Après avoir évoqué la scène homebrew, je me suis dit que ça faisait longtemps que je n’avais pas abordé, en édito du moins, les genres emblématiques du jeu vidéo. Mais cette fois, ce n’en est pas un qui m’est particulièrement cher, contrairement au beat ’em up et au survival horror. En effet, si je n’étais exceptionnellement pas le co-animateur du dernier podcast, c’est parce que je ne joue presque pas aux RPG. J’avais même prévu de donner mes raisons en début d’émission pour susciter le débat, et certaines d’entre elles ont d’ailleurs été finalement abordées en cours de route ; j’ai même été agréablement surpris de voir des fans de RPG être d’accord avec moi sur certains points, notamment la comparaison avec le jeu de rôle « papier ». Néanmoins, tout n’a pas été dit et la conclusion a même suscité de nouvelles interrogations. Mais l’émission avait bien assez duré – ce doit même être notre podcast le plus long à ce jour – pour faire traîner davantage les choses… D’où cet article afin de prolonger un peu la réflexion je l’espère.
Pourquoi je ne joue (presque) pas aux RPG
Je pense avoir établi quatre raisons principales de mon désamour pour ce genre si populaire chez les gamers. La première est bassement logistique. Comme je l’avais expliqué au début de notre podcast précédent sur le football, je suis un joueur curieux et j’essaie donc de découvrir le plus de jeux possibles. Hélas, je manque de temps comme tout un chacun, d’autant plus que j’ai un côté « complétiste » qui me pousse à finir chaque jeu, même si je n’y prends que peu de plaisir ; seule une difficulté excessive peut me pousser à l’abandon. De ce fait, avec le temps, j’ai commencé à privilégier les jeux courts, ce que les RPG sont rarement. Notez bien que cela exclut aussi souvent les jeux de baston ou de sport, qui sont moins basés sur une campagne solo et se pratiquent plutôt sur la durée – idéalement à la pause déjeuner dans les rédactions. Il y a bien entendu des exceptions comme on le verra plus tard, et même si cela peut paraître arbitraire, cela me permet de découvrir plusieurs dizaines de nouveaux (ou anciens) jeux chaque année !
La deuxième raison est plus idéologique. Comme je l’ai dit dans le podcast, j’ai eu la chance de faire quelques parties de jeu de rôle « papier » dans ma vie, peut-être deux ou trois seulement, mais elles m’ont énormément marqué et comme Fumble, j’estime qu’aucun jeu vidéo ne peut retranscrire cette expérience. Et ce qui est assez paradoxal, c’est que le jeu de rôle traditionnel est à la fois plus immersif – c’est sans doute difficile à imaginer mais on s’y croit infiniment plus – et plus convivial, puisqu’il se pratique forcément en groupe, au moins à deux joueurs. Le problème, c’est que le RPG d’aujourd’hui, plutôt que de développer le processus d’identification ou d’implication du joueur comme peut le faire The Walking Dead, a tendance à se focaliser sur la narration et les cinématiques hollywoodiennes. Autrement dit, il ressemble de plus en plus à un film interactif et de moins en moins à un jeu de rôle, ce qui est sacrément ironique dans la mesure où les jeux de Telltale Games ne sont pas réputés pour leur degré d’interactivité…
Les troisième et quatrième raisons sont d’ordre esthétique au sens large, car elles tiennent à la forme que prend le RPG en jeu vidéo. Il y a tout d’abord les univers qui, bien plus en jeux vidéo qu’en jeux de rôle papier, tournent souvent autour des mêmes poncifs, à savoir la fantasy, tantôt médiévale, tantôt futuriste, ou un peu des deux. Les exceptions comme Earthbound sont trop rares. Mais il y a aussi le gameplay, qui a trop peu évolué depuis les premiers classiques du genre, et qui à mon avis ne tient pas assez compte de ce que peut précisément apporter le jeu vidéo en terme d’interactivité par rapport au jeu de rôle papier. Les combats au tour par tour se limitent souvent à sélectionner attaque – attaque – attaque – attaque – soin – attaque – etc., et les action-RPG, qui empruntent leur gameplay à d’autres genres, ne le font pas toujours avec élégance. Je peux comprendre que l’on aime Mass Effect et The Witcher 2 – que j’ai tous les deux finis – mais je ne pourrais pas laisser dire que le premier est un bon TPS et le second est un bon beat ’em up. Heureusement, je n’entends pas grand monde le clamer non plus !…
C’est pour cela que, à moins de considérer les jeux d’action/aventure (The Legend of Zelda et Cie) comme des RPG, les seuls titres rattachés au genre que je pratique régulièrement sont les Paper Mario et surtout la série des Mario & Luigi que j’affectionne énormément. Ces jeux se bouclent en général en une vingtaine d’heures grand maximum, ils ne se la jouent pas avec des scènes de sexe ou des explosions, ils présentent des univers très originaux pour le genre et se permettant même des écarts parfois étonnants vis-à-vis des aventures canoniques du plombier, et leur gameplay fait preuve d’une certaine créativité et demande en général un minimum de skills. Par ailleurs, je les trouve bien souvent hilarants, mais c’est un autre débat. Pour être totalement transparent, j’ai bien failli ne plus jamais rejouer à un RPG après l’abominable Golden Sun, avec son histoire interminable, ses pseudo-dialogues sans fin à base de personnes qui se trémoussent en échangeant des smileys, et ses combats plus répétitifs que stratégiques.
