Si j’ai régulièrement l’occasion d’évoquer la scène homebrew sur le Mag, je n’avais jamais eu l’opportunité de lui consacrer son propre édito. J’ai toutefois été amené à mentionner ce type de jeux dans d’autres articles de cette rubrique – y compris dans mon dernier édito – mais toujours par le biais d’un sujet transversal comme le prix des jeux, et souvent lié à l’économie en général – ce qui n’est pas anodin. Car si le titre de cet article peut donner l’impression que ce domaine de la création vidéoludique est menacé, ce n’est a priori pas le cas, et il faut plutôt l’interpréter comme une interrogation légitime au sujet d’une scène qui a connu une croissance fulgurante ces dernières années malgré un public théoriquement très restreint. Et avec l’essor d’éditeurs spécialisés, l’éclosion de différentes affaires mais aussi et surtout la concurrence du néorétro, très en vogue sur les machines modernes et donc bien plus accessible, on peut réellement se demander de quoi l’avenir du homebrew sera fait. Cet article vient aussi en complément de notre podcast pourtant pas si ancien, mais qui paraît déjà loin tant il s’est passé des choses depuis…
Commençons par rappeler que le homebrew désigne des jeux vidéo produits par des amateurs sur des plateformes de jeux propriétaires, théoriquement non programmables par de simples utilisateurs et utilisant le plus souvent des supports fermés comme les cartouches, ou nécessitant du moins un kit de développement spécifique. Il est vrai que par extension, on compte aussi les jeux développés à l’aide de kits accessibles au public comme le Net Yaroze de la PlayStation, ainsi que les titres micros 8 et 16-bit qui ne nécessitaient pas de licences à l’époque. Mais dans ce dernier cas, même si les jeux étaient souvent conçus par un ou deux passionnés dans leur garage, ils passaient quand même par un éditeur pour commercialiser leurs créations. Par conséquent, même si certains de mes confrères ne se gênent pas pour le faire, il me semble incorrect de qualifier de homebrew des jeux indépendants réalisés sur des machines modernes, car ils sont en général développés sous licence officielle, ou alors sur PC ou aucune licence n’est nécessaire. Le terme homebrew (« brassage maison ») provenant du domaine de l’alcool, il est toujours implicitement lié à la question de la légalité.
Dans notre podcast, nous avions tenté de décrypter les motivations des développeurs en termes de choix de jeu et de machine. Sur ce dernier point, et compte tenu des récentes évolutions du milieu, on peut dégager trois tendances qui permettent de mieux comprendre les implications économiques. Tout d’abord, les machines historiquement populaires comme la NES et l’Atari VCS 2600 sont clairement sollicitées, même si des consoles plus « récentes » comme les 16-bit ou la PlayStation sont moins desservies, principalement parce qu’elles demandent plus de travail, ne serait-ce que sur le plan graphique. Toutefois, on peut noter que la Mega Drive a connu un regain d’intérêt car, à l’image de l’Atari 2600, elle peut être programmée en Basic. Mais n’importe quel joueur se penchant un minimum sur la scène homebrew constatera la popularité de consoles de niche comme la Vectrex, la ColecoVision, le Virtual Boy ou encore la Jaguar. Car dans un monde de passionnés, « anti-commercial » par essence, il est plutôt bien vu de réparer les injustices en favorisant les supports boudés en leurs temps pour diverses raisons.
Ces machines offrant en outre un catalogue souvent limité, c’est naturellement plus motivant, et plus facile, de l’étoffer. Mais à ces deux critères, opposés mais tous deux étroitement liés au public visé et donc à la portée commerciale, on peut en ajouter un troisième, à la fois technique et économique. En effet, à une exception notoire près, tous les jeux homebrew sur PC Engine sont édités sur CD-ROM². On comprend aisément que cela soit moins coûteux et plus pratique, même si trouver un lecteur CD ou une PC Engine Duo à bon prix n’est pas si simple – j’en sais quelque chose. On retrouve à peu près le même problème avec la Jaguar, auquel a été confronté Cédric Bourse qui a dû longuement peser le pour et le contre compte tenu du prix et de la fragilité du JagCD. En revanche, le cas de la Neo·Geo est un peu différent car pour le coup les cartouches AES et MVS ont plus la cote et ce, malgré un tarif encore plus prohibitif. Quitte à jouer sur la « Rolls Royce des consoles », les inconditionnels de la machine sont clairement prêts à mettre le prix dans de somptueuses éditions en cartouche, bien plus classes qu’une simple galette.
