Ayant de plus en plus de mal à trouver des idées d’articles, j’ai choisi la facilité ; après le beat ’em up, je m’attaque donc à un autre genre qui me tient à cœur, le Survival Horror. Il y a plus de deux ans, j’avais déjà publié une chronique dédiée au genre, mais c’était avant tout un historique. Et je pouvais d’autant moins donner mon avis qu’il s’agissait d’une traduction d’un article américain. Cet édito se veut donc comme un complément, un commentaire sur ce dossier. Et c’est surtout l’occasion pour moi de répondre à certaines réflexions qui m’agacent… Bien évidemment, tout cela demeure subjectif, mais c’est bien là le but d’un édito, n’est-ce pas ?
La peur du game over
La chronique que j’avais publiée avait ses qualités et ses défauts, mais elle avait au moins le mérite de bien insister sur deux principes fondamentaux du genre. D’ailleurs, l’un des reproches qu’on pourrait lui faire est son côté répétitif, tant elle rappelle, pour quasiment chaque jeu traité, que l’on retrouve bien ces deux concepts. Le premier est le sentiment de vulnérabilité que suscite la plupart des titres du genre. Et le second, qui est d’ailleurs étroitement lié au précédent, est que le Survival Horror est quasiment le seul genre du jeu vidéo où l’on tolère des erreurs volontaires de gameplay. Ou disons plutôt des choix audacieux qui seraient considérés comme des erreurs dans d’autres genres. L’exemple le plus classique étant les angles de vue peu pratiques de Resident Evil. Mais ce n’était pas le premier jeu à exploiter ce mécanisme.
Alone in the Dark n’est pourtant pas le premier jeu du genre (la chronique évoque plusieurs jeux antérieurs, comme Project Firestart ou Sweet Home), et techniquement, le terme Survival Horror est une invention de l’équipe marketing de Capcom pour promouvoir leur jeu. Néanmoins, on ne peut pas nier que le jeu de notre membre d’honneur Frédérick Raynal a eu une influence prépondérante sur le genre et le jeu vidéo dans son ensemble. Comme il l’admet lui-même : « Il y a presque 20 ans, les graphismes ne permettaient pas de rendre les monstres effrayants, j’ai donc utilisé diverses méthodes. » Alors comment parvient-il à nous faire peur dès la première salle avec ce loup-garou sauteur qui ressemble plus à Crash Bandicoot qu’autre chose ?
Là encore, je vais le laisser expliquer : « En plaçant quelques pièges mortels inévitables comme le sol qui s’écroule dans le premier couloir, vous instillez une peur dans l’action du joueur la plus courante : marcher. (…) Ensuite vous mettez un monstre derrière la première porte, de sorte à terrifier le joueur chaque fois qu’il en ouvre une, vous faites casser son arme à sa première utilisation, ou vous limitez de manière drastique les munitions. » Le loup-garou qui entre par la fenêtre et le zombi qui sort par la trappe au sol, dans la toute première salle, font peur parce que le joueur est démuni. S’il n’a pas pris soin de condamner les accès, c’est pour ainsi dire le game over assuré. Et c’est ça qui est culotté pour un jeu vidéo : donner au joueur la peur de mourir.
C’est particulièrement flagrant avec l’exemple du sol qui s’écroule dans le couloir. C’est le genre d’incident qui ferait au mieux sursauter dans un film. Et dans un jeu vidéo, ça ne fait réellement peur que si cela provoque un game over. Le joueur de jeu vidéo est toujours préparé à l’éventualité de sa mort virtuelle. Mais il s’attend en général à recevoir des signaux qui lui indiquent qu’il s’y prend mal (son énergie baisse par exemple), afin de faire évoluer sa stratégie et ainsi éviter ce destin funeste. Une mort instantanée dans un jeu vidéo, et surtout lorsqu’elle est imprévisible, est toujours traumatisante, y compris dans des jeux comme Prince of Persia ou Rick Dangerous qui ne se veulent pas horrifiques pour autant, même s’ils peuvent être gore.
Bien entendu, Alone in the Dark joue également sur son univers, inspiré par HP Lovecraft. On y trouve des textes, un grand classique du genre, qui permettent de suggérer ce qu’on ne peut pas montrer. Mais je doute que beaucoup de joueurs se glacent le sang en lisant ces logs, quand ils prennent le temps de le faire d’ailleurs. Le jeu use d’autres ingrédients parfois très novateurs, comme faire démarrer une musique, habituellement associée à l’arrivée de monstres, à des moments aléatoires. Mais là encore, cela joue au fond sur la peur de la rencontre avec un ennemi. Et toutes les « erreurs » de gameplay, les angles de vue, les contrôles relatifs (façon tank), la visée difficile, le manque d’items contribuent à rendre chaque face-à-face éprouvant.
