CHRONIQUE : La saga Fire Pro Wrestling

Si mes précédentes chroniques étaient pour la plupart des traductions, c’est que j’estime ne pas avoir les connaissances nécessaires et la légitimité pour parler de tel constructeur, tel jeu ou telle console. Et même pour évoquer la série Fire Pro Wrestling, je me sens particulièrement démuni comparé à certains spécialistes, y compris en France, puisque GrosPixels a publié tout récemment un dossier exhaustif sur la franchise, que j’ai découvert en mettant la dernière touche à ce texte. Prenez donc ma chronique comme une introduction, plus accessible aux profanes, même si j’ai bien conscience qu’ils devront déjà faire un effort pour la lire. Et pour cause, ça n’intéresse pas grand monde ! Ami lecteur, tu dois toi-même être tenté de laisser cet article traîner aux extrémités des onglets de ton navigateur, et te contenter d’un petit « j’aime » pour te donner bonne conscience. Ce n’est pas grave, je ne t’en veux pas. Mais si tu es aussi curieux que moi (je n’aime pas le football mais j’ai lu le second tome des Cahiers du Jeu Vidéo en entier), prends la lecture de ceci comme un défi. On ne perd rien à apprendre quelque chose.

Si le catch commence à se démocratiser en France, il s’agit d’une véritable institution au Japon (le puroresu, contraction de Pro Wrestling prononcé à la Japonaise), même si elle connaît depuis peu une légère crise due à la concurrence du Free Fight (MMA). C’est pourquoi il n’est pas étonnant que les jeux simulant cette discipline soient si nombreux et jouissent d’un certain succès au Pays du Soleil Levant. Longtemps associé à des titres médiocres, le jeu vidéo de catch ne s’est popularisé chez nous qu’avec les jeux en 3D estampillés WWE. Pourtant, la série préférée des amateurs élitistes du « sport des rois » reste l’une des plus anciennes, et a survécu à toutes les modes, y compris celle de la 3D !… Lorsque la petite société de développement japonaise Sonata décide de devenir son propre éditeur, le tout premier titre de la compagnie résultante Human (à qui l’on doit aussi Formation Soccer et Final Match Tennis), en 1989, est un jeu de catch, Fire Pro Wrestling. Si cet essai a immédiatement rencontré le succès, nul ne pouvait se douter que cette franchise pourrait se poursuivre pour encore 16 ans, se déclinant en pas moins de 25 jeux sur une dizaine de supports différents, plus quelques spin-offs…

Une histoire sans fin…

Tout commence le 22 juin 1989 avec la sortie au Japon sur PC-Engine du jeu intitulé Fire Pro Wrestling Combination Tag qui, comme son nom l’indique pour le connaisseur, permet de jouer à quatre des matches en équipe, une option relativement nouvelle à l’époque. Le jeu, comme la plupart des épisodes de la série, est produit par Masato Masuda qui a déjà réalisé Pro Wrestling sur NES en 1986 avec la même équipe. Ce qui en fait un succès immédiat, outre un gameplay axé sur la simulation, c’est sa galerie de 16 catcheurs. S’il était courant que les personnages de jeux de catch – et de sport en général – soient inspirés d’athlètes réels, la série des Fire Pro Wrestling va plus loin ; comme l’a écrit The Mysterious Kagura, auteur d’une histoire du jeu de catch, « je pense que l’objectif de la série Fire Pro était d’attirer les fans hardcore de catch, puisqu’elle permettait de faire s’affronter des catcheurs de différentes compagnies dans des « matches de rêve » inter-promotionnels que la nature politique de la lutte professionnelle rendait impossibles dans la réalité. Human a parfaitement rempli cet objectif en masquant de vrais catcheurs sous des pseudonymes, mais en conservant leur panoplie de prises et leurs caractéristiques ». Si les noms des catcheurs sont modifiés, ils forment des jeux de mots qui permettent facilement de les identifier. Ainsi le célèbre Hulk Hogan devient Axe Mogan (son finisher, son « coup de grâce », s’appelait alors « Axe Bomber »). D’ailleurs, par la suite, il sera possible de renommer tous les catcheurs, comme dans Pro Evolution Soccer.

