Manquant d’articles à traduire, il me fallait trouver de nouveaux sujets de chroniques en attendant le prochain podcast dédié à un magazine… Et comme j’avais participé au financement de Sensible Software 1986-1999, l’occasion était idéale d’en proposer un résumé en français. Et si ça ne parvenait pas à donner l’envie d’acheter l’original, peut-être est-ce que cela en convaincrait de l’éditer en France… Justement habitué des ouvrages de Pix’n Love, le tout premier livre de Read-Only Memory m’a déboussolé, ne serait-ce que la doublure de la couverture, en papier. Composé de 340 pages, il se découpe en deux parties distinctes. Tout d’abord, 192 pages d’entretiens imprimées sur un papier type livre de poche et agrémentées de photographies en noir et blanc et de précieux documents de design. La seconde partie est réservée aux illustrations (screenshots, artworks, jaquettes) sur du papier de haute qualité façon catalogue d’exposition. Cela rend la lecture parfois peu pratique, mais les visuels en pleine page sont superbes !
Avant-propos
Sensible Software a été fondé en mars 1986 par Jon « Jovial Jops » Hare et Chris « Cuddly Chrix » Yates, et a été racheté par Codemasters en 1999. Jon évoque dans ce livre « l’histoire de jeunes créatifs qui étaient au bon endroit au bon moment, et suffisamment doués pour avoir fait des jeux importants pendant pas mal d’années… avant de se rendre compte qu’ils n’étaient plus au bon endroit, au bon moment, et en quelque sorte mis à l’écart. » Gary Penn, l’auteur, a connu très tôt le duo, les décrivant comme ayant dès le départ un humour déjanté et des looks de rockers. Et son livre dépeint parfaitement ce style politiquement incorrect typique du jeu vidéo britannique de l’époque. Un jeu comme Cannon Fodder, où l’on massacre des personnages lilliputiens, n’aurait pas juré dans le catalogue des écossais de DMA Design (Lemmings, Walker, GTA). Et d’ailleurs, parmi les projets inachevés du studio, on trouve un Carmageddon avant l’heure, qui aurait très bien pu évoluer en GTA… Le résumé qui suit, évidemment expurgé de nombreuses anecdotes, donne un bon aperçu de cette philosophie très particulière…
Escape from Sainsbury’s (1966-1985)
Né le 20 janvier 1966 à Ilford, Essex, Jon Hare est entouré par le jeu dès son plus jeune âge, surtout les jeux de société et les jeux de cartes, notamment via son père. Fan de foot et de cricket, le jeune Jon crée très vite toutes sortes de jeux (dont un jeu de foot à 4-5 ans). Son premier contact avec le jeu vidéo se fait avec Pong, en 1975. Il joue à Centipede et Asteroids en arcade, et à l’Atari 2600 chez un ami. Il n’est pas forcément très bon mais déteste perdre (en particulier au Scrabble) et a l’esprit de compétition. Il entre au collège public (comprehensive school) de Chelmsford en septembre 1978, où est également Chris, mais ils ne font vraiment connaissance qu’en 1981, via deux amis respectifs qui se connaissent, au retour d’un concert de Rush à Londres. Ils montent un groupe, Zeus, qui devient Deuce, puis Hamsterfish, Dark Globe, Amazing Technicolour Dream Globe, Touchstone… Ils ont connu un certain succès local et n’ont pas arrêté la musique pour le jeu vidéo. Ils travaillent chez Chris où ils sont souvent seuls et tranquilles.
En 1984, ils ont déjà quitté la fac, Chris a abandonné son cours d’informatique. Alors que Jon travaille dans un supermarché, Chris emprunte régulièrement un ZX81 pour apprendre à s’en servir mais le rend chaque fois avant un mois pour ne pas le payer. Ils créent leur premier programme (très basique) en janvier 1985. Un mois plus tard, ils se lancent dans leur premier jeu, un jeu d’aventure textuel délirant, Escape from Sainsbury’s, inachevé. À cette époque, ils ont aussi l’idée de Drugged-Out Hippy qui deviendra Sex ‘n’ Drugs ‘n’ Rock ‘n’ Roll. Mais c’est en mars 1985 que Chris réalise une démo ZX81 avec Snoopy qu’il montre à LT Software à Basildon. Il est embauché et on lui confie le portage sur Spectrum de Gandalf the Sorcerer (C64). Jon lui donne un coup de main pour les graphismes et se fait embaucher à son tour. Entre mai et septembre ils enchaînent les petites missions, notamment pour le compte de System 3 (Jon a créé des graphismes pour International Karate mais ils n’ont pas été utilisés), qui leur laisse créer Twister: Mother of Charlotte, un clone licencieux de Tron sur Spectrum.
C’est leur premier vrai jeu et on peut même afficher « A Sensible Software game » à l’écran-titre via un code, alors qu’ils n’ont même pas encore fondé leur studio ! Ils se débrouillent bien mais se rendent rapidement compte que LT Software touche 85% de l’argent généré par leurs jeux alors qu’ils font tout le boulot… Ils souhaitent par conséquent prendre leur indépendance mais n’en ont pas vraiment les moyens. Et c’est paradoxalement grâce à la politique d’aide à la création d’entreprise de Thatcher que ces deux hippies peuvent fonder leur boîte ! Ils ont tout de même besoin de £1000 chacun pour être éligibles et acceptent donc une dernière commande de LT Software, un portage de Runestone qui ne sera jamais commercialisé. Ils peuvent dès lors créer leur studio même si, jusqu’en 1987, ils continuent de développer leurs jeux dans une chambre d’ami de la maison de Chris. La musique demeure de toute façon leur priorité à cette époque et ils n’ont alors pas la moindre idée que Sensible Software va rencontrer le succès !
Important!
Gary Penn demande à Jon de donner à chaque jeu une note mesurant son taux de fidélité à l’esprit déjanté du studio. C’est cette « note » qui est indiquée après la date.
Parallax (1986 – 5/10)
En mars 1986, à Chelmsford, Essex, Jops et Chrix travaillent à leur premier jeu sous leur nouvelle bannière. Sorte d’ancêtre futuriste de GTA, Parallax démarre par une intro psychédélique (musique de Martin Galway, qui crée le son des jeux Ocean à l’époque) puis alterne entre des phases de shoot et des phases à pied où votre pilote entre dans des bâtiments pour agresser des scientifiques, leur voler leurs kards et les codes d’accès associés afin d’obtenir de l’argent… À l’époque, Chris est influencé par le scrolling de Bounder (C64, 1985). Le duo passe beaucoup de temps sur Compunet, « l’Internet » du C64 et à jouer à Dropzone en fausse coop (cause du décès d’un C64 par défenestration). Ils contactent Ocean, alors le plus gros éditeur anglais, et parviennent à convaincre du premier coup ! Mais le deal ne sera pas si bon a posteriori car ils ne touchent pas de royalties…
Jon compare leur méthode d’alors à la sculpture ; ils commencent toujours par créer un mode de contrôle, un moteur de jeu. Puis vient l’univers, qu’il faut ensuite quantifier (combien de niveaux, d’items, de personnages) afin de rapidement estimer les besoins en mémoire, le temps de travail, etc. Ils travaillent si bien à deux que le jeu se crée de manière organique, comme un ballon qui grossirait au fur et à mesure qu’ils se font des passes avec, un processus itératif comme l’écriture d’une chanson. Pour Gary Bracey d’Ocean, travailler avec eux s’avère particulier même si à l’époque, les studios de deux personnes constituent la norme. Mais Parallax jure avec le catalogue de l’éditeur surtout composé de jeux à licence et surtout, le duo fait les jeux qu’il veut et les rend souvent en retard. Mais comme le résultat est bon, ça passe. Le jeu marque aussi la première collaboration du studio avec Martin Galway, neveu du célèbre flûtiste Sir James Galway.
Martin reçoit la démo du jeu des mains du manager des ventes d’Ocean, et se montre tout de suite séduit. La collaboration fonctionne particulièrement bien, mais à distance, puisque l’éditeur est situé à Manchester. À l’époque, Martin écoute Jean-Michel Jarre, Cocteau Twins, Ultravox, OMD, Queen, Gary Numan, Tangerine Dreams, Kraftwerk… Il est encore jeune et ne se préoccupe pas vraiment de coller aux thématiques du jeu, juste de tirer parti des processeurs sonores des machines, avec le peu de moyens dont il dispose. Mais son style analogique colle bien aux jeux non conformistes de Sensible Software. Parallax sort en novembre 1986. Il obtient de très bonnes critiques mais il est difficile de savoir s’il s’est bien vendu en l’absence de royalties. Avec le recul, Jon Hare considère que le concept était original et la musique formidable, mais que ses graphismes, les moins bons de sa carrière, en constituent le point faible. Mais c’est avant tout le premier « vrai » jeu Sensible, leur Arnold Layne (premier single de Pink Floyd).
Galax-i-Birds (1986 – 8/10)
Ce pastiche irrévérencieux de Galaxian est le premier d’une série de trois jeux à petit prix, Sensible Software ayant sans doute été, d’ailleurs, le seul développeur à l’époque à alterner naturellement les deux types de projets. Commande de l’éditeur Firebird spécialisé dans cette gamme budget, le shoot ’em up est probablement passé inaperçu, et peut-être à juste titre à cause de l’horrible bande-son « créée » par Chris.