De Pac-Man à Amnesia
Et si l’on croit ainsi avoir déjà défini les éléments typiques du genre, on a déjà vu que certains jeux de plateforme ou d’aventure les utilisent également. Car dans le jeu vidéo comme dans toutes les œuvres de l’esprit, la notion de « genre » est assez floue. Certains sont définis par leur gameplay (plateforme, point & click), d’autres par leur angle de vue (FPS), leur lieu de pratique (les jeux d’arcade), le public visé (les jeux casual) ou par leur univers (le Survival Horror, donc). Nemco, l’un de nos membres qui officie sur le Nemcoshow, aime bien dire à moitié pour plaisanter que Pac-Man est le premier Survival Horror. Et quand on y réfléchit bien, le classique de Namco mettait déjà en place plein d’ingrédients inhérents au genre.
Déjà, le game over brutal est bien là, au moindre contact avec un fantôme. C’est le cas dans beaucoup de jeux d’arcade me direz-vous, mais contrairement à un Mario ou à un shoot ’em up, notre boule jaune n’a aucun moyen de défense. Il y a certes les power cookies, mais ceux-ci sont encore plus limités, en nombre comme en durée d’effet, que les munitions d’un Resident Evil. Et si le genre se définit par son univers, on peut toujours rappeler qu’il est question de fantômes ! On joue évidemment sur les mots ici, mais en tout cas, on ne peut pas retirer à Pac-Man qu’il a inventé un gameplay basé sur le stress d’être poursuivi, et qui a fait recette dans le Survival.
Mon frère et moi pouvons d’ailleurs témoigner de grands moments de panique sur Pengy (du genre à vous faire inventer de nouvelles onomatopées). Votre seul moyen de défense étant de pousser des blocs de glace afin qu’ils viennent écraser les ennemis, vous imaginez ce qu’il peut se passer quand vous en ratez un de justesse et que vous vous retrouvez démuni… Le genre de montée d’adrénaline qu’on retrouve dans Amnesia, et pour le coup tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit d’un vrai Survival Horror. Et pourtant, plusieurs passages du jeu de Frictionnal Games vous font faire des allers-retours dans des labyrinthes dans lesquels se promènent des ennemis et qu’il faut impérativement fuir, exactement comme dans Pac-Man !
Avant Amnesia, le studio avait sorti le similaire Penumbra. Dans ce dernier, on se retrouve fréquemment à devoir explorer différentes salles, contenant des clés ou objets pour progresser et qui sont reliées par un réseau labyrinthique plongé dans le noir complet. Si on allume sa torche, les ennemis nous repèrent. Pour être discret, il faut s’accroupir (et donc avancer moins vite) et pour apercevoir quelque chose, il faut rester immobile afin que notre vue s’accoutume à l’obscurité. Mais au moindre mouvement, on ne voit plus rien. Vous imaginez l’ambiance. C’était tellement insoutenable par moments (surtout quand on arrive dans une salle pour se rendre compte qu’on a oublié quelque chose dans celle d’où on vient), que j’ai fini par « tricher ».
Je courrais pour grimper sur une caisse, où ne pouvaient pas m’atteindre les monstres (en fait des chiens très mal modélisés) qui venaient immanquablement à ma poursuite, et je les tuais d’un nombre effarant de coups de balai (la seule arme disponible)… Ce qui n’est plus possible dans Amnesia, même si les développeurs ont assoupli le gameplay. Au lieu de nous plonger dans le noir, on dispose d’une jauge de santé mentale qui vacille lorsqu’on regarde un monstre. Ce qui permet en passant d’éviter que le joueur ne s’habitue à leur apparence, encore une fois pas si effrayante en soi. Et on se surprend aussi à agir comme un enfant, à se tourner vers un mur, accroupi, en espérant devenir ainsi invisible par magie… C’est épatant.
Resident Evil, un gameplay qui fout les jetons
Mais revenons à la série emblématique du genre, celle qui lui a donné son nom. Le premier Resident Evil reprend la plupart des recettes d’Alone in the Dark, avec une maniabilité tout de même moins lourde (et qui s’est assoupli d’épisode en épisode, comme la visée automatique). Néanmoins, on peut noter quelques éléments qui viennent compliquer les choses, étrangement. Shinji Mikami a bien compris que c’est le game over qui fait peur, et a rendu l’état de santé encore moins clair. Non seulement il faut mettre la pause pour le consulter, mais il n’apparaît pas sous forme de nombre ; c’est un encéphalogramme coloré dont il est difficile de savoir combien de degrés il présente. Ainsi, le joueur est constamment maintenu sur ses gardes.