Il est donc d’ores et déjà clair que le homebrew pur et dur, en comparaison du néorétro, est bien soumis à des impératifs économiques. On voit donc bien le paradoxe que cela représente dans un domaine de doux rêveurs, parfaitement illustré par certains jeux dont l’édition collector somptueuse jure souvent avec le caractère basique de leur gameplay. Un clone de classique des années 70, tout juste digne d’un vieux mobile Sagem, peut ainsi être commercialisé à un prix comparable à celui d’une nouveauté sur console next-gen, et sans compter les frais de port ! Mais cet accent mis sur l’enrobage, comme on va le voir, est relativement inévitable dans un domaine visant un public restreint. Ce n’est toutefois pas, et heureusement, la seule solution, mais les développeurs sont en tout cas forcément confrontés au même dilemme ; faut-il assumer l’aspect commercial de la création de jeux vidéo, homebrew ou pas, et s’efforcer alors d’élever ses standards sur le plan éditorial, ou vaut-il mieux se contenter d’être un petit artisan qui ne développe que dans son temps libre, au risque de parfois frustrer son public qui garde bien souvent ses mauvaises habitudes de consommateur ? Hélas, les deux choix ont leurs écueils.
L’excès d’amateurisme
Commençons par le cas le plus répandu dans le monde du homebrew – celui du développeur seul qui bidouille « dans son garage ». Le problème est qu’aussi modeste soit-il, il rêve probablement de voir au moins une de ses créations éditées en boîte. C’est même sans doute là la motivation première du développeur homebrew, devant l’éventuel défi de programmation. Un créateur comme Chris Read, rendu prolifique par sa situation professionnelle, a dans ses cartons un nombre incroyable de projets, plus ou moins ambitieux, et à des stades diversement avancés. Et pour être bien placé pour savoir qu’il est difficile de conserver intacte sa motivation sur un projet qui peut s’étaler sur de nombreux mois, je peux comprendre qu’il préfère garder le choix entre plusieurs jeux, quitte à avancer l’un ou l’autre au gré de son humeur. Mais du point de vue du joueur, cela aussi peut s’avérer frustrant quand un titre qui nous intéresse plus particulièrement est interrompu « indéfiniment » sans que l’on sache s’il aboutira un jour, et surtout quand. D’autant que cela peut aussi bien prendre un mois que plusieurs années !
Évidemment, on peut être tenté de dire que la faute en revient au joueur, toujours impatient quand il s’agit de son hobby. Après tout, le développeur n’a (peut-être) rien promis et c’est au simple mortel de respecter le maestro et d’attendre que la Muse vienne de nouveau lui insuffler l’inspiration pour son casse-briques. Néanmoins, si l’artiste souhaite la tranquillité, il n’est pas non plus obligé de se répandre sur AtariAge à coups de captures d’écran, de vidéos et de démos de son futur chef d’œuvre en promettant monts et merveilles. Hélas, le créateur est narcissique par nature et souffre en général d’un besoin vital de reconnaissance qu’il ne peut étancher qu’en aguichant le chaland avec son travail… Et le problème, c’est que certains développeurs poussent l’auto-complaisance jusqu’à partager avec le monde la moindre chose qui émerge de leur esprit, malade par définition. On peut certes comprendre qu’ils puissent être fiers d’être parvenus à déplacer un carré à l’écran sur une Neo·Geo, mais cet exploit ne doit pas pour autant les encourager à caresser l’idée d’éditer leur clone de Pong sur une cartouche AES à 400 €…
Je caricature volontairement pour ne viser personne, mais il m’arrive assez régulièrement de passer sous silence des projets qui me semblent indignes de leur support et/ou d’une édition physique. De même, pour me simplifier la tâche, j’ai décidé d’aborder moins de petits projets présentés sur AtariAge mais ayant peu de chances d’aboutir. C’est hélas subjectif d’autant que certains jeux, sans être destinés à une édition en cartouche, peuvent s’avérer réussis. Mais avec l’expérience, on finit par identifier les simples exercices de style qui n’intéresseront sans doute que les développeurs. Il m’est aussi arrivé de donner franchement mon avis sur un projet douteux comme Pigs in the Castle. Le pauvre Rudy J. Ferretti avait ouvert les réservations de son jeu en grande pompe – avouant un mois plus tard que le titre était loin d’être fini – et n’a finalement attiré que quinze collectionneurs, soit le dixième du nombre prévu. Ce qui n’est pas si mal vu que l’auteur n’a rien dit du gameplay… Un membre de la communauté a d’ailleurs décidé de publier une lettre ouverte pour dénoncer cette manière de lancer les précommandes trop tôt.