Wizball (1987 – 9/10)
Si Wizball est très différent de Parallax, ce n’est pas par calcul ; le duo se laisse guider par ses idées. À cette époque, ils n’ont pas encore conscience des inconvénients de leur deal avec Ocean (à la fin du développement de Wizball, ils n’ont toujours rien touché de plus pour Parallax que leur avance). Ils préfèrent donc rester fidèles à un éditeur qui les soutient – c’est presque aussi important que l’argent. Quand Jon rencontrera sa future femme, Irene, qui travaille alors au département qui verse les royalties chez Firebird, elle l’aidera à écrire une lettre à Ocean pour revoir leur contrat, mais sans succès. Jon a au moins tiré une leçon ; développer des jeux ne se limite pas à la partie créative et il faut connaître au moins une personne du service compatibilité de chaque éditeur avec lequel on travaille !
En réalité, c’est surtout Gary Bracey qui insiste pour éditer ce nouveau jeu après le succès tout relatif de Parallax. C’est la seule personne chez Ocean qui souhaite que l’éditeur prenne des risques avec des concepts originaux, et même lui est déboussolé par le concept sur le papier. Ce n’est qu’en essayant la première démo qu’il sera convaincu. D’ailleurs, jusqu’à Cannon Fodder, le duo préfèrera toujours présenter une démo jouable plutôt qu’un document de design. L’un des meilleurs souvenirs de Jon à cette époque est d’avoir travaillé dans la maison à Ilford où il venait de s’installer avec un ami compositeur et avec Gary Liddon, alors testeur pour Zzap!64 (comme l’auteur, NdT) et qui se lance alors lui-même dans l’industrie du jeu vidéo. Ils y reçoivent des journalistes comme Gary Penn, des développeurs (Stavros Fasoulas) et passent aussi du temps dans les locaux de Zzap! avec Jeff Minter, Paul Shirley, Tony Crowther… C’est cela dit le début d’une période où le duo se voit moins, focalisé sur l’épanouissement de leur vie privée.
Jon passe tout de même régulièrement travailler chez Chris à Chelmsford, et notamment un jour où ce dernier vient de programmer une balle rebondissante en s’inspirant de la citrouille de Cauldron II. Jon lui donne un visage et ils créent quelques niveaux. C’est alors qu’ils ajoutent l’aspect shoot – Chris a également été influencé par Nemesis et Salamander auxquels il joue en arcade – puis l’apparition des couleurs en ramassant des gouttes. Cette idée leur a été inspirée par les moniteurs Commodore dont un bouton permet de passer du noir et blanc à la couleur et vice versa. Les gouttes bleues claires qui ameutent la police montrent bien l’état d’esprit hippy du duo à l’époque. Ils ne se donnent aucune règle ou contrainte et explorent toutes les possibilités, tout en ayant une vision claire de ce qu’ils veulent ou ne veulent pas. Quant au catellite, c’est un clin d’œil au chat de Chris, Nifta, et la présence d’un magicien vient du fait que Jon avait au départ une vision plus (trop ?) large, qu’il concrétisera d’ailleurs dans la suite, Wizkid.
Jon a toutefois du mal à se souvenir du processus de ce développement dans le détail, sa collaboration avec Chris étant assez fusionnelle et donc plutôt informelle. À l’époque, nombre de petits studios sont d’ailleurs créés par deux frères (NdT : les frères Stamper pour Rare, les frères Darling pour Code Masters, etc.). Jon souligne tout de même le mode coop’ où les deux joueurs font des choses différentes, influencé par leur manière de jouer à Dropzone à deux alors qu’il n’est pas conçu pour (voir Parallax). Wizball est en tout cas le premier grand jeu du studio et l’une des meilleures collaborations avec Martin Galway (écouter ci-dessous), qui a passé quelque temps chez Jon et écouté leurs compos pour s’en inspirer. C’est clairement leur meilleur jeu 8-bit et même s’il n’a pas remporté de médaille d’or dans Zzap!, le magazine l’a élu « jeu de la décennie ». Néanmoins il n’a pas connu un gros succès commercial compte tenu de son étrangeté. Il a fait l’objet d’un remake par RetroSpec téléchargé plus de 50.000 fois !
The Day the Universe Died (1987)
Ce concept n’a en réalité jamais abouti, sans que Jon ne se souvienne pourquoi. Chris voulait expérimenter la 3D et avait réalisé quelques vaisseaux en polygones simples. Cette « démo » était proposée sur une cassette livrée avec le numéro 26 (mai 1987) de Zzap!, accompagnée d’un texte expliquant vaguement ce concept ambitieux. Le titre était temporaire et les lecteurs invités à trouver mieux ; le jeu se serait donc appelé Dominion s’il avait été achevé.
Shoot ‘Em Up Construction Kit (SEUCK – 1987 – 7/10)
S’il n’est pas le premier logiciel du genre (il y a eu Garry Kitchen’s GameMaker et Pinball Construction Kit), SEUCK demeure un moyen simple et efficace de créer un shoot ‘em up vertical. Au départ, Chris le crée pour permettre à Jon de travailler seul son level design et ses patterns d’attaque. Jon développera quatre jeux avec, mais le premier terminé, ils se rendent compte qu’il vaut mieux commercialiser le logiciel que les jeux à l’unité. L’un d’eux s’appelle Outlaw, du nom du label de Palace Software dont SEUCK est le tout premier soft (hélas, il ne fera pas long feu). Le développement s’avère plus long que d’habitude, mais à cause de l’évolution de la vie privée du duo et de leurs déménagements. Chris est si doué que le programme se charge une fois pour toutes avec l’habitude d’utiliser des cassettes. Mais pour le marché américain, Chris fait s’allumer la diode du lecteur de disquettes 1541 de temps à autre pour rassurer les utilisateurs… SEUCK est en tout cas leur premier soft à atteindre le top des ventes, et l’occasion d’un tout premier voyage (à Paris) pour le promouvoir. Il est encore largement utilisé par la communauté homebrew du Commodore 64.
Oh No (1988 – 5/10)
Nouvelle commande à petit budget de Firebird, il s’agit cette fois d’un clone de Rip Off qui connaîtra le même échec commercial que Galax-i-Birds. En revanche, il a été développé avec SEUCK (NdT : c’est sans doute le fameux « premier » jeu créé par Jon et le seul vendu à l’unité). Le charmeur de serpent de la table des high scores est un hommage à Master of the Lamps (1985), un titre psychédélique signé Activision sur Commodore 64.
MicroProse Soccer (1988 – 6/10)
Si le duo s’attaque cette fois à un concept moins délirant, c’est parce que ces fans de foot sont frustrés de la qualité des titres du genre de l’époque, y compris International Soccer (C64, 1983) et Match Day (Spectrum, 1984). Leur jeu préféré demeure Tekhan World Cup en arcade, développé par le futur Tecmo. Il utilise une vue du dessus et se contrôle au trackball, mais c’est surtout le scrolling vertical, assez inédit, qui les marque ; on se sent moins spectateur et plus dans la peau des joueurs. Ils préparent une solide démo qu’ils présentent aux différents éditeurs et optent pour le plus offrant, MicroProse, qui leur propose une avance de £30,000. L’éditeur leur laisse carte blanche et préfère ignorer les quelques private jokes tant que le jeu ne s’appelle pas Sensible Soccer… Plus qu’une simple commande, le titre s’avère un énorme succès critique ; C+VG écrit que c’est le meilleur jeu de sport toutes machines confondues ! Le jeu est aussi en tête des charts, mais le duo ne touche toujours pas tellement de royalties…
Le titre marque par des features assez audacieuses pour l’époque, comme la gestion de la pluie et la présence d’un replay en noir et blanc avec des artefacts vidéo… Chris y expérimente aussi la superposition de sprites, mais ce n’est visible que pour un connaisseur. En juin 1988, en plein développement, le duo devient trio avec l’arrivée de Martin Galway. Il avait quitté Ocean en octobre 1987 et s’apprêtait à partir aux États-Unis pour travailler chez Origin Systems quand le duo l’en dissuade. Ils veulent l’engager comme employé mais lui préfère être associé. Ce n’est que par la suite qu’il découvre qu’il doit alors partager la dette des deux autres qui se sont achetés de belles voitures… Mais avant de signer le contrat il compose la musique du jeu, l’une de ses dernières pour Sensible Software puisqu’il intègre plutôt le studio en tant que programmeur. En revanche, Jon écrit et enregistre une chanson qui doit être jouée à l’ECTS de Londres, mais c’est finalement annulé. Ils retenteront cela dit l’expérience pour d’autres jeux…
Touchstone
En octobre 1988, alors que MicroProse Soccer est bientôt terminé, le studio se lance dans un projet sans précédent ; portant le nom (d’alors) de leur groupe, c’est leur premier jeu sur un nouveau support, le premier édité par une société américaine (Origin Systems), et le premier à être entièrement conçu sur le papier, donc sans commencer par un bidouillage de Chris. La thématique de ce RPG est aussi inhabituellement romantique – Jon vient alors d’emménager avec sa compagne. Il se déroule dans un monde ravagé par la peste et le héros doit l’explorer à la recherche d’objets pour soigner sa bien-aimée. De retour chez lui il peut la soigner physiquement, mentalement ou spirituellement, ce qui donne accès à autant de zones. Dans le premier cas, le corps de sa dulcinée devient le lieu à parcourir ; le héros devait par exemple visiter les vaisseaux sanguins pour trouver l’endroit où administrer ses soins, et pouvait découvrir ainsi qu’elle était enceinte – comme dans L’Aventure Intérieure, que Ocean avait un temps proposé au studio d’adapter. Les deux autres zones correspondent à sa mémoire et son esprit.