Déjà parce qu’il ne sait combien de coups il peut encaisser, et donc chaque morsure peut être potentiellement fatale. Lorsque l’onde vire au orange, la pression monte. Combien d’attaques peut-on encore subir ? Quelle quantité d’énergie donne une herbe, un spray ? N’est-ce pas du gâchis d’en utiliser si tôt ? Des questions importantes dans la mesure où ces items sont peu nombreux. Et ils ne sont pas les seuls. Car contrairement à Alone in the Dark, on ne peut plus sauvegarder autant de fois que l’on veut. Le fameux système de rubans encreurs est assez sadique, et on a vite fait de trop les économiser puisqu’on ne peut pas savoir d’avance les épreuves qui nous attendent. Le moindre game over peut dès lors nous renvoyer loin en arrière…
De ce pointe de vue, le regretté Kenji Eno est allé encore plus loin avec Enemy Zero. On peut sauvegarder autant qu’on veut en théorie, mais il faut dépenser des points pour cela et plus on sauvegarde souvent, plus ça coûte cher. Par ailleurs, le jeu est peuplé d’ennemis invisibles à éliminer avec des armes qui réclament un timing de charge précis sous peine de mort instantanée… En comparaison, Resident Evil est parvenu à trouver un bon équilibre entre stress et jouabilité. Et il est triste que ceux qui reprochaient à sa série sa rigidité (ses angles de vue et ses contrôles de tank) se mettent depuis quelques années à regretter le bon vieux temps…
Silent Hill, un gameplay qui fout les boules
Et lorsque la série a commencé à lasser les journalistes malgré l’excellent Code: Veronica, ces derniers se sont amourachés de Silent Hill 2. La saga de Konami n’avait pas convaincu dès le premier épisode. Il faut dire qu’elle reprend les recettes de Resident Evil, mais les poussent encore plus loin, peut-être un peu trop parfois. Les armes à feu sont encore plus rares, et les combats sont terriblement poussifs. Le système de santé est encore plus obscur : une photo qui rougit de plus en plus, et il est très difficile de savoir jusqu’à quel point elle peut rougir. Il est d’ailleurs tout à fait fréquent de devoir recommencer une partie depuis le début après avoir utilisé trop d’items de soin. Mais au fond, ce n’est pas par le gameplay que la série s’est démarquée.
Si c’est à partir du second épisode qu’elle est plébiscitée, ce n’est pas un hasard ; la PlayStation 2 offre une technologie qui met en valeur un univers particulier. Quand Resident Evil s’inspire des séries B américaines et italiennes, Silent Hill exploite une imagerie plus originale. Son brouillard, ses grésillements de radio, ses musiques mélancoliques, et ses monstres sexualisés lui confèrent une ambiance unique, dont les influences sont multiples et très différentes. On peut ainsi comprendre comment la série a pu constituer une vraie bouffée d’air frais, si l’on peut dire, pour les amateurs d’un genre qui devenait un peu sûr de lui, et donc un peu formaté.
Certaines réactions m’ont paru néanmoins excessives, comme lorsque Joypad opposait le génie de Silent Hill 2 à la paresse de Resident Evil, comme on avait opposé à une époque Nouvelle Vague et Qualité Française. Mais comment reprocher à la série de Capcom la rigidité de ses contrôles ou ses « énigmes débiles » quand celle de Konami fait bien pire en la matière. Dans Silent Hill 2, si mes souvenirs sont bons, un coffre est maintenu fermé par de multiples cadenas. L’un s’ouvre avec une clé, l’autre avec un code trouvé ailleurs, etc. N’importe quel game designer verrait là un obstacle bien artificiel et paresseux. En plus, le coffre contient… un long cheveu qui, combiné à un crochet, permet d’attraper un objet dans une bonde de douche.
Est-ce vraiment moins « débile » que de placer des joyaux dans une tête de lion ? Ça se discute. Bien entendu, Silent Hill se déroule dans un univers onirique qui excuse a priori pas mal d’excentricités. Mais la série va parfois très loin dans le côté hermétique de son gameplay. Là où une mare de sang confirme la mort d’un ennemi dans Resident, on ne sait jamais vraiment si les cadavres ne vont pas se relever dans Silent Hill. On se demande même parfois si on n’a pas affaire à un bug. Lors de la première rencontre avec Pyramid Head par exemple, nos coups ralentissent son animation (!), donnant l’impression qu’ils ont un effet, mais il est en réalité invulnérable et il faut attendre (combien de temps ?) qu’il s’en aille de lui-même. Et tant pis pour vous si vous avez gâché des munitions en croyant que c’est ce qui l’avait fait partir.
