ÉDITO : Quand la fièvre spéculative s’empare du jeu vidéo…

Cet exemplaire de Super Mario 64 a été le premier jeu à franchir la barre du million de dollars
Cet exemplaire de Super Mario 64 a été le premier jeu vidéo à franchir la barre du million de dollars aux enchères (image : Kotaku)

Après avoir évoqué la technologie du FPGA, nous allons aborder une autre grosse tendance du jeu vidéo rétro, elle autrement moins enthousiasmante malheureusement. Car si l’on peut se féliciter que de plus en plus gens s’intéressent à son histoire et à son patrimoine, cet engouement s’accompagne hélas de manière assez automatique d’un attrait commercial… Mais nous ne parlerons pas ici des éditeurs qui recyclent régulièrement leurs vieux catalogues au prix fort, ni même de l’envolée des tarifs de certaines machines et certains jeux (cf. le récent vlog d’OldSchool is beautiful sur Cash Converters) car, aussi regrettable soient ces pratiques, elles demeurent parfaitement légales. Il sera bien question de prix de classiques, certes, mais on va tenter de vous expliquer pourquoi et comment le monde du retrogaming est actuellement touché par une bulle spéculative, autrement dit une escalade de prix créée de manière artificielle, qui n’a pas tant à voir avec la rareté des jeux qu’à une connivence entre certains acteurs du milieu des enchères…

D’un naturel méfiant, nous n’avons pas relayé ici tous les records établis par différents classiques du jeu vidéo ces trois dernières années, mais nous avions au moins évoqué (sans le savoir) celui par lequel tout a commencé… C’était en février 2019, alors que la société Heritage Auctions venait tout juste de se lancer dans les enchères de jeux vidéo, qu’un exemplaire de Super Mario Bros. (1985) dépassait pour la première fois la barre symbolique des 100 000 dollars. Jusque-là, le record était détenu par Stadium Events (1986) également sur NES, mais d’une cartouche produite en petites quantités dans le cadre d’un tournoi, on se retrouvait avec l’un des classiques les plus communs de la 8-bit de Nintendo… Cela dit, cet exemplaire n’était en fait pas si répandu car, comme on l’expliquait dans l’article, il provenait du lancement limité de la console fin 1985 en plus d’être toujours scellé. Néanmoins, cela nous avait du coup surpris quand, un an plus tard, le prototype de la PlayStation était parti à « seulement » $360,000. Mais ce qui est très intéressant, c’est qu’on finissait en citant Deniz Khan, le président de la société WataGames dont il va être largement question ici, qui prévoyait que ce même exemplaire pourrait un jour dépasser le million. Or il a vu juste même si, comme on va le voir, il a tout fait pour que sa prédiction se réalise…

Exemplaire rare de Super Mario Bros. sur NES
Le jeu par lequel tout a commencé…

Tout d’abord, en juillet 2020, un autre Super Mario Bros. a battu le record du précédent, pas de beaucoup, certes, mais avec une note pourtant inférieure (9.4 A+). Puis, en novembre, c’était le troisième volet de la série qui atteignait 156 000 dollars. Mais l’original n’avait clairement pas dit son dernier mot car, début avril de cette année, le record de la PlayStation était cette fois largement dépassé avec 660 000 dollars, avant d’être lui-même battu début juillet par un exemplaire de The Legend of Zelda (1986)… Cependant, contre toute attente, le million a été franchi quelques jours plus tard par un autre titre de Nintendo, autrement plus récent, Super Mario 64 (1996). Or il n’y avait plus d’édition limitée pour justifier le million et demi atteint par le jeu de plateforme en 3D dont on peut revoir la vente aux enchères ci-dessous, et c’est clairement ce qui a commencé à créer la suspicion… Des spécialistes comme Chris Kohler et Frank Cifaldi ont estimé que, si ce nouveau record était prévisible puisqu’on a vu le même genre de phénomène dans d’autres domaines, il restait étonnant qu’il soit franchi par ce jeu, dans cet état – les boîtes en carton sont souvent abimées mais il ne faut pas exagérer – et si tôt. C’est déjà presque la moitié du montant auquel a été cédé le tout premier numéro de Superman de 1938 début avril