Suivront deux autres titres sur la console de NEC, ajoutant quelques personnages et modes de jeu. C’est surtout le troisième épisode qui offre une richesse de contenu caractéristique de la franchise, dont le premier éditeur de catcheurs (mais on ne peut pas encore modifier leur apparence) ! Il sort après Super Fire Pro Wrestling, le premier épisode sur Super Famicom, qui aura droit à pas moins de neuf jeux, dont Super Fire Pro Wrestling 3 Final Bout, sorti le jour de Noël 1993, qui marque une nette évolution et l’arrivée chez Human d’un ancien employé de funérarium, Goichi Suda. Connu sous le nom de Suda 51 et fondateur du studio Grasshopper, il est aujourd’hui célèbre pour ses jeux déjantés (et truffés de références au catch) comme Killer 7 ou encore No More Heroes. Cet épisode s’avère si difficile qu’il oblige Human à proposer quelques mois plus tard une version édulcorée baptisée Super Fire Pro Wrestling 3 Easy Type, dans laquelle tous les personnages cachés sont débloqués, au détriment du mode de création, disparu ! Notons également la sortie le 22 juillet 1994 de Fire Pro Women : All Star Dream Slam, le premier volet sous licence officielle et dédié au catch féminin, très populaire dans les années 93-95. Le journaliste américain Dave Meltzer, qui fait référence encore aujourd’hui, a d’ailleurs décerné plusieurs « MOTYs » (match de l’année) à des affrontements féminins à cette époque. Et déjà, Suda 51 crée la controverse avec Super Fire Pro Wrestling Special (22 décembre 1994), dans lequel le personnage principal se suicide à la fin du mode solo… C’est un tournant important pour la série, pas seulement pour l’accent mis sur la narration, mais aussi parce que le moteur graphique a été totalement revu et le gameplay basé sur le timing nettement raffiné. Les volets antérieurs étant plus difficilement jouables (et regardables) de nos jours.

Mais ce n’est que quelques épisodes plus tard que la série attire l’attention de l’occident. En effet, Super Fire Pro Wrestling X (2 décembre 1995), jugé par certains puristes comme un très léger retour en arrière en terme de gameplay, développe énormément l’édition de catcheurs, allongeant ainsi considérablement la durée de vie du jeu. Pour l’anecdote, le dernier jeu en date, Fire Pro Returns, contient la bagatelle de 327 personnages et permet d’en créer 500 autres ! Avec l’essor des jeux de baston, les jeux de catch deviennent très populaires aux États-Unis et il n’est pas rare d’y trouver des jeux de la série en import. Ayant posé des bases solides, Human va dès lors sortir des épisodes ou des spin-offs pour chaque machine, suivant les différentes tendances. En plus de deux autres titres entièrement dédiés au catch féminin (joshi puroresu) en 1995, Human va également adapter son jeu à l’arcade avec Blazing Tornado, qui sort en salle en 1994 puis sur Saturn l’année d’après. La série s’attaque tout naturellement aux 32-bit, avec Fire Pro Wrestling : Iron Slam ’96 sur PlayStation (en 3D mais au contenu rachitique) et surtout Fire Pro Wrestling S : 6-Men Scramble sur Saturn qui contribue encore à faire connaître la série en occident. Il marque un nouveau sommet avec ses 160 catcheurs et son multi à 6 joueurs ! Human en profite également pour affiner davantage la réalisation graphique, l’interface du mode EDIT et le timing des prises, si bien que cet épisode devient le nouveau mètre-étalon de la série.