Conçu par Jon et Martin, le jeu débute sur Commodore 64, Martin devant le porter sur Amiga. Mais le travail de conversion est compliqué et le studio hésite à en faire un jeu PC. Quand Palace Software leur offre une avance généreuse pour un jeu de tennis, Martin se voit confier le portage ST et abandonne tout travail sur Touchstone, ce qui signe l’arrêt du projet. De son côté, Origin Systems – Warren Spector produit – ne souhaite pas poursuivre, le concept n’ayant pas beaucoup évolué au bout de quatre mois… Hélas, Jon refera la même erreur plus tard : se lancer dans un projet ambitieux entièrement conçu sur le papier, sans limites ni contraintes techniques. À l’époque, les loyers sont chers et le studio parvient avec difficulté à s’offrir son premier vrai bureau, au-dessus d’un fleuriste à March, Cambridgeshire, où ils achèvent MicroProse Soccer. Ils n’y restent qu’une année puis déménagent à Station Approach (également à March). C’est à ce moment qu’ils se séparent de Martin qui a eu du mal à se mettre à la programmation pure…
Insects in Space (1989 – 6.5/10)
Pendant la conception de Touchstone et pour faire rentrer un peu d’argent, Chris se lance dans un clone une nouvelle fois irrévérencieux – on contrôle un ange nu à la poitrine opulente – de Defender. C’est leur troisième et dernier jeu à petit budget. C’est aussi le dernier travail musical de Martin Galway qui fait un break dans le développement de Touchstone entre décembre 1988 et février 1989 pour composer ce qui ressemble à un medley de son œuvre. Cette fois édité par Hewson (Cybernoid), le jeu obtient un 94% dans Zzap!64 et fait même la couverture, l’une des rares couvertures du studio !
International 3D Tennis (1990 – 5/10)
Ce jeu marque un tournant, pas tant pour la 3D mais parce que c’est leur dernier jeu sur Commodore 64 et le premier porté sur Amiga 500 et Atari ST. Il marque aussi une évolution du point de vue de la reconnaissance ; le duo a déjà connu le succès critique ou commercial, mais cette fois son travail est enfin récompensé sur le plan financier, avec une avance inédite de £35,000 de Palace Software. Durant la conception de Touchstone, Chris dépoussière son moteur 3D de The Day the Universe Died. Les joueurs sont modélisés à l’aide de quelques triangles et segments et il n’y a que des joueurs masculins, la modélisation ne permettant pas de différencier un homme d’une femme… Mais le jeu offre surtout un gros contenu avec la recréation complète du calendrier des tournois, le montant exact des récompenses, etc. En fan de sport, Jon aime incorporer toutes ces données techniques, mais aussi recréer la psychologie du tennis à travers les contrôles. À l’inverse des jeux de l’époque, le studio décide rapidement que les déplacements seront assistés pour focaliser le gameplay sur la frappe de balle. Leur seule source d’inspiration est Leaderboard, une série de jeux de… golf, certes, mais déjà en 3D en 1986 !
C’est Dave « Ubik » Korn qui se chargera, de sa chambre d’étudiant, des deux portages 16-bit. La collaboration fonctionne et il rejoindra par la suite le studio qui, séparé de Martin, doit aussi trouver quelqu’un pour s’occuper du son. La version C64 en sera quasiment dépourvue, mais pour les moutures 16-bit, ils font appel à Richard Joseph (Barbarian, Cauldron II), un compositeur très expérimenté et qui devient dès lors leur collaborateur permanent. Par son sens du détail (neuf angles de caméra !), le jeu préfigure Sensible World of Soccer mais se montre assez lent à cause du Commodore 64. Les critiques sont divisées mais le jeu connait un certain succès, aidé par le nom du studio désormais réputé. Jon admet donner beaucoup d’importance aux critiques, surtout à l’époque, car le besoin de reconnaissance est aussi important (voire plus) que la sécurité financière pour un artiste. Et le studio a heureusement un excellent contact avec la presse, n’hésitant pas à discuter pendant des heures, fournir des démos, etc.
Mega lo Mania (1991 – 8.5/10)
Le projet démarre début 1990 après le départ de Martin Galway. Le studio commence à connaître le succès mais ne gagne pas encore beaucoup d’argent. Il a atteint la réputation de meilleur développeur sur Commodore 64 en Europe, mais un nouveau défi attend : l’Amiga. Chris vient de finir la version C64 de International 3D Tennis et entame Wizkid, ce qui contraint le duo à embaucher, contractuellement, un « consultant » pour coder Mega lo Mania : Chris « Chipper » Chapman. Plus sage en apparence et ne connaissant pas le studio, il va pourtant s’avérer crucial dans son évolution ! Malgré le nouveau support, le jeu n’est pas conçu autour des graphismes. Le processus est moins itératif qu’entre Jon et Chris, mais Chipper fait ce qu’on lui demande, et bien. Jon prépare le concept sur le papier, et travaille longuement avec des graphismes temporaires pour équilibrer le design. Ce n’est qu’au bout de quatre ou cinq mois qu’ils le présentent à Virgin qui refuse ce jeu trop atypique. Ils se tournent alors vers Mirrorsoft qui leur propose une avance de £35,000 et qui a déjà les Bitmap Brothers dans son écurie. Le duo les avait baptisé jusque-là « Bitmap Branleurs » par jalousie de leur célébrité sans avoir sorti grand-chose, mais ils deviendront amis par la suite ; Mike Montgomery signera le deal pour éditer SWOS via sa société Renegade lors d’une partie de golf (Jon était si mauvais perdant qu’il utilisait ses cheveux longs comme excuse).
Tony Beckwith, le producteur du jeu, est crédité au design, ayant eu de longues conversations avec Jon. Il se souvient que le studio avait programmé une IA pour que l’ordi puisse enchaîner les parties tout seul, en accéléré et des heures durant… Le concept, mêlant arbres de technologie (plusieurs mois avant Civilization) et éléments de RTS (plus d’un an avant Dune II) a de quoi rendre Jon fier. Le jeu doit s’appeler My Little Warhead jusque six mois avant sa sortie, quand l’univers futuriste est remplacé par des hommes des cavernes sous l’influence de Populous, même si la vraie inspiration est le jeu de société Campaign auquel Jon jouait avec son père. Il apprécie encore de pouvoir prendre son temps pour récolter des matériaux et fabriquer ses armes, mais reconnaît un manque d’équilibre dans la partie finale, trop facile. La manière dont cela se transforme en course à l’armement est intéressante, mais Jon nie avoir voulu passer un message, du moins pas aussi consciemment qu’avec Cannon Fodder. Le titre doit également beaucoup à son ambiance sonore car Richard Joseph a pu davantage expérimenter l’utilisation des voix. En fait, le plus gros regret demeure l’absence d’un mode multijoueur…
Le jeu aura demandé un an et demi de travail et beaucoup d’heures supp’ exténuantes sur la fin, à en devenir malade. Mais le plus triste est que Mega lo Mania n’aura pas été le début de la grande aventure rêvée, car le studio avait signé avec Mirrorsoft un contrat de quatre jeux, incluant une suite, mais aussi Sensible Soccer et Cannon Fodder, avec des avances de £33,000 et £40,000 respectivement. La barmaid du pub où il a été signé a même servi de témoin ! Seulement voilà, deux mois après la sortie du jeu, le 5 novembre 1991, on retrouve le corps de l’éditeur millionnaire Robert Maxwell au large de Tenerife. On découvrira peu après qu’il est coupable d’une vaste fraude pour renflouer les sociétés de son groupe, dont Mirrorsoft… Les avances n’ont alors pas été versées et 75% des royalties de Mega lo Mania partent en fumée. Le studio manque de boire la tasse mais a pu conservé les droits des quatre jeux. C’est d’ailleurs à cette époque que Jon commence à s’intéresser sérieusement à la partie business ; cette mésaventure leur aura au moins appris à ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier…
…et à obtenir de meilleurs deals pour chaque jeu et chaque portage. Les droits de Mega lo Mania récupérés, ils se tournent vers Ubisoft pour la distribution, mais le jeu a perdu de son élan et les ventes s’effondrent au bout de quelques mois par manque de stock. Le temps de le rééditer, la concurrence est alors rude avec Populous et Powermonger. Dave Korn commence alors à expérimenter la 3D et les fractales pour une suite, mais le projet en reste là. Si Jon reste amer que son jeu préféré soit le moins connu, le studio a encore une fois grandi suite à l’incident. Cela marque le début de sa meilleure période, celle où il compte une demi-douzaine de personnes, avec l’arrivée par la suite de Julian « Jools » Jameson et Stuart « Stoo » Cambridge en plus de Ubik et Chipper, auxquels il faut ajouter Richard Joseph pour l’audio et Mike Hammond comme consultant sur les jeux de football. C’est l’équipe de rêve ou plutôt le groupe au complet, et il aurait pu durer éternellement si l’Amiga était resté à la mode. À partir de là, le studio travaille avec les trois plus grands éditeurs d’Europe à la fois : Ocean, Virgin et Renegade.
« Cover Disks »
Après un trio de jeux à petit budget sur 8-bit, Sensible Software réalise quelques cover disks sur 16-bit, c’est-à-dire des disquettes offertes avec un magazine et contenant un ou plusieurs petits jeux. Avec le style Sensible, cela ressemble bien souvent à des blagues. Citons Sim Brick, avec l’Amiga Power d’avril 1992, une parodie de la franchise déjà envahissante à l’époque. Dans ce « simulateur authentique de brique », le but est d’écraser des fourmis. La même année, Sensible StarTest parodie une émission TV de l’époque ; on choisit l’un des membres du studio et on lui pose des questions débiles. Ses réponses, parfois malpolies, le sont tout autant. En août 1995, le studio livre son tout dernier jeu Amiga, Sensible Train Spotting. Créé par Jon et Chipper, ce petit jeu plutôt amusant consiste à repérer les numéros de trains qui passent plus ou moins vite.
