Vieilles machines, arnaques modernes

La cartouche d'un soi-disant prototype de Creepshow

C’est via AtariAge que j’ai trouvé un article intéressant de Stanley Stepanic, un professeur en démonologie (!) adepte de retrogaming. Et comme le texte aborde des adaptations en jeux vidéo des films Halloween, Massacre à la Tronçonneuse et Creepshow, il m’a semblé pertinent de vous en faire un compte-rendu à l’occasion du 31 octobre… Mais attention, ça ne fait pas forcément peur pour les raisons que l’on pense ; l’article aborde les pratiques frauduleuses dans le monde du retrogaming, qui sont hélas de plus en plus répandues… Ouvrez l’œil !

Pour ce premier article qui doit débuter une série hélas longue de textes sur les arnaques, l’auteur a choisi logiquement l’Atari VCS 2600. Il commence par rappeler une sombre affaire concernant Todd Rogers alias Mr. Activision, détenteur de nombreux records dans les années 80 et affilié à l’association Twin Galaxies (tout comme Rudy J. Ferretti). Il avait été établi, des années plus tard, que plusieurs records avaient été truqués. Par exemple, son meilleur temps à Barnstorming s’est avéré impossible à reproduire, même avec une version modifiée du jeu ne comportant aucun obstacle ! Son score au portage de Donkey Kong sur la console, à 15 millions, a également semblé étrange quand la majorité des joueurs pro peinent à atteindre le million. Le record a été annulé quand il a été montré qu’aucune vidéo le documentant n’ait existé…

Todd "Mr. Activision" Rogers

Todd « Mr. Activision » Rogers

Évidemment, ce type de mensonge n’a pas de conséquence grave mais nuit énormément à la crédibilité de la communauté des joueurs. Et si aujourd’hui il est beaucoup plus difficile de tricher de cette manière, cela n’empêche pas en revanche les arnaques de se multiplier sur les sites de vente en ligne. L’essor du retrogaming et du homebrew a encouragé à profiter de la crédulité de joueurs qui ont bien du mal à s’y retrouver dans les méandres des forums spécialisés. Mais le facteur aggravant a été le développement de la reproduction de cartouches. S’il a également permis la diffusion de prototypes et de raretés, il a hélas ouvert la voie à de nombreuses contrefaçons. L’article aborde alors deux exemples correspondant à deux motivations différentes pour leurs auteurs : l’appât du gain pour le premier, la célébrité pour le second.

La naissance d’éditeurs comme Hozer Video Games, qui facilitent la fabrication de cartouches (demandez à Alain le Guirec !), n’a pas eu que des conséquences positives. Il suffit d’acheter une cartouche quelconque, de remplacer l’EPROM par celle d’un autre jeu (et encore), de mettre une nouvelle étiquette et de vendre le tout sur eBay avec un commentaire du genre « je ne sais pas trop ce que c’est mais ça a l’air rare ». C’est beaucoup plus simple à réaliser qu’il n’y paraît, comme en témoigne de nombreux exemples comme la cartouche « double-face » compilant Halloween et Texas Chainsaw Massacre. Ces deux jeux (voir notre chronique) ont été édités à l’époque par Wizard Video pour capitaliser sur le succès de ces films en VHS. Leur intérêt est plus historique que ludique, d’autant qu’ils sont extrêmement rares du fait de leur distribution handicapée par la faillite de l’éditeur. Certaines cartouches n’avaient même pas d’étiquette !

Halloween et Massacre à la Tronçonneuse sur une même cartouche ?

Halloween et Massacre à la Tronçonneuse sur une même cartouche : pourquoi pas, mais pourquoi ne pas préciser que ça n’a jamais existé ?

