On ne s’était pas caché que notre précédent banc d’essai consacré à la Mega Sg devait à la fois préparer et faire patienter pour celui de la machine suivante d’Analogue, enfin disponible depuis le mois dernier après plusieurs retards, et qui semble déjà constituer un succès sans précédent – mais est-il mérité ? Ce qui est certain, c’est que l’Analogue Pocket marque un nouveau tournant pour la société après celui de la Nt Mini, comme on l’expliquait dans notre édito dédié au FPGA. Quatrième console du constructeur à reposer sur cette technologie, elle inaugure l’Analogue OS mais c’est aussi celle qui devrait accueillir les premiers cœurs réalisés par des développeurs tiers. Et c’est d’autant moins anodin qu’il s’agit aussi d’une portable, une première pour ce genre de machines ; combien de possesseurs de MISTer rêvent d’une version nomade ? En outre, comme on va le voir, la Pocket est peut-être encore plus performante qu’elle n’en a l’air, ayant ainsi le potentiel de devenir la machine rétro ultime… Mais ce ne sera pas pour tout de suite car, malgré les retards, elle n’est pas encore tout à fait au point. Son O.S. est en bêta et les savestates promises (une première sur cartouche en passant) ne sont pas disponibles pour le moment. Le dock présente aussi des soucis de compatibilité, mais il ne sera pas testé ici comme je n’en possède pas encore. C’est l’aspect positif des difficultés d’approvisionnement ; le temps que vous puissiez vous procurer la console, certains de ses défauts seront sans doute de l’histoire ancienne…
Une portable pour les émuler toutes
Si la Pocket lit nativement les cartouches Game Boy, Game Boy Color et Game Boy Advance, et se montre compatible avec à peu près tous les accessoires (du moins les officiels) de ces portables, elle dispose d’ores et déjà d’un adaptateur (vendu séparément) pour la Game Gear avec d’autres à venir pour la Lynx, la Neo·Geo Pocket et les HuCards PC Engine. Pour prendre en charge ces différents formats, le port se montre assez court mais, contrairement à ce que certains craignaient avant la sortie de la machine, les cartouches même les plus grandes tiennent bien en place – même les jeux Game Gear bien qu’ils ne soient pas tout à fait adossés à l’arrière de la console. Seuls certains empilages exotiques comme avec le Master Gear Converter (en photo ci-dessous) manquent de stabilité, mais cela fonctionne… Hormis quelques titres obscurs (cf. l’encart ci-dessous), la grande majorité des problèmes de compatibilité relevés concerne les flashcarts, en particulier les modèles primitifs ou les x5/x7 d’EverDrive selon krikzz, et il faudra voir comment la situation évoluera avec les prochaines versions de firmware. En outre, l’intérêt de ce type de cartouche pourrait être relativisé par le jailbreak permettant l’utilisation de ROMs et de cœurs d’autres machines. Pour les consoles précédentes d’Analogue, il avait été mis en ligne au bout d’une semaine seulement, mais on soupçonne cette fois que Kevin « Kevtris » Horton préfère attendre la version « 1.1 » de l’OS, puisqu’il s’agit d’une version alternative de ce dernier.
Important!
Napoléon vaincu par Kevtris : Le premier jeu Game Boy Advance que j’ai voulu tester est l’OVNI L’Aigle de guerre (2001), et j’ai bien cru que ma cartouche était morte jusqu’à ce que je retrouve le chargeur de ma Game Boy Micro… Déjà capricieux sur flashcart et émulateur, ce jeu de lancement signé Genki n’a pas été codé de manière orthodoxe. Kevin « Kevtris » Horton m’a confirmé que non seulement il accède à un registre auquel il ne devrait pas toucher, ce qui coupe le CPU (!), mais il modifie également la vitesse du bus d’accès à la cartouche. La version 1.0A (30/12) du firmware de la Pocket a donc corrigé tout cela.
