ÉDITO : Le bon terme est « beat ’em up »

Double Dragon

Cet article n’était pas prévu ; après l’édito consacré aux micro-ordinateurs, j’en avais planifié un autre qui sera publié après la prochaine chronique (en cours de rédaction), pour alterner. Il s’agit donc ici d’un simple billet d’humeur ou, pour être honnête, d’un coup de gueule. Alors que je pensais avoir remporté plusieurs victoires, en convaincant notamment Gamekult de modifier sa base de données pour employer le terme correct, beat ’em up, voilà que le terme français « beat them all » a droit à une résurgence sur le web, sur les réseaux sociaux ou, pire, dans le récent livre L’Histoire de Capcom – 1983/1993 : Les Origines de nos amis de Pix’n Love. Sans doute par souci d’harmonisation, c’est la variante encore plus laide « beat’em all » – qui ressemble à « bite molle » si ça peut vous aider à ne plus vous en servir –  qui est utilisée partout, et donc aussi dans les quelques notices rédigées par votre serviteur, ce qui, vous en conviendrez, est légèrement irritant. Et c’est d’autant plus dommage que je n’ai pas grand-chose d’autre à reprocher à ce très bel ouvrage, à part peut-être une légère confusion récurrente sur le terme planner qui désigne pour les Japonais le game designer, mais rien de grave. Je me retrouve par conséquent à devoir refaire une leçon d’anglais déjà publiée il y a cinq ans et un mois – une éternité il est vrai pour Internet…

Alors bien sûr, certains n’ont pas manqué de m’expliquer depuis qu’ils préfèrent dire comme ils veulent – certains trouvent que « beat them all » sonne mieux – et en un sens, cela ne me dérange pas tant que c’est fait en connaissance de cause. Après tout, on utilise en français de nombreux mots anglais (ou d’autres langues) de manière impropre, qui sont passés dans le langage courant. Mais ne trouvez-vous pas que c’est parfois ridicule quand le titre original d’un film est remplacé en France par un autre nom anglais (genre Very Bad Trip chez nous au lieu de The Hangover) ? Et surtout, dans mon expérience, la grande majorité des gens qui emploient le terme « beat them all » n’ont pas la moindre idée que ce terme n’existe qu’en France. Un anglo-saxon dira toujours beat ’em up ou brawler, deux expressions qui décrivent assez bien le genre dont il est question. Car en plus d’être français, « beat them all » est beaucoup trop vague. Il a sans doute été écrit pour la première fois par erreur par un journaliste français qui tentait j’imagine de retranscrire ce qu’il avait entendu ou lu. On peut toutefois se demander comment le terme a pu rester, et ce serait une vraie mission pour un historien de retrouver sa toute première utilisation ainsi que l’identité du fautif, pour le pendre sur la place publique que je lui explique le concept des postpositions.

Mother Russia Bleeds (Windows, Mac OS X, Linux, PlayStation 4)

Voilà ce que je fais à ceux qui emploient le mauvais terme…

En effet, le verbe to beat seul a plusieurs sens dont celui très général de battre, ou vaincre.  Par exemple « I beat this game » veut dire « j’ai fini ce jeu » et ne sous-entend aucune maltraitance de la cartouche ! Ainsi, sans contexte,  « beat them all » sera sans doute compris comme « bats les tous » par un anglophone. Le problème, c’est que premièrement, comme vous l’expliquerait François « WonderFra » Daniel de Player One qui est aussi tatillon que moi sur le sujet, il ne faut pas toujours battre tous les ennemis dans un beat ’em up. Et deuxièmement, il y a plein d’autres types de jeux où il faut vaincre tous les ennemis ou adversaires, que ce soit Bomberman, les FPS compétitifs (PUBG, Overwatch et Cie), certains vieux shoot ’em ups où les vagues doivent être éliminées en entier (Space Invaders), les jeux de course où il faut finir premier (donc tous !), les jeux de baston – ce qui sèmerait de nouveau la confusion avec le beat ’em up qui existait à la naissance du genre – voire même un jeu comme Shadow of the Colossus où il faut bel et bien battre tous les colosses… Si vous souhaitez qualifier tous ces jeux de « beat them all », ce n’est pas moi qui vais vous en empêcher, mais on risque de vous regarder bizarrement. Alors certes, to beat peut vouloir dire « frapper à répétition » (tout comme le verbe battre en français du reste), mais c’est un sens parmi d’autres, alors que c’est l’unique signification de to beat up. Après, si vous tenez vraiment à être exhaustif dans vos règlements de compte, vous pouvez toujours dire « beat them all up »…

Mais c’est un peu long, non ?

Oui, dans un jeu de course de motos comme Trials Rising (2019), le but est bien de « tous les battre » aussi !

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