TEST : Lunark, l’aventurier du genre perdu

LUNARK
Windows, Xbox, PlayStation, Switch
Catégorie :
cinematic platformer
Joueurs : 1
Développeur : Canari Games
Éditeur : WayForward
Date de sortie : 30/03/2023
Prix : 19,99 €
Site Officiel : https://www.lunarkthegame.com/
(testé sur Switch)

Commençons cette leçon d’italien avec le générique de Sailor Moon chanté par Cristina d’Avena (je vous la fais courte, c’est la Dorothée transalpine qui n’a jamais connu de coup d’arrêt en 1997) :

Raggio di lunark che accendi la notte, poi dove vai?
Pallido sole che dondoli sogni che segreti hai?
Ogni sera tu sali lassù
Ma al mattino non ci sei già più,
Dove vai?

Nous traduisons ce début de chanson de la façon suivante :

Rayon de lune qui allume la nuit, où vas-tu ensuite ?
Pâle soleil qui fait se balancer les rêves, quels secrets as-tu ?
Chaque soir tu montes au firmament
Mais le matin, tu n’es déjà plus,
Où vas-tu ?

Et là, vous vous dites, pour la Xème fois que vous vous infligez mes carabistouilles, « MAIS OÙ EST-CE QU’IL VEUT ENCORE EN VENIR ???? ». Ben, je veux juste vous faire écouter ce super générique. Et connaître Cristina D’Avena. On m’a dit qu’aujourd’hui, si on veut qu’un site de jeu vidéo fonctionne, il fallait plein de trucs geeks et pas que du jeu vidéo ; je m’exécute moi… Comment ça vous n’en avez rien à faire et vous n’êtes pas là pour ça ? Ok bon ben parlons de jeu vidéo alors…

Lunark (Windows, MacOS, Xbox, PlayStation, Switch)

E la lunark chi splendia…

Dans les années 1990, on peut dire sans trop exagérer que nous étions, nous les consoleux, un peu beaucoup dans une période faste des jeux de plateformes, plateforme/action à progression linéaire. Le genre était vivace et les tentatives de nouveautés multiples mais pas toujours couronnées de succès. Pourtant, venant du micro, une étrangeté fascinait un brin, majoritairement pour des questions techniques et artistiques, Prince of Persia (1989). Certes le jeu était relativement sobre graphiquement mais son animation était absolument unique, avec un découpage, des phases, réalistes. Et pour cause, nous découvrions avec le jeu de Jordan Mechner la rotoscopie, technique qui consiste (en très gros) à redessiner par dessus de réelles photo/vidéo pour obtenir ce rendu cinématographique. Nous découvrions alors le cinematic platformer. Finalement assez peu de descendants directs sont alors apparus mais avec des traces bien marquées dans l’histoire : Another World (1991) d’Éric Chahi et Flashback (1992) de Paul Cuisset. Particularités communes : deux jeux français de chez Delphine Software. Quelques autres jeux dans la même veine sont sortis, Blackthorne (1994) chez Blizzard et même un remake de Pitfall par Activision et puis… Plus grand chose à vrai dire. Le genre aura été aussi marquant que météoritique. Pourquoi ? On peut imaginer diverses hypothèses : la 3D qui arrivait à grand pas ? Une rigidité assez ahurissante ? Une difficulté assez importante ? Un nécessaire investissement pour progresser ?

Je ne sais pas mais en tout cas, je retiendrai un échange assez récent avec un camarade de jeu : « Quand tu viens de la plateforme sur NES, Prince of Persia a une rigidité de  nazi ». Et j’ajouterai de mon côté « Qu’est-ce qui différencie Dragon’s Lair d’Another World ? ». Bon OK, j’avoue que le dernier exemple est légèrement trollesque mais quand même. Pour progresser dans l’histoire, il faut autant avoir de la dextérité que de la mémoire et du timing pour faire exactement ce qu’on attend du joueur. Pas forcément autant à la frame près que Dragon’s Lair (1983), mais c’est quand même beaucoup de par cœur pour explorer toute l’histoire de Lester Chaykin, le gros porc qui laisse traîner des canettes de soda sur des ordis du fioutcheure. Même dans Flashback, autrement plus souple malgré tout, certaines séquences ont nécessité pour moi d’écrire une partition à jouer dans le cadre contraint d’un écran de jeu. Bref, de nombreux souvenirs mais quand même travaillés au fer rouge. Qu’on veuille encore rendre encore hommage en 2023 a un genre tellement niche était désespéré. Et pourtant, Lunark

Lunark (Windows, Xbox, PlayStation, Switch)
Même les cinématiques évoquent Flashback !

Hijo de la Lunark

Dès les premières bandes-annonces, dès le début du Kickstarter, Lunark nous criait FLASHBACK par sa palette de couleurs, son ambiance, ses environnements mais un Flashback porté sur Game Gear. En effet son auteur, Johan Vinet, un développeur français comme par hasard, a toujours eu un attrait fort pour les demakes. Et très vite le projet cartonne sur Kickstarter et assez vite intéresse un éditeur lui aussi très porté sur le pixel de qualitay, WayForward. Le jeu reçoit donc une belle couverture médiatique et me branche totalement de A à Z. Mais, vous commencez à le savoir, je reste un brin méfiant parce que le nostalgisme. Bien sûr que Flashback a été un de mes expériences les plus fortes sur PC et Mega Drive mais je me souviens, un peu en mode PTSD, de la Death Tower que j’ai recommencé 750 fois au point que j’ai encore aujourd’hui la fameuse partition pour la finir, comme j’ai encore en tête tout le cheminement du dernier monde, la planète SPOILER. Je me souviens que ça n’a pas été simple, et est-ce qu’en 2023, j’ai encore envie de ça ?