Les jeux annulés
Outre The Day the Universe Died, Touchstone et Mega lo Mania II, d’autres « sensiconcepts » ont été enterrés à des degrés d’avancement variés. Mirror, Signal, Manslaughter (« rétro, clignotant, massacre ») n’est pas allé beaucoup plus loin qu’un délire entre potes, mais ce Carmageddon avant l’heure (en 1991), dans l’unique screenshot fabriqué par Stoo, ressemble fortement au premier GTA… Plus ambitieux et plus avancé, Console Olympics est un titre multi-épreuves (vingt au total) qui doit succéder à Sensible Soccer, mais qui affiche des sprites plus gros et rigolo dans une ambiance à la Intervilles. Le gameplay se veut « arcade » et l’intérêt réside dans le fait que chaque joueur se voit affublé d’une équipe de six pieds nickelés (un petit, un grand maigre, un gros, etc.) et doit assigner chacun d’eux stratégiquement à une ou deux épreuves de la sélection. Chris et Stoo, de leur côté, imaginent Molotov Man, un jeu pour la Super Nintendo inspiré par Bomberman, débuté à peu près en même temps que Cannon Fodder (1992). Mais Stoo n’en garde qu’un souvenir vague ; le titre n’a pas dépassé le cap de la démo technique.
Sensible Soccer (1992 – 8/10)
En septembre 1991, alors que Mega lo Mania est sur le point de sortir, Tony Beckwith passe dans les locaux de Sensible Software et tombe sur Jops qui s’amuse à habiller les personnages du jeu avec des tenues de footballeurs… Si cela suffit à lancer le projet, la faillite de Mirrorsoft modifie les plans. Le studio hésite entre trois éditeurs ; Palace Software est en posture difficile et Virgin voudra accoler son nom au jeu comme MicroProse… Ils optent donc pour Renegade, société fondée par les Bitmap Brothers avec Tom Watson, ex-Mirrorsoft, ainsi que Dan Thompson et Martin King qui possèdent le label musical Rhythm King (d’où Bomb the Bass sur Xenon 2, NdT). Géré à la manière d’une maison de disque indé, l’éditeur reverse 50% des bénéfices en royalties ! Graeme Boxall, producteur de Sensible Soccer, a déjà rencontré le duo alors qu’il travaille pour British Telecom (c’est la première fois qu’il voit un téléphone portable, que Jon a payé une fortune). Plus tard, chez Mirrorsoft, il n’a que quelques échos au sujet de Mega lo Mania, et même chez Renegade, il laisse le studio tranquille. Les jeux arrivent en retard mais la qualité est au rendez-vous. Il met juste son véto aux équipes person-nalisées dont les noms ont des connotations sexuelles – plus d’une centaine tout de même !
Durant le développement de Mega lo Mania, Jops et Chipper jouent énormément à Kick Off 2, la référence de l’époque, au point de s’en écœurer et de jeter la disquette sur les rails du train ! C’est pour faire mieux qu’ils débutent Sensible Soccer. Il emprunte à Mega lo Mania sa vue aérienne qui favorise l’aspect stratégique ; à chaque instant, le joueur voit à quels coéquipiers il peut faire une passe. Côté IA, chaque joueur suit le ballon tout en restant dans son « territoire » rectangulaire, et seuls deux joueurs par équipe bougent librement : celui qui est contrôlé au joystick et un autre qui le suit et devient jouable si le premier perd le ballon. D’autres éléments sont invisibles pour l’utilisateur comme le fait que les joueurs anticipent la future position du ballon. Côté maniabilité, le studio ne reprend pas le concept controversé de Kick Off où la balle ne « colle pas ». Ils optent pour une solution intermédiaire où le ballon n’est perdu qu’en cas de changement audacieux de direction, les caractéristiques du joueur étant prises en compte.
Au final, le gameplay tient moins de MicroProse Soccer que de International 3D Tennis ; le programme anticipe les actions du joueur pour simplifier les contrôles. Par exemple, plutôt que de se confiner à huit directions, le jeu ajuste automatiquement le déplacement en direction du ballon (alors que dans Kick Off, on a tendance à tourner autour, NdT). Pour Chipper, le vrai défi est de conserver un jeu rapide et fluide tout en effectuant tous ces calculs ! Mais en dehors de quelques ralentissements durant les corners, l’objectif est atteint en jouant sur les formations pour limiter le nombre de joueurs à l’écran, et en simplifiant au maximum les animations (trois étapes seulement pour la course). Cela nécessite parfois de la triche (sautes, accélérations) pour que les joueurs soient au bon endroit au bon moment, le genre d’astuce qui passe en 2D mais s’avèrera hélas impossible à exploiter avec les animations « réalistes » des jeux en 3D. L’autre défi pour le studio est de finir le jeu pour l’Euro 1992, d’autant qu’un bug de dernière minute fait que l’ordinateur refuse de rendre le ballon en position de touche !
Le jeu ne mise donc pas sur sa réalisation, ce qui devient gênant avec l’arrivée des consoles 16-bit et leurs graphismes clinquants, mais un grand soin est apporté aux données techniques : noms, motifs et couleurs des maillots, coiffure et teint des joueurs, leur poste, leur valeur sur le marché et sept paramètres définissant leurs aptitudes. Lors d’un tacle par exemple, est pris en compte la compétence du joueur en la matière, le contrôle de ballon du joueur adverse mais aussi la direction ; un tacle de face réussit plus facilement, tandis que par derrière il résultera souvent en faute. C’est Mike Hammond, qui écrit encore chaque année un annuaire pour l’UEFA, qui est sollicité pour les infos techniques et pour donner des « notes » sur dix à chacune des compétences des joueurs. Malgré cet aspect simulation très poussé, l’esprit Sensible perdure au travers des équipes personnalisées, qui présentent des associations fantaisistes allant de l’équipe de bimbos à celle des dictateurs, avec Hitler en ailier droit et Staline en ailier gauche…
Cet équilibre entre précision et fun permet au titre de devenir le premier gros hit du studio, du moins le premier à rapporter beaucoup d’argent. Ils toucheront des royalties jusqu’en 1999 et la série dépassera les deux millions d’unités, un chiffre impressionnant compte tenu du taux piratage sur micros à l’époque (90%) ! En plus de sortir pour l’Euro, le jeu bénéficie d’un morceau signé Captain Sensible (connu pour son tube Wot! de 1982, NdT). C’est lui-même qui approche le studio et propose de le faire gratuitement, mais il ne signera jamais le contrat établi par Jon Hare. Or, trois mois après la sortie du jeu, sa maison de disque exige 10% des bénéfices… Le studio s’exécute mais retire la musique des versions suivantes. En plus de deux updates, le titre a été décliné en démos promotionnelles, dont unSensible Soccer (Amiga Action & ST Action, mars 93), qui offre au choix un match entre Norwich et Manchester United ou entre des pommes et des oranges, avec des poires dans les cages et une noisette comme ballon… England vs Germany (janvier 93) propose trois matches entre l’Angleterre et l’Allemagne : en 1944 (avec des soldats de Cannon Fodder qui s’échangent une grenade susceptible d’exploser), en 1966 (en noir et blanc pour coller au souvenir de cette victoire de l’Angleterre en Coupe du Monde) et en 1993. En fin d’année, Cannon Soccer, une version spécial Noël de Cannon Fodder, fait l’inverse : les soldats s’affrontent sur un terrain de foot enneigé. Le studio organise également un tournoi l’opposant à la presse spécialisée, filmé dans le cadre de l’émission GamesMaster.
Wizkid (1992 – 10/10)
Si l’on n’a pas mentionné Chris Yates depuis International 3D Tennis, c’est que par la suite il devient directeur technique et supervise les autres programmeurs. Mais, moins enclin que Jon à donner des ordres, il a tendance à s’isoler et travaille sur Wizkid en tant que programmeur principal. Dernier projet réalisé de bout en bout par le duo original, cette suite de Wizball devient logiquement le jeu le plus « quintasensible » des développeurs. Gary Bracey d’Ocean leur laisse carte blanche, mais le duo prend un sacré risque. Déjà en tant que groupe, leur égo a failli leur faire perdre tous leurs fans après avoir viré leur batteur juste avant un concert. En plus, signé peu après International 3D Tennis, ce nouveau contrat se révèle être un temps le seul actif après la faillite de Mirrorsoft… Et décrocher une avance de £30,000 pour un tel jeu serait impossible de nos jours.