Après une pause de 3 ans, en juin 1999, Human revient sur PlayStation avec Fire Pro Wrestling G. Mais malgré ses modes solo audacieux, c’est une déception : le jeu est moins beau que son prédécesseur et repasse à 4 joueurs. Alors que tout le monde pense que l’aventure est finie avec la banqueroute de Human (l’épisode Wonderswan sera édité par Naxat), la société Spike reprend le flambeau, via une équipe composée d’anciens de Human, appelée Spike Colosseum. Dans un premier temps, l’éditeur se fait la main en sortant une version I-Mode en janvier 2001, Fire Pro Wrestling i. Mais c’est en mars que Fire Pro Wrestling D sur Dreamcast ressuscite la franchise, avec de nouveaux graphismes et un contenu encore enrichi. Le titre a un gros succès d’estime chez les fans, mais c’est le moment où la série subit de plus en plus la concurrence de titres en 3D développés par AKI (anciens employés de Human) et Yuke’s, qui bénéficient de plus des licences officielles au Japon comme aux États-Unis. C’est à cette époque que sortent également deux épisodes sur Game Boy Advance, Fire Pro Wrestling A (21 mars 2001) et Final Fire Pro Wrestling (19 juillet 2002). La présence du « final » dans le second montre à quel point la série a toujours perduré contre toute attente, même celle de son développeur. Et les épisodes GBA n’ont pas à rougir, car ils sont plus accessibles grâce à un timing moins exigent. La petitesse des personnages rend aussi plus facile la création de catcheurs plus vrais que nature ! Enfin, le second propose un didacticiel qui manque cruellement à la plupart des Fire Pro. Il faut également préciser que ces jeux sont les premiers à bénéficier d’une localisation en Anglais, puisque BAM Entertainment a édité les deux jeux aux États-Unis, et même le premier en Europe. Dans ces deux versions, les catcheurs américains ont d’ailleurs eu droit à une modification de leur palette de couleurs, pour éviter les ennuis juridiques…

Encore une fois, la page Fire Pro semble tournée. Avec l’arrivée de la PlayStation 2, Spike essaie de développer des jeux de catch en 3D avec la série des King of Colosseum, très proche dans l’esprit, mais à l’ergonomie complexe. Le 5 juin 2003, pour satisfaire les fans, Spike sort un Fire Pro Wrestling Z, supposé être la version définitive du jeu créé 14 ans plus tôt. Très proche de l’opus Dreamcast, le jeu laisse même à désirer côté réalisation ; si les Fire Pro n’ont jamais brillé par leur qualité sonore, le son est cette fois si mauvais que des utilisateurs ont ramené leurs jeux en le croyant défectueux ! En effet, au bout d’un moment, un bug fait tourner en boucle le son du public… jusqu’à la fin du match. Malgré des rumeurs persistantes, aucun volet ne sera proposé sur Gamecube et Xbox. Il faudra donc encore un Fire Pro Returns sur PS2 le 9 septembre 2005 pour avoir le titre le plus abouti de cette longue saga. À l’automne 2007, contre toute attente, et alors que la communauté des fans travaille depuis longtemps sur un patch pour traduire le jeu en Anglais, l’éditeur Agetec localise le jeu aux États-Unis pour un prix dérisoire. Il est même question de sortir le jeu en Europe et en Australie. Pourtant, 505 Games, qui en détient les droits, ne sortira le jeu que dans son pays d’origine, l’Italie, où le catch cartonne depuis peu. Étonné par le nombre d’Européens et d’Australiens qui ont commandé le jeu sur son site, une boutique en ligne italienne a même fourni un code promotionnel aux membres du forum Fire Pro Club

Aucun nouvel épisode n’est sorti depuis. Il faut dire que la HD ne se prête vraiment pas à un jeu qui est resté avant tout en 2D. Cela n’a pas empêché la série de faire couler de l’encre, et ce de manière assez triste même, en mars 2009. En effet, des forums comme NeoGAF se font l’écho d’une rumeur : l’annonce d’une compilation de vieux épisodes sur Wii, et la sortie d’un nouveau volet en téléchargement sur consoles HD. D’emblée, l’annonce est suspecte. La Xbox 360 et la PlayStation 3 ne sont pas encore très populaires au Japon, et le contenu des jeux ressemble à un rêve de fan… occidental. L’info vient d’un membre éminent du Fire Pro Club, et les quelques personnes qui osent douter de lui sont bannis du forum. La rumeur enfle au point d’être relayée sur des sites japonais. Au final, il s’agira d’un horrible poisson d’avril, perpétré par un fan désespéré de voir sa franchise favorite tomber dans l’oubli. Pourtant, un nouveau Fire Pro est annoncé en 2010 pour le Xbox Live Arcade. Véritable crève-cœur, il s’agit d’un jeu surfant sur la vague du casual gaming, et mettant en scène les avatars de la console… Le titre n’est finalement pas sorti à la date annoncée et on n’en a plus entendu parler. Avec la mode des réseaux sociaux, un spin-off est également apparu en novembre 2011 sur Mobage. Mais cela n’empêche pas les inconditionnels de continuer de jouer aux vieux épisodes, et de s’échanger des personnages créés à la main. Ni Goichi Suda de placer des références dans No More Heroes ; le maître du dojo qui enseigne de nombreuses techniques à Travis s’appelle Thunder Ryu, le faux nom de Genichiro Tenryu dans la série, un catcheur toujours en activité à plus de 50 ans.