Le Survival Horror à l’époque de Call of Duty
Heureusement, Resident Evil Rebirth a mis tout le monde d’accord, quitte à emprunter au rival (le personnage de Lisa, ajouté au scénario). Si le gameplay s’est assoupli par rapport à l’original, la peur est bien là mais joue enfin davantage sur le visuel. Les effets de lumière notamment sont si réussis qu’ils donnent souvent envie de faire demi-tour. Même le décrié Resident Evil Zero, basé sur la même technologie, a ses moments comme cette musique qui retentit dès qu’on entre dans une pièce dans laquelle se trouve un ennemi particulièrement pénible. Néanmoins la série se devait d’évoluer, et on ne peut pas reprocher à Resident Evil 4 d’avoir joué la sécurité.
Et il me semble un peu simpliste de le blâmer pour son virage vers « l’action ». Il est vrai qu’il a donné à l’époque une sacrée leçon en la matière à tous les développeurs occidentaux… qui se sont empressés de copier la formule. La vue « par dessus l’épaule » a été reprise dans Gears of War et apparaît aujourd’hui dans tous les TPS sans exception. Néanmoins, Resident Evil 4 n’a pas abandonné tous les ingrédients des épisodes précédents. Les changements les plus importants, à l’égard des mécaniques que nous avons décrites, sont la présence d’une jauge d’énergie à l’écran, et de sauvegardes illimitées, mais uniquement à des points précis.
Néanmoins, il ne faut pas oublier que les contrôles restent les mêmes, bien que la vue de derrière les rend moins problématiques. Il n’est pas encore possible de tirer tout en se déplaçant par exemple. Mais surtout, le jeu est bel et bien stressant. Les munitions sont loin d’être illimitées, et les ennemis bien plus nombreux et rusés. Il ne suffit plus de changer de pièce pour être tranquille. Les débuts au village sont pour le moins éprouvants, le joueur vivant un véritable siège. Il doit bloquer en urgence les issues avec des meubles, comme on le faisait déjà dans Alone in the Dark. Une idée qui vient d’une scène du Cauchemar d’Innsmouth de HP Lovecraft.
Par ailleurs, Mikami n’a pas oublié la peur du game over. Il introduit un nouvel ennemi, inspiré par Massacre à la Tronçonneuse, qui tue le joueur au moindre contact. Il reviendra d’ailleurs sous des aspects différents dans Resident Evil 5 et même dans Revelations, sous la forme d’un boss (qui devient plus tard un ennemi récurrent) d’autant plus stressant qu’on l’entend facilement se rapprocher. Quant au débat des zombis, il n’a pas de sens. Déjà, il n’y a pas qu’une seule sorte de mort-vivant, même dans Resident Evil. Dans les décors urbains du deuxième volet, ils ont un aspect humain au teint blafard et bleuâtre clairement repris de Zombie de George Romero (1978). Mais dans le premier épisode, ils sont bien plus monstrueux et nécrosés.
Leur aspect rappelle plutôt l’Enfer des Zombis de Lucio Fulci (1979), cinéaste italien bien connu des Japonais. D’ailleurs, le mort-vivant qui sort de la baignoire dans Resident Evil Rebirth provient sans doute de L’Au-delà du même réalisateur. Mais de toute manière, contrairement à Left for Dead, Dead Island ou Dead Rising qui promettent du mort-vivant dans leur titre, Biohazard n’annonce qu’une « menace biologique ». D’où les corbeaux, les araignées, les hunters, les requins… L’un des éléments récurrents de la série est d’ailleurs que les boss sont bien souvent des animaux anormalement grands comme dans les films de SF des années 50.
En revanche, j’avoue avoir été déçu par Resident Evil 5, mais pas pour les raisons que j’ai entendues un peu partout. Les munitions ne m’ont pas semblé très répandues, et l’absence de pause (à cause du mode coopération) ajoute énormément au stress. Certains passages, comme celui des Lickers, était même particulièrement éprouvant. Ce qui m’a gêné, c’est plutôt l’univers très militaire, pas si éloigné de Modern Warfare, et les cinématiques de combats à la Matrix. Mais ça, compte tenu du succès encore inexpliqué que rencontrent les adaptations de Paul W.S. Anderson au cinéma, ce n’est hélas pas prêt de changer.
Dans quelle direction va le Survival Horror, c’est difficile à dire. La demande sera toujours là, c’est certain, mais il devient difficile, en particulier pour les blockbusters, de combiner les exigences parfois contradictoires des joueurs ; certains se plaignent d’être constamment tenus par la main, quand d’autres (les mêmes parfois !) reprochent aux jeux leurs lourdeurs même volontaires. Le cas Dead Space 3 est assez parlant de ce point de vue. C’est peut-être pourquoi il faudra, à l’avenir, se tourner vers des titres moins ambitieux commercialement pour avoir sa dose d’adrénaline, d’où la profusion de jeux comme Ascension, Lone Survivor ou Catequesis…
PS : j’aurais aimé évoquer davantage Dead Space, mais aussi Alan Wake et Cryostasis, mais cet article est déjà bien assez long !