Les acheteurs, qui ont en général déboursé une somme conséquente, sont en effet réduits à attendre des mois que ce pourquoi ils ont payé soit disponible. Et c’est d’autant plus frustrant que la communication n’est bien souvent pas le fort des développeurs homebrew… L’auteur de la lettre recommande ainsi de sonder l’intérêt des joueurs d’abord – ce que beaucoup d’éditeurs sérieux font sous forme de réservations – et de les tenir ensuite informés des avancées. Il envisage aussi comme compromis de fournir une ROM du jeu au paiement afin que l’acheteur ait au moins de quoi patienter – à condition d’avoir une flashcart ou un émulateur. Un représentant de Games For Your Intellivision n’a toutefois pas tardé à répondre, rappelant que l’impression de boîtiers et d’overlays pour trois jeux représente déjà un investissement de plus de $10,000 ! Et cela ne comprend pas la production des cartouches, qui double facilement ce montant… Mais cela n’explique pourtant pas pourquoi les précommandes sont si souvent lancées bien avant que le jeu soit terminé, et donc avant les dépenses nécessaires à la production.
En revanche, cela montre que la scène homebrew est soumise aux problématiques d’une vraie industrie, et nécessite un sens de la communication comme l’illustre l’exemple récent de Centron 3D. Fin juin, RPC Games annonçait la sortie, à la date très étudiée du 07/07/14, d’un jeu sur micro Atari 8-bit basé sur un mode graphique « CMODE72 » permettant d’afficher 72 couleurs par ligne au lieu de quatre. D’emblée, la communauté est sceptique d’autant que le site officiel présente vingt-trois images identiques à l’exception du décor de fond, laissant penser à un simple montage… Et le 5 juillet, un utilisateur d’AtariAge découvre que le développeur a admis qu’il pourrait y avoir du scintillement sur un moniteur Commodore, tout en affirmant quelques phrases plus loin ne pas avoir testé le jeu sur un écran cathodique ! Or il n’y aurait eu de réelle prouesse technique que s’il était parvenu à afficher autant de couleur sans clignotement… De plus, recommander à des retrogamers de jouer plutôt sur écran LCD ou émulateur, c’est assez gonflé ! Et c’est alors que Pete de RPC Games disparaît au profit de son collègue Steve…
Dans un style rédactionnel étonnamment proche, celui-ci prétend que Pete est malade et explique que lui était contre dès le départ mais que Pete « souhaitait faire plaisir aux joueurs Atari », etc. Hélas, aussi bon soit le jeu, promettre une prouesse technique et ne pas la tenir tout en esquivant les questions gênantes, cela tient plus de l’escroquerie que de l’amateurisme. La date fatidique arrivée, Pete annonçait l’annulation du jeu en raison de l’attitude de la communauté, non sans avoir promis à son unique défenseur un exemplaire gratuit (!). Tout le monde se demande alors si le jeu a réellement existé… Steve croit le prouver avec une simple disquette puis une vidéo suspecte (« software sprite DMA turned off »), et le thread dégénère en mèmes et en chantage aux excuses par mail… Et alors que la communauté plaisante à l’idée d’un portage Amiga pour éviter le clignotement, l’adaptation est officialisée peu après ! Le thread sera clos au bout de 21 pages, mais un autre sera créé pour faire profiter de cette fabuleuse vidéo. Aux dernières nouvelles, Peter Adamcik lancerait à lui seul une action collective contre ses diffamateurs ! Mais il a beau être schizophrène, c’est avant tout un artiste incompris.
