CHRONIQUE : L’Histoire de la Dreamcast

SEGA Dreamcast (photo : François Doury pour MO5.COM)

Préface du rédac’ chef (G. Verdin) : C’est la rentrée pour les chroniques mais après mon long résumé de l’histoire d’Ocean, j’avais besoin d’encore un peu de repos et j’ai donc passé la main à sseb22, qui vous propose comme l’année dernière la traduction d’un article d’IGN. Ce dernier n’est pas tout récent – il a même quatre ans précisément – mais il a été récemment mis à jour et pour cause ; il célèbre la Dreamcast sortie à la date de lancement très bien étudiée du 9 septembre 1999 aux États-Unis ! Un démarrage d’ailleurs si réussi qu’il ne pouvait laisser présager la courte existence dans les rayons de la console de SEGA, qui vient donc de souffler ses quinze bougies là-bas. Et même si cet anniversaire n’a pas le même sens chez nous, il n’y a sans doute pas de mauvaise occasion d’évoquer une machine encore incroyablement populaire chez les joueurs. C’est même peut-être la console la plus récente à être assez légitime dans le monde du retrogaming, sans doute parce qu’elle a marqué la fin de SEGA en tant que constructeur, et cela a aussi beaucoup à voir avec son statut culte aujourd’hui. Bonne lecture !

Par Travis Fahs d’IGN, le 9 septembre 2010/màj le 9 septembre 2014 (article original)
Traduit de l’américain par sseb22

The History of Dreamcast

Célébrons comme si nous étions le 9/9/99

Où étiez-vous le 9 septembre 1999 ? (NdT : date de sortie américaine de la Dreamcast) Même si la NES a changé le visage de l’industrie, peu de personnes peuvent se targuer d’avoir acheté la leur dès le jour de sa sortie. Même le lancement de la première PlayStation fut assez tiède par rapport aux standards d’aujourd’hui. Mais le 9/9/99 est une date qui restera dans les annales, pas uniquement par sa répétition du chiffre « 9 » mais parce que cette date marqua le début d’une nouvelle manière virale d’orchestrer l’attente, culminant en un lancement homérique comme jamais l’industrie n’en avait connu jusque-là. Depuis, quinze ans se sont écoulés et, pour beaucoup d’entre nous, c’est comme si c’était hier. Peut-être parce que la Dreamcast fut la première console de la sixième génération, quand les jeux en 3D ont enfin atteint leur maturité et que les limitations techniques ne restreignaient plus les ambitions des développeurs comme c’était le cas auparavant. La Dreamcast fut ensuite suivie par la PlayStation 2, la GameCube et la Xbox, une génération que l’on pourrait décrire comme une version simplement moins belle du paysage vidéoludique d’aujourd’hui (NdT : et donc des PS3, Wii et Xbox360).

Mais plus important, la Dreamcast fut le baroud d’honneur d’un ancien géant du hardware – la société qui arriva par surprise pour tenter de renverser le quasi-monopole de Nintendo. Après une défaite écrasante sur le marché des 32 bits, SEGA passa par une des réinventions les plus impressionnantes du monde du jeu vidéo, pour le plaisir tant des néophytes que des fans loyaux. Cela n’a peut-être pas suffi à renverser la tendance et échapper à l’inévitable, mais ce fut un court moment de remarquable créativité qui n’a, depuis, jamais eu lieu à nouveau. La Dreamcast n’a pas tenu une moitié de génération dans le temps mais elle a laissé un héritage dont la plupart des machines serait fière. Même une décennie plus tard, peu de machines éveillent encore autant d’émotions chez ses fans comme la petite merveille de SEGA.

IGN se souvient de la Dreamcast

Quand Bernie Stolar est devenu PDG de SEGA of America en 1996, les perspectives de l’entreprise étaient sombres. La PlayStation avait rapidement réussi à dévorer une grosse part du marché de SEGA : les joueurs plus vieux et aguerris qui avaient rejeté Nintendo comme étant trop « enfantin » et les fans de sports qui se chamaillaient à propos de la petite guerre entre Madden et Montana (NdT : les deux séries de jeux de football américain connues à l’époque). Pendant ce temps, Nintendo arrivait en retard, juste à point pour gagner le cœur de ses fans avec un fantastique nouveau Mario. SEGA avait réussi à garder les fans des jeux d’arcade mais cette tranche de joueurs fondait rapidement, à mesure que le marché de l’arcade entrait dans une spirale descendante de laquelle il ne s’est jamais relevé.

SEGA Saturn (photo : François Doury pour MO5.COM)

« Je considérais la Saturn comme une erreur, en tant que machine » remarque un Stolar impénitent. « Les jeux étaient clairement excellents, mais le hardware n’était pas à la hauteur. » Il est vrai que la Saturn était une machine inutilement complexe, qui manquait de l’ingéniosité qui faisait de SEGA un des leaders de l’Arcade. Dans un monde en pleine transition vers le CD-ROM et la 3D, les coûts de développement étaient déjà en train de grimper rapidement ; alors l’idée de programmer pour une console possédant deux CPU et deux processeurs graphiques n’était pas très engageante. Alors que certains auraient choisi de faire front dans cette bataille difficile, Stolar était surtout concerné par une guerre à plus grande échelle. Il souhaitait vraiment voir SEGA redresser la barre mais il savait que son futur ne passerait pas par la Saturn. « Je faisais partie des gens qui se sont battus pour l’arrêt de la Saturn en tant que plateforme. » admet-il. Cette décision a été un coup dur pour les fans de la Saturn et cela a en effet laissé les marchés occidentaux des consoles sans aucun jeu SEGA pendant plus d’un an.

Mais les fans ne pouvaient pas voir ce qui était en germe. Stolar n’a pas pris cette décision car il n’appréciait pas la Saturn mais parce qu’il savait que le développement de la machine suivante devait démarrer sur les chapeaux de roues. Plutôt que de diviser ses forces entre une cause perdue et leur dernière chance, il préféra miser toutes ses billes sur la Dreamcast. Stolar affirme que c’était aussi l’intention du président de SEGA Japon, Hayao Nakayama. « Nous avons discuté d’un nouveau système dans lequel je serai très, très impliqué. » se souvient-il. « J’avais à même de façonner la stratégie de cette machine, embaucher une nouvelle équipe et restructurer SEGA. » M. Stolar dit que les jeux étaient de la plus haute importance mais, en tant que critique virulent de la Saturn, il savait que hardware et jeux se devaient d’avancer main dans la main.

Il est notoire que SEGA Japon avait laissé sa fierté prendre le dessus durant l’ère 32 bits. Ils ont laissé passer des contrats qui auraient pu leur permettre d’avoir des technologies dignes de la PlayStation et de la Nintendo 64 mais, au lieu de cela, se dirigèrent vers une console « à la Frankenstein » constituée essentiellement de puces bon marché mais qui s’avérait très difficile à coder. Ils ont ignoré les exhortations de Tom Kalinske, alors PDG de SEGA of America, et du directeur R&D américain, Joe Miller, et ils en ont payé chèrement le prix. Cette fois-ci, ils dédièrent deux équipes séparées au développement de leur nouvelle machine. Tatsuo Yamamoto, d’IBM, menait le projet américain dont le nom de code était Katana et qui intégrait la puce américaine Voodoo de 3Dfx, qui avait révolutionné le monde du jeu sur PC. Au Japon, une équipe dirigée par le concepteur de la Mega Drive, Hideki Sato, travaillait avec ardeur sur Dural, avec des composants fournis par des géants nippons tels que Hitachi et NEC. La PowerVR de NEC ne connaissait pas le succès de 3Dfx sur le marché des ordinateurs mais les deux technologies concurrentes se battaient dignement.

La Dreamcast en a sous le capot

Le projet japonais l’emporta mais cette fois-ci avec raison. Alors que certains soutiennent que c’est dû à un litige avec 3Dfx à propos d’une annonce publique de leur collaboration avec SEGA avant toute signature (NdT : cette annonce publique était obligatoire pour 3Dfx de par les règles comptables et financières ayant cours aux États-Unis), cet incident n’a été que le coup de grâce. Les dirigeants des deux côtés de l’océan pacifique étaient convaincus que Dural était le meilleur projet. Alors que la Saturn arrivait à peine à suivre le vieux système d’arcade Model 2, cette nouvelle machine était vraiment au top, facilement capable de dépasser l’ancienne bête de course de SEGA, le Model 3. Et pour capitaliser sur ces capacités, ils créèrent la carte NAOMI, une version arcade de la nouvelle console qui combine économies, puissance et jeux interchangeables. Cela voulait donc dire que, pour la première fois, SEGA livrerait une véritable expérience de l’arcade à la maison quasiment identique à son hardware du moment.