Même si l’on peut regretter que pour certains, l’intérêt de la Pocket réside essentiellement dans une fonctionnalité qui n’a jamais été promise de manière officielle, il est clair que le jailbreak mais aussi les machines émulées constituent un enjeu important, surtout pour concurrencer le très polyvalent MISTer. Or la communauté a déjà essayé d’estimer quels cœurs pourraient tourner sur la portable et, selon Kevtris, sa console est très sous-estimée car elle pourrait à peu près tout émuler hormis le PC 486 et les jeux les plus volumineux de la Neo·Geo… Déjà parce que les cœurs FPGA qu’il a créés sont bien plus petits, mais aussi parce que l’architecture de la Pocket est bien mieux optimisée. Comme on l’expliquait dans notre édito, le MISTer est basé sur la carte mère DE10-Nano qui n’a pas été spécialement conçue pour le jeu vidéo. Ainsi, s’il dispose d’une SDRAM assez confortable (et d’une DDR3 complémentaire peu exploitée dans les faits car ajoutant trop de latence), le MISTer l’utilise pour remplacer tous les types de RAM que l’on trouve dans une machine rétro (vidéo, sonore, etc.) alors que la Pocket bénéficie de quatre RAMs différentes : 64 Mo de SDRAM, 256 Ko de SRAM et 2×16 Mo de PSRAM. Or c’est précisément leur présence qui permet une émulation hardware plus fidèle, recréant les timings et la synchronisation des composants virtuels, qui sinon se retrouvent à « attendre leur tour » pour accéder à l’unique RAM – comme avec un émulateur software, typiquement, ce qui nécessite du coup plus de vitesse.
Maintenant, s’il est fort probable que l’on retrouve à terme les nombreux cœurs 8-bit du jailbreak de la Nt Mini puisque celle-ci n’est plus produite, il reste à voir si Analogue donnera son accord pour ceux de la Super Nt et de la Mega Sg, elles toujours en vente. On pourra objecter qu’elles demeureront compétitives puisqu’elles reviennent bien moins cher, n’ayant pas besoin de dock pour se connecter à un téléviseur, mais il faudra peut-être compter sur les cœurs 16-bit créés par des développeurs indépendants, et tous ceux en provenance du MISTer vont faire jaser…
Bel écrin et grand écran
Mais revenons au présent. Avant même d’ouvrir la boîte, on est comme toujours séduit d’abord par le packaging d’Analogue, à la fois incroyablement classe et discret, façon Apple. Une fois la console en main, elle se révèle un peu plus lourde que ce qu’on pourrait imaginer, mais reste confortable. Comme on le disait plus haut, le port cartouche est nettement plus convaincant qu’il n’en avait l’air en photo, mais certains lui reprochent d’être un peu trop serré et d’endommager les étiquettes même si, à notre avis, cela ne doit arriver que si elles commençaient déjà à se décoller. Mieux vaut être prudent dans ce cas, donc. Qu’il y ait un jeu ou non dedans, on peut allumer la Pocket en maintenant le bouton Power enfoncé quelques instants, à la manière de la Mega Sg bien que l’on ait eu la bonne surprise que la portable démarre bien plus rapidement, presque instantanément – mais pas aussi vite qu’une authentique Game Boy, certes. En revanche, ne vous attendez pas à être immédiatement bluffé par son écran, car la typographie employée par l’interface est volontairement pixelisée et seuls certains éléments de la signalétique trahissent son ratio surréaliste de 615 pixels par pouce, supérieur à ceux des mobiles du marché…
Comme on l’a déjà expliqué, cette définition de 1600×1440, soit cent fois celle de la Game Boy, permet non seulement de s’adapter à celles, différentes, d’autres consoles, mais également de recréer l’effet de grille autour des cristaux liquides comme illustré ci-dessus. Moi qui n’utilise jamais les filtres façon CRT des jeux néorétro ou même des émulateurs software, je trouve ici le résultat nettement plus authentique, même s’il est évidemment autrement plus lumineux qu’à l’époque (voir le comparatif de notre article précédent) et surtout ne présente pas la rémanence des sprites qui rendait certains jeux presque injouables… Notez toutefois que pour chaque console, en maintenant le bouton Analogue et en utilisant la croix directionnelle, vous pouvez opter pour plusieurs modes graphiques. Il y a toujours au moins la version pixel perfect et une imitation du look de l’époque comme ci-dessus, donc, mais pour la première Game Boy, il y a aussi des variantes inspirées par les écrans de la Pocket et de la Light, ainsi qu’un mode Pinball Neon Matrix (le favori de Kevtris) façon écran de flipper et qui évoque un peu le Virtual Boy. Quant à la Game Boy Advance, dont le rendu a été amélioré par le dernier firmware, on peut opter pour le style pâlot du modèle d’origine sans rétroéclairage, ou pour celui plus lumineux de la GBA SP.
