TEST : Celeste

Celeste (Windows, Mac OS X, Linux, Xbox One, PlayStation 4, Switch)CELESTE
Windows, Mac OS X, Linux, Xbox One, PlayStation 4, Switch
Catégorie : plateforme
Joueurs : 1
Développeur : Matt Makes Games
Éditeur : Matt Makes Games
Date de sortie : 25/01/2018
Prix : 19,99 €
Site Officiel : http://www.celestegame.com/
(testé sur Switch)

Cette année 2018 aura été si riche en matière de néorétro, avec des sorties attendues parfois de longue date, que l’on a bien failli ne pas trouver le temps de tester Celeste, pourtant l’un des premiers arrivés et sans doute l’un des meilleurs – celui qui a donné le la d’une année exceptionnelle, peut-être ? C’est la dernière création en date de Matt Thorson (et ses amis), devenu célèbre avec son jeu de combat en arène TowerFall. Or, s’il s’agit cette fois d’un titre solo, le but était sans doute d’en appliquer le feeling à un jeu de plateformes traditionnel, ce que Thorson a tout d’abord expérimenté via un prototype tournant sur console fictive Pico-8 – que l’on peut d’ailleurs débloquer dans le chapitre 3, et qui se révèle bien plus agréable à jouer que sur PocketCHIP. Cela permet d’ailleurs de vérifier que la plupart des mécaniques étaient déjà présentes, mais que le jeu prend une toute nouvelle dimension dans sa version finale. L’habillage 3D entre les niveaux est cela dit trompeur car le titre conserve une réalisation en pixelart lo-fi, mais avec une palette de couleurs autrement plus riche que sur Pico-8 et de nombreux effets de lumière et de particules, pour un résultat très agréable à l’œil. Et puis les portraits durant les dialogues sont en HD, et accompagnés de borborygmes à la Rare particulièrement trognons. De manière générale, la bande-son est réussie avec des musiques apaisantes qui compensent donc la tension que peut susciter le gameplay, et le jeu regorge de détails qui témoignent d’un titre plus fin qu’il en a l’air…

Car, sur le papier, Celeste est un énième jeu de plateformes masocore, composé d’une succession d’écrans difficiles à franchir, mais assez petits pour que l’on puisse enchaîner les tentatives. Comme sur Pico-8, le gameplay est centré sur une mécanique de dash aérien appelé « sprint » mais avec l’ajout de la possibilité de s’agripper aux murs via une gâchette, même si on ne peut pas rester accroché éternellement… Cette endurance limitée ajoute indéniablement en tension et incite le joueur à bien réfléchir à chaque nouvelle salle. D’autant qu’il n’a droit qu’à un seul sprint par saut, à moins de toucher entretemps une sorte de cristal (moins parlant que le ballon de l’original) ou d’autres types d’objets ou de zones – voire de quitter l’écran, un bug qui permettra d’ailleurs de dénicher certains objets… Ce qui est perturbant au premier abord, c’est que le sprint peut être effectué dans huit directions et le jeu en fait bon usage, hélas pour les utilisateurs de Switch dont les boutons directionnels se montrent assez inconfortables pour les diagonales (*). Le level design est aussi moins linéaire que dans le prototype, dont on retrouve d’ailleurs l’avancée en mètres dans le septième chapitre ; ici on ne sait pas toujours quel chemin est optionnel ou mène vers la sortie. De même, bien qu’au début une lumière indique si l’on peut exceptionnellement sortir par le bas de l’écran (au lieu de mourir), le jeu finit hélas par briser cette convention…

Lorsque Madeline a les cheveux bleus, elle ne peut plus utiliser son sprint

Lorsque Madeline a les cheveux bleus, elle ne peut plus utiliser son sprint

Cela permet de multiplier les salles secrètes, et de manière générale la nouvelle version complique les choses avec des clés à trouver (comme ci-dessus) ou des interrupteurs à toucher pour faire disparaître un obstacle… Mais comme sur Pico-8, il y a des fraises à ramasser, optionnelles mais qui ne nécessitent pas de terminer le niveau ni même de quitter l’écran pour être « validées ». On ne peut évidemment pas se suicider en les ramassant mais il suffit souvent de retoucher le sol, ou au pire de revenir à une zone moins dangereuse. Et toujours comme dans le prototype, il y a des fraises dotées d’ailes qui s’envolent si vous utilisez le sprint – même si bien souvent, il faut justement le faire pour les récupérer ! Enfin, de manière générale, le jeu ajoute régulièrement, en particulier à chaque nouveau chapitre, des mécaniques qui viennent perturber nos habitudes quand on pense avoir maîtrisé le gameplay : bourrasques de vent, bulles qui vous poussent dans la direction voulue, parois qui deviennent létales si on s’y agrippe trop longtemps, personnage qui vous poursuit, etc. Dans l’absolu, Matt Thorson n’a rien inventé et toutes ces idées ont déjà été vues dans d’autres jeux de plateformes, mais sans doute rarement dans le même et Celeste donne parfois l’impression de s’adonner à un nouveau jeu à chaque chapitre, sans trop s’éparpiller pour autant ni renier son concept de base, et surtout sans (trop) brusquer le joueur.