Stolar voulait également que la Dreamcast soit la première console à être connectée à Internet dès la sortie de son carton mais ce n’était pas une vision partagée par les exécutifs japonais. Le jeu en ligne croissait rapidement en Amérique. Ultima Online amena le jeu massivement multijoueur à une nouvelle échelle de succès commercial et l’année 1999 fut celle de la sortie d’avancées en la matière comme EverQuest, Quake III : Arena ou Unreal Tournament. C’était le meilleur moment pour SEGA d’être à la pointe dans ce domaine. Stolar persuada les têtes pensantes chez SEGA Japon pour non seulement rendre la console compatible avec le jeu en ligne, mais aussi inclure directement un modem avec chaque machine. Cela n’avait jamais été fait avant et il faudrait attendre un certain temps avant que la concurrence ne les rattrape.

SEGA

Bien sûr, la partie logicielle était toute aussi importante et c’est là que les efforts de Stolar allaient payer. Il était difficile pour les fans de voir la Saturn abandonnée mais c’est parce qu’ils ne pouvaient pas voir à quoi ces ressources étaient allouées. La Sonic Team de Yuji Naka récupéra la mascotte de SEGA, la sauvant des limbes dans lesquelles elle était tombée avec le studio américain de SEGA, STI. Naka ne s’était jamais réjoui d’avoir perdu le « blue blur » (NdT : l’un des surnoms donnés à Sonic dans les pays anglo-saxons) alors même qu’il travaillait sur d’autres projets, et il imaginait un retour en grâce triomphant pour la série qui permettrait de donner le change tant attendu à Mario 64. SEGA a aussi détourné un de leurs projets les plus ambitieux vers leur nouvelle machine. L’architecte de Virtua Fighter, Yu Suzuki, était en train de développer un jeu d’action/aventure épique initialement pensé comme un spin-off de son célèbre jeu de combat. Shenmue s’est vite transformé en un projet bien plus grand et il est devenu évident qu’il n’arriverait pas à temps pour la génération 32 bits. Il a été relancé et la puissance du nouveau hardware rendait le projet encore plus excitant. Cependant, là encore, le jeu ne serait pas à l’heure pour le jour J alors SEGA commanda à Genki un portage de Virtua Fighter 3.

Virtua Fighter 3tb

Le lancement japonais de la Dreamcast fut assez banal. Arrivée dans les dernières semaines de l’automne 1998, sa sortie fut entachée par des pénuries de composants NEC et les ventes se firent au compte-gouttes. Les jeux du lancement manquèrent également le coche. Virtua Fighter 3tb n’avait pas l’air aussi bon que son équivalent sur borne d’arcade, qui était déjà vieux d’un peu plus de deux ans et n’avait jamais été aussi populaire que ses prédécesseurs. Godzilla Generations et Pen Pen Tri-Icelon reçurent de mauvaises notes et pouvaient difficilement passer pour des démonstrations techniques de la machine. Un mois plus tard, Sonic Adventure arriva heureusement juste avant Noël pour sauver les fêtes de fin d’année des premiers acheteurs au Japon mais le mal était fait, du moins en partie. Les fans et les éditeurs « third party » (*) en voulaient à SEGA d’avoir abandonné la Saturn alors qu’elle représentait encore une part non négligeable du marché et ce lancement en demi-teinte ne les aida pas à changer d’avis.

L’été suivant, alors que les Américains étaient encore en train d’attendre nerveusement la nouvelle génération, la Dreamcast se dota d’un jeu au succès surprenant au Japon. Yoot Saito, plus connu pour le jeu culte Sim Tower, décida de capitaliser sur la folie encore récente des animaux virtuels avec un « simulateur de vie » unique baptisé Seaman. Saito alla à contre-courant de tout ce que ce genre de jeu représentait et c’est ce qui le rendait, d’une certaine manière, encore plus attirant. Seaman n’était pas mignon – en fait, c’était une chimère mi-homme mi-poisson – et il était tout sauf charmant mais avec l’aide d’un accessoire-microphone et son impressionnante reconnaissance vocale, la créature caustique pouvait tenir des conversations assez amusantes. Bien que Seaman pouvait difficilement être appelé un « jeu » dans le sens habituel du terme, il se révéla être le premier must sur cette machine en difficulté.

L’arrivée en Amérique

Visual ConceptsSur notre continent (NdT : l’auteur est américain), un début timide ne serait pas envisageable. SEGA s’est donné 10 mois pour préparer un lancement comme jamais le monde n’en avait vu. La société aurait besoin de quantité, de qualité et de visibilité et Bernie Stolar s’était assuré qu’elle disposerait de tout cela avec un éventail complet de jeux de lancement pour satisfaire n’importe qui. Ils mirent tout ce qu’ils avaient dans cette machine sachant pertinemment que cela serait certainement leur dernière chance. Dans l’année qui a précédé la sortie de la Dreamcast aux États-Unis, SEGA avait annoncé des pertes de 378 millions de dollars, mais c’était un investissement pour l’avenir.

En Amérique, SEGA a bâti son empire grâce au succès des jeux de sport sur la Genesis (NdT : le nom américain de la Mega Drive). Sony, à son tour, lui avait arraché ce marché en récupérant Electronic Arts. Stolar le savait très bien puisque c’était lui qui avait organisé cette transaction à l’époque où il travaillait chez Sony. À ce moment-là, EA avait demandé à Visual Concepts de porter la franchise pour les débuts de la PlayStation et bien que cette édition fut annulée avant son terme, Stolar se souvint de ce qu’il avait vu. SEGA devait se racheter dans le domaine du sport et il en était de même pour Visual Concepts alors, sur les ordres de Stolar, ils ont acquis le développeur californien pour dix millions de dollars, afin de les aider à développer avant tout le monde un incontournable du jeu de football américain. Évidemment, le nom de Madden avait de l’influence alors Bernie appela également Larry Probst pour voir s’il était possible de renouveler leur partenariat et bâtir la plateforme de jeux de sport ultime.

SEGA Sports NFL 2KEA était prêt à jouer mais ils négocièrent très durement. Stolar s’y attendait – lorsqu’il était chez Sony, EA avait négocié un coût de licence plus de quarante pourcent moindre que la concurrence. Malheureusement, cette fois, les exigences d’Electronic Arts étaient trop élevées. Ils voulaient l’exclusivité du développement des jeux de sport pour la future Dreamcast – et cela incluait également SEGA. Avec l’achat de Visual Concepts déjà conclu, SEGA choisit de se concentrer sur ses ressources en interne et de tenir tête à EA. La réponse d’Electronic Arts sembla presque personnelle. Ils jurèrent de ne jamais sortir un seul jeu sur Dreamcast et d’écraser SEGA avec leur nouvelle génération de jeux Madden NFL. Le refus d’EA de développer sur Dreamcast est souvent cité comme une des raisons principales pour lesquelles la machine ne put rivaliser avec la PlayStation 2. Malgré cela, les jeux de sport sont probablement le domaine dans lequel SEGA était le mieux préparé pour les affronter. Stolar reste confiant encore aujourd’hui à ce propos, allant jusqu’à dire que « si vous regardiez NFL 2K, ce jeu était meilleur que Madden ». Les fans et les critiques furent nombreux à acquiescer.

Le marché européen a depuis longtemps été plus gentil envers SEGA que les deux territoires d’où proviennent les jeux. La Master System survécut dans les territoires PAL des années après qu’elle ne fut abandonnée aux États-Unis et au Japon et ils firent même mieux durant la guerre des consoles 16 bits. Pour la première fois, SEGA décida de fonder un studio européen – ou plutôt de racheter les développeurs parmi les plus créatifs en France, Adeline Software. Dirigée par Frédérick Raynal, une icône de l’industrie, la société Adeline devint No Cliché et elle s’investit entièrement dans sa mission de créer des jeux originaux pensés pour le marché européen. La durée de vie de No Cliché fut courte mais leur début avec Toy Commander fut assez mémorable.