8BitDo what Nintendon’t ?
Alors que les deux consoles précédentes d’Analogue avaient été « accompagnées » de manettes sans fil dédiées créées par 8BitDo, quoique vendues séparément d’autant qu’on pouvait aussi utiliser n’importe quel contrôleur d’origine, la Pocket n’y a évidemment pas droit en tant que portable, mais le fabricant est néanmoins remercié dans les crédits et il est fortement soupçonné qu’il ait contribué à l’ergonomie de la machine… Celle-ci offre autant de boutons qu’une manette Super Nintendo auxquels s’ajoute la touche Analogue déjà évoquée, donnant un accès direct au menu de l’OS sans raccourci ésotérique, et permettant aussi de modifier à la volée la luminosité de l’écran et les filtres graphiques comme on l’a vu à l’instant. Il y a donc quatre boutons de face, sans dénomination mais avec deux légèrement concaves et les autres convexes, soit deux de trop pour les machines officiellement compatibles (à moins qu’ils soient doublés pour le tir automatique sur PC Engine)… En matière d’interface, les goûts sont souvent subjectifs et même si je n’ai rien trouvé à lui reprocher personnellement, certains accusent la croix directionnelle de causer des diagonales involontaires – et elle ne remplacera jamais le stick à microswitches de la Neo·Geo Pocket, bien sûr. Mais ce sont surtout les boutons de tranche reprenant ceux déjà controversés de la GBA SP qui suscitent le plus de critiques, même s’ils répondent mieux que les originaux.
Mais les possibilités promises par la Pocket sont si alléchantes qu’elle a même séduit certains réfractaires aux portables, qui ne comptaient jouer qu’en mode docké – du moins avant de la recevoir et de découvrir son écran… L’attrait était surtout de pouvoir connecter tout type de manette, en filaire via deux ports USB, mais aussi celles d’8BitDo, qu’elles soient de type Bluetooth ou 2.4g et sans le moindre connecteur, cette fois. Mais c’est hélas là où, pour le moment, cela ne fonctionne pas comme promis même si je n’ai pas pu (encore) le vérifier. La console elle-même bénéficie en tout cas d’améliorations par rapport à la Mega Sg. Je ne suis toujours pas fan du bouton d’allumage (et je ne suis pas le seul) mais le port microSD est bien plus commode ; la carte ne dépasse plus et s’enclenche franchement (il faut la repousser pour la faire sortir). Tant qu’on est dans les connectiques, outre l’alimentation en USB-C (plus gourmande que les consoles précédentes), on a droit à un port jack et au port d’origine pour câble link Game Boy ou GBA. On en trouve sur la boutique d’Analogue si vous avez égaré celui d’époque, mais la difficulté résidera sans doute plutôt dans le fait de trouver d’autres utilisateurs de Pocket (ou de vraies Game Boy)… Confirmons enfin l’autonomie annoncée de 6-10h en utilisation, et plus de 10h en veille, qui n’égale évidemment pas celle de la portable de l’époque, mais reste tout à fait satisfaisante.
