BLOODSTAINED: RITUAL OF THE NIGHT
Windows, Xbox One, PlayStation 4, Switch
Catégorie : Igavania
Joueurs : 1
Développeur : ArtPlay
Éditeur : 505 Games
Date de sortie : 18-25/06/2019
Prix : 39,99 €
Site Officiel : https://playbloodstained.com/fr/
(testé sur Switch en édition physique, d’où le retard)
Saintlike Behaviour A lifetime I Pray
Ah shit, here we go again… Une légende des années 1990 (Kōji Igarashi), un style bien particulier (de l’aventure plateforme non nécessairement linéaire et sans dessus dessous dans un château), une licence dont l’éditeur historique se moque comme d’une guigne (enfin je dis ça, ils nous ont quand même pondu une Anniversary Collection des châteaux de Dracula), un public captif/conquis (toi, moi, nous, les « pigeons »). Et bien entendu une seule et unique certitude : ça va être un massacre. Du moins sur les réseaux sociaux, du moins chez ceux qui n’ont rien donné et se moquent des autres (les « pigeons »), du moins au niveau des attentes, des réflexes. En effet, Mighty No. 9, Shenmue III, Shantae ½ Genie Hero sont passés par là, je suis passé par là, je suis au mieux dubitatif, au pire carrément effrayé de ce qui m’attend. Et pourtant la réponse ne se fera qu’entre mes pouces. Et uniquement entre mes pouces. Parce que Castlevania: Symphony of the Night (1997), certes c’était beau et inattendu pour l’époque mais c’était surtout un jeu d’une souplesse incroyable qui poussait la partie exploration du genre dont il est le jeu archétypal – quoi, vous n’avez pas encore lu Dominic Arsenault ? C’est pas faute de vous en parler à chaque sainte fois – vers quelque chose de plus animal et intuitif que le monument de rigueur et d’architecture qu’était Super Metroid (1994). De plus, depuis Symphony of the Night et Super Metroid, des kazilliards de jeux sont sortis et se sont réclamés d’eux, donc pour l’effet de surprise, on repassera. Nous sommes historiquement à une période où la saturation (phénomène discursif des sciences humaines qui intervient lorsqu’une nouvelle interview n’apporte plus rien au corpus des idées étudiées) est maximale. Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir retirer de ce clone proclamé de SotN, réalisé par son créateur ? Du sang neuf ? Du sang de bourbe ? Une baudruche ? Un jeu sympa ?
Trop de questions, trop de suppositions – voire de suppositoires, c’est pas comme si j’avais fait le jeu des semaines après tout le monde hein… Bon OK, c’est ma faute, j’aurais pu le faire en version PC avant sa sortie officielle… –, trop de déceptions possibles. Trop de clous à venir…
Oh put***. Ok, habituellement je vous copie/colle mon petit paragraphe sur les graphismes charmants, le pixel (art ou pas) qui va bien, blablabla. Et là, c’est la catastrophe. Sur Switch, c’est laid, c’est franchement laid. On est clairement pas sur les standards de 2019 chez les développeurs indépendants techniquement. Alors ça rame pas tant que ça en mode nomade, surtout que ça rame dans des environnements a priori sans difficulté et c’est parfaitement fluide alors qu’il y a des tempêtes de sable en fond – coucou The Mummy Remastered ! – mais c’est souvent assez flou (définition adaptative je dirais), et vous allez en revanche souvent vous poser des questions graves sur le sens de la vie lors des temps de chargement. Que ce soit des temps de chargement signifiés par un symbole (et sans image 3D à tripoter) ou juste en changeant d’environnement, vous allez en manger de l’écran noir à vous demander si ça a planté… Surtout si le changement se fait par le haut de l’écran et suppose un saut double que vous auriez oublié d’enclencher et qui va vous ramener vers l’écran du dessous et un nouveau chargement. Ce château-là, né de l’alchimie et d’autres trucs auxquels je n’ai prêté aucune attention – y a sans doute un scénario mais clairement j’ai zappé toute les phases de dialogues parce que j’avais pas envie et pas le temps –, est vraiment infernal sur ce point.