Jusqu’à 1990, Wizball s’avère être la seule franchise du studio et le jeu qui l’a révélé, du moins auprès de la presse et des gamers. Mais n’étant pas un succès commercial, Gary Bracey a dû batailler pour convaincre sa hiérarchie ; lui-même ne saisit pas de suite le concept, même après la première démo ! Et avec la baisse de popularité croissante de l’Amiga face aux consoles, financer un tel concept est sacrément risqué. Si Chris part d’un Arkanoid où balle et raquette auraient fusionné, le jeu prend très vite une direction qui n’est logique que pour le duo : attraper des briques entre ses dents, utiliser son nez de clown pour les faire rebondir contre les ennemis… À cela s’ajoute les phases d’aventure « à pied » que Jon voulait voir dans l’original. Mais cette fois, au lieu de ramasser des gouttes de peinture pour colorer le paysage, on collecte des notes pour composer un morceau. Autour du personnage de Wizkid, inspiré par la fille de Jon qui porte alors la même salopette bleue étoilée, le duo façonne un scénario débile – donc leur meilleur – où la chatte Nifta du premier volet a eu huit chatons, et où Wizard et Wizball ont eu un enfant, Wizkid. Le méchant Zark revient et kidnappe tout le monde, et il faut trouver les chatons de chacun des huit niveaux pour accéder au château où sont enfermés Wizard et Wizball…
L’un des points forts de Wizkid est la musique signée Richard Joseph, bien que le générique – qui s’achève par l’explosion spectaculaire de la tête de Wizkid – soit une reprise de Tchaïkovski. Jon est également fier de la construction du jeu ; chaque niveau a trois sorties menant vers autant de niveaux. Mais il faut tous les parcourir dans le bon ordre, sans oublier les cristaux pour ouvrir la cage de Nifta. Et pour voir la cinématique de fin qui contient un twist audacieux pour l’époque (hélas surexploité de nos jours, NdT), il faudra encore affronter Zark dans une partie de Wizeroids, un clone d’Asteroids. D’ailleurs, conscient que les phases de casse-briques peuvent lasser, le duo ajoute des parties de mots-croisés baptisées « Crossword 2091 » en hommage à Robotron 2084. Malgré ce côté fourre-tout, rien n’est inutile dans un jeu Sensible Software. Wizkid peut sembler illogique, mais il répond à une logique onirique et intuitive : sauter sur la manivelle d’un puits fait apparaître un seau, souffler dans un préservatif permet de flotter avec ce ballon improvisé, péter au-dessus des WC déclenche l’éruption d’un volcan et en débouche l’entrée… Contrairement à Arkanoid, les décors ne sont pas simplement illustratifs puisqu’on les explore.
Gary Penn compare le jeu à une impro de jazz et pour Jon Hare c’est la forme la plus pure de l’expression artistique du duo (il aurait pu en être de même pour Sex ‘n’ Drugs ‘n’ Rock ‘n’ Roll s’ils l’avaient fait tous les deux). À ce stade de leur carrière, ils savent ce qui fonctionne et peuvent laisser libre cours à leur imagination une fois la base solide. Au fond, déclencher une inondation dans les toilettes pour accéder à une nouvelle zone revient à aller chercher une clé dans un coffre. Et pour qu’une œuvre complexe ait l’air improvisée, il faut de la maîtrise. Ce qui a causé les retards, ce sont plutôt les projets menés en parallèle et la création détaillée de chaque niveau. Mais à l’époque, les jeux sont financés au contrat et ça ne coûte pas plus cher à Ocean d’attendre. Le jeu s’avère tout de même un échec à sa sortie l’été 1992. Pour Gary Bracey comme pour Jon, c’était inévitable. Ce type de jeu est invendable pour un éditeur spécialisé dans les jeux à licence et la jaquette n’aide pas. Mais la presse a adoré et il est devenu culte. D’ailleurs, le studio décroche en novembre 1992 le prix de « Développeur de l’année » à la cérémonie annuelle des InDin, la plus prestigieuse dans l’industrie du jeu vidéo à l’époque. Avec cette reconnaissance et l’argent gagné par Sensible Soccer, le studio ne s’est jamais mieux porté !
Cannon Fodder (1993 – 8.5/10)
Pour Cannon Fodder, Jon écrit une chanson qu’il interprète avec Richard Joseph et fait réaliser le clip par une équipe de télévision rencontrée à l’occasion de Sensible Soccer. Une première dans l’Histoire du jeu vidéo ! Mais le titre n’en a hélas pas besoin pour faire parler de lui. La fleur de coquelicot (NdT : de la famille du pavot !) de l’artwork et de l’introduction évoque celle du jour de l’Armistice, date de sortie du jeu. La Royal British Legion (les Anciens Combattants) trouve la démarche du studio irrespectueuse, puis réclame £500 car le coquelicot est leur « marquée déposée ». Jon paie mais n’achètera plus de coquelicot pour célébrer le 11 novembre. Et si l’écran de chargement mentionne que le jeu n’est pas agréé par la Royal British Legion, Jon trouve toujours qu’il fait honneur à leurs valeurs.
Mais cette mauvaise publicité n’empêche pas le jeu d’arriver en tête des charts anglais pendant douze semaines et d’être l’un des mieux notés du studio même si, comme beaucoup de leurs titres, cette popularité reste confinée à l’Europe. Cela aurait été logique pour un jeu de foot, mais Jon trouve dommage que Cannon Fodder n’ait pas marché aux États-Unis. Selon lui, l’éditeur Virgin Europe est alors la cinquième roue du carrosse pour la maison mère qui préfère chouchouter les Américains de Westwood Studios (Command & Conquer), la nouvelle tête de turc du duo maintenant qu’ils sont amis avec les Bitmap Brothers. Sean Brennan, qui a réussi le marketing du jeu pour l’Europe, estime que les jeux de Sensible Software avaient l’air de titres à petit budget et Virgin US favorisait alors les projets internes, quitte à mettre neuf millions de dollars pour Toonstruck (1996) quand la majorité des blockbusters de l’époque n’en coûte que deux ou trois. Pour Cannon Fodder, l’avance n’est que de £100,000 comme pour Sensible Soccer, avec un pourcentage de royalties moins avantageux mais qui leur a rapporté beaucoup.
War (Theme from Cannon Fodder) from Read-Only Memory on Vimeo.
Cette fois, ni Jon ni Chris ne mettent directement la main à la pâte mais le titre a tout de même hérité de leur philosophie. Cannon Fodder s’inspire d’un jeu « papier » que le duo avait créé l’été 1983, ainsi que de Rambo: First Blood Part II (Ocean, 1985), mais ils souhaitent diriger une équipe plutôt qu’un seul personnage. Lemmings sorti entre-temps, Chris en imagine alors une sorte de version « avec des armes » : une escouade de quatre soldats, clic gauche pour se déplacer, clic droit pour tirer, et la vue aérienne de Mega lo Mania et Sensible Soccer. Mais il y a d’autres projets sur le feu et le studio doit recruter un programmeur et un graphiste : Julian « Jools » Jameson et Stuart « Stoo » Cambridge. Jools a commencé la programmation en BASIC à 13 ans sur ZX-81, et est passé par Tynesoft et Rare avant d’arriver chez Sensible Software. Stoo rentre en quasi débutant et estime avoir tout appris de la création d’un jeu quand il quitte le studio. L’un et l’autre pensent que la société se différencie avant tout par les efforts de Jon pour présenter les jeux à la presse et leur fournir des démos parfois difficiles à produire.
Une autre particularité est que ni Jools ni Stoo ne sont salariés, mais sous contrat. Cela leur donne plus l’impression d’être les auteurs de leurs jeux d’autant qu’ils touchant des royalties ; Jools empoche 30% des bénéfices par exemple ! Engagé pour travailler sur Mirror, Signal, Manslaughter, Jools passe sur Cannon Fodder quand le studio change d’avis… Pour un employé sous contrat, ces revirements – qui occasionnent parfois de jeter une partie du travail accompli – s’avèrent stressants car une fois l’avance épuisée, plus personne n’est payé. Mais cela s’est plutôt bien passé sur Cannon Fodder malgré quelques moments d’indécision qui l’ont parfois frustré. Et même si Jon Hare n’a réalisé aucun graphisme, il a été très impliqué dans la conception et le level design. Tout est établi à l’avance sur le papier, plus méticuleusement que sur leurs précédents jeux. Stoo n’a plus qu’à recopier ses maps dans l’éditeur de niveaux ! Le contexte de la guerre est présent dès le début et sont ajoutées rapidement la possibilité de diviser son groupe en deux, celle de donner des ordres, puis les pièges, les véhicules, etc.
Pour Jon, il y a les garçons qui jouent au foot et ceux qui jouent aux petits soldats. Plutôt timide et n’ayant pas de frère, il a opté pour le foot mais veut créer des jeux pour les uns comme les autres. Cannon Fodder est donc pensé pour la seconde catégorie et s’inspire de conflits ineptes comme la guerre du Viet Nam où les « perdants » meurent comme dans un jeu vidéo. Par la suite, ils créent d’autres niveaux qui évoquent des conflits plus anciens. Jon admet que le jeu offre une vision assez naïve mais représentative de sa génération qui n’a pas connu la guerre, avec un humour noir très britannique. Malgré son titre satirique, le jeu se montre respectueux en donnant un nom à chaque soldat, même si la raison à cela est technique. Les bases du jeu posées, la structure en missions (aux noms débiles) est établie. Et comme il faut que le joueur ait droit à plusieurs tentatives, il doit être récompensé par de nouvelles recrues et, de fil en aiguille, le studio imagine un système de promotion pour les soldats ; il devient alors indispensable de les nommer pour les différencier ! Ils utilisent leurs noms et en créent d’autres bien stupides.
Le ratio des morts de chaque camp apparait à l’écran de recrutement sous la forme d’un score de match de foot, mais aucun pays n’est spécifié pour rester neutre. C’est en concevant la séquence de remise de médaille qu’ils réalisent le nombre impressionnant de morts au terme de chaque mission, et ils décident alors d’ajouter à l’écran de recrutement, dont la colline semble bien vide, ces pierres tombales plus ou moins décorées selon le rang de la victime. Le système de promotion fait qu’on s’attache aux soldats, ce qui pousse le joueur à privilégier les vétérans quitte à sacrifier les autres. Et c’est devant la longue liste de ces malheureux qu’on réalise les conséquences de nos choix… L’écran est en plus accompagné d’une musique triste basée sur une chanson que Jon a composée à 18 ans quand sa première copine l’a quitté pour un de ses meilleurs amis ! Ce thème fait d’autant plus d’effet qu’il suit la musique de victoire, une parodie de fanfare de football américain signée Richard Joseph. Pendant le jeu, il n’y a en revanche pas de musique pour accentuer la tension, Jon n’appréciant la violence que par petites touches, plutôt que les jeux bourrins où l’action est tellement soutenue que cela neutralise l’effet.