Le RPG en jeu vidéo existe-t-il ?
Néanmoins, comme je l’ai fait remarquer en fin de podcast, de plus en plus de jeux contiennent des éléments de RPG, et il est donc presque impossible de totalement boycotter le genre aujourd’hui. Mais ce que l’on appelle « éléments de RPG » signifie souvent la présence de statistiques à améliorer avec une éventuelle forme de levelling. Or, comme nos invités l’ont fait remarquer, la définition même du RPG est sujette à débat. Il y a en gros deux grands aspects dans le jeu de rôle, la partie « rôle » concentrée sur l’implication du joueur dans le scénario, ses choix et ses interactions avec les autres joueurs et le meneur de jeu, et la partie « stratégie » qui se focalise sur les combats, les statistiques et les possessions de l’avatar du joueur. D’ailleurs, ces deux aspects peuvent être totalement séparés dans le jeu vidéo ; je citais l’exemple de The Walking Dead qui est presque entièrement construit sur les choix moraux et de conversation, et certains tacticals comme Advance Wars se concentrent uniquement sur la stratégie.
Mais aucun de ces deux titres ne sont considérés comme des RPG, ce qui laisse penser qu’il faut impérativement aborder les deux aspects pour appartenir au genre. Pourtant, c’est loin d’être aussi simple. Comme je le disais dans le podcast, The Legend of Zelda n’est pas un RPG pour moi car l’on n’y trouve non seulement aucune statistique, mais le seul choix laissé au joueur est celui du nom du protagoniste. Anthony m’a alors fait remarquer que certains JRPG « light » comme Dragon Quest n’offraient pas non plus aux joueurs beaucoup de liberté, mais on y gère au moins son équipement. On peut donc acquérir tel ou tel objet et le confier au personnage de son choix (dès le second épisode). Selon moi, c’est cet aspect qui est primordial pour définir le genre, bien plus que le levelling car oui, Link devient plus résistant au cours de son aventure en récupérant des fragments de cœurs, mais si certains objets le rendent plus forts, la plupart ne sont au final que des clés déguisées, permettant d’accéder à de nouvelles zones.
D’ailleurs, si on se contente de l’aspect évolutif du protagoniste, des fameux « éléments de RPG » pour définir le genre, alors Double Dragon: Neon n’est pas un beat ’em up avec un petit côté RPG, mais un RPG tout court, ou du moins un action-RPG puisque ses combats sont dynamiques. Mais à ce compte-là, tous les jeux vidéo sont des RPG, ce qui n’est peut-être pas tout à fait faux – j’y reviendrai. Certains font toutefois une distinction entre Zelda et les jeux d’action avec des éléments de RPG en évoquant l’aspect exploration. C’est en effet une composante assez importante du jeu de rôle, même s’il est probable qu’il existe des jeux « papier » qui fassent l’impasse sur cet aspect. De même qu’il existe des histoires en huis clos, un meneur de jeu peut très bien réunir des joueurs autour d’un scénario centré sur leurs interactions. Il peut même y avoir du combat si l’on prend l’exemple d’un tournoi, au hasard. Et dans le jeu vidéo, les JPRG sont souvent de plus en plus linéaires du fait des contraintes de budget.