Une simulation d’une profondeur insoupçonnable

N’importe quel joueur aurait du mal à imaginer, devant ce jeu si rétro de prime abord, qu’il cache un gameplay extrêmement riche, comparable à celui d’un RPG en temps réel. Les Fire Pro prennent en effet en compte un grand nombre de paramètres, mais presque aucun d’entre eux n’est représenté à l’écran, si bien qu’on peut difficilement soupçonner leur existence. Comme dans tout bon jeu de catch, le joueur dispose d’un vaste arsenal d’attaques et de prises. Et même pour les coups les plus basiques, le joueur habitué aux jeux de baston risque d’être perplexe. De nombreux journalistes profanes ont souvent fustigé à tort le gameplay de la série, parce qu’ils ne comprenaient pas pourquoi certaines de leurs attaques n’avaient pas d’effet. Et pourtant, les contrôles répondent parfaitement ! Les attaques sont réalisées à l’aide de 2 ou 3 boutons selon les épisodes, éventuellement combinés, de sorte à fournir 3 types d’attaques : faible, moyen et fort. À distance, appuyer sur l’un de ces boutons effectue un coup de poing, un coup de pied ou autre. Mais il faut réunir un certain nombre de conditions pour causer des dommages. Chacune de ces attaques a une portée bien précise, et le coup ne touchera pas si l’adversaire est trop loin, mais aussi trop près ! Et avec un adversaire en mouvement, il faut vraiment connaître la portée et le timing de chacun de ses coups pour les placer. Certains d’entre eux, puissants mais très lents (le classique dropkick, un double coup de pieds sauté) ne doivent par exemple être employés que contre un ennemi dans les vapes. En outre, même lorsqu’un coup atteint sa cible, le catcheur adverse peut le bloquer en fonction de son état de fatigue… Mais les coups « à distance » ne sont pas prépondérants dans Fire Pro (sauf dans les matches de free fight), et ils servent plutôt à affaiblir et/ou tenir en respect son adversaire.

Car le catch est avant tout une affaire de prises et de projections. Contrairement à la grande majorité des jeux du genre (surtout en 3D), il n’y a pas de bouton pour saisir son adversaire. Lorsque les deux catcheurs sont suffisamment proches l’un de l’autre, une animation automatique se déclenche qui les montre se saisissant mutuellement. Le but est simple : il faut appuyer sur un bouton d’attaque (éventuellement combinée à une direction) juste après la fin de l’animation (mais pas avant !) pour placer cette prise. Selon le timing, ce sera l’un ou l’autre catcheur qui effectuera son attaque (qui peut aussi être une soumission ou un coup rapproché comme un coup de boule), mais celle-ci peut, encore, être éventuellement contrée. En effet, ce qui rend Fire Pro supérieur à la grande majorité des autres productions, c’est la gestion automatique des contres. Les jeux qui utilisent un bouton de contre posent problème : un joueur qui ne maîtrise pas le timing se fait squasher en trente secondes, et ceux qui le maîtrisent transforment chaque match en festival surréaliste de contres… Dans Fire Pro, tout est basé sur la hiérarchie entre attaques faibles, moyennes et fortes. Plus une prise est puissante, plus elle a des chances d’être renversée. Ainsi, les joueurs du dimanche qui prétendent que les commandes ne répondent pas s’acharnent peut-être à utiliser des coups forts trop tôt dans le match.

Un match se construit avec stratégie, en affaiblissant peu à peu son adversaire avec des attaques faibles, en profitant qu’il soit au sol pour le piétiner encore un peu, jusqu’à ce qu’il soit suffisamment fatigué pour placer progressivement des coups de plus en plus puissants. Lorsque votre adversaire sera à bout de forces, il sera assez facile de le sonner avec un coup très puissant ; il restera longtemps à terre puis se relèvera et titubera quelques secondes sans pouvoir rien faire. C’est le moment idéal pour placer les attaques les plus risquées et les plus acrobatiques. Il est extrêmement difficile par exemple d’employer des sauts du haut du poteau ou des plongeons par-dessus la troisième corde, ce qui ne présente aucune difficulté dans un jeu en 3D. Il faut dire que Fire Pro Wrestling s’inspire davantage du catch japonais traditionnel, le strong style, plus lent et plus réaliste, que de la lucha libre mexicaine par exemple. Cela peut paraître austère mais donne des matches au suspense construit, dans lesquels les actions spectaculaires deviennent, par leur caractère rare et risqué, beaucoup plus impressionnantes.

