SHADOW OF THE COLOSSUS
PlayStation 4
Catégorie : action/aventure
Joueurs : 1
Développeur : Bluepoint Games & Japan Studio
Éditeur : Sony
Date de sortie : 07/02/2018
Prix : 39,99 €
Site Officiel : https://www.playstation.com/fr-fr/games/shadow-of-the-colossus-ps4/
Shadow of the Colossus (2005) fait partie de ces classiques modernes qui ont su, à une époque où l’on pensait que tout avait déjà été inventé dans le jeu vidéo, ouvrir de nouvelles pistes. Comme beaucoup d’œuvres pionnières, elle tâtonne et trébuche parfois, et ce sont plutôt les titres influencés par elle qui en perfectionneront les meilleures idées des années plus tard. Il faut dire aussi que le chef d’œuvre de Fumito Ueda, centré sur le thème de l’immensité, était sans doute trop ambitieux pour la PlayStation 2… Les développeurs japonais ont cela dit toujours été très forts pour tirer parti des contraintes techniques, et compenser les limitations par une direction artistique de caractère ; le côté épuré des paysages couplé à des lumières contrastées donnaient un cachet monochrome, presque abstrait à l’ensemble. Néanmoins, même avec la meilleure volonté du monde, un mauvais framerate reste désagréable et difficile à justifier « artistiquement » ; ce n’est comme s’il n’y avait que les colosses qui mettaient hélas à genoux la console… Ainsi, le jeu avait logiquement fait l’objet d’une première réédition HD sur PlayStation 3 (aux côtés d’Ico, la création précédente d’Ueda), déjà signée à l’époque par les Texans de Bluepoint Games et qui corrigeait les principaux défauts de l’original. Alors qu’apporte ce remaster PlayStation 4, à part la 4K si on est équipé ?
Dès l’introduction, la réponse est évidente ; les graphismes n’ont cette fois pas subi qu’un lifting mais une véritable refonte. Ce n’est peut-être pas du niveau d’un Uncharted 4 bien sûr, mais cela ressemble davantage à un jeu natif PlayStation 4 qu’à une simple réédition HD, ce qui tient tout de même de la gageure compte tenu du style dépouillé de l’original… À part quelques petits détails qui jurent, comme le visage du protagoniste Wander peut-être trop stylisé par rapport au reste mais qu’on a peu l’occasion de voir, l’ensemble est superbe, en particulier les décors, absolument majestueux. Paradoxalement, ce nouveau luxe de détails peut rendre les prises de quelques (très rares) passages d’escalade du décor légèrement moins immédiatement lisibles qu’auparavant, mais c’est plutôt sur les colosses que l’on fera le plus de grimpette de toute façon, et leur fourrure est particulièrement réussie ! Rappelons en effet que Shadow of the Colossus tient avant tout du boss rush où l’on affronte, lors de séquences mêlant plateforme, réflexion et un zeste d’action, seize monstres qui sont disséminés sur une carte immense et par ailleurs relativement vide. À part un aigle qui passe le bonjour de temps à autre, on ne croisera que des lézards ; on peut les tuer et manger leurs queues (hum) pour reprendre de l’énergie, ce qui n’est pas très utile (*) puisqu’elle remonte seule et qu’il n’y a pas de lézard près des colosses où on est susceptible d’en perdre…
Important!