Et même artistiquement, alors que le design des ennemis étaient un point fort dans Symphony of the Night (1997), on navigue ici entre le sympa et le « un backer a payé pour avoir son chat dans le jeu ». Si, si, je vous jure, c’est toujours étonnant de voir ce que les fans sont prêts à faire pour joindre leurs passions (ici leur animal de compagnie et les souvenirs d’un jeu exceptionnel). Si SotN regorgeait de petites touches en 3D qui s’intégraient bien à l’ensemble, là on a des effets 3D à la Pandemonium (1996) qui ne sont pas du meilleur goût, et rendent la compréhension d’une carte en 2D peu évidente les quelques fois où l’effet est mis en scène. Bref, si vous ne concevez le jeu vidéo que comme un plaisir graphique d’abord – on vous voit les fans de Shadow of the Beast (1989), hein, ceux qui sont les parents des fans des Uncharted aujourd’hui, quoi –, vous allez pleurer du sang. Mais voilà, c’est ici que se termine tout ce que je peux reprocher au jeu.
Qu’est-ce qui a deux pouces et qui s’en tape ?
La pratique du jeu vidéo a ceci de particulier qu’elle est instanciée et requiert que l’ensemble de vos sens et de votre système moteur et perceptif fonctionnent de concert pour que le monde auquel vous accédez soit dans vos yeux, dans vos têtes mais aussi dans vos pouces. Enfin entre vos pouces. Réfléchissons-y quelques minutes ; certes vos yeux voient un monde virtuel mais l’expérience sensible est autant celle de vos doigts. C’est, selon moi, bien plus vos pouces qui tracent le monde du jeu que vos yeux. Voilà pourquoi on attache tant d’importance à une jouabilité, on a besoin de comprendre « physiquement » ce qu’on joue et comment on le joue.
Ah oui, d’ailleurs, dans Bloodstained: Ritual of the Night (et pas Curse of the Moon), on joue Miriam, être humain salement amoché par l’alchimie qui peut intégrer le pouvoir des cristaux que les ennemis laissent ou des dispositifs dédiés mis là par on-ne-sait-qui dans ce grand château. Toute ressemblance avec Castlevania: Dawn/Aria of Sorrow (2003) est bien entendu purement fortuite. Et du coup le pouvoir de Miriam est bien pratique autant pour le retourner contre les ennemis que pour pratiquer différemment l’espace du jeu. Parce que, bien entendu, comme c’est bibi qui teste, on se frappe encore une putain de réflexion sur le genre « Metroidvania » et qu’on va donc encore parler de clefs et de portes.
Comme je vous ai précédemment parlé de ces fameux fragments, des shards en anglais – faites le jeu en anglais, toutes les autres traductions sont proprement Legolas –, vous vous dites naturellement « Ben les clefs sont ces fragments qui débloquent divers pouvoirs qui augmentent la capacité de l’héroïne à repousser les limites du domaine ludique ». Eh bien, vous n’avez que partiellement raison car une des clefs, en plus de vraies clefs (qui ouvrent donc de vraies portes), est un élément d’équipement. Comme la Spiked Armour dans Symphony of the Night, mais ça n’a strictement rien à voir, c’est une vulgaire coïncidence. Parce qu’à côté de ça, les fragments peuvent avant toute chose modifier radicalement votre façon de jouer ; vous pouvez combattre à distance, vous pouvez choisir le corps-à-corps, vous pouvez décider de tout miser sur la défense jusqu’au stade où celle-ci devient la meilleure attaque (pensez au Shield Rod plus Alucard Shield dans SotN), vous pouvez infuser les fragments de pouvoirs passifs dans votre perso comme un fragment actif, vous pouvez diriger précisément la main qui utilise un fragment. Et sachant qu’en plus chaque arme change radicalement l’approche des combats et que vous pouvez utiliser des épées, des épées à deux mains, des massues, des fouets, des armes à feu – oui, oui, vous avez bien lu –, des katanas, des dagues et enfin des chaussures de bagarre, je laisse les amateurs d’analyse combinatoire faire le calcul du nombre de possibilités que vous offre Bloodstained de parcourir le jeu exactement de la manière qui vous plaira. Et j’ajoute qu’ayant fait le jeu de fond en comble quatre fois (trente heures pour le premier 100%, cinq pour voir la première fin), je peux vous assurer que chaque combinaison possible armes/fragments est jouable et valable pour venir à bout du jeu. Mieux encore, chaque combinaison est une nouvelle approche, faisant de ce Bloodstained un pur régal des bidouilleurs du dimanche pour optimiser votre Miriam – vous pouvez même agir sur la vitesse de vos coups ou le DPS, rendez-vous compte – ou juste façonner entre vos pouces une nouvelle visite du château. Rarement dans le genre on aura pu tenter autant de chose. Mais cela est-il bien au service des divers marqueurs génériques du Metroidvania ? On a vu que les clefs et les portes étaient foisonnantes, que la montée en puissance pouvait prendre des tours et des détours nombreux et jamais limitant, mais que pouvons dire de la contestation de l’espace, de la manière de parcourir le chemin en dépit des ennemis ?
