Depuis quelques années, de nombreux sites spécialisés dans le retro gaming s’intéressent à Jean-Claude Cruchet, un artiste méconnu de la scène micro 16bits qui a, sans le vouloir, participé à la création d’un phénomène mondial : Pokémon.
MO5.com : Merci d’avoir accepté de répondre à cette interview. Pour commencer, pouvez-vous nous dire quels ont été vos premiers pas dans le monde de l’informatique et du jeu vidéo ?
Jean-Claude Cruchet : J’ai connu l’informatique d’abord. Pendant mes études, j’ai eu l’occasion de travailler sur des appareils professionnels comme l’IBM 1130 qui devait faire en tout 16Ko de mémoire avec disque dur en hexadécimal. Et puis après les jeux, ça été très vite en achetant un petit ZX81 de chez Sinclair donc avec une « énorme mémoire » puisqu’on avait 1K et quand on avait les moyens, on mettait un 16k pour pouvoir faire des petits jeux.
Puis après, il y a eu l’Amstrad CPC 464 en basic. 64Ko de mémoire dont 32Ko pris par le système. On avait seulement 32Ko pour faire du développement. Le basic était excellent. Il faut reconnaitre qu’on pouvait faire des trucs formidables avec ce basic-là. Ca nous permettait aussi d’être inventif et créatifs pour limiter le nombre de lignes.
MO5.com : Vous frappez ensuite à la porte de chez Titus pour lequel vous ferez deux jeux mémorables : Super Chess et Galactic Titan.
Jean-Claude Cruchet : Super Chess était relativement facile à faire. Je l’ai programmé tout seul. Quand je l’ai montré à Eric, le patron de Titus interactive, il a été emballé et l’a tout de suite édité sur Spectrum et Amstrad CPC. Il m’ont donc ensuite demandé un second jeu. Mais je ne voulais pas refaire la même chose, alors, j’ai tenté un jeu d’aventure plus…cosmique : Galactic Titan !
MO5.com : Ensuite vient un jeu méconnu et pour cause, il n’a jamais été édité : Crazy Creatures
Jean-Claude Cruchet : On m’a souvent posé la question. En fait, quand je jouais avec passion à Donjon&Dragons, j’ai toujours été intéressé par les monstres, beaucoup plus que par les héros. J’ai imaginé un système de jeu avec des monstres que l’on pouvait capturer et qu’on pouvait mettre dans une sorte de prison. Ce n’était pas vraiment une prison puisqu’on a appelé ça la ménagerie. Et ensuite, on avait la capacité d’aller rechercher le ou les monstres qui avaient la capacité de nous faire passer de niveau. Et c’est pour cela qu’il fallait bien connaître ses monstres et leurs capacités.
MO5.com : Il y avait aussi différent types de monstre dans votre jeu : feu/eau/terre…
Jean-Claude Cruchet : Cela vient des quatre éléments : le feu, le vent, l’eau, la terre… Je me suis dit que pour avoir une bonne diversité, il fallait que chaque monstre soit caractérisé. Il y avait les monstres dédiés à l’eau, à l’air, ceux qui avait le pouvoir du feu. Ces quatre éléments me permettaient de créer tout un monde de monstres.
MO5.com : Il y a aussi d’autres éléments qui ressemblent de manière troublante à ce que Pocket Monster a proposé 7 ans plus tard.
Jean-Claude Cruchet : Oui, j’avais prévu un système d’échange de monstres. On pouvait se les passer des uns aux autres grâce un système de génération de code unique. Mais finalement, ce donc j’étais le plus fier, c’était les transformations. En fait, quand on avait un monstre et que au fur et à mesure du jeu, il montait en niveau, il devenait de plus en plus fort et il se transformait en un monstre de niveau supérieur. Il y avait pas exemple une créature des marais qui s’appelait Plocploc au début du jeu. Et puis au fur et à mesure que les niveaux montaient, elle se transformait et puis elle devenait… Flacflac.
MO5.com : Et finalement ce jeu prometteur n’est jamais sorti, pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Jean-Claude Cruchet : Ça remue un peu le couteau dans la plaie, mais ce n’est pas très grave. Maintenant la cicatrice est fermée. Et puis c’était une aventure assez extraordinaire. Le développement se passait bien, on avait eu une bonne preview dans Tilt. Et Eric, le patron de Titus m’a proposé de l’accompagner à Las Vegas pour le Winter CES.
J’ai donc sorti un dossier de présentation, j’ai apporté une préversion du jeu, et puis on est parti à Las Vegas. Et là c’est impressionnant, je ne sais pas si vous avez eu la chance d’y aller, mais c’est fabuleux. C’est immense, il y a les plus grand titres qui sont là. Nous on avait un petit stand. Et on a eu quand même du monde. Et à un moment, il y a eu un Américain très sympa qui est venu dans le stand. Et en fait, c’était Nolan Bushnell, le créateur d’Atari. Il s’est montré très intéressé par le jeu et puis il est parti avec un dossier.
On revenu assez content, sauf que finalement, le jeu Crazy Creatures n’est jamais sorti. En fait, Titus s’est recentré sur son jeu Crazy Cars II et le projet Crazy Creatures est passé aux oubliettes.
MO5.com : Comment avez réagi à la sortie de Pokémon en 1996 sur Game Boy ?
Jean-Claude Cruchet : Ca m’a fait tout drôle ! Je reconnais que toute la partie J-RPG, ce n’était pas du tout dans mon projet d’origine. Mais quand même, j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de similitude. Et puis, j’ai su bien plus tard que Bushnell travaillait beaucoup avec Nintendo à la fin des années 80. Alors est-ce que mon dossier est arrivé au Japon ? Je ne sais pas si je le saurais un jour.
MO5.com : Et que retenez-vous de cette histoire aujourd’hui ?
Jean-Claude Cruchet : Je n’ai pas vraiment d’amertume, les concepts sur lesquels j’avais travaillé étaient bons finalement. Puisqu’il semblerait que d’autres s’en soit inspirés. Je ne dis pas que je suis à l’origine de tout, mais j’ai peut-être apporté ma petite pierre à un édifice. Ce qui fait que des jeux très intéressants, très puissants sont sortis.
C’est vrai que j’aurais aimé être peut-être un peu plus au cœur du projet, sans parler des millions de dollars, mais ce n’est pas ce que je cherchais. Donc, j’ai ma conscience pour moi, je suis assez heureux d’avoir contribué finalement à tout cela.
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