C’est à partir de Fire Pro Wrestling S : 6-Men Scramble (1996) que le jeu prend en compte la fatigue (à ne pas confondre avec l’endurance), un aspect que les jeux estampillés WWE n’ont commencé à explorer que récemment. Non seulement les catcheurs sont affaiblis au fur et à mesure qu’ils subissent des dommages, mais leur état de fatigue varie au cours du temps. Contrairement à l’endurance, la fatigue s’abat aussi sur le catcheur qui porte l’attaque ! Cela amplifie la notion de prise de risque, puisqu’une attaque acrobatique exige d’autant plus de ressources à son utilisateur. La fatigue est l’un des rares paramètres à être représenté à l’écran, mais pas sous la forme d’une jauge ; un catcheur fatigué aura à l’arrêt une animation montrant son essoufflement. C’est un premier avertissement, car à un second stade, le catcheur devient paralysé, tenant son ventre avec difficulté. Il est alors extrêmement vulnérable puisqu’il ne peut plus se déplacer, mais peut parfois contrer par chance. Il existe heureusement un moyen simple de reprendre des forces : respirer. En maintenant un bouton, le catcheur peut souffler quelques instants, ce qui le rend toutefois vulnérable. Il faut donc profiter du moindre moment de répit pour s’oxygéner… Ce qui crée un grand dilemme, quand votre adversaire est allongé à terre, et que vous devez choisir entre l’affaiblir d’avantage ou vous économiser un peu…

Et ce n’est pas le seul élément de gameplay qui évoque le RPG (la respiration pouvant s’assimiler aux sorts ou potions de soin qui nécessitent le sacrifice d’un tour), puisque le jeu gérait la localisation des dommages bien avant les jeux en 3D. Ici, aucun indicateur à l’écran n’en témoigne, mais ce système existe bel et bien. En effet, au catch, il est habituel qu’un lutteur utilise comme stratégie d’affaiblir une articulation de son adversaire (un bras, une cheville, etc.) pour pouvoir l’achever par une soumission (par exemple, une clé de bras porté sur le membre affaibli). C’est même l’une des bases de ce qu’on appelle « la psychologie du ring », autrement dit la narration d’un match. Si les Fire Pro Wrestling ne dissocient pas les deux bras ou les deux jambes pour simplifier, le joueur peut ainsi se concentrer sur la nuque, les hanches, les bras ou les jambes de son ennemi. Cela n’a toutefois, hélas, aucune incidence sur son animation. Ajoutons que les catcheurs du jeu sont tous caractérisés par des paramètres de résistance localisée, ce qui simule parfaitement que tel lutteur a les genoux fragiles (Keiji Mutoh) ou que tel autre a subi de nombreuses opérations chirurgicales à la nuque (Kurt Angle, qui a gagné la médaille d’or aux J.O. d’Atlanta le cou brisé), etc.

Enfin, la série des Fire Pro Wrestling est souvent louée par la presse et par les joueurs pour l’intelligence artificielle des catcheurs contrôlés par le CPU, ce qui est souvent la bête noire de nombreux jeux de catch. Pour être honnête, il faut admettre que le niveau d’abstraction que permet la 2D, et surtout l’absence de matches gimmick complexes (comme les matches à échelle où les catcheurs doivent placer une échelle au milieu du ring et y grimper pour décrocher un objet suspendu), facilite nettement le travail des programmeurs en matière d’IA. C’est avant tout le gameplay très riche, qui rend le déroulement des affrontements réaliste et souvent captivant. D’autant que chaque catcheur est aussi caractérisé par un comportement propre, bien évidemment calqué sur celui de l’athlète réel dont il s’inspire. Dès lors, il est tout à fait possible de suivre des matches « CPU vs CPU » en simple spectateur et d’y prendre un certain plaisir. Pour l’anecdote, il m’est souvent arrivé de lire sur des forums des témoignages de joueurs qui racontaient avec excitation et nostalgie un match… qu’ils avaient perdu. Vous connaissez beaucoup de jeux de combat où on s’amuse même lorsque l’on perd, juste parce que cette défaite a été un grand spectacle en soi ? D’ailleurs, dans les modes solos des Fire Pro Wonderswan et GBA, le joueur n’est pas (seulement) évalué sur sa capacité à gagner des matches mais à satisfaire le public virtuel avec un « bon match ».