L’excès du mercantile
Ce dernier exemple pour le moins édifiant montre que la scène homebrew est à son pire quand certains de ses membres, réalisant les sommes d’argent en jeu, se professionnalisent mais sans réellement saisir les tenants et les aboutissants de cette évolution. Ces dernières années, certains acteurs de ce domaine ont connu une croissance exponentielle, en particulier CollectorVision qui pourrait presque changer de nom à la manière de Spectrum Games devenu Ocean, puisque l’éditeur a largement étendu sa gamme de machines – et n’a pas fini de le faire ! Plus récemment, Piko Interactive a fait beaucoup parler de lui même si sa production témoigne encore de quelques erreurs de jeunesse, parfaitement illustrées par ses fréquentes coquilles. Toutefois, il est probable que ces sociétés ne fassent pas énormément de bénéfices – peut-être même pas du tout – mais le chiffre d’affaire, lui, n’est sans doute pas négligeable compte tenu des sommes engagées comme on l’a vu… Et la croissance qui va avec est toujours difficile à gérer et inévitable quelle que soit « l’entrerprise » ; c’est aussi valable pour une association !
Un petit éditeur du milieu rétro me le confirmait encore récemment ; il y a toujours un passage délicat à négocier entre l’amateur et le professionnel. Venant de l’audiovisuel, je serais tenté de le comparer au passage du court métrage associatif, où tous les participants peuvent être bénévoles, au court métrage de société de production, qui ne rapporte pas plus d’argent mais qui se doit de respecter le code du travail et de rémunérer tous les postes. Le moindre film de quelques minutes coûte ainsi plusieurs dizaines de milliers d’euros… Et malgré les dispositifs du type microentreprise, censés faciliter la transition, il y a donc un cap à franchir durant lequel les dépenses explosent tandis que les recettes, qui peuvent cela dit s’avérer plus importantes au final, tardent à venir. Ce phénomène est de plus empiré dans un domaine comme celui du retrogaming en général, et du homebrew en particulier, où l’on vise un public restreint. En effet, commander en petite quantité revient cher, comme le rappelait Games For Your Intellivision, contraint de faire imprimer 750 étiquettes alors qu’il n’en avait besoin que de 150…
C’est d’ailleurs pour cela qu’un éditeur comme Pix’n Love, qui n’a pas la possibilité de produire un magazine bon marché car ce type de publication est en grande partie financé par la publicité, a d’emblée joué la carte du beau livre, même pour son mook, et des éditions collector. Pour prendre un exemple dans le domaine du homebrew, c’est l’éditeur RGCD, surtout connu pour ses productions Commodore 64 mais nettement plus versatile dans les faits, qui a dû annoncer l’arrêt d’éditions « illimitées ». Ainsi, ses récentes sorties n’ont été commercialisées que dans une seule édition deluxe, bien évidemment plus chère mais truffée de goodies et offrant un packaging soigné. Or en général, quitte à débourser de l’argent, le collectionneur préfèrera toujours un bel objet heureusement. L’inconvénient, c’est qu’il est donc d’autant plus important que le jeu lui-même soit à la hauteur de ce traitement. Et il est tout aussi important pour ces sociétés de rester attentif à leur ligne éditoriale et de bâtir un catalogue cohérent.