Ce qui a changé par rapport aux précédents records, c’est que l’agence de notation WataGames  lui a décerné un 9.8A++, a priori la note maximale qu’un exemplaire de ce jeu pourrait décrocher, mais cela reste étonnant quand un 9.4A+ faisait presque quarante fois moins en début d’année. Et dans la mesure où Heritage Auctions récupère 20% de la transaction – le jeu a en réalité été adjugé à 1,3 millions – plus 5% de la somme touchée par le vendeur, on peut effectivement se demander s’il n’y a pas anguille sous roche… Car si la maison de vente aux enchères assure faire toutes les vérifications nécessaires, l’acheteur demeure en général anonyme à moins de se manifester publiquement. Les arnaques ne sont hélas pas nouvelles dans le jeu vidéo, avec des faux prototypes et kits de développement par exemple, mais c’est bien sûr à tout autre chose que l’on a affaire ici, bien plus subtile et plus légale en apparence. Cela pouvait même ressembler à une évolution naturelle du marché ; comme l’explique Chris Kohler dans un article publié sur Ars Technica, les collectionneurs n’étaient jusqu’à présent pas très intéressés par l’état des jeux, mais cherchaient juste à réunir un full set. Ainsi, les jeux les plus chers étaient avant tout des pièces rares en termes de nombre d’exemplaires produits, comme Stadium Events (1986). Ce n’était déjà plus motivé par la nostalgie, certes, mais ce que l’on observe depuis quelques années, c’est que les jeux sont de plus en plus souvent achetés neufs sous blister, donc encore moins pour jouer.

Mais comme on peut facilement remettre un jeu sous blister, en tout cas plus facilement qu’une figurine, le nouveau critère va être la notation (grading en anglais) basée sur l’état de l’emballage, et délivrée par une agence spécialisée comme WataGames, justement lancée en avril 2018, soit moins d’un an avant qu’Heritage Auctions ne s’attelle au jeu vidéo… Au départ, on pouvait penser que ça allait remettre un peu d’ordre dans le Far West d’eBay et Cie avec un argus plus légitime du jeu vidéo, mais force a été de constater que c’est encore plus incontrôlé que ça ne l’était avant, quand le cap des deux millions a été franchi début août, de nouveau par Super Mario Bros. !… Surtout que cette fois, le vendeur n’était même pas un collectionneur mais Rally, une société d’investissement dont on va reparler plus tard, et qui avait justement acheté cet exemplaire aux enchères sur le même site, pour « seulement » 140 000 dollars. Tout cela posait donc question et méritait une enquête approfondie, et c’est le journaliste Karl Jobst qui, le premier, a jeté un pavé dans la mare fin août avec la vidéo ci-dessous. Nous allons donc à présent tenter de vous en résumer le contenu puisqu’elle dure près d’une heure et qu’elle est intégralement en anglais.

Cette vidéo commence donc par rappeler que le critère de notation est basé sur une valeur extrinsèque du jeu, c’est-à-dire le contexte de l’objet (auteur, rareté, etc.), comme le prix d’un tableau n’est évidemment pas indexé sur le simple coût des matières premières qui ont permis sa fabrication… L’émotion ressentie devant une toile de maître ou sa reproduction (fidèle) sera sans doute la même, mais l’original a au moins l’avantage d’être un exemplaire unique, ce qui n’est pas le cas d’un jeu vidéo (ni d’un film ou d’un disque). De toute façon, la première bulle spéculative de l’Histoire n’a même pas concerné une œuvre de l’esprit mais… des tulipes. Or ces bulles finissent toujours par éclater car, par définition, les gens ne se ruent pas sur l’objet en question parce qu’ils veulent le posséder, mais uniquement dans l’espoir de le revendre plus cher. Et c’est précisément parce que les jeux qui battent tous ces records sont facilement trouvables sous une forme ou une autre, légalement ou pas, que la spéculation semble en être la vraie motivation, plutôt que la collection. Et comme le pic de la tulipomanie remonte tout de même à 1637, on a eu amplement le temps de comprendre quels sont les mécanismes en jeu. Bien plus près de nous, la crise de 2008 a été causée par le fait que des produits dits toxiques (des hypothèques qui avaient en fait peu de chances d’être remboursées et donc de rapporter de l’argent) avaient été hélas surnotés