Un contenu d’une richesse impressionnante

Et côté modes de jeux, Fire Pro Wrestling n’est pas en reste et soutient parfaitement la comparaison avec les simulations sportives les plus riches. Si les modes de jeu à plusieurs (regroupés en général dans la section Exhibition) ont vu leur nombre augmenter à chaque épisode de la série, les modes solos, curieusement, ont plutôt tendance à changer d’un épisode à l’autre. Ainsi, quand un Fire Pro Wrestling A propose un Audience Mode dans lequel le joueur doit choisir un type de public puis obtenir la satisfaction des spectateurs dans une série de matches, sa suite propose d’un côté un mode plus classique où l’on doit enchaîner les victoires, mais aussi un mode Manager pour créer sa promotion, organiser ses shows et gérer son roster de catcheurs (ce mode a hélas été supprimé de la version américaine du jeu). Fire Pro Wrestling Z, quant à lui, propose un mode Story où le joueur choisit l’une des cinq légendes du catch proposées et revit sa carrière, alternant matches et dialogues. Suivant ses victoires ou ses choix, le joueur peut même réécrire l’histoire !

Mais c’est surtout dans les modes de jeu à plusieurs (qui peuvent se jouer contre l’ordi bien entendu) que Fire Pro Wrestling offre le plus. En fait, il y a tellement de possibilités que l’on reproche souvent aux jeux, surtout les plus récents, d’être si complexes qu’on peut se perdre dans les menus ! Il est en effet courant qu’une simple pression sur une touche ouvre un menu contextuel ajoutant encore plus d’options à chaque mode de jeu. Tout d’abord, si ça ne suffisait pas déjà d’être la simulation de catch la plus complète, la série Fire Pro Wrestling s’est étendue progressivement, mais surtout depuis Super Fire Pro Wrestling Special, aux autres sports de combat ! Le joueur peut ainsi choisir les règles propres aux différentes ligues MMA (Mixed Martial Arts), que ce soit le tournoi K-1, la ligue Pride ou encore la très violente UFC (Ultimate Fighting Championship). À cet effet, le jeu fournit bien entendu les rings (l’octogone de l’UFC), la palette de coups, et a même ajouté un système d’enfourchements au corps à corps spécifique à la discipline. Le jeu comporte aussi, au milieu des centaines de catcheurs disponibles, une bonne sélection des grands noms du free fight, toujours déguisés sous pseudonymes. Il faut dire que le MMA marche sur les plates-bandes du catch au Japon (d’autant que puroresu désigne aussi bien les deux disciplines). De manière générale, il est désormais possible dans Fire Pro de simuler à peu près tous les sports de combat, à condition que les milliers de coups disponibles couvrent la discipline voulue…

Toutefois, le joueur occidental ne devra pas s’étonner de l’absence de certains matches gimmick typiquement américains comme le match à échelle. Les Japonais n’ont jamais été très portés sur le hardcore (matches où tous les coups sont permis, mettant en exergue l’utilisation d’armes). Il existe pourtant des promotions spécialisées dans le domaine (la cultissime FMW autrefois, la Big Japan aujourd’hui), qui sont d’ailleurs bien plus anciennes et violentes que leurs homologues occidentaux, mais elles ont toujours été mal considérées là-bas, et même baptisées garbage-wrestling (« catch poubelle ») par la légende Giant Baba. Par conséquent, si on ne trouve pas de table ou d’échelle et si les matches en cage ne sont arrivés que tardivement dans la série, il y a en revanche plusieurs variétés de Deathmatches bien nippons, mettant en scène des cages électrifiées ou encore du barbelé explosif. De la même manière, s’il est très complexe de lancer un match à trois pourtant très courant aux États-Unis (il faut passer par une Bataille Royale en modifiant les règles), le jeu offre toute la panoplie de tournois et de ligues (jusqu’à 64 participants, avec la possibilité de créer plusieurs blocs) dont le public Japonais, amateur d’un catch plus « sportif », raffole tant.