Avoir un arsenal de qualité et riche, c’est toujours mieux quand c’est au service d’un terrain de jeu qui vous permet de donner libre cours à vos aspirations. Est-ce que si vous revenez armée et équipée comme un Megazord craqué, il reste du plaisir à parcourir le jeu ? Pour répondre à cette question, il me faut d’abord reprendre une petite chose ; l’espace dans un Metroidvania se parcourt selon deux modalités, la première qu’on appellera linéaire – vous avez un pouvoir, il ouvre une porte vers un nouveau lieu qui contient un nouveau pouvoir jusqu’à épuisement du lieu ludique –, la seconde qu’on appellera le poking – chaque nouveau pouvoir vous permet de grappiller un peu d’espace dans chaque lieu avec une tendance un peu lourde au backtracking. En gros, est-ce que vous augmentez votre pourcentage de complétion par grosses louches ou par petites touches. Dans Bloodstained, certaines combinaisons armes/fragments vous permettant de (d’avoir l’impression de) « casser le jeu », d’atteindre des lieux non prévus grâce à une combinaison de coups sautés, grâce à une aisance de joueur doué, grâce à une astuce née de vos propres expérimentations – je vous déconseille les sites du genre « Quelles sont les meilleurs armes/armures/fragments » ; ça enlève trop du plaisir de jeu –, vous allez dans un premier temps être dans une situation de poking important. Pourtant, assez vite, les principales « portes » vont vous sauter aux yeux et faire tomber ces portes va vous faire entrer dans les tronçons du parcours linéaire. Mais voilà, s’il vous fallait une preuve qu’Iga n’était pas là que pour prêter son nom au jeu, elle est là, dans une nouvelle approche du parcours de l’espace ludique. En effet, souvent en revenant dans un lieu déjà visité, vous allez être amené à le reparcourir d’une façon totalement différente pour ajouter une strate supplémentaire dont vous n’aviez pas la moindre idée au premier passage, faisant de lieux anodins des nouveaux embranchements que vous ne pouviez même pas imaginer ; les thèmes musicaux particulièrement entêtants de l’entrée et de la cathédrale prendront d’autres accents inattendus au troisième passage, révélant des architectures plus torturées et intéressantes que celle du château de SotN. À l’exception d’un seul endroit, même si scénaristiquement ça pourrait avoir un sens que ce soit un cul de sac, mais je vais arrêter là le spoil. Bref, le chateau de Bloodstained, tout en demeurant unique – quoi, ne me dites pas que je vous divulgâche quelque chose de SotN – est dans les fait plus riche à parcourir que bien des environnements bien plus larges, ajoutant une couche de richesse à un gateau déjà bien pourvu.
Au final, on a non seulement un jeu né sur Kickstarter qui tient toutes ses promesses – comment ça, ça ressemble fort à Symphony of the Night ? Une vulgaire coïncidence ! Je vous conseille les VoD de Mister MV sur le sujet, vous allez rire de bout en bout – mais qui en plus apporte plus que de la soul food à vos pouces, mais vraiment « du nouveau ! » (vraiment à la manière de Baudelaire à la pointe du Voyage). Les jeux nés de la sorte posent toujours la question de savoir si la personne qui a donné reçoit ce qu’elle attendait, et bien souvent les auteurs s’arrêtent à ce stade. Mais avec Bloodstained, Kōji Igarashi nous a rappelé qu’il était le père d’une famille bien élevée de Metroidvania et qu’il ne s’était pas uniquement reposé sur ses acquis, mais qu’il avait lui-même progressé dans la confection de tissus ludiques uniques et marquants. Maintenant posez-vous les questions suivantes ; souhaitez-vous faire confiance uniquement à vos yeux ou à vos pouces ? Dans quelle mesure les uns peuvent-ils tempérer ce que perçoivent les autres ? C’est dans ce conciliabule avec vous-même que se trouvera votre intérêt pour Bloodstained: Ritual of the Night – BS RotN, ce qui n’a rien à voir avec CV SotN, cessez vos insinuations diffamatoires ! Pour ma part, et quel que soit le poids qu’a eu SotN dans ma vie de joueur, je tiens Bloodstained en une estime si haute qu’elle rivalise avec celle de son modèle.
Verdict : Quelle que soit l’importance que vous accordez aux graphismes en 2019, Bloodstained est une nouvelle preuve que Kōji Igarashi demeure un artiste sans faille du Metroidvania.