(*) : Bien après avoir fini le jeu, votre serviteur a découvert que les lézards à queue blanche permettaient d’améliorer définitivement son endurance, ce qui est pour le coup bien pratique pour l’escalade, et qu’il y avait aussi des fruits à dénicher pour augmenter sa jauge de vie. Mais j’ai quand même réussi à terminer l’aventure en difficulté normale sans…
Un jeu où l’on parcourt de grandes plaines à cheval, armé d’une épée et d’un arc, pourra faire penser à un Breath of the Wild plus frais dans certains esprits mais, outre le fait que plus de dix ans séparent les deux titres, ils n’ont pas grand-chose à voir ; ceux qui croient jouer à un jeu d’action/aventure open world seront au minimum décontenancés par Shadow of the Colossus, voire déçus… Ce dernier est clairement un précurseur de ces jeux indé misant plus sur l’ambiance, sans pour autant se limiter à un walking sim ni imposer une narration envahissante, bien au contraire. La solitude permet surtout d’accentuer la sensation d’immensité, thématique renforcée par la grandeur des colosses. C’est d’ailleurs sans doute l’un des premiers jeux avec God of War, la même année et sur la même console, à vraiment exploiter de telles différences d’échelles en 3D – où un grand personnage ne nécessite pas forcément plus de ressources, contrairement à ce qui se passait avec des sprites 2D. Mais l’inconvénient des jeux plus expérimentaux, c’est qu’ils prennent plus de risques en matière de gameplay et les créations de Fumito Ueda n’ont d’ailleurs jamais été réputées pour leur maniabilité… Bluepoint Games propose heureusement des contrôles simplifiés (mais optionnels) et a procédé à divers ajustements pour rendre l’expérience moins frustrante, ce qui n’empêche hélas pas le jeu de multiplier encore les bugs de collisions !…
On sent que le studio texan a voulu rester respectueux de l’œuvre originale et en particulier de son feeling, car c’est précisément le genre de jeu où galérer contre un colosse rend le combat certes plus éprouvant, mais aussi plus épique et la victoire plus gratifiante. Dans le même esprit, les animations de Wander et de son cheval Agro, confondantes de naturel à l’époque, sont intactes même si elles n’ont pas toujours bien vieilli. Je pense à la manière dont Wander se relève avec hésitation après une roulade, reconnaissable entre mille, qui ralentit le mouvement et le rend à la longue désagréable à exécuter. Les sauts, eux, sont heureusement plus classiques mais manquent de souplesse. Et même si cela a été facilité dans le remake, il est toujours délicat de monter à cheval – cela fonctionne d’un peu plus loin mais pas de devant ou derrière – et votre monture, dont le pathfinding a été amélioré, pourra encore sembler capricieux ; tantôt Agro contourne ou saute par dessus les obstacles de lui-même, tantôt il se bloque à cause d’un caillou… Et s’il maintient désormais sa vitesse dans les plaines, il sera encore nécessaire de cravacher dans des chemins plus étroits. On a vu pire bien sûr, mais aussi mieux depuis… Et lorsqu’il ne chevauche pas, Wander passe la majeure partie de l’aventure à escalader, avec un gameplay basé sur le maintien/relâche du bouton de saut tout en étant agrippé, ce qui demande un temps d’adaptation.
Là encore, Shadow of the Colossus souffre clairement de la comparaison avec des titres même antérieurs comme Prince of Persia : les Sables du temps (2003), mais il ne faut pas oublier qu’en dehors des colosses, on fait très peu de grimpette entre le premier combat et son « didacticiel » et le tout dernier ! Ce qui n’empêche pas la courte phase qui précède le troisième, où la moindre chute nous oblige à faire tout le tour à la nage, d’être assez pénible… Mais encore une fois, le challenge repose surtout sur le fait d’escalader des parois mouvantes et pleines d’obstacles, et si la maniabilité était trop souple, les colosses constitueraient une simple formalité. On pestera quand même sur la caméra qui a parfois tendance à faire sa vie comme Agro, et sur le système de sauvegardes, trompeur. Dans l’original, elles étaient uniquement manuelles et sont toujours disponibles ici, même si l’intérêt est limité. Dans les faits, le jeu sauvegarde automatiquement après un colosse vaincu et si l’on s’agenouille devant un autel, et il m’est déjà arrivé, suite à des plantages (hélas fréquents lorsqu’on suspend sa partie avec le bouton Ps), de revenir au temple avant les cinématiques qui suivent la mort du dernier colosse, alors que j’avais fait un bout de chemin et sauvegardé. Cela n’a heureusement rien de rédhibitoire d’autant que l’aventure reste malgré tout assez brève, Bluepoint Games n’ayant pas osé ajouté beaucoup de contenu…
Or, si l’on peut comprendre que les Texans n’aient pas souhaité trop toucher un gameplay que l’on a vite fait de dénaturer en confondant défauts et partis pris, il est dommage de ne pas avoir ajouté des colosses puisque Fumito Ueda en avait imaginé 48 dont la moitié ont été développés, avant d’être réduits à seize pour des raisons sans doute techniques. Outre quatre modes de contrôle dont deux basés sur l’original, il faudra donc se contenter de petits à-côtés comme le mode photo très riche, ainsi qu’une galerie comprenant notamment des images comparatives. Mais pour rallonger artificiellement la durée de vie, il faudra les débloquer sachant que battre un colosse en difficulté normale ne déverrouille pas les images que l’on obtient en mode facile – c’est petit… Dans le même esprit, ils ont ajouté des pièces à collectionner, dont on ignore hélas le nombre et l’emplacement de celles déjà trouvées. Et elles peuvent être parfois bien planquées, notamment dans les zones de combat contre les colosses ! Ceux qui ont joué à un jeu comme L.A. Noire savent de toute façon à quel point ce genre de quête peut s’avérer frustrante en monde ouvert ; on tombera sur de nombreux recoins parfaits pour un objet caché… où rien ne se trouve. D’ailleurs, il a fallu qu’une communauté de fans se constitue pour dénicher les 79 pièces, qui donnent accès à une salle cachée abritant une épée plus puissante, mais qui diminue la régénération d’énergie.