Ces derniers mois, CollectorVision a impressionné en établissant une réelle franchise, Sydney Hunter, déclinée sur un grand nombre de plateformes. L’approche peut paraître mercantile et certains n’apprécient d’ailleurs pas du tout. Mais il semble qu’au final, chaque console aura droit à une aventure spécifique et signée par un spécialiste de la machine. Et même si le personnage n’est pas exactement nouveau, et que le titre Intellivision est en effet, au départ, un portage d’un autre jeu, cela change tout de même des sempiternels clones de classiques d’arcade, ou des adaptations mécaniques du MSX à la ColecoVision. Mais si cet éditeur a le vent en poupe en ce moment, tout n’a pas toujours été aussi rose comme en témoigne l’affaire StarCom qui remonte d’ailleurs à moins de deux ans. Toutefois, il ne s’agissait pas tant d’une arnaque que d’un problème de communication, et l’opération devait surtout faciliter l’achat d’un nouveau moule de cartouches ; or on ne peut que saluer toute tentative d’éviter le sacrificiel ! Mais il est en effet difficile de trouver le bon équilibre et de bien gérer ses affaires sans passer pour un escroc…
Et c’est particulièrement délicat dans un domaine de passionnés où l’appât du gain est très mal vu et, de toute manière, relativement illusoire dans le homebrew. Alors quitte à ne pas gagner beaucoup d’argent, autant ne pas donner l’impression du contraire ! Les éditeurs ont de toute façon d’autres problèmes à gérer liés à leur production. À partir du moment où ils commercialisent quelque chose, même s’ils perdent de l’argent en réalité, ils se doivent d’être scrupuleux vis-à-vis de la loi. Il y a notamment eu le cas de Princess Rescue, finalement retiré de la vente alors qu’on pensait au contraire que le développeur avait pris trop de précautions dans notre édito. L’affaire demeure d’ailleurs assez étrange vu le nombre de portages non officiels de Donkey Kong qui continuent de sortir… Plus récemment, Piko Interactive n’a pas obtenu l’autorisation de Square Enix – qui en détient les droits via son rachat d’Eidos – de porter Rick Dangerous sur Super Nintendo. Et pour contourner l’interdit, CollectorVision a eu la même idée que pour Les Schtroumpfs, en modifiant tous les assets du jeu pour en faire un titre original.
Ce système illustre en passant un vide juridique manifeste concernant le jeu vidéo. Les choses sont d’ailleurs en train d’évoluer concernant les vidéos sur Internet, mais jusqu’à présent, les droits se limitent plutôt aux personnages et aux marques, tandis que les simples captures d’écran ne nécessitent pas d’autorisations par exemple. Dans le cas de Justice Beaver ou de Sydney Hunter and The Shrines of Peril, il est intéressant de noter que seul l’habillage – graphismes et sons – est a priori modifié, ce qui confirme hélas que les game designers et les level designers ne bénéficient pas de la même reconnaissance de leur travail que les graphistes et musiciens… Les développeurs ne se sont d’ailleurs pas gênés pour cloner le gameplay de classiques durant toute l’Histoire du jeu vidéo ! Et pour en revenir à CollectorVision, en plus d’entretenir efficacement le buzz autour de leurs jeux, ils ont surpris tout le monde – y compris le développeur du jeu original ! – en annonçant l’arrivée de Justice Beaver, puis des aventures NES et Super Nintendo de Sydney Hunter, sur l’eShop de la Wii U. Cette idée, qui avait été tentée hélas sans succès par la NG:DEV.TEAM, pourrait peut-être élargir le public du homebrew.