Stolar se souvint également à quel point Mortal Kombat fut important pendant la première année de la PlayStation ainsi que pendant l’ère des 16 bits alors il courtisa Midway afin d’être sûr que la Dreamcast puisse se doter de son propre Kombat pour le lancement. La série avait certes perdu un peu de sa superbe depuis son passage à la 3D mais avoir une version exclusive (basée sur MK4) ne ferait certainement pas de mal. Midway soutint le lancement de la Dreamcast autant qu’elle le put avec une nouvelle version de NFL Blitz et un portage de Hydro Thunder pour la sortie de la machine. Le soutien des éditeurs « third party » japonais était aussi important. Capcom développait déjà sur NAOMI dans les salles d’arcade et sortir sur Dreamcast leur jeu de combat en 3D, Power Stone, semblait être une évidence pour le lancement américain. Namco fut un peu plus compliqué à convaincre. Ils s’en étaient très bien sortis sur la machine de Sony et étaient toujours plus enclins à développer sur les bornes à base de carte PlayStation en arcade. Tekken était trop gros pour pouvoir être offert à SEGA alors ils optèrent à la place pour l’option de raviver leur jeu de combat 3D SoulCalibur. Namco fit cela juste pour contenter SEGA – la série n’était pas si populaire à l’époque – mais la version Dreamcast de son jeu avec armes blanches devint si célèbre que cette licence finit par rivaliser avec le porte-étendard de Namco.

Bien sûr, la pièce maîtresse du line-up américain était Sonic Adventure. Le grand retour de la mascotte semblait impossible mais cela ne fit qu’augmenter l’excitation. Effectivement, après être resté sur le banc de touche durant la génération 32 bits, beaucoup se demandaient si Sonic pouvait vraiment réussir le passage à la 3D. Mario l’avait fait, mais aux dépens du côté « plateformes » classique pour lequel il était si connu. Sonic aurait à travailler deux fois plus dur pour passer à un jeu de type « monde ouvert » tout en conservant sa marque de fabrique rapide comme l’éclair. Heureusement, la Sonic Team fut à la hauteur.

SonicLe lancement de la Dreamcast fut un sacré évènement. SEGA dépensa cent millions de dollars dans sa publicité et rapidement, il n’y eut pas un joueur qui n’était pas au courant que la nouvelle machine arrivait le 9/9/99. Il y avait 17 jeux pour l’accompagner, dont suffisamment de titres acclamés par la critique pour rendre le choix difficile. À mesure que la date approchait, Bernie Stolar – jamais populaire auprès des fans de SEGA – se tint de plus en plus à l’ombre pendant que le vice-président du marketing, Peter Moore (NdR : aujourd’hui à la tête d’Electronic Arts, ironiquement) endossait le rôle du porte-parole. Il ne fallut pas longtemps pour que Stolar s’en aille et que Moore devienne le prochain président de SEGA of America. Moore aborda la sortie avec une rhétorique calme et sereine qui reflétait l’excitation du moment, sans le désespoir. Malgré cela, nous savons tous ce qui était en jeu. Si la Dreamcast n’avait pas le succès escompté, cela signifiait la fin de SEGA tel qu’on le connaît. Mais le 9 septembre, Peter Moore se sentait plutôt bien. Le premier jour du lancement battit tous les records non seulement pour un lancement de machine de jeu vidéo, mais aussi pour n’importe quel marché du divertissement. Selon SEGA, les ventes de la Dreamcast, de ses jeux et de ses accessoires ont engrangé plus d’argent que n’importe quel jour de sortie d’un film au cinéma ou en vidéo, ou d’un album de musique de toute l’histoire. SEGA semblait bien parti.

Vue de l’intérieur

Ayant survécu à l’ère des 32 bits avec seulement quelques précieuses franchises de premier plan, SEGA se trouvait dans une position délicate. Plateforme possédant essentiellement des jeux « first party », la Dreamcast avait besoin de jeux à succès mais beaucoup des meilleurs jeux de la Mega Drive n’étaient plus en vogue et un nouveau Vectorman ou un nouvel Altered Beast ne pourrait pas rivaliser avec un Metal Gear ou un Mario. Une poignée des meilleures licences ont été repensées entièrement comme Phantasy Star qui devint « online » ou Sonic qui partit à « l’aventure », mais pour rester compétitif, ils avaient besoin d’idées fraîches.

Durant la transition entre la Saturn et la Dreamcast, SEGA a restructuré ses imposantes équipes de développement – à la fois la division arcade « AM » et les studios de développement pour console « R&D » – en studios « second party » plus petits et semi-autonomes. Bien que devant toujours rendre des comptes à la maison-mère, chaque studio s’est vu donné une liberté de création inédite jusque-là pour explorer de nouvelles pistes, tant sur le plan des idées que sur celui du hardware. Alors que ces équipes étaient autrefois pratiquement anonymes, elles naviguaient maintenant sous leurs propres pavillons que leurs fans pouvaient voir et il ne fallut pas longtemps avant que ces studios ne développent leur propre personnalité et leurs propres inconditionnels. Cette organisation ne dura pas longtemps ; quand Sammy racheta la société en 2003, ils consolidèrent à nouveau les studios faisant en sorte que ce bref et créatif moment soit à tout jamais lié à la dernière console de SEGA. Mais cela fait surtout partie de l’héritage de la Dreamcast. Et puisque l’on parle de l’histoire de cette console, nous aimerions revenir sur certains de nos studios « first party » de SEGA préférés.

United Game Artists

Alors que la plupart de ces studios « second party » récemment formés par SEGA étaient de simples renommages d’équipes déjà existantes depuis le précédent remaniement de 1991, United Game Artists était vraiment nouveau. Dirigé par Tetsuya Mizuguchi, ancien chef de l’équipe AM3 et producteur de Sega Rally, « AM Annex » (comme il fut brièvement appelé) avait pour but d’apporter quelque chose de différent à la dernière console de SEGA. UGA réussit à retourner les sempiternelles critiques de « la forme avant le fond » en devise personnelle. Leur courte existence prouva jusqu’où une apparence éblouissante pouvait aller. Leur premier titre, Space Channel 5, n’était, pour ainsi dire, rien de plus qu’un jeu musical de « Jacques a dit » sur son 31, basé sur le modèle de Parappa The Rapper, mais sa seule personnalité lui permit de gagner le cœur des fans. Situé dans un futur lointain, le jeu était funky, rétro et carrément contagieux.

UlalaSpace Channel 5 ressemble à une sorte de 2001, L’Odyssée de l’espace qui aurait été conçu par les architectes des rébus des années 60 (NdR : il semble surtout fortement inspiré du clip Scream de Michael Jackson). Ce design est comme un élégant exercice dans le style populuxueux (*) qui serait si kitsch qu’il en devient à la mode. Au centre du jeu, Ulala, une jeune et sexy « reporter de l’espace » dans une (mini-)mini-jupe en vinyle, s’est avérée l’une des créatures les plus attirantes que les joueurs aient vu depuis Lara Croft. La musique aussi était rétro un peu à contre-courant, construite autour d’une composition jazzy peu connue, le « Mexican Flyer » par Ken Woodman. Mizuguchi n’était pas du tout intéressé par les dernières tendances et ces sonorités issues des années 60 lui permettaient de rehausser l’imagerie « googie » (NdT : un autre nom pour le populuxueux) et la personnalité « groovy » du jeu. Tout ceci permit la réalisation d’un produit qui fut bien plus que la somme de ses différentes parties. Quand le jeu sortit en 2000, IGN lui accorda la note de 9,2/10 malgré un manque de consistance au niveau du gameplay.

La conception sonore en avance sur son temps de Space Channel 5 n’était cependant que le début. Mizuguchi se fixa pour priorité de mélanger le son et l’image de façon à la fois profonde et musicale. Inspiré par le peintre Wassily Kandinsky, il fit de la synesthésie, le mélange des sens, le thème de son projet suivant. Il souhaitait que les joueurs voient et sentent la musique se créer autour d’eux. Ce fut le début de Rez. Dans le fond, Rez est un jeu très simple. C’est essentiellement un Panzer Dragoon linéaire, son gameplay consistant à bouger le curseur pour verrouiller des cibles qui sont alors détruites par des tirs à tête chercheuse – et c’est à peu près tout. Le chemin parcouru était prédéfini, la caméra fixe et les changements dans l’armement, purement cosmétiques. Sur le papier, cela s’annonçait sacrément ennuyeux mais la progression au rythme parfaitement maîtrisé emmenait le joueur vers un voyage dans l’abstrait qui lorgnait vers le transcendantal.