Car si le système semble avant tout profiter ici aux maisons de vente aux enchères, donc à Heritage Auctions, il n’aurait jamais pu se mettre en place sans la notation fournie par WataGames… Or ce qui est déjà troublant, c’est qu’il existait déjà, depuis 2008, une agence de notation pour le jeu vidéo, Video Games Authority. Et pourtant, quand Heritage Auctions, une maison fondée en 1976, se lance dans le jeu vidéo début 2019, elle fait uniquement noter ses pièces par WataGames, fondée en 2017 mais qui n’a réellement débuté son activité qu’en avril 2018. Autrement dit, cette agence a beaucoup moins d’expérience, et donc de légitimité, que VGA. Et on peut aisément imaginer qu’il y ait eu favoritisme puisque Jim Halperin, le fondateur de Heritage Auctions, aurait opéré comme conseiller lors de la création de WataGames. On fait déjà face à un possible conflit d’intérêt mais, pour que la spéculation marche, il faut tout d’abord établir un premier record qui va attirer l’attention du marché. Et c’est précisément ce qu’a réalisé la vente de Super Mario Bros. (1985) en février 2019 ; l’information a en effet été largement relayée par la presse, ici compris. Et c’était bien naturel puisqu’il s’agissait de la première vente de jeu vidéo atteignant les six chiffres, mais ça ne valait pas grand-chose si c’était en réalité fabriqué.

Or qui était l’acquéreur de ce premier trésor ? En fait trois personnes, et pas n’importe qui : Jim Halperin encore, mais également Zac Gieg, le créateur du site de vente Just Press Play, lui aussi listé parmi les partenaires de WataGames, et enfin le collectionneur Rich Lecce. Ce dernier semblait sur le moment moins suspicieux mais, quatre jours seulement après la publication de la vidéo, le journaliste Seth Abramson (sur lequel nous aurons l’occasion de revenir) découvre qu’il est l’un des trois fondateurs de WataGames… Et même si la presse ne s’est pas faite prier pour relayer la nouvelle de la vente, Halperin a lui-même publié un communiqué de presse annonçant déjà une future vente aux enchères de son acquisition, appuyé par Deniz Khan, le président de WataGames, dont la prévision avait alors été citée un peu partout comme on le rappelait plus haut. Et même si deux des trois acheteurs collectionnaient sans doute du jeu vidéo auparavant, ils ont forcément donné leur accord à Halperin pour la future revente. L’opération n’avait donc pour but que de gagner de l’argent avec la plus-value, et c’est en enquêtant sur ce nouveau marché que Karl Jobst a découvert des sociétés d’investissement comme Rally, mentionnée plus haut, mais aussi Otis et Mythic Markets. Ces compagnies permettent à des particuliers, aux budgets donc plus limités, d’acquérir des pièces de collection en n’achetant qu’une part de ces objets.

Page d'accueil du site Mythic Markets
Mythic Markets promet d’acquérir (une partie d’)une pièce de collection à partir de $25 seulement. Enfin promettait, car les transactions ont apparemment cessé en juin et tout a été vendu aux enchères… sur Heritage Auctions.

