Après la traduction d’un article sur la genèse d’Alpha Waves, je vous propose pour débuter l’année une petite chronique évoquant les liens parfois inattendus entre cinéma et jeux vidéo. J’avais déjà écrit un édito sur les adaptations de jeux en films, mais on va s’intéresser cette fois à l’autre sens, plus répandu, et l’aborder sous un angle différent. On entend souvent que les jeux à licence sont tous mauvais et comme tous les clichés, celui-ci a bien sûr une base de vérité mais on trouve des contre-exemples comme RoboCop (1990) ou GoldenEye 007 (1997). Après tout, il est probable qu’aucun développeur ne se lance dans un projet dans le but de mal faire, mais une licence juteuse ne pousse pas au perfectionnisme et surtout, le travail est souvent bâclé pour coller à la sortie du long-métrage… D’ailleurs, les adaptations les plus réussies peuvent en être déconnectées comme The Great Escape (1986, film de 1963), The Thing (2002/1982), The Warriors (2005/1979), Bons baisers de Russie (2005/1963), Scarface: The World Is Yours (2006/1983), etc. Mais bien évidemment, les films sur lesquels elles sont basées sont des classiques alors que dans les années 1980 et 1990, les éditeurs se jetaient parfois sur les licences sans certitude sur leur succès…
Typiquement, si Ocean a souvent eu la main heureuse, le film Hudson Hawk (1991) a fait un énorme four alors qu’il était très attendu, compte tenu de l’implication jusque dans le scénario d’un Bruce Willis alors au sommet de sa gloire. Plus récemment mais encore plus oublié, Ballistic: Ecks vs. Sever (2002), sorti chez nous à la bourre et en catimini durant l’été 2004, est carrément le film le plus mal noté de l’Histoire du site Rotten Tomatoes. Et pourtant, il a fait l’objet non pas d’une mais de deux adaptations sur Game Boy Advance, toutes deux plutôt bonnes en plus, comme évoqué par Kotaku. Mais il y a eu aussi, parfois, des jeux basés sur des films encore plus obscurs, du moins peu connus ou inédits chez nous, comme Porky’s (1983, Atari 2600) sur une comédie coquine pour ados de 1981, Phantom Fighter (1988, NES) dont l’original japonais est une adaptation de la comédie horrifique de Hong Kong Mr. Vampire (1985), Gotcha! The Sport! (1987, NES), jeu de paintball compatible avec le Zapper et basé sur la comédie d’espionnage américaine Touché ! (1985), ou encore Tasmania Story (1990, Game Boy) accompagnant un film japonais qui n’a visiblement jamais quitté le Japon. On peut aussi citer Cloak & Dagger (1984) adapté de Jouer c’est tuer et sans doute confidentiel car sorti uniquement en arcade, la version Atari 5200 ayant été annulée à cause du krach… Mais on va à présent se pencher sur trois cas plus amusants :
Kung-Fu Master (1984)
On commence avec le cas le plus célèbre, puisque Kung-Fu Master (1984) est un grand classique de l’arcade, considéré comme l’un des tout premiers beat ’em ups. Mais si beaucoup de joueurs savent aujourd’hui que la version japonaise du jeu, Spartan X, tient son nom du film éponyme de Jackie Chan appelé Soif de justice chez nous, la réalité est un peu plus complexe… En fait, son créateur Takashi Nishiyama, connu jusque-là pour Moon Patrol (1982) et qui créera plus tard Street Fighter et Fatal Fury, s’était bien inspiré d’un film mais pas celui-là ! Il s’agit en fait du fameux Jeu de la mort (1978) durant le tournage duquel Bruce Lee est décédé et dont on retrouve d’ailleurs les décors, mais Irem a sans doute voulu profiter d’un film plus récent pour mettre en avant le jeu, un peu à la manière dont Dynamite Deka (1996) deviendra Die Hard Arcade en Occident – sauf que c’est chez nous que la licence a disparu… Il faut dire aussi que Jackie Chan n’était pas encore si connu en dehors de l’Asie, Soif de justice n’étant par exemple sorti en France qu’en 1992, et directement en VHS. Et ce qui est encore plus amusant avec ce classique de l’arcade, c’est qu’il entretient un autre lien encore plus improbable avec le cinéma ; il a aussi inspiré la regrettée Agnès Varda pour l’un de ses deux projets conçus avec Jane Birkin ! Il ne s’agit pas d’une adaptation bien sûr, mais Kung-fu Master ! (1988) porte carrément le nom du jeu car il met en scène le fils de la cinéaste, Mathieu Demy, qui en est fan dans le film et le pastiche :