Cela démarrait avec une simple ligne et un battement. Chaque ciblage était illustré par le son d’une caisse claire et quand les tirs fusaient, une mélodie résonnait à travers l’obscurité, accompagnée par une explosion de couleurs. La vague suivante ajoutait le bruit sourd d’une grosse caisse et quelques formes géométriques simples. Petit à petit, les graphismes et la musique devenaient de plus en plus complexes jusqu’à ce que le joueur fût complètement submergé par le son et l’image. Ce genre d’expérience était une première. L’élément musical n’était pas significatif pour le gameplay – il n’y avait pas de points supplémentaires si on jouait en rythme – et pourtant il était tout simplement impossible de ne pas balancer la tête ou taper du pied. L’esthétique abstraite, et légèrement inspirée par Tron, était caractéristique et audacieuse mais elle avait du sens au regard d’une représentation graphique des airs techno du jeu.

Rez

Rez ne fut pas un succès commercial et la version Dreamcast ne sortit même pas en Amérique du Nord (NdT : elle le fut en effet uniquement au Japon et en Europe. Mais les États-Unis n’eurent pas à attendre longtemps car la version PS2 sortit presque en même temps) mais son sound design innovant fut l’un des plus influents de cette génération de consoles et même au-delà. Nombreux furent les jeux, de Everyday Shooter à Space Invaders Extreme, à avoir copié l’esprit synesthésique et le look abstrait de Rez, et les jeux grand public sont encore plus nombreux à avoir mis en avant la musique dynamique comme rarement auparavant. Avant que le couperet ne tombe, UGA retourna à son premier amour. Le bizarrement intitulé Space Channel 5 Part 2 fut l’ultime concrétisation de leur vision d’origine, reprenant le projet artistique simple que fut le premier épisode et l’étendant en un chef-d’œuvre musical à part entière. Les leçons apprises avec Rez arrivèrent jusque dans le monde d’Ulala mais en lieu et place de l’abstraction, cette fois cet esprit fut utilisé pour créer un spectacle musical interactif.

Le premier épisode était cruellement limité par ses décors en rendu pré-calculé et chargés directement depuis le disque. Cela voulait non seulement dire que les personnages et les décors étaient souvent en léger décalage mais cela imposait également beaucoup de limitations pratiques sur la densité de l’action à l’écran. Les images en temps réel de cette suite étaient non seulement plus détaillées et mieux stylisées mais aussi pleines de vie. Le gameplay resta pratiquement le même. Mis à part l’ajout d’un second bouton d’action et l’inclusion de bonus cachés à certains endroits, il était identique mais la forme fut si travaillée qu’elle éleva le jeu bien au-delà de son prédécesseur. Sauver les otages ajoutait des couches musicales subtiles ou évidentes et Ulala prenait part à des des défis vocaux et instrumentaux, jusqu’à réunir un groupe de musique complet (avec « Space Michael » Jackson). Alors qu’il ne remontait qu’à deux ans, UGA parvint à rendre le premier Space Channel 5 désuet.

United Game Artists ne fit plus aucun jeu original après la chute de la Dreamcast. À la suite de la fusion avec Sammy, ils furent réunis avec la Sonic Team et Tetsuya Mizuguchi partit continuer son travail avec une nouvelle société, Q Entertainment. Bien que tous leurs jeux fussent portés sur PlayStation 2, leur héritage reste inextricablement lié à la Dreamcast. Leur esprit reste d’ailleurs présent dans certains des jeux suivants de la Sonic Team comme Feel The Magic (NdT : Project Rub en France, 2004) ou Rub Rabbits, mais ils ne récupérèrent jamais vraiment leur « mojo ».

Hitmaker

Constitué en 1991, le département AM3 de SEGA fut l’un des meilleurs studios dédiés à l’arcade de la société mais ne bénéficia que de peu de crédit alors que son aîné profitait de toute la gloire. Ils réalisèrent des titres mythiques de la génération 32 bits avec Sega Rally et Virtual On et tant d’autres classiques de la période pré-3D. Quand Tetsuya Mizuguchi partit pour créer United Game Artists, ils se regroupèrent sous l’égide de Hisao Oguchi. Alors que les nouveaux studios créés dans ce contexte jouissaient de plus de liberté et n’étaient plus forcés de choisir entre l’arcade ou les consoles, Hitmaker ne perdit en rien son amour des machines à sous. Mieux, avec la carte NAOMI, l’arcade et les consoles marchaient main dans la main. Leur premier projet en tant que nouvelle compagnie fut un jeu de course plus ou moins déguisé qui apportait une nouvelle vision à l’un des genres les plus joués en arcade.

Dans le marché « arcade » en déclin rapide en cette fin 90, il semblait que les seuls genres de jeu existant étaient les jeux de tirs avec accessoires, les jeux de combat, les jeux de rythme et les jeux de course, et ils étaient tous de plus en plus prévisibles. SEGA avait déjà essayé d’introduire un peu d’originalité dans l’arène des jeux de course avec Emergency Call Ambulance ou Harley Davidson & L.A. Riders, mais ils étaient tous deux « multi-linéaires » au mieux. Oguchi rêvait d’un jeu qui combinerait les sensations fortes d’un jeu de course d’arcade avec le côté « monde ouvert » d’un jeu bac à sable bien avant que ce genre ne se démocratise.

Crazy Taxi

Crazy Taxi (NdT : créé par notre membre d’honneur, Kenji Kanno) éliminait les traditionnels « checkpoints » et, à la place, parsemait la ville ouverte avec un certain nombre de clients qui avaient chacun leurs propres destinations. Il ne s’agissait donc pas d’être simplement doué ; choisir les courses demandait de la stratégie. Avec sa physique exagérée et sa Côte Ouest fofolle à parcourir, le jeu parvenait à mélanger San Francisco Rush, Out Run et une vraie dose d’originalité, le tout dans un emballage pop-punk soigné. Crazy Taxi devint rapidement un must pour toutes les salles d’arcade et sa borne jaune pétant servait d’apéritif appétissant pour l’imminente version console. Quelques mois plus tard, Crazy Taxi arriva sur Dreamcast dans un portage parfait. La version sur console de salon ajoutait certes une ville mais pas beaucoup plus. Fidèle à l’original jusque dans l’absence d’un mode « histoire » plus conséquent, le charme du fun instantané suffit pour en faire l’un des rares jeux vendus à plus d’un million d’unités. On pouvait y jouer pendant des heures, par petites parties de quinze minutes.

Hitmaker était en train de mériter son nom (NdT : le faiseur de jeux à succès) et leur incursion dans le monde du sport ne fit pas exception. Virtua Tennis s’essaya à l’un des sports les plus simples et les plus rebattus du jeu vidéo, et apporta à lui tout seul une vraie vague de fraîcheur au genre. Les jeux de tennis avaient vraiment peu changé depuis Pong dans le fond. Virtua Tennis fut singulièrement brillant pour son mélange de la simplicité et l’immédiateté de l’arcade avec un réalisme et une subtilité qui permettaient de tirer parti du meilleur des deux mondes. Les fans de ce sport pouvaient s’adonner sérieusement au jeu et les joueurs occasionnels pouvaient y jouer même s’ils n’avaient jamais vu de match de tennis. Ce fut l’une des meilleures ventes de la console et sa suite sortit peu de temps après. Nintendo répliqua l’année suivante avec Mario Tennis et bien d’autres sautèrent dans le train en marche.

Le jeu de Hitmaker qui suivit Crazy Taxi en arcade fut Jambo! Safari, un jeu à monde ouvert qui combinait la conduite avec un lasso mécanique, le tout se jouant comme un jeu de pêche. Il n’atteignit jamais le succès des autres jeux de la société et ne fut jamais porté sur Dreamcast. En lieu et place, Hitmaker lui offrit l’exclusivité de Crazy Taxi 2, ajoutant deux nouveaux niveaux inspirés par New York et la possibilité de sauter. Cette suite ne fut jamais tenue en aussi haute estime que l’original mais cela ne l’empêcha pas d’être également une bonne vente. Hitmaker mis ensuite en vente des jeux aux succès plus limités comme Confidential Mission, un jeu de tir au pistolet qui mixait James Bond et Virtua Cop ainsi qu’un portage de leur suite de Virtual On, mais ils ne réussirent plus jamais à renouer avec leurs premiers succès. Cependant, ce fut en mars 2001, alors que les usines fermaient à jamais leurs lignes consacrées à la Dreamcast, que le studio donnait au monde ce qui est probablement leur jeu le plus mémorable.