Cannon Fodder 2 (1994 – 5.5/10)
Le moment est venu de tirer les bénéfices du travail accompli ; Renegade réclame une suite à Sensible Soccer (que le studio appelle également de ses vœux et sur laquelle il a commencé le travail), tandis que Virgin souhaite un jeu de golf et Cannon Fodder 2, pour lequel le studio touche une avance sans précédent – £150,000. C’est ainsi qu’il déménage de nouveau et retourne dans l’Essex, à Saffron Walden. Pour cette suite, il ne s’agit pas de réinventer la roue. Jon préfère se focaliser les deux autres projets et confie pour la toute première fois le design d’un jeu à quelqu’un d’autre : Stu Campbell, qui rejoint le studio en juin 1994 après avoir été journaliste pour Amiga Power. Lassé de l’atmosphère de plus en plus déprimante du groupe Future, il accepte volontiers de doubler son salaire pour travailler dans l’un des meilleurs studios anglais !
Le gameplay restant similaire, son job se limite au level design et à assurer une difficulté plus progressive. Par la suite, il ne fera que du test et du débogage sur Sensible World Of Soccer et Sensible Golf. Il aurait bien eu des idées pour améliorer ce dernier mais son développement traîne bien assez. À une époque où le jeu vidéo devient un gros enjeu financier, le studio est l’un des derniers à offrir une ambiance décontractée où chacun a ses propres horaires. Stu est engagé pour faire bonne figure devant Virgin et s’assurer que Cannon Fodder 2 soit livré à temps. Il le sera, cas unique dans l’histoire de la société ! Son meilleur souvenir demeure le jour où avec Jonny Watts ils ont littéralement démoli une machine à sous à coups de boules de billard, frustrés d’avoir attendu une journée entière Jools qui devait débloquer un problème dans le code du jeu. Bien que Chris ne leur en ait pas tenu rigueur, il quittera le studio en juillet 1995 à la fin de son contrat. Jon estime que Stu a fait du bon travail compte tenu du fait que c’était son tout premier jeu, mais trouve que le graphiste John Lilley et lui se le sont sans doute trop appropriés.
Jon et Chris en prennent conscience trop tard, mais comme cette suite n’est pas mauvaise, autant la sortir. Les critiques ont d’ailleurs été bonnes, quoique plus mitigées. Le jeu a figuré dans le top des ventes grâce aux fans de l’original et a pu rentrer dans ses frais. Compte tenu du faible temps de développement, Jon s’est forcé à déléguer davantage ; SWOS est alors si important à ses yeux de fan de foot qu’il laisse passer les missions sur des planètes extra-terrestres vertes et violettes… Ce décor surréaliste s’éloigne de l’original et des horreurs réelles de la guerre. De son côté, Chris supervise le portage de Sensible Soccer sur Super Nintendo et World Championship Soccer II sur Mega Drive, une commande de Sega sous pseudonyme (The Mystery Chefs), basée sur le moteur de Sensible Soccer et dont la particularité est que tous les joueurs ont les cheveux longs pour économiser de la mémoire… Jools aussi confirme qu’il aurait souhaité une véritable suite plus proche d’un RTS (Command & Conquer allait bientôt cartonner) plutôt qu’un map-pack avec des aliens, mais il est très bien payé pour deux ou trois semaines de travail… C’est à cette période, dans les nouveaux locaux, qu’il commence à travailler de nuit pour éviter la bureaucratie qui commence à s’installer avec l’expansion du studio.
Sensible World of Soccer (1994 – 9/10)
Jops et Chipper se lancent dans SWOS un an après la sortie de Sensible Soccer (et après sa première update), avec comme objectif d’ajouter un aspect management. C’est la suite logique et de toute façon ils ne prêtent pas attention à la concurrence. Une partie du code de l’original est conservé, d’autant qu’ils ignorent parfois pourquoi il fonctionnait et n’osent donc pas y toucher ! En revanche, le contenu est largement revu à la hausse avec 27000 joueurs, 1500 équipes et 70 pays. Mike Hammond continue de fournir toutes les infos pour l’Europe, tandis que Serge van Hoof gère le reste du monde. C’est ce qui en fait, à l’époque, le jeu de foot le plus encyclopédique jamais conçu. Il prend même en compte l’évolution de chaque équipe au fil des saisons, ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes…
Car le joueur peut regarder un match entre deux équipes dirigées par l’ordi, et le match généré à la volée doit aboutir impérativement au résultat prédéterminé ! Si une équipe ne marque pas, il suffit que le goal adverse arrête tous les ballons, mais dans le cas contraire, il faut « répartir » les buts de manière naturelle… Il aurait été plus simple de ne montrer au joueur que les meilleures actions ! L’aspect management est donc poussé, mais le jeu est davantage axé sur les joueurs et les matches que sur l’aspect financier (prix des places…). Pour Jon, le gros du travail a été accompli sur Sensible Soccer et une fois définies les règles mathématiques qui régissent le marché et les rencontres, la logique fait le reste. C’est en fait plutôt la conception des menus qui s’avère délicate compte tenu de l’échelle du jeu. Il faut trouver un moyen de représenter toutes ces informations synthétiquement et que cela fonctionne pendant plusieurs saisons, et qu’un joueur puisse également lancer une partie rapide comme il le faisait dans le jeu précédent. Mais la plus grosse difficulté pour Chipper est de terminer pour Noël ; il a même appris plus tard que sa femme l’avait suspecté à cette époque d’être absent pour d’autres raisons que son travail… Il faut dire que vers la fin il est resté au bureau cinq jours d’affilée ! Et alors qu’il se croit débarrassé, le producteur Graeme Boxall appelle pour signaler un petit bug, qui sera finalement toléré.
Boxall se souvient qu’encore deux semaines avant la sortie, il n’y croit pas. Au final, le jeu est mis sur le marché avec 60 gros bugs mais il est suffisamment bon pour qu’on lui pardonne. Un patch sera fourni gratuitement avec le magazine The One en mai. Malgré ce rush final, Jon trouve le temps de créer une version promotionnelle pour un magazine se déroulant sur la lune avec des équipes d’extra-terrestres soumis à la gravité du satellite. Et après Cannon Fodder, ils décident également de créer un clip officiel faisant aussi office d’intro, Goalscoringsupertstarhero. Jon garde un excellent souvenir de l’écriture de la chanson avec Richard Joseph dans la maison de ce dernier, avec la participation de Jackie Reed au chant, également entendue dans les thèmes de Cannon Fodder 2 et Sensible Golf. Le clip a aussi été très amusant à tourner, hormis d’horribles coups de soleil aux jambes qui paralyseront Jon quelque temps… Le titre a évidemment rencontré un très gros succès mais pour Jon Hare, la consécration vient d’avoir été choisi parmi les dix jeux du Game Canon préservés à la Bibliothèque du Congrès de Washington. C’est en plus le seul jeu de sport, le seul d’Europe et le plus récent (les autres sont SpaceWar!, Star Raiders, Zork, Tetris, SimCity, Super Mario Bros. 3, Civilization, Doom et Warcraft).
C’est sans aucun doute la plus grande distinction reçue par le studio, par ailleurs souvent primé au début des années 90. Pour Hare qui pense sur le long terme, c’est nettement plus important que les recettes du dernier trimestre, ou même l’argent qu’il a accumulé tout au long de sa vie. De plus, si Sensible Soccer était le premier jeu de foot à figurer des joueurs de couleur, Jon est particulièrement fier que cette suite montre le côté universel du foot en proposant toutes les petites équipes locales à travers le monde. Sensible World Of Soccer n’est peut-être pas leur sommet sur le plan artistique mais c’est tout simplement leur meilleur jeu. Jusque là, en dehors du petit accident de parcours que fut Cannon Fodder 2, le studio a été en constante ascension. Il a connu une première phase où il créait des jeux populaires mais qui n’ont rien rapporté, puis une deuxième où ils ont commencent à être récompensés pour leur travail. Cette deuxième phase est hélas en train de se terminer, et parvenu au sommet, le studio ne peut que redescendre. Au moins, ils auront eu le temps de livrer leur chef d’œuvre avant la fin de la 2D…
Sensible Golf (1995 – 4/10)
Plus encore que Cannon Fodder 2, le résultat final est très éloigné la vision initiale. À cette époque, Jon et Chris se sont mis au golf, et vers la fin du développement de Cannon Fodder, ils se disent que le moteur de ce dernier faciliterait la création d’un jeu de golf et occuperait Jools de nouveau disponible. Cela consoliderait en outre le look Sensible, cette vue aérienne typique. Mais le jeu devait également afficher quatre joueurs à l’écran qui se vanneraient et se disputeraient entre les coups. En fans de Leaderboard, le duo veut un jeu poussé sur le plan de la simulation, sans forcément être le Sensible Soccer du golf. Durant les cinq premiers mois, Jops est très impliqué dans le développement. Mais c’est alors que Jools, non sans difficulté, livre enfin un moteur qui s’avère bien en deçà des attentes…
D’après Jon, il ne peut animer qu’un seul sprite à l’écran à la fois ! Cela semble peu crédible pour le moteur de Cannon Fodder et Jools dément catégoriquement. Jon et Chris auraient sans doute dû réagir à ce moment-là, mais cela se produit précisément à une période où le studio a trop de projets en cours : Chris est plongé dans ses portages et Jon est focalisé sur SWOS tout en réfléchissant à Sex ‘n’ Drugs ‘n’ Rock ‘n’ Roll… Cet incident réduit à néant la motivation de Jon, d’autant que ce jeu est supposé être achevé rapidement et Virgin a versé une avance royale de £300,000. Jools est alors tellement sous pression qu’il en fait un ulcère. À partir de là, Jon va se contenter de s’assurer que le jeu fonctionne mais sans la moindre passion. En résulte un titre pas forcément mauvais face à la concurrence mais terriblement fade, sans âme. La plus grosse erreur aura sans doute été de reprendre des éléments de jeux précédents (le moteur de Cannon Fodder et les menus de Sensible Soccer), chose que le studio avait toujours souhaité mettre en œuvre alors que jusqu’ici, il repartait de zéro pour chaque jeu. Mais le gameplay de Cannon Fodder a été adapté au chausse-pied ! L’éditeur semble toutefois satisfait du résultat.