Une Rolls Royce en rodage
En fait, le plus gros reproche que l’on pourrait faire à la Pocket est que son système d’exploitation est encore en bêta. Cependant, il ne faut pas oublier que l’Analogue OS n’a été annoncé qu’en octobre dernier, donc au moment où la console devait sortir après son premier report. Si on a très hâte de disposer des savestates qui manquaient cruellement à la Mega Sg, elles n’avaient même pas été promises à l’ouverture des précommandes de la machine… Pour l’instant, on peut uniquement suspendre sa partie comme sur consoles actuelles, et la reprendre à la sortie de la veille. Il faut juste savoir que cela ne peut pas marcher sur flashcart puisque la ROM du jeu n’est pas chargée à l’allumage, la cartouche n’étant plus alimentée en veille. Mais les options se révèlent aussi limitées ; hormis forcer un type de console pour certains jeux incompatibles Game Boy Color par exemple (ou imposer couleur ou tons de gris) et choisir de lancer automatiquement la cartouche insérée au démarrage, les réglages concernent surtout l’affichage de chaque console. On ne peut pas encore personnaliser les contrôles, seulement activer ceux du Super Game Boy. Notons tout de même, dans la rubrique Tools du menu principal, l’intégration de GB Studio pour créer ses propres jeux d’aventure Game Boy (*), et du logiciel de musique nanoloop qui se réserve toutefois à un public averti ; il faut avouer que son côté hipster va comme un gant à la bécane.
Important!
(*) Certains se servent aussi déjà de la présence du logiciel pour patcher certaines ROMs (de jeux désassemblés du moins) afin qu’elles tournent directement sur la console…
Autrement dit, il serait pertinent de refaire un test au moment où certaines de ces fonctionnalités seront disponibles… En l’état, la Pocket n’est évidemment pas parfaite et on pourra regretter que trop peu de journalistes comme Benj Edwards ont essayé de pointer les éléments négatifs, alors que la plupart des influenceurs qui l’ont reçu en avant-première se montraient parfois excessifs dans leurs louages – et d’autant plus cruels vis-à-vis de deux qui avaient loupé les précommandes. Néanmoins, il ne faut pas tomber dans l’excès inverse, et même si c’est assez fréquent quand une machine génère le buzz, il y a clairement une campagne de désinformation dont l’origine ne fait pas beaucoup de MYSTère… Il est tout à fait légitime de ne pas apprécier certaines méthodes d’Analogue qui prétend faire de la préservation ou que ses consoles ne reposent pas sur l’émulation (c’en est, mais d’un autre type), mais aussi d’espérer une portable open source – on ne serait pas contre non plus. N’empêche que, pour le moment, on ne voit pas trop quelle machine concurrence objectivement la Pocket. Il existe certes d’innombrables portables chinoises émulant bien plus de machines, mais le niveau de qualité est bien entendu inversement proportionnel au tarif, et on ne peut pas utiliser de vraies cartouches. Mais on a bien conscience que cet argument ne convaincra que les collectionneurs, et probablement pas les inconditionnels du MISTer.
Au risque de répéter une évidence, la Pocket reste une console de niche, même si elle devrait se montrer, surtout à terme, plus universelle que les machines précédentes d’Analogue. Néanmoins, on entend souvent dire que, compte tenu de son tarif, pas si élevé pour ce que c’est mais forcément rédhibitoire pour beaucoup de joueurs, il vaut mieux se tourner vers les consoles d’origine… Ce qui n’est pas faux, mais le prix de celles-ci tend également à grimper, et beaucoup d’entre elles commencent à accuser leur âge, nécessitant le remplacement de leurs condensateurs (ce qu’on appelle le recap). Et comme on parle de portables, il ne faut pas oublier non plus que la plupart d’entre elles avaient des écrans franchement peu lisibles, et difficilement tolérés à l’époque des smartphones et dalles OLED – beaucoup s’empressent d’ailleurs de les faire remplacer. Donc avant de se lancer dans des comparaisons, il vaudrait mieux additionner le prix des machines émulées après ces opérations. Mais il est de toute façon inutile de vous convaincre de vous jeter sur la Pocket car, si vous la commandez maintenant, vous ne devriez la recevoir qu’en 2023…
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