Il est donc évident qu’on ne parle non seulement plus d’acheter des jeux pour jouer, mais même pas pour les mettre en valeur sur ses étagères… Or lorsque Rally avait acquis son exemplaire de Super Mario Bros., celui qu’elle a revendu début août pour plus de deux millions après avoir refusé une offre à 300 000 dollars (pourtant près de trois fois supérieure à son prix d’achat), Heritage Auctions n’avait pas forcément indiqué que l’acheteur était une société. Certes, lors de la vente de Super Mario Bros. 3 (1988) en novembre 2020, la maison avait présenté son acquéreur, Eric Naierman, mais avec un storytelling bien étudié. Ce dentiste avait alors été qualifié d’un des plus grands collectionneurs de jeux vidéo, alors qu’il a avoué très librement par la suite n’avoir commencé qu’en 2019, et que les fonds avaient de toute façon été réunis par un groupe d’investissement. Et il avait beau assurer avoir beaucoup de nostalgie pour la NES, il semblait surtout être excité d’être l’un des premiers à avoir investi au bon moment dans le jeu vidéo, regrettant (comme tout un chacun) de ne pas avoir saisi certaines occasions par le passé…

La vidéo aborde ensuite une autre mécanique, pour faire grimper les prix lors de l’enchère elle-même. Et les habitués d’eBay connaissent bien cette méthode pour le coup, qui consiste à créer une fausse compétition en participant à l’enchère avec un autre compte ou en demandant à un ami de le faire, quitte à annuler la vente en cas de gain de ce dernier, ou plus simplement revendre l’objet plus tard. Et comme ici il n’y a pas que le vendeur qui gagne de l’argent, on n’est pas trop surpris d’apprendre qu’Heritage Auctions a déjà été attaqué en justice pour cela. La société n’a pas forcément été condamnée, mais Jim Halperin a ouvertement menti lors d’un procès. Et si c’est toutefois difficile à prouver, un ancien employé affirme que l’homme d’affaires s’est plusieurs fois vendu ses comics à lui-même, juste pour en augmenter régulièrement la valeur. Deniz Khan affirme de son côté que les employés de WataGames n’ont pas le droit d’évaluer leurs propres jeux et de vendre des jeux notés par l’agence, mais outre le fait qu’on a déjà mentionné des vendeurs entretenant des liens avec la compagnie, on en trouve en fait beaucoup d’autres exemples.

Eric Naierman
Cette tête à claques est devenu l’un des plus gros collectionneurs de jeux vidéo du jour au lendemain

Karl Jobst prend l’exemple de Dain Anderson, le fondateur de NintendoAge, un (autrefois) célèbre forum dédié à Nintendo où l’on trouvait précisément un argus des jeux. En 2019, il a cédé son énorme collection, après l’avoir faite évaluer par WataGames (qui l’a baptisée Carolina Collection), à Jeff Meyer de GoCollect, un guide de prix pour comics. Ce dernier en a ensuite revendu une partie via différentes maisons de vente, dont Heritage Auctions. Or non seulement Anderson a été impliqué dans la création de Wata mais Meyer fait carrément partie de la direction de la société !… Certes, il ne le dit jamais publiquement et ce n’est pas indiqué ouvertement sur le site de WataGames, mais il est listé comme tel par le SEC, l’organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers. En outre, Meyer a racheté NintendoAge par la même occasion et, si le site est toujours actif, son gigantesque argus a disparu. Il a également fait l’acquisition d’un autre argus en ligne, GameValueNow, et annonce vouloir monter sa propre structure en reconnaissant pour le coup l’aide précieuse de Wata et d’Heritage Auctions. Il commence donc à avoir une sacrée mainmise sur le prix des jeux, ce qui est bien commode quand on vient de s’offrir l’une des plus grandes collections au monde…

