligner sur la quantité et l’exhaustivité de ces nouveaux concurrents. Et pour cause, Tilt n’a pas encore compris ce qu’est la concurrence, étant resté le seul magazine multi-support en France jusqu’en 1987 ! Le fait d’appartenir à un grand groupe est le nœud du problème qui va empêcher Tilt de repasser devant ses concurrents. En effet, Les Éditions Mondiales sont un groupe avec un grand nombre de salariés, des syndicats, et des règles bien établies. Le temps de travail est ainsi davantage respecté et les salaires plus élevés que dans d’autres structures. Face à eux, les nouveaux arrivants sont constitués de passionnés du jeu vidéo, capables de faire des heures supplémentaires tout en touchant un salaire trois à quatre fois moindre ! Ainsi, Joystick et Génération 4 peuvent offrir le double de pages de Tilt à un coût bien moindre. Et quand, en plus, la pression hiérarchique des Éditions Mondiales empêche parfois de tenter des paris créatifs, là où les rédactions des autres magazines sont beaucoup plus libres et indépendantes, le magazine peine vraiment à s’adapter et ça commence à se voir d’un point de vue financier.
La mainstreamisation du magazine conduit au Tilt !
En conséquence de ce coup dur, la rédaction commence à se réduire au début des années 90. Dreyfus, Scherer, Guilhem, Roux et Delalandre quittent le magazine. Mais c’est surtout en 1991 que l’équipe change drastiquement, avec le départ de nombreux poids-lourds tels Cabéria, Scamps (déjà presque à plein temps à Player One depuis 1990), ainsi que AHL et Boolauck, débauchés par Joystick en avril 1991 (ce dernier reviendra en mai 1992). Tilt abandonne dans la foulée l’actualité des consoles, déjà pas très mise en avant, au profit de son pendant Consoles + lancé durant l’été 1991. Le groupe monte en parallèle l’émission télé Micro Kid’s diffusée sur France 3 et présentée par Jean-Michel Blottière. Pour remplacer les anciens, on engage de nouvelles têtes comme Jean-Loup Jovanovic (en 1990), suivi de Dogue de Mauve, Laurent Defrance, Thomas Alexandre et Piotr Korolev. Les tests sont totalement repensés et une nouvelle rubrique aborde la demoscene, en décrivant en détail la démo présentée à l’époque à la fin de Micro Kid’s.
Pour avaliser définitivement le passage au tout micro, Tilt est sous-titré dès juin 1992 « La passion de la micro ». Les listings sont alors abandonnés mais le magazine tente en parallèle de réhabiliter la rubrique Tilt Journal, qui redevient comme à ses débuts, évoquant l’actualité du monde du jeu vidéo de manière plus large. Ce qui est d’autant plus étonnant car Tilt est par ailleurs désormais très proche des magazines classiques basés sur le triptyque previews, tests, astuces. Ce qui n’arrange pas ses ventes, ne pouvant se démarquer davantage de la concurrence. Les derniers anciens commencent donc à partir : c’est le cas de Brisou et Renault en 1992, de Defrance, Alexandre et surtout Hautefeuille en 1993. Mais le magazine est toujours décidé à survivre et veut garder une taille de rédaction constante. C’est ainsi qu’ils engagent en 1992 Morgan Feroyd et Marc Lacombe (en provenance de Micro News, et qui deviendra le célèbre Marcus à Game One), puis en 1993 Marc Grenier, Serge Brun et Noelle Beronie. Voulant prendre une nouvelle dynamique, Tilt lance encore une nouvelle formule en avril 1993.
La nouvelle formule ne rencontrera pas le succès car elle ne fait que renforcer le formatage du magazine, avec l’apparition de notes en % (comme tous les magazines de l’époque) et d’une véritable rubrique news. Rare résurgence du passé, la rubrique aventure subsiste, alors que tous les autres magazines ont fini par traiter les jeux d’aventure comme les autres. Malgré les efforts de la nouvelle équipe, toujours encadrée par les derniers anciens Jean-Michel Blottière et Jacques Harbonn, les Éditions Mondiales décident d’arrêter Tilt, plus assez rentable, en janvier 1994. La décision ne semble pas douloureuse pour l’éditeur, car Tilt a toujours dépareillé par rapports à leurs autres publications (Télé Poche, Modes et Travaux, Studio Magazine, Auto Plus). L’ambiance de travail frénétique, les éclats de rire, les défis, la lumière allumée tardivement, etc. sont autant de raisons qui laissaient penser au manque de sérieux du magazine, ce qui était mal perçu par la direction – un comble quand on voit qu’à l’inverse Tilt a toujours été jugé plus sérieux que ses concurrents… Contrairement à d’autres magazines qui ont disparu en même temps que leurs éditeurs, Tilt a eu ainsi l’avantage rare d’avoir pu assumer sa disparition, faisant apparaître sur la couverture de son dernier numéro la phrase choc et désormais mythique : « Tilt fait Tilt ».
La fin de Tilt : entre mauvaise gestion financière et inadaptation au « monde moderne »
D’après Jean-Michel Blottière, trois raisons expliquent la fin de Tilt. Tout d’abord, la crise du jeu micro (disparition de l’Atari ST et de l’Amiga) devant le succès des consoles aurait plombé Tilt, qui aurait moins bien négocié son virage au tout PC que les autres magazines. Ensuite, les changements brutaux de politique éditoriale, qui ont essayé de copier la concurrence au lieu de garder la ligne « historique », ont rendu plus difficile la fidélisation des lecteurs. Enfin, Tilt aurait souffert des stratégies financières tortueuses de partenaires historiques, nombre de sociétés de jeux vidéo en crise à l’époque ayant négocié des contrats de publicité au détriment du magazine. En plus de ces raisons officielles, plusieurs autres facteurs peuvent expliquer la fin de Tilt. Le magazine coûtait trop cher en regard de ses ventes, par rapport aux autres magazines des Éditions Mondiales. Mais surtout, Micro Kid’s aurait englouti une trop grande part du budget, ce qui aurait fini par asphyxier Tilt. À sa fin, le magazine avait néanmoins un nombre d’abonnés conséquent, qui ont ensuite été automatiquement reportés sur Joystick, mais sans que les anciens lecteurs de Tilt reconduisent cet abonnement au nouveau numéro un de la presse PC, les styles des deux magazines étant clairement trop différents.
Seul grand magazine historique à avoir disparu avant la concurrence d’Internet, Tilt reste dans les mémoires des tout premiers gamers comme le titre à avoir mis le jeu vidéo en avant dans la société française. Son héritage est cela dit difficile à évaluer dans la presse, peu des anciens membres de la rédaction étant restés dans le jeu vidéo par la suite (à l’exception de Scamps, AHL, Marcus…). Mais sa réputation historique reste grande, et un projet de relancer Tilt a même été envisagé il y a quelques années, sans que cela puisse malheureusement aboutir !