Mais s’il avait été une réussite, cela aurait pu donner naissance à Sensible Cricket, Sensible Rugby, Sensible Tennis… Même si ce côté industriel n’aurait pas collé avec la philosophie de rock band du studio. Et puis il aurait fallu vraiment recréer le feeling du golf, comme pour le foot et le tennis, plutôt que de se baser sur le gameplay basique de Cannon Fodder, un pur jeu de level design. Ils n’ont pas suivi leur méthode habituelle consistant à créer le gameplay de base avant de déployer le terrain de jeu autour. Ils ont juste attendu que Jools accouche d’un moteur boiteux, et il ne restait alors qu’à tout recommencer ou finir le jeu tel quel. Virgin est resté confiant mais n’a clairement pas vendu le jeu avec le même entrain que Cannon Fodder. Les critiques ont tout de même été positives, d’autant que le jeu est propre, sans bug. Arrivé en fin de vie de l’Amiga, son succès n’a pas été incroyable, d’autant que la 2D commence à être impopulaire auprès du public. Jools quitte le studio non sans obtenir les droits du moteur de Cannon Fodder pour son prochain projet. Malgré l’intérêt de plusieurs éditeurs, le financement ne sera pas suffisant pour monter The Hitman, très proche du tout premier GTA. Selon lui, Sensible Golf est condamné dès le départ par le manque de temps et d’investissement pour en faire un grand jeu.
En plus, alors qu’il travaille sur ce jeu et Cannon Fodder 2, Chris Yates lui aurait dit de n’écouter personne (pas même Stu Campbell engagé pour l’aider !) et de finir les jeux au plus vite. Jools a alors sérieusement envie de quitter un studio qui ne parvient pas à gérer sa croissance accélérée. Il a l’impression d’être le bouc-émissaire même si Jon estime que seul lui-même et Chris sont responsables. Stoo (Cambridge) reste fier du résultat mais confirme que la réutilisation du moteur était à la fois le point fort du jeu et la raison de son échec. Qui plus est, lui et Jools ne travaillent alors pas dans le même bureau, ce qui limite les échanges. La priorité est alors de finir le projet d’autant que Virgin fait pression, et il y a plein de petits détails qu’ils n’ont pas eu le temps d’ajouter : des animaux interagissant avec la balle, un pervers ouvrant son manteau sur le green si le joueur passe trop de temps à préparer son coup, l’ombre des nuages donnant la direction du vent, etc. Après Sensible Golf, Stoo travaille sur le prototype de Have a Nice Day, mais le développement sur PlayStation s’avère compliqué et le studio devient de plus en plus impersonnel avec l’arrivée continue de nouvelles têtes. Il préfère s’en aller en 1997.
Have a Nice Day
En mai 1995, le studio signe avec Warner, qui a racheté Renegade, un contrat de trois millions de livres pour trois jeux ! Excités, ils ignorent qu’ils viennent de signer leur perte… Alors que les micros sont éclipsés par les consoles, l’industrie est marquée par le phénomène PlayStation et l’avènement de la 3D. Ils entraînent de profonds changements avec la chute des petits éditeurs au profit de gros groupes comme Warner ou BMG. Sensible Software reste une valeur montante mais ne parvient pas à vendre un nouveau jeu Amiga ; on leur demande de la 3D sur consoles ou PC. Ils se lancent alors dans Sensible Soccer ’98 mais souhaitent mener de front des projets originaux ; ils ressortent de leurs tiroirs Drugged-Out Hippy sur lequel Jon se concentre, tandis que Chris travaille sur Office Chair Massacre, un concept qui les titille depuis peu. S’éparpiller est une mauvaise idée mais le studio n’a alors connu aucun échec… Il aurait été préférable de poursuivre avec Virgin en parallèle mais chaque éditeur exige de signer tout ou rien. Graeme Boxall de Warner estime qu’à l’époque, ces éditeurs se lancent sur ce marché sans savoir que les success stories viennent souvent de petits studios. Ils pensent qu’il suffit d’arroser avec de l’argent pour que les jeux se fassent… Warner a juste signé le plus gros chèque pour s’assurer le prochain Sensible Soccer, sans garantie que les délais soient tenus.
Virgin aurait été un meilleur partenaire pour Sex ‘n’ Drugs ‘n’ Rock ‘n’ Roll, mais Jon et Chris, partis de rien dix auparavant, touchent alors des royalties incroyables et viennent au boulot en voiture de sport (NdT : en France aussi, beaucoup de développeurs se sont gavés à cette époque avant de tomber de haut). Ce contrat donne même l’impression de valider leur style décontracté, bien qu’ils restent prudents sur le plan financier, ne dépensant que l’argent qu’ils possèdent. Mais jusque là, Sensible Software n’a eu aucun salarié. Ils embauchent par contrat pour un jeu, reproduisant le schéma par lequel Jon et Chris sont rémunérés : une avance et un pourcentage (à deux chiffres pour la motivation). Si l’éditeur ne valide pas une version du jeu, personne n’est payé, mais si le jeu cartonne, tout le monde en profite. L’avance est cette fois si généreuse qu’ils peuvent quasiment se permettre de se tourner les pouces. Ils sous-estiment toutefois le passage à la 3D d’autant qu’ils sont parmi les derniers à faire la transition, victimes du succès de leurs derniers grands jeux en 2D (dont ils n’auraient pas dû confier les portages PC à d’autres studios). La société débute alors une croissance accélérée, doublant son effectif pour atteindre douze puis rapidement vingt-deux employés ! Ce qui ne va pas faciliter les choses, au contraire…
Le concept de Have a Nice Day est né d’un délire au bureau ; imaginez-vous sur un fauteuil à roulettes. Chaque accoudoir est muni d’une arme à feu. Si vous tirez avec les deux en même temps, vous êtes projetés vers l’arrière, mais avec un seul, vous tournez sur vous-mêmes. Une sorte de contrôle de tank à l’envers en somme. D’un shooter étrange, le concept évolue en satire du milieu de l’entreprise. En compétition avec les autres managers pour attirer l’attention du boss, vous tirez sur les employés de votre société pour vous approprier leurs ventes. L’aspect « défense de territoire » est d’autant plus poussé qu’on peut attaquer les autres managers ou transformer les employés en défenseurs. Le jeu se déroule aux États-Unis et on passe d’une ville à l’autre au gré de ses promotions ; de nouveaux types d’employés apparaissent (les gens du marketing, les avocats, les comptables…), enrichissant l’aspect stratégique. Hélas, autant ce concept fonctionnerait en 2D, façon Cannon Fodder au bureau, autant Chris galère avec la 3D, avec ses collisions et sa caméra à gérer, d’autant qu’on se déplace à reculons. Le jeu atteint finalement une forme jouable, mais pas au point techniquement. La 3D aura eu raison de Sensible Software comme des Bitmap Brothers et de Graftgold (Paradroid, Uridium, etc.).
Sensible Soccer ‘98 (1998)
Et c’est encore cette p***** de 3D qui va faire de Sensible Soccer ’98, du moins la European Club Edition de janvier 1999, le tout dernier jeu du studio. Cela aurait dû être le projet sans risque pour contrebalancer les deux autres, mais au final, le prestige de la franchise s’avère un fardeau. Il est clair que la 3D complique tout : 90% du temps de développement est dévolu aux graphismes et l’utilisation de la motion capture (réalisée par Jops puis par un footballeur pro) oblige à totalement repenser le gameplay. Chipper n’y connaissant rien, il est assisté de programmeurs qui se succèderont pour gérer la partie 3D du code, et tout le monde espère naïvement que les deux moitiés de code vont fusionner par magie…
Traiter les données récupérées lors des sessions de motion capture pour les rendre utilisables s’avère cauchemardesque. Et il faut parfois tout recommencer pour assurer la liaison entre les différentes animations. Au final, le jeu perd totalement de son charme sur le plan graphique, et c’est d’autant plus ridicule qu’on ne profite vraiment de la modélisation que durant les replays. Mais surtout, il n’est plus possible d’utiliser les mêmes triches qu’en 2D où les personnages ont peu d’étapes d’animations, et dont les sprites peuvent d’ailleurs être remplacés facilement par des pommes ou des oranges pour les versions promo… Le gameplay a ainsi énormément perdu en vitesse et en nervosité (le jeu ne tourne plus en 60 fps) afin que le rendu soit plus naturel. Néanmoins, la caméra a été éloignée pour masquer les imprécisions de contact avec le ballon… et donner l’impression de jouer aux épisodes en 2D ! À choisir entre ruiner les animations ou ruiner le gameplay, le studio a vite fait son choix. Le jeu n’est d’ailleurs pas si mauvais au final, mais compte tenu des difficultés rencontrées par les deux autres projets, le fait que celui-ci, leur succès assuré, ne se déroule pas forcément mieux est totalement déprimant.