Évidemment, tous ces modes ne serviraient pas à grand-chose sans ce qui fait l’un des attraits d’un jeu de catch, son roster (littéralement « écurie », c’est-à-dire la liste d’athlètes composant une promotion, ou un jeu en l’occurrence). Et c’est encore un point fort de la série créée par Human, puisqu’elle est passé de 16 combattants en 1989 (plusieurs années avant que Street Fighter II n’atteigne ce compte) à 327 en 2005 ! Les catcheurs sont si nombreux qu’ils sont répartis en promotions ou carrément en factions. La plupart des compagnies japonaises du moment sont représentées, auxquelles il faut ajouter des lutteurs de free fight, une poignée de légendes féminines, mais aussi des catcheurs occidentaux. Si les épisodes GBA proposaient carrément les promotions américaines du moment, quitte à modifier la palette de couleurs des lutteurs, la plupart des épisodes prennent moins de risque en faisant figurer des vétérans surtout connus au Japon (Stan Hansen exemplairement), des légendes décédées (André le Géant, déifié au Japon mais inconnu dans son pays natal, la France), voire une sélection de jeunes catcheurs de la scène américaine indépendante, surtout s’ils sont populaires là-bas.

Et si cela ne suffit pas, le jeu offre la possibilité d’en créer beaucoup d’autres ! L’un des gros avantages de la représentation 2D du jeu, c’est qu’il est facile de recréer des catcheurs célèbres et qui ne dépareillent pas trop à côté des personnages originaux du jeu, particulièrement sur GBA où les visages sont si petits qu’ils peuvent être utilisés pour représenter plus de lutteurs (sur console de salon, la plupart des visages aux traits clairement asiatiques ne sont pas utilisables pour créer des catcheurs américains). Outre l’apparence physique, le joueur peut éditer la palette complète de mouvements, mais aussi configurer tous les paramètres du catcheur : son style général, ses forces, ses faiblesses. Le plus fou étant la possibilité de régler son comportement en tant que CPU, c’est-à-dire de choisir la fréquence d’utilisation de tel ou tel type d’attaque en fonction de l’avancement du match !
Enfin, pour la touche finale, on peut bien entendu choisir le nom et le surnom de son personnage, et les épisodes récents permettent même d’écrire une « catch-phrase », d’indiquer les mensurations, le pays d’origine, et même de regrouper les catcheurs en équipe ou en faction… Avec tout cela, un joueur patient et motivé peut ainsi recréer tous les lutteurs d’une compagnie occidentale… dont il peut d’ailleurs recréer le logo à l’aide d’un logiciel de dessin. Celui-ci pourra être affiché sur le ring que l’on aura éventuellement créé, en prenant soin que les coussins des poteaux soient de la bonne couleur ! On peut même créer des arbitres, chacun avec son apparence physique mais aussi ses paramètres : vitesse de déplacement, temps de réaction, vitesse de compté, etc. Pour les moins patients, il existe une communauté web de passionnés très active qui met à disposition, à condition de pouvoir transférer des fichiers sur ses cartes mémoire Dreamcast ou PlayStation, des sélections énormes et sans cesse mises à jour de tous les catcheurs en activité, sans compter les lutteurs fantaisistes inspirés par d’autres jeux vidéo…

Une réalisation austère mais pleine de charme

Si les réfractaires à la 3D sont de plus en plus nombreux chez les gamers, la plupart d’entre eux s’accordent à dire que certains genres en ont énormément bénéficié, et qu’il serait difficile de les imaginer autrement aujourd’hui, comme les simulations automobiles. Le catch a longtemps été un genre décrié dans le jeu vidéo, souvent synonyme de médiocrité, et ce n’est qu’au début des années 2000, avec des jeux signés AKI (WWF No Mercy), une société composée de déserteurs de chez Human, puis Yuke’s que le genre a commencé à gagner en popularité en occident. Un jeu comme Smackdown vs. RAW est devenu une franchise annuelle aussi importante que n’importe quelle série sportive. Si les amateurs de baston sont souvent nostalgiques de la 2D, il est difficile d’imaginer que le catch, discipline qui occasionne des animations complexes et nécessite des collisions très fines, puisse se passer de la troisième dimension…