Car, tout en étant sans doute mort autant de fois par chapitre de Celeste que durant toute ma partie de The Messenger, le premier m’a nettement moins fait rager que le second. Certes, c’est en grande partie dû à la proximité des checkpoints, mais Celeste est sans doute le plus bienveillant des jeux de plateformes masocore… Comme on le disait plus haut, il n’est pas nécessaire de passer un écran pour valider une fraise ramassée et on peut donc parcourir chaque tableau « en deux fois » (enfin bien plus en comptant les échecs), la première pour obtenir le bonus, la seconde pour passer à la suite. Une fois un chapitre bouclé, on peut le recommencer en démarrant certes pas de n’importe quel écran, hélas, mais de l’une des trois-quatre sous-sections du niveau. En mettant la pause, on voit en bas de l’écran quelles fraises nous manquent et dans quel « ordre » – parfois approximatif compte tenu de la structure non linéaire de certaines passages, mais ça peut donner un indice sur la position de salles secrètes… Et, une fois la ou les objet(s) manquant(s) récupéré(s), on peut revenir au menu principal sans avoir à terminer le chapitre ! Il faudra juste tout récupérer en une fois pour avoir une étoile au lieu d’un simple drapeau à côté du chapitre dans son journal de bord, mais c’est tout. Et même si l’on peut suspendre sa partie sur consoles, on apprécie l’option « sauvegarder et quitter » qui permet de reprendre là où on est, même en ayant quitté le jeu.

Chaque fraise demande réflexion et adresse

Chaque fraise (ici en haut à gauche) demande réflexion et adresse

D’ailleurs, l’option « réessayer » du même menu de pause est quasiment inutile tant le jeu nous fait rapidement recommencer à l’entrée de chaque salle, voire parfois juste devant le premier obstacle pour gagner du temps. Et quand on ramasse une cassette – j’y reviendrai – on se téléporte même automatiquement au point de départ ! Celeste se révèle donc plus abordable, au moins durant ses trois premiers chapitres, que la plupart des célébrités du genre (Super Meat Boy et Cie), et surtout ne cultive cet esprit puéril de condescendance vis-à-vis du joueur. On nous prévient par exemple rapidement que ramasser toutes les fraises ne débloque rien, que c’est juste pour la gloire. Et peu importe si vous avez eu recours au mode d’assistance. Activable à tout moment à condition de revenir au menu principal, celui-ci ne punit même pas le joueur hormis l’ajout d’un tampon sur sa sauvegarde. Et il permet de régler librement, dans le menu de pause, plusieurs paramètres : vitesse du jeu, nombre de sprints par saut, invincibilité et endurance infinie. Le premier est à lui seul bien commode pour adoucir légèrement le challenge ; je m’en suis servi la première fois pour une fraise bien retorse du septième chapitre – qui m’a demandé encore une dizaine d’essais même avec la vitesse à 50%, le minimum ! Mais bien entendu, en abuser, notamment de l’endurance infinie, pourra ruiner l’intérêt de certains défis du jeu, tout particulièrement des « Faces B »…

En effet, dans chaque chapitre se trouve une salle, souvent cachée ou à l’écart, où les plateformes apparaissent et disparaissent en rythme comme dans pas mal d’aventures récentes en 3D de Mario. Au bout de chacun de ces parcours, épineux mais rarement longs, se trouve une cassette comme je l’évoquais précédemment. Celle-ci débloque la Face B du chapitre, c’est-à-dire une succession d’écrans encore plus ardus où l’endurance nécessaire est calculée à la demi-seconde près, et qui exigent donc une grande maîtrise des sauts muraux comme dans le prototype Pico-8. Accompagnés de thèmes musicaux remixés par des invités, ces niveaux bonus doivent se parcourir d’une traite et il n’y a rien à y ramasser à part un cristal rouge à la fin. Or chaque chapitre recèle également un cristal bleu, qui propose toujours un défi un peu différent : énigme alambiquée, référence à un classique de la plateforme voire exploitation d’un bug du gameplay… Mais là encore, s’il faudra les quinze cristaux pour débloquer la Face B du huitième chapitre bonus, ce dernier n’en nécessitera que quatre, quelles que soient leurs couleurs. Et terminer cette dernière Face B débloquera les Faces C – enfin si j’ai bien compris, car j’avoue ne pas avoir eu le temps (et je n’aurai sans doute pas le courage) d’aller si loin. J’ignore du coup à quoi servent les cristaux jaunes offerts aux téméraires qui parviendront à terminer ces stages éprouvants.

Celeste offre également des moments narratifs très réussis

Celeste offre également des moments narratifs très réussis (et ici interactif)

Vous l’aurez compris, Celeste offre un contenu pour le moins généreux et, même en se contentant de ses sept chapitres de base en ligne droite, l’aventure devrait vous occuper au moins une huitaine d’heures. Tout dépend évidemment si vous trichez ou pas et si vous aimez les fraises, qu’il est quand même parfois difficile de laisser de côté – le début du cinquième chapitre se résume quasiment à la collecte de fruits. Le jeu justifie donc assez bien son tarif élevé (et de plus en plus courant sur la scène indé), mais aussi parce qu’il propose une expérience marquante, certes parfois tendue, mais rarement décourageante. Bien sûr, on peut toujours chipoter et regretter l’impossibilité de choisir son écran de départ pour collecter les objets manquants, voire l’absence d’une carte pour mieux se repérer dans certains dédales comme l’hôtel du troisième chapitre. Et pour un handicapé du pad comme votre serviteur (qui n’a pourtant quasiment pas eu recours à l’assistance), trois boutons à gérer, c’est déjà beaucoup pour un jeu de plateformes exigeant. Mais ces griefs sont vite estompés par un charme ravageur, porté par une narration marquée mais rarement intrusive, grâce à une galerie de personnages attachants, à des dialogues parfois optionnels et brefs (sauf au début du chapitre 6) que l’on peut de toute façon passer même si on ne les a jamais lus, et surtout à une ambiance qui incite à se dépasser plutôt qu’à abandonner…

Verdict : Nouvelle référence du jeu de plateformes rétro, Celeste prouve surtout que l’on peut proposer un challenge relevé mais pas brutal, sans traiter le joueur avec condescendance.

110hbpm

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