L’excès d’élitisme
Car même si on peut comprendre l’inquiétude de certains à l’idée que le homebrew quitte le giron des « sasfépus » pour les consoles modernes, le domaine doit à mon avis faire de gros efforts pour s’ouvrir au monde. Évidemment, comme on vient de le voir, se professionnaliser sans tomber dans le mercantile n’est pas sans difficulté, d’autant que le retrogaming est à la mode et que beaucoup n’hésitent pas à exploiter le filon sans vergogne. Mais on n’en est pas encore à voir la production d’Atari VCS 2600 et de NES relancée, ou Electronic Arts et Activision sortir de nouveau des cartouches ! Donc, en attendant, ce serait déjà bien que les développeurs, ou du moins ceux qui se présentent comme des « éditeurs » dans ce milieu, communiquent un peu mieux sur leurs jeux. Quand j’ai débuté sur le Mag en février 2010, j’ai beaucoup misé sur les rééditions et sur le néorétro. Ce dernier constituait un phénomène alors récent, mais je savais que la tendance allait s’amplifier, et la suite m’a donné raison. En revanche, si je souhaitais également aborder le homebrew, il m’aura sans doute fallu deux ans minimum pour identifier les acteurs de cette scène et commencer à comprendre où trouver les informations…
Le problème, c’est que non seulement les acteurs de la scène homebrew, comme beaucoup d’amateurs, ne sont pas toujours très à l’aise avec les outils de communication modernes, mais en plus, ce sont plutôt des programmeurs que des graphistes. De ce fait, tout passe quasiment par des forums austères, et les quelques sites internet ne sont pas forcément tenus à jour. Et quand ils le sont, leur contenu se révèle soit rachitique façon page FTP à peine habillée, soit chaotique et illisible, à la manière de la première (?) version du site MO5.COM où les (trop nombreuses) rubriques étaient classées alphabétiquement ! Évidemment, tout cela n’est pas très grave dans un milieu purement amateur, et je peux comprendre que l’auteur d’un jeu Atari 2600 improvisé en une après-midi en Basic ne va pas pondre des captures d’écran (bien que ce soit très facile à faire avec l’émulateur Stella) ou des vidéos, mais ce ne sont de toute façon pas ce genre de productions qui suscite le plus d’articles. Mais à partir du moment où on commercialise un jeu, qu’on le veuille ou non, cela demande un minimum de professionnalisme.
Mais de même que beaucoup de studios indépendants ne cachent en réalité qu’un graphiste qui bidouille sur Game Maker, la plupart des « éditeurs » de la scène homebrew sont des passionnés, seuls ou en petit groupe, qui jouent surtout à faire semblant, motivés par ce fantasme de l’édition physique dont on parlait plus haut. Ainsi, on comprend (un peu) mieux la dispersion des entités qui officient sur Intellivision typiquement : Intellivision.us, Classic Game Publishers, Elektronite, Games For Your Intellivision… Et c’est d’autant plus compliqué que certains font office de boutique pour les autres ! En fait, chacun de ces noms ne cache sans doute qu’une personne qui peut parfois travailler avec d’autres. Hélas, dans ce milieu d’habitués où tout le monde se connaît, les gens s’abritent derrière des pseudos de forums ou ces noms de « sociétés » – existent-elles au moins sur le plan légal ? Et je ne compte plus le nombre de fois où j’ai réalisé, sur le tard, que deux entités étaient en fait une seule et même personne… Comme la presse spécialisée, la scène homebrew a besoin de mûrir ou du moins de s’assumer, et que chaque développeur et éditeur se présente sous son vrai nom – ce qui contribue aussi à la confiance quand il y a de l’argent en jeu. Hélas, si un éditeur comme CollectorVision est un peu plus clair de ce point de vue, leur site n’est pas vraiment à jour et la majorité des précommandes passent encore par les forums d’AtariAge, avec un petit effort à noter du côté de Facebook pour les annonces. Et s’il n’est pas toujours nécessaire d’être inscrit sur les forums pour commander, les paiements se font le plus souvent par PayPal, qui n’est pas accessible à tous même si cela reste une solution sécurisée. Enfin, les exemplaires du jeu, en quantité souvent très limitée, partent très vite. Il faut dire que les habitués, auxquels ces jeux s’adressent avant tout, achètent à peu près tout ce qui sort pour s’assurer d’avoir « la complète », homebrew compris, sur leur machine de prédilection. Au final, ce sont donc souvent les mêmes qui raflent tout…
Et les débutants, s’ils ne sont pas refroidis par les prix prohibitifs, auront donc beaucoup d’obstacles à franchir pour acquérir leur premier jeu homebrew, puisqu’ils devront trouver l’information, déchiffrer les instructions pour commander – anglais obligatoire – et être assez rapides. C’est pourquoi il me semble que les initiatives permettant de rendre ce domaine moins élitiste sont bonnes à prendre, même si toutes ne sont pas encore appréciées à leur juste valeur. Évidemment, dans un milieu encore une fois construit autour du culte de l’édition physique, on peut comprendre que la sortie de jeux au format dématérialisé, expérimentée par Elektronite, fasse grincer des dents. Mais cela permet en revanche de proposer les titres à petit prix, de ne pas être limité en quantité, et viser aussi un public qui ne possède peut-être pas la console d’origine, même s’il est bien triste de découvrir ces jeux sur émulateur. Mais cette initiative pose surtout le problème des DRM, puisque l’on paie dès lors pour des fichiers facilement copiables.