C’est pourtant ce que fait la série Fire Pro depuis 20 ans, et elle s’en accommode pour le mieux. Mais il y a un « truc ». Les premiers épisodes de la série n’étaient pas très convaincants visuellement, et les mouvements n’étaient pas aussi variés que dans les versions les plus récentes. C’est à partir de Super Fire Pro Wrestling X (1995) que les développeurs de Human ont eu une idée géniale pour réaliser simplement des dizaines (voire un millier par la suite) d’animations différentes : décomposer chaque personnage en petits morceaux (tête, avant-bras, mains, etc.), correspondant à des sprites et dont les animations se limitent à plusieurs orientations possibles. À partir de là, le travail des animateurs consiste dès lors à manipuler ces « pantins » virtuels pour leur faire prendre toutes les positions possibles. Une technique largement employée depuis par Vanillaware (Odin Sphere, Muramasa). Les graphistes des Fire Pro ont toutefois atteint une telle expertise dans le domaine qu’il est difficile, durant le jeu, de voir les séparations entre chaque partie du corps. C’est aussi ce système qui permet d’offrir un vaste choix de catcheurs, puisque chaque partie peut-être réutilisée, parfois en modifiant simplement la palette de couleurs. Mais évidemment les torses, cuisses et autres parties du corps se déclinent en plusieurs motifs de vêtements, et en plusieurs largeurs, pour proposer plusieurs gabarits de combattant, femmes comprises. Mais même dans les derniers épisodes de Fire Pro, il existe encore quelques disparités dans le traitement des animations. Avec l’ampleur qu’a pris la série en terme de contenu, certains coups, créés dans des volets antérieurs, n’ont pas été retravaillés et accusent leur âge, mais les plus récents sont parfois dignes d’un Metal Slug pour prendre un autre exemple d’animation réalisée à la main.

Il me reste enfin à évoquer le son qui, sans être le point fort de la série, n’est pas dénué de qualités. Le problème vient surtout des musiques. Celles qui accompagnent les matches, et qui n’ont donc rien à faire là, sont des morceaux de prog-rock japonais assez répétitifs qu’on aura vite fait de désactiver. Quant aux musiques d’entrée des catcheurs, pour d’évidents problèmes de droit, mais aussi de place mémoire, elles sont forcément peu nombreuses et il est frustrant de ne pas pouvoir les « corriger » comme les couleurs et les noms… En revanche, les bruitages et surtout les voix sont bien plus convaincants. Les catcheurs crient de douleur ou provoquent leur adversaire, et on entend l’arbitre faire le décompte pour un tombé, ou lorsqu’un lutteur est en dehors du ring, ce qui est utilisé de manière particulièrement dramatique au Japon. Mais le plus jubilatoire est une autre particularité du puroresu. Il faut savoir que le public japonais est calme et respectueux ; il applaudit fréquemment les catcheurs, ce qu’un américain ne fait jamais. Depuis quelques années, les Japonais font l’effort de huer les méchants, mais on sent que c’est peu naturel chez eux. En revanche, dans un match très disputé, les Japonais montrent leur excitation en trépignant des pieds à chaque tentative de tombé qui n’aboutit pas, faisant ainsi trembler toute l’arène. C’est notamment cette ambiance que retranscrit extrêmement bien les Fire Pro Wrestling.

Je tiens à vous féliciter si vous êtes arrivé jusqu’ici. Il y a beaucoup de chose à dire sur cette franchise, et il est difficile de faire court sans embrouiller le profane. L’intérêt d’un tel article n’est pas tant de vous inciter à jouer que de vous montrer comment une série inconnue en France peut avoir une aura incroyable au Japon mais aussi aux États-Unis, où les forums s’enflamment à la moindre rumeur… Il faut dire qu’avec la puissance des machines d’aujourd’hui, y compris les consoles portables et les smartphones, la sortie d’un nouvel épisode est peu probable, et les fans sont fatalement frustrés de la production de jeux actuels, presque tous estampillés WWE, certes riches en contenu mais qui laissent à désirer en terme de gameplay. Encore merci à l’auteur mystérieux de ce précieux dossier, découvert sur le tard mais qui m’a permis de vérifier certains détails historiques (première apparition de telle ou telle feature dans la série) et d’avoir de belles images. Si cette chronique a piqué votre curiosité, son dossier aborde bien plus en profondeur les particularités du puroresu, les autres jeux de catch et chaque épisode de la série en détail.

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