Surtout que, le gros problème avec les notations, c’est que même si WataGames détaille le système employé sur son site, elles demeurent largement subjectives. Les jeux étant le plus souvent scellés et n’ayant du reste pas vocation à être ouverts, l’évaluateur ne peut émettre son jugement que sur l’aspect extérieur. Or dans le milieu des comics, il est déjà bien connu que les vendeurs déçus par une notation préfèrent ouvrir le boîtier de l’agence pour lui renvoyer l’objet en espérant cette fois une meilleure note… Karl Jobst donne l’exemple d’une copie de Tomb Raider (1996) sur Saturn qui a reçu la note de 9.8A+. Or, si le boitier absolument impeccable de ce jeu vraisemblablement neuf sous blister justifie sans doute un 9.8, le barème de Wata indique très clairement que du fait de la présence de petits trous sur le plastique, comme on le constate ci-dessous, ce dernier ne mériterait au mieux qu’un A, pas un A+. Il n’est donc pas interdit de penser que les évaluateurs ne soient pas très sévères – ou qu’on leur demande de ne pas l’être.

Exemplaire de Tomb Raider sur Saturn avec un petit trou dans le blister
Un blister noté A+ ne peut pas présenter de petits trous comme celui-ci, sachant qu’il y en a en outre un autre plus grand en bas…

Vient ensuite le cas de Mark Haspel, lui aussi un membre de la direction de l’agence de notation. Un an avant que celle-ci ne débute son activité, ce collectionneur de comics s’était mis du jour au lendemain à écumer les conventions rétro pour acheter tous les jeux sous blister qu’il pouvait trouver. Et pas des titres rares, plutôt des classiques NES très populaires – précisément ceux qui ont battu tous ces records… Ce n’était peut-être pas lui mais, dans l’article d’Ars Technica que l’on évoquait plus haut et qui interrogeait des membres de la communauté sur une possible évolution des mentalités, Kelsey Lewin de la Video Game History Foundation affirmait avoir remarqué vers 2019 ce nouveau type de collectionneurs intéressés uniquement par des jeux scellés. Notez bien qu’Haspel ne faisait alors rien d’illégal mais, s’il a par la suite évalué et vendu ses trouvailles, il n’a en tout cas pas respecté le règlement de WataGames. Du reste, le cerveau de l’opération demeure sans doute Jim Halperin pour Jobst, puisque le fondateur d’Heritage Auctions  est loin d’être un débutant en matière de spéculation. Dans les années 1980, il y a eu une bulle spéculative autour de la collection des pièces de monnaie. Or celle-ci avait déjà été causée par deux agences de notation en particulier, qui se sont basées sur un article écrit en 1985 par… Jim Halperin.

Selon Karl Jobst, le seul moyen d’éviter ce genre de dérive serait d’avoir, comme cela existe du reste dans d’autres domaines, des rapports de population (population reports), c’est-à-dire le nombre de jeux notés par les agences de notation. Par exemple, un jeu Spider-Man (1982) sur Atari 2600 a été noté 9.8A++ et a ainsi été cédé pour $9000 au printemps 2020. Le problème, c’est que ce titre en particulier, même dans cet état, est en réalité extrêmement répandu, et Heritage Auctions s’est ainsi retrouvé inondé de nombreux autres exemplaires ; moins d’un an plus tard, le cours avait été divisé par plus de dix… Et c’est aussi ce que pense Seth Abramson que l’on évoquait plus haut. Sur son site Proof, le journaliste essaie justement de réaliser ces rapports de population pour différentes machines, et il a sonné l’alarme quand il a découvert des chiffres sur les jeux NES ayant fuité de WataGames. L’article complet est réservé aux abonnés, mais une capture d’écran est disponible sur Nintendo Life et Abramson explique ce que ses découvertes signifient sur Twitter. En l’espace de trois ans, le jeu le plus souvent noté l’a été 750 fois, et le dixième jeu le plus noté l’est environ cinq fois par mois… Cela commence à faire beaucoup.