Jusqu’ici, la solution choisie était de personnaliser les ROMs de sorte à ce que si l’une d’elles circule sur le net, on saura qui est le coupable. Mais ce système a ses limites, et l’on se dirige plutôt vers des protections contre la copie, qui vont notamment être facilitées par la flashcart LTOFlash! dédiée à l’Intellivision. Comme elle dispose d’une mémoire interne, les ROMs pourront ainsi être liées à une cartouche. On peut déplorer d’en arriver là, mais les éditeurs n’ont pas toujours le choix. Par exemple, l’imminent Boulder Dash étant un portage officiel réalisé en partenariat avec le développeur d’origine, First Star Software, il n’est de toute façon pas question de faire circuler la moindre ROM gratuite, comme le rappelle Games For Your Intellivision. Mais tout cela va bien entendu à l’encontre de la politique d’autres éditeurs qui ont pour principe de diffuser la ROM librement une fois les exemplaires physiques vendus. Et les développeurs ont aussi leur mot à dire, d’autant que certains sont plus protecteurs de leur travail que d’autres.
Le studio parisien Le Cortex a sans doute trouvé une solution intéressante, même si elle se prête surtout à leur cas particulier. En sortant une version PC de Crouching Pony Hidden Dragon sur Steam, le studio élargit nettement le public visé par son jeu grâce à la popularité de cette plateforme de distribution. Diffuser une ROM payante sur le site officiel n’aurait clairement pas la même allure ! Et du point de vue de joueur, comme on l’a souligné dans notre test, c’est l’opportunité de tester la version complète du jeu, contre une somme d’argent certes, mais sans commune mesure avec l’investissement que représente l’achat d’une cartouche Neo·Geo ! Pas besoin de flashcart ni même d’émulateur pour celui qui ne possède pas la console. Et d’un autre côté, cette version ne présente aucune fioriture habituelle du service (succès, cartes), avec un manuel succinct, histoire de conserver l’attrait de l’édition physique, qui a le mérite d’être un bel objet, bardé de goodies, et qui offre le confort indéniable de jouer avec le stick d’origine.
En conclusion…
Mais il est évident que sortir son jeu sur Steam n’est pas à la portée du moindre développeur homebrew, en particulier s’il travaille sur les premières machines 8-bit. Et de toute façon, tous n’ont pas vocation à commercialiser leurs jeux, ni même à en faire produire une édition physique. Certains préfèrent se contenter de bidouiller des démos et de publier le résultat en l’état sur les forums. Au gré de leur humeur, ils seront peut-être un jour tentés de reprendre un projet et de le faire aboutir… ou pas. Mais dans la mesure où il y en a aussi, et ils sont de plus en plus nombreux, qui souhaitent vendre leurs productions – qu’il y ait bénéfice ou pas – il devient alors urgent de prendre la chose au sérieux, quitte à unir ses force avec d’autres passionnés plutôt que de laisser multiplier les entités opaques. C’est avant tout une question de respect vis-à-vis de l’acheteur, lui aussi un passionné, et qui a investi une somme importante avec une confiance aveugle, sur un coup de cœur, et n’a peut-être pas conscience de là où il met les pieds…