Segagaga est l’une des œuvres d’art interactives les plus étrangement auto-référentielles jamais conçues. On y trouve un fatalisme qui montrait que SEGA savait l’aventure terminée et le résultat final fut une fantaisie absurde sur leur triomphe grâce à la volonté des fans. Mélange entre simulation et RPG, le jeu vous met dans la peau du chef de SEGA dans une réalité alternative bizarre où les personnages de la firme sont bien réels et où les entreprises ne bataillent pas que sur le terrain commercial. En surface, le jeu semble être un hommage de SEGA à lui-même mais c’en était surtout un pour ses fans. Était-ce une manière pour SEGA de dire au revoir ?

Segagaga

La bizarrerie et l’auto-parodie de Segagaga témoignent de la liberté de création de l’ère de la Dreamcast. Quand Tetsu « Tez » Okano approcha Oguchi, son argumentaire fut pris pour une blague. Le budget qu’on lui accorda fut petit mais le projet continua par passion, tirant le meilleur possible des maigres ressources et laissant l’histoire parler pour elle. Alors que la majeure partie du développement se passa à l’ombre de Shenmue, il était devenu clair que le sauveur ne viendrait pas. Hitmaker consola ses fans d’une façon unique et qui lui est propre. Après que la version virtuelle de SEGA fermait ses portes vers la fin de Segagaga, le joueur rencontrait un Alex Kidd travaillant dans une boutique de jeux vidéo. Cette ancienne mascotte connaissait la douleur de la chute en disgrâce, s’étant confrontée à un certain hérisson bleu. Il expliquait pourquoi ces changements sont inéluctables et que toutes les bonnes choses ont une fin mais que l’important est de toujours aller de l’avant. C’était à la fois une affirmation du fatalisme de SEGA et une leçon concrète que nous avons tous dû apprendre à la dure.

Smilebit

Durant la guerre des 32 bits, SEGA subit une lourde défaite, mais ce n’était certainement pas à cause d’un manque de jeux de qualité provenant des équipes du département AM6 qui comprenaient la vénérable Team Andromeda, connue par la série Panzer Dragoon. Après la fin de la Saturn, les équipes furent dissoutes mais de ces décombres émergea Smilebit, le nouveau département AM6. Shun Arai, un producteur responsable de la plupart des portages PC de SEGA à l’époque, prit la tête du nouveau studio et c’est ainsi qu’une des étoiles les plus brillantes de la Dreamcast naquit. Au début, Smilebit travaillait à l’adaptation de titres d’autres équipes. Ils portèrent ainsi Sega Rally 2 de SEGA Rosso de la Model 3 à la Dreamcast, donnant à cette dernière un de ses premiers jeux de course. Il fut accompagné d’un projet considérablement plus bizarre : Typing of the Dead, un détournement de House of the Dead 2 avec des claviers à la place des flingues. Ce ne fut pas un énorme succès et il ne fut de toute façon pas envisagé comme tel, mais il prouvait que le studio pouvait sortir des sentiers battus.

Typing of the Dead

Ce ne fut pas avant leur jeu suivant que le monde entier prit conscience de l’existence de Smilebit. Jet Set Radio fit sensation quand il fut dévoilé au Tokyo Game Show de 1999. La courte vidéo de trente secondes qui tournait en boucle ne révélait que peu de choses concernant le gameplay mais les graphismes suffisaient à en faire LE sujet de conversation du salon. Utilisant une technique appelée « cel shading » habituellement réservée aux séquences précalculées, elle mettait en avant des graphismes 3D rappelant les celluloïds de dessins animés avec des ombres pleines et des contours marqués. Des jeux plus anciens comme Fear Effect avaient déjà tenté de faire un simili « cel shading » mais Jet Set Radio le fit pour de vrai et avec plus de style et de peaufinage que n’importe qui auparavant.

Jet Set RadioLorsque Jet Set Radio fut commercialisé, d’autres jeux étaient déjà en train d’essayer de copier cette technique. Aucun ne parvint à le faire avec autant d’élégance que Smilebit. Cette esthétique inspirée par les graffiti n’avait jamais été vue avant dans un jeu en 3D et elle parvint à convaincre des partisans les plus fervents de l’art de la 2D que la 3D en temps réel avait trouvé sa voie artistiquement. La bande-son n’était pas moins audacieuse. Composée par Hideki Naganuma, un petit nouveau, la musique était construite presque exclusivement autour de multiples samples assez complexes. Cela donnait un style hip-hop et funky original, non seulement pour une musique de jeu vidéo mais aussi pour de la musique tout court. Pour compléter la bande originale, Naganuma étoffa les pistes musicales avec certains de ses airs favoris de la scène underground tokyoïte, notamment le groupe de rock indépendant Guitar Vader. Mais le jeu ne favorisait pas la forme au détriment du fond. Jet Set Radio était une tentative unique dans le genre du jeu de skate qui faisait complètement fi de l’influence de Tony Hawk’s Pro Skater et des jeux de course l’ayant précédé. Au lieu de cela, il restait fidèle aux racines arcade de SEGA avec un gameplay basé sur l’action qui demandait aux joueurs de rouler et de « grinder » pour faire des graffitis tout en évitant les tanks et les hélicoptères de la police. Il y avait un certain sens du raffinement dans le level design, généralement réservé aux jeux d’arcade dans lesquels les parties se succèdent. Jet Set Radio était un jeu vraiment bien fini, typique de ce que seul SEGA aurait pu créer.

Hélas, ce ne fut jamais le « hit » que SEGA aurait pu espérer. Une version plus complète sortit sous le nom Jet Grind Radio en Amérique du Nord mais elle aussi souffrit de ventes ternes. Malgré cela, ce fut l’un des jeux SEGA les mieux notés par la critique, obtenant au moins 9/10 dans presque toutes les grandes publications de l’époque. Si l’on exclut l’adaptation assez libre sur Game Boy Advance, Jet Set Radio ne fut jamais porté sur d’autres machines (NdT : l’auteur a raison mais il est difficile de ne pas mentionner sa suite sur Xbox, Jet Set Radio Future) et est devenu l’une des meilleures raisons d’avoir une Dreamcast.

Leur jeu suivant fut Hundred Swords, un des titres les plus inattendus de la part de SEGA pendant l’ère Dreamcast. C’était un jeu de Stratégie en Temps Réel ouvertement tourné vers un style occidental ; le genre RTS est traditionnellement aussi évité au Japon que peut l’être celui des simulations de drague en Amérique. Ils signèrent un contrat avec Yoshio Sugiura, un illustrateur indépendant doté d’un style occidental unique, pour créer les créatures et les personnages du jeu. De plus, l’équipe créa un monde de « fantasy » jamais vu. Il est assez évident que Smilebit n’était pas expert en RTS et Hundred Swords pouvait, au mieux, être considéré comme un représentant du genre accessible et linéaire, sans idée vraiment originale. Au Japon, le genre, le style et l’histoire suffirent pour le faire sortir du lot mais SEGA refusa de le sortir aux États-Unis avant qu’il ne fasse ses preuves sur PC un peu plus tard. Entretemps, Warcraft fut commercialisé et rendit dès lors Hundred Swords complètement désuet.

Jet Set RadioConsidérés comme les nouveaux rois du style, les gens de Smilebit voulaient, pour succéder à Jet Set Radio, quelque chose arborant un visuel qu’ils dénommèrent « anime dimension ». Ils dévoilèrent Gunvalkyrie en 2000, un jeu prétendant utiliser à la fois la manette et le pistolet optique à l’unisson. Situé dans un 1906 alternatif dans lequel l’Empire Britannique combat des insectes extra-terrestres, Gunvalkyrie était tout aussi original que Jet Set Radio, sans être complètement similaire. Le jeu fut reporté plusieurs fois et il semblait qu’il puisse devenir l’un des derniers jeux de la Dreamcast. Cependant, un ultime délai l’en empêcha et il devint l’un des premiers de la Xbox, arrivant environ un mois après le lancement japonais de la console de Microsoft. La compatibilité du pistolet fut abandonnée et les contrôles par conséquent repensés pour s’adapter à une manette à deux joysticks analogiques. Il est probable que le jeu auquel nous avons pu jouer s’était éloigné de celui que l’on a raté.

Smilebit a pu profiter d’un peu de succès sur la Xbox avec Jet Set Radio Future et Panzer Dragoon Orta mais c’est encore et toujours le Jet Set Radio original qui demeure leur chef d’œuvre. Après la fusion, Smilebit fut anéanti, quelques-uns de ses membres créant la division japonaise des jeux de sports SEGA et d’autres rejoignant Amusement Vision pour former un studio qui finit par donner la série des Yakuza. Enfin, d’autres quittèrent la société pour de bon et il semble peu probable que le studio puisse un jour retrouver sa flamboyance d’antan.