Selon lui, les vendeurs se sont créé ces dernières années un stock de jeux sous blister mais qu’ils ont fait évaluer par WataGames au compte-gouttes avant de les vendre, là encore, un par un pour simuler la rareté alors que certains titres ont déjà été notés des centaines de fois comme on l’a vu… Les prix devenant prohibitifs, les acheteurs passent par des sociétés d’investissement et les jeux sont revendus toujours plus chers pour permettre à chacun de gagner un peu d’argent à chaque transaction. Mais comme la progression des montants est exponentielle, il faut toujours plus d’acheteurs pour que les vendeurs y gagnent, et on se retrouve donc dans le schéma de la pyramide de Ponzi – ce qui nous ramène là encore à la crise de 2008. Évidemment, Heritage Auctions comme WataGames contestent ces arguments et accusent de calomnies Karl Jobst comme Seth Abramson, mais ce dernier en particulier contre-attaque sans relâche. Il a donné sur Twitter l’exemple de deux jeux évalués par Wata semblant indiquer que l’agence de notation favorisait assez nettement Heritage au détriment d’un autre site de vente, ComicConnect. Il a aussi découvert l’implication dans Wata de Richard Lecce, l’un des trois acheteurs du Super Mario Bros. ayant établi le premier record. Et il s’est même rendu compte, sans l’avoir prémédité, avoir acheté trois jeux à Mark Haspel alors que ce dernier n’avait pas le droit de le faire…

Il y aurait encore de nombreuses choses à dire sur le sujet, des choix discutables d’agence de relations publiques à la participation de l’émission Pawn Stars mais, pour le dire poliment, les articles de Seth Abramson vont souvent très en profondeur… Et si les sociétés impliquées continuent de nier toute intention maligne, elles ne semblent en tout cas pas prêtes à corriger le tir, alors que ces affaires éclatent logiquement de plus en plus au grand jour, au fur et à mesure que de nouveaux records sont battus. Le mois dernier, c’est Yūji Naka en personne, le cocréateur de Sonic, qui s’étonnait comme on le voit ci-dessous du montant atteint par un exemplaire du classique de la Mega Drive, se demandant si ce n’était pas une escroquerie… Alors certes, cette bulle spéculative peut avoir de temps à autre des conséquences plus positives, comme lorsque le gain profite à l’organisme caritatif américain Goodwill par exemple mais, encore une fois, toutes les bulles finissent par éclater. Comme l’achat des jeux est uniquement motivé par le gain potentiel d’une future revente et non par la collection, dès que le cours commence à baisser un peu, les spéculateurs paniquent et revendent tout, accélérant d’autant plus sa chute.

En plus de cela, comme le soulignent les témoignages recueillis par Ars Technica, cette bulle commence à logiquement créer un fossé entre les retrogamers passionnés mais élitistes et ce nouveau type de « collectionneur » plus fortuné. Autrefois, la communauté était assez réduite pour reconnaître certains vendeurs et acheteurs, alors que l’essor des sociétés d’investissement rend les transactions de plus en plus anonymes. Et les collectionneurs à l’ancienne participent à cette bulle sans le vouloir. Déjà parce que convoiter certains jeux plus que d’autres a toujours fait augmenter leur cours, selon la loi plus naturelle de l’offre et de la demande, mais beaucoup se retrouvent aussi dans une situation compliquée, n’ayant plus les moyens d’acheter, mais n’osant pas revendre non plus quand ils voient que leurs jeux prennent de plus en plus de valeur… Après, cette spéculation touchant presque exclusivement les jeux sous blister, on pourrait espérer que le cours des jeux non scellés baisse et qu’ils soient donc plus accessibles à ceux qui veulent tout simplement jouer, mais rien n’est moins sûr. Car au-delà de cette bulle, le retrogaming a le vent en poupe et les prix ne l’ont pas attendu pour grimper, évidemment pas du tout dans les mêmes proportions, mais hélas assez pour en décourager plus d’un de poursuivre leurs collections.

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