Quand les deux autres projets coulent, pour honorer son contrat de trois jeux, le studio est obligé de dédoubler son jeu de foot, avec l’update European Club Edition suivi d’un équivalent 3D de SWOS amenant un aspect management. Mais vers la fin, sortir ces jeux risque de coûter plus que cela ne rapporte et le troisième jeu est annulé. C’est la première fois – et la dernière – qu’ils ne parviennent pas à honorer une commande (de trois jeux). Alors que le premier Sensible Soccer a été développé en neuf mois, ils ont cette fois passé trois ans ! En 2D, au bout de quelques jours, de quelques heures même, on dispose d’un moteur. En 3D, cela prend des mois et beaucoup de monde pour poser les bases. S’il avait su, Jon aurait sans doute fait les graphismes lui-même. Mais surtout, au final, le résultat lui semble sans intérêt sur le plan créatif ; cet épisode ne propose rien de nouveau et semble même un retour en arrière. Le jeu original était déjà parfait en 2D ! Prouver qu’ils pouvaient le faire était tout de même satisfaisant, mais cela leur a surtout montré que c’était la fin d’une ère. Ils auraient pu difficilement faire mieux, même en embauchant plus ; à l’époque, on ne trouve de toute façon pas grand monde de qualifié pour la 3D, et ils se sont souvent rendus compte de leur incompétence après les avoir engagés…
Sex ‘n’ Drugs ‘n’ Rock ‘n’ Roll
Si certains considèrent que Sex ‘n’ Drugs ‘n’ Rock ‘n’ Roll est le jeu qui a mis Sensible Software à genoux, c’est sans doute, en tout cas, le fait d’y avoir attaché trop d’attention, ou paradoxalement pas assez, qui aura causé la perte du studio. Les rumeurs courant dans la presse sur ce jeu interdit aux mineurs n’ont pas aidé, affirmant par exemple à tort que le studio est alors en faillite. Le développement aura tout de même atteint environ 60%, avec un script quasiment terminé : un document de design de 1500 pages, avec le script prêt à l’emploi car rédigé en pseudocode, incluant notamment 250 à 300 personnages… C’est surtout le gameplay qui n’aura jamais vraiment été implémenté… La partie la plus aboutie du jeu est sans doute l’ambitieuse musique originale qui couvre les quatre décennies que suit le scénario du titre, un point & click (un « Leisure Suit Larry couillu ») entrecoupé de clips musicaux (NdT : le jeu commence avec le héros qui vomit dans les toilettes – un peu comme dans Conker’s Bad Fur Day). Le titre doit également reprendre des éléments imaginés pour Drugged-Out Hippy, avec l’utilisation de drogues qui ralentissent ou accélèrent le temps, ou donnent des hallucinations.
Sex ‘n’ Drugs ‘n’ Rock ‘n’ Roll Trailer from Read-Only Memory on Vimeo.
Le style visuel qui va avec est pour le moins original, mélange de 3D stylisée pour les personnages et objets importants, et d’éléments crayonnés et plats réalisés par John Laws (NdT : façon Paper Mario) pour tout ce qui n’est pas interactif. Le résultat n’est pas du goût de tous cela dit ; Gary Penn trouve que les personnages ressemblent à des poupées gonflables, et malgré la volonté de styliser, il est clair que le studio maîtrise encore mal la modélisation 3D. Mais quand il débute la conception en 1994, Jon veut avant tout chambouler les conventions du point & click. Ainsi, lors des dialogues, le joueur choisit parmi les bulles au-dessus de la tête de Nigel, le protagoniste, mais certaines peuvent mettre du temps à apparaître (le temps de la réflexion) ou au contraire éclater rapidement ! Avec un choix d’action contextuel lorsque l’on clique sur un personnage ou un objet, et pour ainsi dire aucune interface constamment à l’écran, le jeu aurait pu en effet être très en avance sur son temps. Le design offre en plus un certain nombre de choix : par exemple passer un trajet un avion sur son fauteuil, ou aux toilettes avec un joint ou dans la cabine de pilotage. Certaines actions facultatives offrent des moments amusants.
Et il est possible de mourir en attrapant des MST ! Jon semble surtout fier d’un passage optionnel se déroulant dans un bordel à Amsterdam, pour le moins… créatif (NdT : nous laissons aux acheteurs du livre le plaisir de découvrir tout ça…). Il est clair que tout cela est alors problématique pour Warner, et le rêve de Jon d’en faire un projet transmédia semble encore plus improbable. Selon lui, les dirigeants manquent de vision de manière générale et il est difficile de trouver des partenaires solides dans d’autres domaines qui comprennent tout de même le jeu vidéo. Warner peut sembler le bon partenaire, mais le groupe ne surveille rien de toute façon. Tellement satisfaits d’avoir piqué Sensible Soccer à Virgin, ils n’imposent aucune deadline et veulent seulement trois jeux terminés. Deux ans après la signature du contrat, plus des deux tiers de l’avance de trois millions a été perçu par le studio (Sex ‘n’ Drugs… ayant englouti plus d’un million à lui seul), sans le moindre résultat. En novembre 1996, les choses se compliquent quand GT Interactive rachète la filiale européenne de Warner Interactive. Et la compagnie puritaine (qui a quand même édité Doom et Quake, NdT) n’apprécie pas le ton du jeu…
Le bon côté est que le studio travaille avec Frank Herman en Europe, qui a au préalable importé Massacre à la Tronçonneuse au Royaume-Uni, cofondé Mastertronic puis été à la tête de Sega Europe. Mais lui-même suggère d’atténuer le côté politiquement incorrect du jeu. GT Interactive finit par couper les vivres du studio ne voyant rien arriver, le laissant alors subsister sur leurs royalties. Douze personnes travaillent sur Sex ‘n’ Drugs… (ce qui est beaucoup pour eux !) tandis que les deux autres projets se contentent de trois ou quatre employés. Mais au final, ce qui manque au jeu est un vrai programmeur principal du calibre d’un Chris (Yates ou Chapman), tous deux occupés par les autres projets. Eux auraient pu obtenir rapidement quelque chose de de tangible. Et encore une fois la 3D n’aide pas sur un projet débuté en 2D. En janvier 1998, GT Interactive demande finalement à retirer le jeu et Have a Nice Day du contrat, sans remboursement de l’avance mais avec des parts sur la revente éventuelle des concepts à d’autres éditeurs. C’est en réalité un soulagement pour Jon et Chris qui jouent les déçus.
Ils laissent alors tomber le FPS mais s’entêtent sur le point & click d’autant qu’ils sont rejoints par Rob Trevelyan, un programmeur passé par les Bitmap Brothers. Le jeu commence enfin à prendre forme, mais trop tard ; le duo songe à restructurer le studio et à le revendre après avoir terminé les projets en cours. C’est alors qu’ils découvrent enfin qu’il leur faudrait être 80 pour les mener à bien. Et tous les éditeurs qu’ils contactent sont frileux malgré quelques modifications sur les conseils d’un juriste, notamment sur une scène mêlant sexe et crucifixion… Seul Virgin semble intéressé mais ne garantit logiquement que des ventes au Royaume-Uni, et donc pas assez d’argent pour terminer. De plus, début 1998, avec l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement travailliste, le studio doit transformer tous ses employés sous contrat en salariés, quitte à les licencier peu après. Le studio se retrouve à sept ou huit pour travailler sur Sensible Soccer ’98. Mais l’ambiance n’est pas au beau fixe et avec l’annulation de Sex ‘n’ Drugs ‘n’ Rock ‘n’ Roll, Jon perd toute motivation pendant cinq ans. Au moins il ne subit plus la pression qui l’empêche de dormir la nuit à cause de la peur de devoir un jour rembourser l’avance, et n’a plus à attendre cette rupture inéluctable de contrat par GT Interactive. C’est d’ailleurs encore un soulagement lorsqu’on leur demande d’arrêter également le travail sur le troisième Sensible Soccer en 3D.
Débarrassé de ce contrat pesant, le duo vend son équipement et ferme boutique, vers octobre 1998. Ils se partagent l’argent et continuent de toucher des royalties de SWOS, ce qui leur permet de renouer avec les bénéfices après une période d’autofinancement. Ni Jon ni Chris ne sont amers après la vente de la société, de ses licences et des royalties associées à Codemasters ; ils n’ont plus vraiment goût au développement, du moins pas sous la forme qu’il a atteint à la fin des années 90. Manager une boîte de 80 employés n’aurait pas collé à leur philosophie de rock band. L’industrie du jeu vidéo a changé, en particulier au Royaume Uni où de nombreux studios ont disparu en l’espace de quelques années. Jon travaille quand même sur Cannon Fodder 3 dans le cadre du contrat de cession, d’autant que les frères Darling sont de sa génération. Jon reste surtout fier d’avoir fini cette aventure sans dette et en ayant partagé équitablement les fruits de treize ans de travail éreintant. Chris et Jon étaient idéalement complémentaires, l’un s’occupant de la partie technique, l’autre artistique. Ils se comprenaient parfaitement et Chris pouvait résumer les longs discours de Jon en une phrase. Chris était lassé sur la fin, mais ils ne sont jamais disputés. Et pourtant, l’aventure terminée, ils ne se sont jamais revus.