Dès l’entame, Lunark se révèle extrêmement fidèle à son modèle Flashback, au point de passer pour un pastiche à certains moments (les métros, le train, la planète SPOILER…). Alors rappel, c’est pas grave d’être un pastiche. Et je vais même vous dire mieux, c’est totalement assumé. En effet, le jeu conserve un effet générique absolument fondamental de ses aînés, l’inertie des contrôle. Et joue avec ça de manière assez brillante il faut l’avouer ; pour découvrir les contrôles du jeu, notre héros, Leo, descendant de Lester et Conrad B. Hart, contrôle un droïde dans une fabrique de droïde. Cette mise en abyme, en plus d’être un tutoriel déguisé, nous fait rapidement comprendre que nous, derrière le pad, sommes assujettis à une latence comme Leo jouant, littéralement, avec les droïdes. La lecture d’un certain nombre de tests du jeu me fait dire qu’en 2023, ça n’est plus du goût de tout le monde, de devoir « programmer » des contrôles et anticiper les réactions, ce qui pourrait priver le joueur ou la joueuse d’une nervosité aujourd’hui exacerbée comme accroche générique (Super Meat Boy, Celeste, le moindre clone de Symphony of the Night). C’est pourtant bien le sel de ces jeux, il faut dérouler l’animation, il faut lui donner le temps de la décomposition, de la mise en scène. Le terme de cinematic platformer n’est pas galvaudé, il s’agit bien de mettre en scène une histoire avec une action tendue, pas du fait de la nervosité des contrôles mais du fait de l’extrême préparation de la séquence. Alors forcément, en premier passage, c’est pas toujours évident (comme le train ou la fuite de la fabrique de droïde), mais avec ma méthodologie rigoureuse qui consiste à refaire le jeu dès le la première run terminé, j’ai assisté à de belles fuites et des séquences plutôt nerveuses dans l’action. Mais au second passage.

Est-ce que l’humain ludique de 2023 aime encore l’idée de devoir préparer ce ballet ? C’est tout le débat qu’ouvre Lunark. Me concernant, j’ai apprécié, parce que c’est mon ADN de joueur. Je ne suis pas certain que ça soit aussi prisé par toutes et tous…

Lunark (Windows, Xbox, PlayStation, Switch)

Eternal Blue

Pourtant, Lunark a beaucoup de bonnes choses à vous offrir. A commencer par une excellente B.O., relativement minimaliste mais avec des thèmes qui vous donnent envie d’avancer. Ou pas, j’ai personnellement trainé dans le niveau des grottes et dans le train, juste pour les thèmes. S’il vous plait Johan Vinet, dites-moi que la B.O. sera bientôt disponible d’une manière ou d’une autre ! En outre, la direction artistique et les couleurs (sans doute totalement impossibles pour une vraie Game Gear) sont en totale adéquation avec l’énergie du jeu. Encore que le jaune éclatant des arbres à sève m’a un brin fatigué, mais c’est surtout parce qu’à cause du type d’ennemis rencontrés et de leurs schémas de déplacement, le niveau est bien moins virevoltant que les précédents. Le scénario est aussi à bien des égards un pastiche de celui de Flashback (qui était déjà un pastiche de Total Recall, tout ceci devient bien trop méta) jusque dans sa fin – vous avez Flashback sur Mega Drive, tapez BELUGA, ne me remerciez pas. Le système de combat ne m’a pas emballé mais je ne joue pas avec le bouclier que le jeu vous offre, il y a sans doute de quoi faire des combats plus tactiques mais je n’ai pas su les exploiter correctement. Comme j’ai eu envie de jeter ma Switch par la fenêtre lors des combats de boss. Combat qui ont des travers que l’on retrouve systématiquement dans les jeux WayForward : trop longs, trop scénarisés, privés d’intérêt autre que celui d’avancer. L’araignée que l’on croise deux fois, dont une dans une séquence avec des insta death épuisantes, ou le boss final m’ont fatigué parce qu’ils arrêtent le flot du jeu, parce qu’ils privent de l’expérience « cinématique » pour revenir une séquence bien trop « jeu vidéo » avec des phases stéréotypées à répéter un peu trop souvent pour le bien de la séquence.

Mais pourtant, pourtant, j’ai bien refait le jeu trois fois d’affilée, pour le ballet des sauts et des esquives dans le train ou dans les grottes, j’ai passé un temps agréable et j’ai même envie de remettre une couche pour speed runner le jeu et avoir une « partition » complète du début à la fin. La question est de savoir si cette approche du jeu est un détournement que je m’impose pour y jouer à ma manière, celle du vieux joueur de cinematic platformer, ou bien est-ce bien l’intention du jeu ? Aussi, au moment de faire le point et de tirer un trait sur Lunark, je suis un peu perdu : me concernant, ça pourrait tout aussi bien être un mod de Flashback (1992) nettoyé de certaines scories (sortir son arme en tête) et je le porterais volontiers aux nues pour l’expérience, mais pas pour la nouveauté ; pour le joueur de 2023, c’est une capsule de néorétro telle que nous les chroniquons régulièrement ici sur le Mag, parfaitement présentable mais qui nécessite de savoir exactement où vous mettez les pieds – avec un brin d’inertie.

Verdict : Expérience néorétro canonique, pleine de références, d’amour et de moments de grâce, Lunark est tellement orthodoxe qu’il pourrait rebuter le joueur ou la joueuse contemporaine.

80 hbpm

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