Gunhed (1989)
On passe cette fois au cas le plus méconnu des trois, et sans doute au meilleur contre-exemple du cliché évoqué en préambule. N’ayant pas vu le film, je ne saurais dire si le jeu en est une bonne adaptation, mais Gunhed est l’un des meilleurs shoot ’em ups de la PC Engine, console dont c’est pourtant la spécialité… Mais comme pour le précédent jeu, cette origine a été oubliée avec le temps car il a été rebaptisé Blazing Lazers et expurgé des références au film aux États-Unis. C’est d’ailleurs cette localisation qui est incluse dans la future PC Engine mini, y compris dans la version japonaise de la machine, histoire d’éviter sans doute des problèmes de licence. Succédané des films de James Cameron, le long-métrage n’a pas l’air très au niveau de ses modèles prestigieux alors que son adaptation tient une place bien plus importante dans l’Histoire du jeu vidéo, car elle est considérée comme la base de la non moins excellente trilogie Soldier (1990-1992).
Sweet Home (1989)
Et on termine avec un cas un peu plus connu depuis quelques années, car traité dans différents médias comme Kotaku ou L’Histoire de Capcom. En effet, Resident Evil (1996) était au départ censé être un remake de Sweet Home (1989), un excellent RPG réalisé par le talentueux Tokuro Fujiwara (Ghosts’n Goblins), mais hélas inédit chez nous. Et même si le survival horror de la PlayStation s’en est finalement quelque peu éloigné, le citer comme influence permettait à Shinji Mikami d’éviter de mentionner un certain Alone in the Dark (1992) tout en restant corporate… Mais ce qui est un peu dommage, c’est que les journalistes oublient souvent de préciser que le film dont le jeu est l’adaptation est l’un des premiers de Kiyoshi Kurosawa, qui sera découvert en Occident bien plus tard avec Kairo (2001) en particulier, grâce à l’essor de la J-Horror démocratisée chez nous par Ring (1998). Influencé par La Maison du diable (1963), le film est hélas encore difficile à trouver mais n’est sans doute pas l’un des meilleurs de son auteur, alors que le jeu est considéré là encore par certains comme l’un des incontournables de la Famicom… Il faut toutefois noter que Kurosawa l’a supervisé et c’est même lui qui a encouragé les développeurs à s’éloigner du matériau d’origine. Il n’a hélas pas encore été traduit en français, mais on trouve depuis longtemps des patches en anglais sur ROMhacking. Et comme le souligne Kotaku, un vrai remake serait le bienvenu…
J’aurais aimé trouver plein d’autres exemples, mais il semble qu’il n’y en ait pas tant que ça, sauf si l’on compte le cas de jeux comme Ice Nine (2005) sur Game Boy Advance (la championne en la matière) qui devait être basé sur La Recrue (2003) et, même si la licence a disparu, son scénario reste inchangé – mais est-il bien fidèle au film ? Or si l’on commence à se pencher sur les titres qui ont débuté comme des adaptations, il y a en tout de suite bien plus mais il peut être difficile de les pister. Certains exemples sont désormais « célèbres » comme Journey to Silius (1990) mais, en particulier au Japon, il y en a sans doute pas mal qui n’ont pas été officialisés… Je pense en particulier à Surprise Attack (1990) ; notre membre d’honneur Masaaki Kukino m’a fait promettre de ne pas révéler de quel énorme blockbuster il était censé être l’adaptation, même si c’est facile à deviner et même dévoilé de manière anonyme au début du deuxième tome de The Untold History of Japanese Game Developers. Et puis j’ignore s’il y a beaucoup d’exemples, mais il y a le cas inverse d’un Zipang (1990), portage de Solomon’s Key (1986) « rebrandé » sur PC Engine pour surfer sur la sortie d’un film signé Kaizo Hayashi et qui n’a sans doute jamais quitté le Japon… Mais le classique de Tecmo demeure inchangé et on ne peut donc pas vraiment parler d’adaptation cette fois !
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