Ces jeux bénéficiant d’un gros attrait pour les collectionneurs, qu’ils soient fans de jeux vidéo, de films d’horreur ou les deux, il est donc tentant d’en vendre des reproductions sur eBay. L’exemple ci-dessus prend bien soin de ne pas mentionner « prototype » ou « reproduction » qui lui vaudrait un retrait du site. Seulement voilà : si les cartouches « double-face » ont existé sur Atari 2600, ces deux jeux n’ont évidemment pas fait l’objet d’une telle production. Et si l’étiquette est clairement fausse sur l’exemple ci-dessus, il arrive fréquemment que les vendeurs aillent jusqu’à numériser les jaquettes originales pour donner un peu plus de crédibilité au résultat. Cela demande un peu de travail, certes, mais compte tenu des sommes engrangées…

L'expo Creepshow à Toronto en 2012

Si ces exemples sont motivés par l’argent facile, d’autres fabriquent des cartouches de toute pièce uniquement pour se faire mousser. C’est probablement inoffensif, comme pour Todd Rogers, mais ça n’en est que plus attristant d’une certaine manière. En 2012 se tenait à Toronto une convention durant laquelle un certain Joe Hart (membre d’une famille par ailleurs illustre dans le domaine du catch) a installé un petit stand présentant sa collection d’objets liés au film Creepshow. Cette « exposition » possède même sa propre page Facebook où l’on trouve beaucoup de fautes d’orthographe et de propos incohérents, son auteur affirmant avoir contribué à financer l’évènement et à faire venir George Romero (le réalisateur du film). Il a aussi prétendu un temps être affilié à un magazine légitime qui a nié la relation depuis.

Si sa collection contient sans doute des pièces de valeur et probablement authentiques, on y trouve également ce que Hart présente comme un exemplaire unique du prototype de l’adaptation du film sur Atari VCS 2600. Non seulement l’objet, au premier coup d’œil, ressemble plus à une cartouche commerciale qu’à un prototype inachevé, mais le collectionneur averti constatera aussi que l’étiquette n’a pas le bon format et est d’ailleurs mal collée, et que l’ensemble arbore le design des cartouches Atari d’avant 1979, soit trois ans avant la sortie du film… Le cinéphile se demandera aussi pourquoi le visuel reprend telle quelle la jaquette du comic book dérivé, et le littéraire pourquoi diable Stephen King est crédité comme l’auteur du programme du jeu…

Creepshow sur Atari 2600... ou recréé via Pinball Construction Kit sur Atari 800 ?

Creepshow sur Atari 2600… ou recréé via Pinball Construction Kit sur Atari 800 ?

Le mensonge aimant se propager en spirale infernale, l’administrateur de la page s’est senti obligé de prouver l’injustifiable en publiant la capture d’écran ci-dessus, et même la vidéo inénarrable ci-dessous. Comme le souligne Chris Spry (Princess Rescue) en commentaire, la console ne peut afficher qu’une couleur par ligne pour chaque sprite. Et malgré les efforts de l’auteur pour simuler le changement de palette typique de la machine, la simple présence de son nom à l’écran (victime de son égo ?) suffit à rendre le résultat risible. Le gameplay semble en plus sans lien avec le screenshot, qui a clairement été réalisé à l’aide de Pinball Construction Kit sur Atari 800. L’Atari 2600 ne serait en revanche pas capable d’afficher de tels graphismes. Mais devant la démonstration d’un administrateur du site Atarimania, Joe Hart n’a rien trouvé de mieux que de s’enfoncer en affirmant qu’il s’agit d’un prototype importé du Japon, où le succès plus que mitigé de la console, en tant qu’Atari 2800, laisse sérieusement planer le doute…

Ironiquement, un jeu homebrew Creepshow est actuellement en développement pour la console, ce qui pourrait porter à confusion par la suite. Et si cette manière de s’engluer dans le mensonge laisse sans voix, ce type de pratique a des conséquences gênantes sur le long terme. Il n’y a dans ce cas précis aucun préjudice financier, heureusement, mais créer de fausses cartouches est dommageable pour tous les historiens qui tentent de documenter avec précision, et de préserver un patrimoine où il est déjà très difficile de s’y retrouver car il n’a pas été pris au sérieux suffisamment tôt. Et à l’heure d’Internet, où il est aussi rapide de trouver une information juste qu’une information fausse, il n’a jamais été aussi important de rester vigilant.

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