Overworks

Formé à partir de nombreux membres des équipes derrière les séries Shinobi, Streets of Rage et Alex Kidd, Overworks n’a pas été le studio auquel beaucoup se seraient attendus. Au contraire, ils se firent un nom avec des personnages plus riches et des histoires hautes en couleurs – compétences affutées en travaillant sur des jeux comme Phantasy Star ou Sakura Taisen. Reiko Kodama, l’artiste derrière le Phantasy Star original – et plein d’autres titres old school sur consoles SEGA – dirigea le développement de la première licence RPG originale du constructeur depuis des années. Ni Square ni Enix (NdT : rappelons qu’à l’époque de la Dreamcast, les deux sociétés n’avaient pas encore fusionné) n’avaient l’intention de soutenir la Dreamcast alors SEGA fit de son mieux pour créer un RPG au tour par tour épique et qui pourrait constituer une alternative crédible pour les fans.

Skies of Arcadia

Situé dans un monde surréaliste dans lequel des îles flottent au-dessus d’un océan de nuages, Skies of Arcadia est une approche fantastique de l’âge de l’exploration. Niveau scénario, il n’y avait rien d’original – une bande de garnements optimistes décide de partir à la recherche de cristaux magiques pour renverser un empire maléfique – mais le style visuel époustouflant, la qualité de la bande-son et le monde unique étaient suffisamment captivants. Les graphismes entièrement en 3D temps réel balayaient tout ce que la génération précédente avait pu produire et les personnages chaleureux et attirants apportaient un changement rafraîchissant par rapport aux geignards moroses de certains jeux de Square. Skies of Arcadia n’obtint pas un grand succès mais finit par jouir d’un culte loyal et, tout comme Grandia II, donna une raison aux fondus de RPG de s’acheter une Dreamcast. Skies n’eut jamais droit à une suite, peut-être à cause des faibles ventes du portage ultérieur sur GameCube mais pas à cause d’un manque d’intérêt des fans.

Le nom « Sakura Taisen » ne pèse pas bien lourd ici, en Amérique, mais c’est une des raisons principales pour lesquelles la Saturn survécut aussi longtemps au Japon. Mélange d’aventure, de simulation de drague et de « tactical-RPG », les deux Sakura sur Saturn figurent parmi les plus grosses ventes de la console aux côtés de Virtua Fighter 2. Il était donc logique qu’une suite fasse partie des principales priorités de SEGA. Bien sûr, le développement d’un nouveau Taisen prendrait du temps alors Overworks fit attention à alimenter ses fans pendant ce temps. En 2000, ils purent assouvir leur satiété avec des portages sur Dreamcast des deux premiers opus bénéficiant d’améliorations mineures, et de la compatibilité des sauvegardes avec la suite qui devait sortir. Ce n’est pas avant mars 2001 que le jeu tant attendu sortit.

Sakura Taisen 3 donna un bon coup de balai en éjectant les personnages d’origine et en introduisant un tout nouveau harem de charmantes jeunes filles. Situé à Paris dans les années 1920, il perdit le charme de l’ère Taisho japonaise mais gagna un vent de fraîcheur bien nécessaire pour maintenir la série à flot. Le système de combat fut entièrement refait, délaissant les maps à base de grilles avec le passage à la 3D. La Dreamcast ne parvint pas à renouer avec le succès de la Saturn au Japon mais Sakura Taisen 3 fut tout de même chaleureusement accueilli. La nouvelle équipe, menée par Erica Fontaine, une nonne guerrière, était un successeur de qualité et le nouveau système de combat parvint à faire ses preuves. Overworks rempila une fois de plus avant la fin de la Dreamcast avec Sakura Taisen 4. C’était plus une sorte d’adieu qu’une vraie suite avec sa quête grandement abrégée mais qui réunissait les personnages des trois jeux précédents pour un final épique. Ceux qui avaient joué à tous les jeux Dreamcast pouvaient même importer leurs sauvegardes.

Après l’ère Dreamcast, Overworks continua son travail sur un nouveau Sakura Taisen et une suite de Shinobi attendue de longue date mais peu de temps s’écoula avant qu’ils ne soient obligés de fusionner avec Wow Entertainment et remis dans le giron principal. Les membres du studio restèrent créatifs et Valkyria Chronicles offrit une once d’espoir que le SEGA de jadis vivait toujours, quelque part dans ses bureaux tokyoïtes.

AM2

Aussi longtemps que SEGA a possédé des studios internes, AM2 a toujours été le chouchou du département arcade. Sous la direction de Yu Suzuki, le studio a produit à la chaine une foison interminable de jeux à succès dont Space Harrier, Out Run, After Burner ou Virtua Fighter. Sans AM2, SEGA n’aurait pas pu dominer les salles d’arcade comme il l’a fait. Quand Yu Suzuki décida qu’il voulait se tourner vers les consoles avec un jeu bien plus ambitieux, la direction de SEGA s’empressa de signer les chèques. Le premier jeu original pour console de Suzuki serait une épopée s’étalant sur douze chapitres et sur au moins trois jeux, avec un incroyable niveau de détail. Cela devait être le porte-étendard des capacités de la Saturn prouvant une fois pour toutes que la 32 bits de SEGA pouvait mener la lutte des jeux en 3D de front avec la PlayStation.

Le projet de Suzuki fut un gouffre financier. Le premier contretemps majeur intervint lorsqu’il fallut changer le support de développement du jeu de la Saturn vers la Dreamcast, mais ce ne fut que la partie émergée de l’iceberg de difficultés que connut le jeu. Le développement de Shenmue fut extravagant, irresponsable même, avec notamment des voyages pour la majorité de l’équipe vers des destinations exotiques en Chine alors que quelques photographes auraient suffi. Le niveau de détail demandé, atrocement élevé, était au-delà de tout ce qui avait été tenté jusque là et quel que soit la quantité de travail accompli, le but semblait toujours s’éloigner.

Shenmue

À l’origine, Suzuki avait espéré que le premier jeu de sa série inclurait cinq des douze chapitres de son épopée mais, à mesure que la date limite approchait, seul le premier chapitre était à peu près dans une forme commercialisable. Puisque tous les environnements étaient en place, ils optèrent pour un abandon des chapitres suivants et un gonflement des quêtes de ce premier chapitre pour en faire un jeu complet. Le reste devrait attendre une suite.

Le battage autour de Shenmue était phénoménal. Les premières démos techniques montraient des visages vivants et expressifs et des environnements d’un réalisme troublant, du moins selon les standards de l’époque. Il serait probablement difficile de faire comprendre à un enfant élevé à des jeux comme Grand Theft Auto IV (sic) pourquoi Shenmue était si ébouriffant mais ceux d’entre nous qui ont vécu ce moment s’en souviennent. Le monde de Shenmue n’était pas très grand mais il était entièrement modélisé, à tel point qu’on pouvait presque croire qu’on y vivait. Il était possible de faire ses courses dans une épicerie, jouer sur des bornes dans une salle d’arcade, visiter les bars du centre ville, et même obtenir un emploi et travailler. Ces détails peuvent sembler banals mais, accompagnés d’une atmosphère dense, une histoire épique et de musiques parfaites, cela rendait l’expérience plus crédible.

Shenmue fut l’un des plus grands triomphes de la machine mais il a tellement dépassé son budget qu’il n’y a jamais eu le moindre espoir qu’il soit rentable. Au moment de sa sortie, les estimations du coût total de développement s’élevaient à 80 millions de dollars. Le seul espoir de SEGA était donc de produire le reste de la série pour moins cher et espérer rester à flot. La majeure partie du travail pour Shenmue II étant déjà terminé puisque les chapitres suivants étaient censés figurer dans le premier jeu, les choses s’annonçaient plutôt bien.

Shenmue

Shenmue II fut en effet terminé pour une somme bien plus raisonnable et réussit même à surpasser son prédécesseur dans tous les domaines. S’étalant sur trois des chapitres imaginés par Suzuki, il contenait une histoire plus dense, un monde bien plus vaste et plus de variété que le premier. Il n’était pas forcément plus long mais cela permettait d’avoir un rythme plus trépidant. Wan Chai et Aberdeen pouvaient déjà sans mal rivaliser avec le Dobuita de Shenmue 1, mais visiter l’ex-capitale de la pègre de la citadelle de Kowloon et le troupeau de collines de Guilin élevait Shenmue II vers des sommets artistiques. C’était malheureusement trop tard. Lorsque Shemue II sortit, SEGA ne souhaitait plus publier de jeux Dreamcast en Amérique. La version anglaise finalisée parvint tout de même en Europe et quelques magasins américains comme Electronics Boutique importèrent ces versions pour les possesseurs de Dreamcast avides d’un baroud d’honneur. Finalement, une version pratiquement inchangée sortit sur Xbox mais à ce moment-là, les graphismes paraissaient dépassés et les consommateurs se détournèrent de ce chef d’œuvre, ne le considérant plus du tout d’actualité.