Sauf que Shadow of the Colossus n’est pas un jeu d’action/aventure à la Zelda et ne se prête pas autant à différents items ; je serais curieux de savoir si ceux qui n’ont pas opté pour l’édition limitée ont payé pour le DLC Wander’s Pack, qui confère un arc affichant les points faibles de plus loin, une cape améliorant la régénération et une skin pour Agro… La carte qui apparaît lorsque l’on presse le pavé tactile donne aussi accès à une liste d’armes et d’objets de ce type, que l’on gagne uniquement dans le mode Time Attack accessible une fois l’aventure finie, ce qui débloquera également les modes Nouvelle Partie+ et Monde miroir. Mais là encore, ça n’est pas vraiment le genre d’expérience ludique qui semble pensée pour être vécue plusieurs fois d’affilée… Comme on l’a déjà dit, elle est courte (moins de huit heures pour en voir le bout) et plutôt aisée, car l’énergie remonte et des indices sont égrainés pendant les combats. Certes, il est parfois motivant de réaffronter ses peurs, mieux préparé comme dans un Resident Evil, mais Shadow of the Colossus est plus le genre de jeu que l’on préfère éprouver une fois tous les dix ans, le temps d’oublier un peu les colosses afin que chaque rencontre retrouve sa force originelle. Et puis il y a deux types de chefs d’œuvre dans le jeu vidéo ; il y a par exemple les classiques de l’arcade, qui reposent sur une recette si simple et efficace qu’on peut les apprécier presque de la même manière aujourd’hui.
Et puis il y a ceux, plus ambitieux comme Shadow of the Colossus, qui cherchent à susciter des émotions plus complexes que le simple fun. L’inconvénient est qu’ils sont parfois plus difficiles à appréhender hors du contexte dans lequel ils ont été conçus. Ici, c’est paradoxalement le côté influent du jeu de Fumito Ueda qui le dessert… Déjà, l’idée des colosses a été tellement reprise depuis que beaucoup de joueurs comprendront très vite comment terrasser certains d’entre eux, et le rebondissement final a lui aussi perdu de sa fraîcheur. Du reste, cela n’a pas été le premier jeu à inciter les joueurs à questionner leurs actes – Metal Gear est sans doute précurseur – mais c’est hélas devenu un cliché par la suite, dans la seconde moitié des années 2000. Heureusement, Shadow of the Colossus conserve au moins son ambiance intacte, en particulier les musiques superbes de Kow Otani qui rendent les affrontements contre les colosses encore plus épiques. Après, c’est plus subjectif, mais votre serviteur considère quel que soit l’art que le fond n’est rien sans la forme – au sens général de la manière (mise en scène au cinéma ou style en littérature). Or, si le game design est ici indéniablement novateur, Shadow of the Colossus a quand même quelques lacunes en termes de maniabilité qui, pour des gens comme moi encore une fois, l’empêche de se hisser au rang d’autres classiques qui ont peut-être moins à dire, mais qui le disent mieux !…
Verdict : Si vous en avez marre qu’on s’étonne que nous n’ayez pas encore « vécu » Shadow of the Colossus, voici l’occasion idéale de vous forger enfin une opinion sur ce classique !