La division AM2 resta active dans les salles d’arcade, comme toujours, mais la période Dreamcast ne lui fut pas aussi chaleureuse que les précédentes. La critique ne tarit pas d’éloges pour Ferrari F355 Challenge et sa capacité à offrir une profondeur et un réalisme remarquables tout en gardant une sensibilité « arcade », mais il ne parvint pas à se faire une place dans les foyers. Outtrigger fut une des rares tentatives japonaises dans le genre des FPS mais son expérience en multijoueur ne tenait pas la route face à Unreal Tournament ou Quake 3. Leur dernier portage d’un jeu d’arcade sur Dreamcast, American Pro Trucker, était une variante japonisante de la traversée des États-Unis mais le jeu marchait mieux par escapades de 25 cents plutôt qu’avec une facture de $50. Leur ultime projet sur la Dreamcast était un jeu de combats aériens avec des parties en ligne jusqu’à huit joueurs. Propeller Arena n’avait rien de révolutionnaire mais il comblait une niche et permettait d’avoir une suite spirituelle intéressante à Wing War. Bien que pas aussi ambitieux que d’autres titres de SEGA, les fans attendaient les quelques dernières réalisations avec impatience. Le développement du jeu fut terminé à l’automne 2001 et le jeu devait sortir à la fin de cette même année.

Propeller Arena

Ce ne fut jamais le cas. Après les attaques du 11 septembre, SEGA déclara qu’un jeu avec des avions survolant de grandes villes ne leur semblait plus approprié. Cela a très bien pu n’être qu’un prétexte – après tout, il n’y avait aucun crash d’avion dans Shenmue II et ce dernier a quand même été annulé aux États-Unis. Quelle que soit la raison, Propeller Arena fut abandonné dans tous les territoires. Des versions pirates de la bêta finirent par confirmer que le jeu était en parfait état de marche mais aucune partie en ligne ne put jamais être lancée. AM2 se refit une réputation après la chute de la Dreamcast. Virtua Fighter fit son grand retour avec un excellent quatrième épisode. S’il était sorti sur Dreamcast en 2000, il aurait peut-être même pu renverser la tendance. Même après la fusion des studios de SEGA, leur division arcade restait l’une des rares à produire des jeux vraiment excitants sur ce marché vieillissant.

L’histoire est moins joyeuse pour Yu Suzuki. Après l’échec financier de Shenmue, SEGA ne lui a plus jamais fait confiance pour gérer à nouveau un projet à gros budget. Alors que la majeure partie des travaux préliminaires de Shenmue III était finie, il n’atteignit jamais le stade du développement. Les tentatives de poursuivre la série dans un RPG en ligne avec un développeur chinois ne fut que plus décevant. Même son jeu arcade Psi-Phy ne connut jamais une grande distribution. Bien qu’il ait produit une poignée de jeux après la Dreamcast, les choses ne furent jamais les mêmes. Au début de cette année (NdT : l’article a été écrit en 2010), il est parti en retraite anticipée, réduisant à néant tout espoir de le voir renouer avec ses triomphes passés (NdT : il a depuis ouvert un nouveau studio, YS NET, avec lequel il a sorti, sur téléphones mobiles en 2011, Cool Champ, basé sur Virtua Fighter, et un jeu original, Shooting Wars, en 2012).

Sonic Team

La Sonic Team de Yuji Naka fut une des rares équipes à ne pas être remaniée lors de la réorganisation de SEGA car elle avait obtenu un peu de liberté avant les autres. Durant la période des 32 bits, Naka réussit à convaincre sa direction de les laisser travailler sur des jeux originaux comme Burning Rangers ou NiGHTS, mais ils ne pouvaient ignorer bien longtemps la mascotte dont leur équipe porte le nom. Yuji Naka aurait souhaité tourner la page mais il semblait bien que personne d’autre ne pouvait reprendre le flambeau. La Saturn fut durement touchée de n’avoir pas eu de vrai Sonic (NdT : seuls Sonic 3D Blast, Sonic Jam et Sonic R sortirent dessus) et il était temps que le maître revienne.

Sonic Adventure (photo : François Doury pour MO5.COM)Passer Sonic en 3D n’a pas été une tâche aisée. Le monde du hérisson était pensé entièrement pour la 2D et Sonic 3D Blast ne fut pas un essai particulièrement réussi. La Sonic Team réussit à créer un monde entièrement nouveau dans lequel pourrait habiter le hérisson bleu mais avec un côté plus réaliste qui rejetait les motifs à damiers des anciens jeux. Elle parvint malgré tout à préserver la sensation de vitesse et la profondeur subtile tout en réinventant le reste. Sonic Adventure était évidemment la pièce de résistance du lancement de la Dreamcast et toujours considéré comme le sommet de la carrière post-16 bits de la mascotte. Malgré ce succès, Naka souhaitait toujours explorer de nouvelles voies. Chu Chu Rocket fut leur deuxième jeu sur la machine et il aurait difficilement pu faire plus différent. Partant d’un concept d’un petit jeu de réflexion utilisant des flèches de navigation, Chu Chu mettait les joueurs au défi de guider des souris vers des fusées tout en évitant des chats carnivores. Techniquement, c’était le genre de jeu qui aurait très bien pu être fait dans les années 90 et il ne mettait certainement pas le hardware sur lequel il tournait à genoux mais il était difficile de nier que le gameplay fût addictif.

Samba de AmigoIls poursuivirent avec Samba de Amigo, leur réponse à cette nouvelle frénésie des accessoires dans les salles d’arcade. L’esthétique vaguement inspirée par les Aztèques rappelait le SEGA du milieu des années 80 et son psychédélisme décomplexé. La musique surfa sur la vague éphémère de la pop latino avec des chansons comme Macarena ou Livin’ la vida loca et c’est paradoxalement la honte de jouer à Samba de Amigo en public qui le rendait encore plus intéressant. Une version domestique fut réalisée sur Dreamcast, fournie avec des maracas à détecteurs de mouvements pour ceux qui souhaitaient débourser 80$ supplémentaires pour s’humilier devant leurs amis.

Quand Bernie Stolar insista pour qu’un modem soit inclus dans la Dreamcast, il prévoyait un marché dans lequel les RPG en ligne massivement multijoueur régneraient en maîtres. La Dreamcast n’eut jamais de vrai MMORPG mais la Sonic Team réalisa la meilleure alternative possible. Phantasy Star Online fut une réinvention radicale de la saga culte avec une construction basée sur une expérience sociale en ligne. Le côté « MMO » était limité aux lobbys, le jeu à proprement parler étant surtout du hack and slash à quatre, à la manière d’un Diablo, mais c’était tout nouveau sur console, surtout au Japon (NdR : ce fut en plus le précurseur d’un genre aujourd’hui ultra populaire là-bas et dont Monster Hunter est le porte-étendard). Le succès de Phantasy Star Online fut suffisant pour permettre le développement d’une suite sur Dreamcast et de différentes révisions sur GameCube, Xbox et PC. La Sonic Team avait donc réussi à faire revivre une seconde licence à l’agonie durant la génération des 32 bits. Tout ce qui leur restait à faire était de confirmer ces succès.

Phantasy Star Online

Sonic Adventure 2 était plus qu’une simple resucée du premier. La nouvelle version était dotée d’un gameplay amélioré et épuré de l’overworld uniquement là pour remplir le disque. Ne restait donc qu’un pur jeu d’action avec trois styles de gameplay différents. Les niveaux étaient plus vastes et plus audacieux que tout ce que le jeu précédent pouvait offrir et le niveau de finition était bien supérieur à ce qu’il avait été possible de faire pour Sonic Adventure 1 qui était un jeu de lancement. La version Dreamcast remporta un succès critique presque universel et les ventes suivirent, en faisant l’un des derniers grands succès de la console. À peine huit mois plus tard, Sonic Adventure 2 arriva sur GameCube sous une forme pratiquement identique mais l’enthousiasme fut loin d’être aussi important. Le bon moment était déjà passé, et les disciples de Mario n’étaient pas aussi gentils. Depuis, Sonic donne l’impression de pourchasser sans relâche son ancienne gloire avec une réussite qui va decrescendo (NdT : heureusement, quelques titres comme Sonic and The Secret Rings ou Sonic Generations sauvent l’honneur).

La Sonic Team fut l’une des rares équipes à rester relativement intacte suite à la fusion avec Sammy, du moins en termes d’effectifs. Hélas, après l’échec du mésestimé jeu de plateformes Billy Hatcher sur GameCube, la Sonic Team se vit imposer de sévères contraintes de temps et de budget qui limitèrent définitivement leur capacité à produire des jeux bien finis. La série des Sonic continua donc à décliner et le nom « Sonic Team » suscite maintenant davantage le scepticisme que l’adoration.

La chute

La Dreamcast était probablement condamnée depuis le début. Tout au long de l’existence de SEGA, la société ne gagna jamais beaucoup d’argent et certainement pas grâce à ses consoles. La seule branche un tant soit peu rentable fut la division arcade. Même la puissante Mega Drive, forte de son succès en Amérique et en Europe, lui fit perdre énormément d’argent au Japon. SEGA vivait sur des emprunts, en temps et en argent. Plus spécifiquement, la compagnie était très endettée auprès de CSK, leur actionnaire principal (NdT : et à ce titre, propriétaire de SEGA entre 1984 et 2004). Isao Okawa (NdT : président de CSK jusqu’à sa mort en 2001) restait fidèle à SEGA et lui portait une confiance presque déraisonnable,  mais il devenait de plus en plus clair qu’investir dans les consoles était un mauvais choix. Okawa le pensait depuis des années mais lorsqu’il décida de se nommer PDG de la société, c’était devenu une évidence.

Le lancement de la Dreamcast fut tonitruant (NdT : Dreamcast pour laquelle Isao Okawa a donné 40 millions de dollars) et ses ventes se sont avérées saines pour la majeure partie de son cycle de vie mais quand Sony arriva avec sa PlayStation 2, les choses tournèrent au vinaigre pour SEGA. Afin de ne pas trop se faire distancer, le prix de la console fut réduit plusieurs fois pour dégringoler à $99 en 2001. Mais les coûts de fabrication étaient trop importants.

Dreamcast (photo : François Doury pour MO5.COM)

Les jeux étaient le seul espoir pour une rentabilité de la machine mais c’est là que se tapit une autre crise. La Dreamcast utilisait des GD-ROM, un format de CD double couche qui pouvait être uniquement fabriqué par SEGA (NdT : créé, entre autres, pour rendre le piratage plus difficile). Malheureusement, ils ne firent pas assez attention à la possibilité de la machine de lire les CD-R et les pirates ne mirent pas longtemps à trouver comment faire marcher des jeux gravés sans aucune modification matérielle. Sans réelle barrière technique et plus aucune protection, le piratage devint le quotidien de pratiquement tous les possesseurs de la 128 bits de SEGA qui ne payaient donc plus aucun de leurs jeux. Mais même en dehors de toutes ces considérations, la PlayStation 2 fut la grande gagnante. Avec sa capacité à lire les films en DVD et la puissance de la marque mise en place avec la génération précédente, le lancement de la PS2 battit le record de celui de la Dreamcast malgré la pénurie de machines Sony. À partir de ce moment, la Dreamcast était condamnée.

La décision finale de développer des jeux pour d’autres machines fut unanime de la part de Peter Moore et d’Isao Okawa et ce fut Moore qui eut la responsabilité d’effectuer la transition au mieux. En mars 2001, SEGA cessa la fabrication de nouveaux exemplaires et Isao Okawa, qui veillait sur SEGA depuis la fin des années 1970, trépassa. Il effaça la dette de SEGA, donnant ainsi à la compagnie une nouvelle chance durant cette transition vers le statut d’éditeur tiers. Même si c’était plus ou moins déjà écrit et que les rumeurs allaient bon train depuis des mois, les fans furent choqués et abasourdis à l’annonce de la fin prématurée de la Dreamcast. Moore prit son courage à deux mains et promit qu’ils continueraient de soutenir la console aussi longtemps que possible mais la plupart d’entre nous savaient que cela ne durerait pas. L’ultime jeu américain sur Dreamcast, NHL 2K2, sortit en février 2002, moins d’un an plus tard (NdT : Puyo Pop Fever est le dernier jeu SEGA sur la console, sorti le 24 février 2004 uniquement au Japon).

La vie après la mort

Il est ironique de se rendre compte que la Dreamcast mourut d’abord sur son plus gros marché. Ce fut ensuite le tour de l’Europe, quelques mois plus tard, avec Rez et Shenmue II comme chant du cygne. Et pourtant, c’est au Japon, où la machine ne décolla jamais vraiment, que la Dreamcast survécut encore pendant des années. La raison de cette longévité ne tenait pas tant au marché des consoles de salon qu’à celui des salles d’arcade, encore vigoureux là-bas. La carte NAOMI avait encore beaucoup de succès et avait remplacé la vieille MVS (NdT : la carte compatible Neo·Geo) en tant que machine d’arcade polyvalente et bon marché. Plus facile à programmer que les systèmes basés sur la PlayStation 2 et moins chère que les cartes fabriquées sur mesure, la NAOMI était parfaite pour les jeux peu ambitieux à destination des bornes génériques faciles à maintenir et disposant d’une grande base installée.

Le système NAOMI avait déjà les faveurs des shoot ’em up à son apogée avec les portages de Mars Matrix, GigaWing et Gunbird 2. Cependant, ce fut lorsque Treasure décida d’adapter leur pseudo-suite à Radiant Silvergun que les plus fervents fans de la Dreamcast s’enthousiasmèrent. Radiant Silvergun fut une sorte de chant du cygne de la Saturn en 1998 et sa légende s’est depuis muée en mythe. L’histoire semblait vouloir se répéter.

Ikaruga

Les shoots arcade n’étaient plus commercialement probants depuis l’ère des 16 bits mais la direction artistique sophistiquée et la mécanique de gameplay originale basée sur la « polarité » d’Ikaruga en firent l’un des jeux les plus importés de tous les temps aux États-Unis. Les joueurs qui s’accrochaient toujours à leur Dreamcast avaient maintenant une dernière raison de l’allumer. Mais ce ne fut en fait pas la dernière fois. Un mince filet de jeux continua à s’écouler. Psyvariar 2, Shikigami no Shiro II et Zero Gunner 2 offrirent des versions réellement améliorées de leurs aînés sur 32 bits et obtinrent un certain succès auprès des fans de shoot ’em up.

G.rev, le co-développeur d’Ikaruga, fut l’un des plus fervents supporters de la Dreamcast dans ses dernières années. Ils commencèrent avec le jeu de réflexion à tout petit budget, Doki Doki Idol Star Seeker. Ce projet développé en trois mois leur permit de gagner suffisamment d’argent pour produire leur chef d’œuvre, une suite spirituelle à Metal Black, appelée Border Down. Réunissant les meilleurs éléments de Taito et Technosoft, Hiroyuki Maruyama mit toutes ses tripes dans ce jeu de tir à scrolling horizontal. Il pensait que, si sa société devait mourir juste après cette sortie, il serait content, sachant qu’il lèguerait cet héritage.

Mais la société ne mourut pas. Au contraire, Border Down dépassa allégrement les ventes prévues et connut même plusieurs nouveaux pressages. C’est à présent l’un des meilleurs jeux exclusifs à la Dreamcast et sa cote sur les sites d’enchères en ligne s’élève à $200. Ils poursuivirent avec Under Defeat, un shmup en hélicoptère qui n’avait rien à envier aux jeux de Toaplan (NdT : le développeur de célèbres jeux du genre comme Tiger Heli). Sa cote aussi se compte en centaines de dollars et demeure l’un des meilleurs jeux exclusifs sur la machine. Under Defeat fut annoncé par son développeur comme l’ultime jeu de la console mais la Dreamcast semblait définitivement increvable ; Milestone sortit Karous et fit donc mentir G.rev.

Il n’est pas vraiment nécessaire de pleurer la chute prématurée de la Dreamcast. Malgré la brièveté de sa présence officielle sur le marché, elle vécut deux fois. De plus, la Dreamcast a eu plus de jeux « first party » que la GameCube ou la Xbox et leur qualité ne fut pas à démontrer. Beaucoup de constructeurs de console sont venus puis repartis de ce secteur d’activité mais peu en sont sortis avec autant de classe que SEGA.

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