Pourquoi je ne joue (presque) qu’à des RPG
Dans mon édito sur la difficulté, j’avais déjà exposé brièvement ma théorie sur la manière dont chaque jeu appartient, dans des proportions variables, à deux courants que j’ai baptisés immersif et ludique. Le premier est hérité des jeux de rôle, tandis que le second trouve plutôt son origine dans les jeux de société ou le sport, c’est-à-dire des jeux non narratifs. Ainsi, à l’exception de titres purement « ludiques » comme Tetris ou Pong, tous les jeux doivent quelque chose au jeu de rôle. Et même si je ne considère pas Zelda comme un RPG, l’influence du genre est indéniable et on en retrouve tous les codes : la princesse, les monstres, les donjons, les coffres, les clés, etc. Au fond, tous les jeux sont des jeux de rôle. Même si l’identification n’est pas très forte, et que la plupart des joueurs ne se sentiront pas impliqué émotionnellement, une aventure de Mario nous fait interpréter un personnage et nous oblige à faire des choix à sa place. Bien entendu, ces décisions se limitent souvent à emprunter (ou pas) un tuyau et passer au-dessus ou en-dessous d’une rangée de blocs, mais tout dépend de l’implication du joueur.
En effet, certains mettent un point d’honneur par exemple à finir les jeux d’infiltration sans tuer le moindre PNJ, ce qu’ils font évidemment par défi – c’est bien plus difficile ! – mais aussi, à mon avis, par éthique personnelle. Ce ne sont évidemment pas des vrais gens que l’on élimine, mais moi-même j’essaie en général d’éviter de tuer un personnage si ce n’est pas absolument nécessaire. Et surtout je déteste quand un jeu, souvent par provocation gratuite, nous oblige à commettre une atrocité juste pour le besoin du scénario. L’exemple de Modern Warfare 2 est célèbre, mais ce genre de choses est devenu hélas très courant dans les blockbusters d’aujourd’hui – c’est même une sorte de passage obligé, comme pour rappeler au joueur qu’il n’a pas vraiment de libre arbitre et que c’est le game designer qui tire les ficelles… Ainsi, même si cela peut sembler tordu, le joueur peut très bien s’impliquer de la même manière dans Super Mario Bros., et peser le pour ou le contre à chaque fois qu’il a l’opportunité d’écraser ou d’épargner un Goomba. Suivant le point de vue, tout choix peut être considéré comme moral !
Mais il n’y a pas que sur l’aspect « rôle » que tous les jeux vidéo peuvent être apparentés à des RPG. C’est aussi vrai pour le côté « stratégie » centré sur les chiffres. En effet, si certains estiment que le genre est défini par la présence de statistiques, c’est assez naïf quand on sait comment un jeu vidéo est conçu. Comme le dit un personnage du film Small Soldiers à propos du vent, « ce n’est pas parce que tu ne le vois pas que ça n’existe pas ». Un jeu, quel qu’il soit, contient toujours un nombre minimum de variables. Si l’on prend un titre comme Double Dragon, même l’original imaginé en 1987 par notre membre d’honneur, les combats sont régis par différentes statistiques. La seule qui soit visible pour le joueur est sa jauge d’énergie et celle des ennemis, mais il y a aussi la force des personnages, dans la mesure où certaines attaques enlèvent plus ou moins de points de vie, et qu’un coup donné avec une batte de baseball est sans doute plus dévastateur qu’un simple coup de poing. Si la valeur de dégâts infligée était la même, l’intérêt de ramasser une batte se limiterait à sa portée – une autre statistique !
Et même le FPS le moins subtil offrira forcément un arsenal varié d’armes, différenciées par la puissance, la portée, la dispersion, le temps de rechargement, le nombre de munitions par chargeur, etc. Évidemment, plus un jeu voudra se montrer réaliste, plus il devra multiplier ce type de paramètres, dans la mesure où la réalité a justement la particularité d’être régie par une infinité de variables. Toutefois, en gérer un grand nombre ne signifie pas forcément, à l’inverse, que le résultat sera réaliste. Après tout, on peut créer un moteur physique très complexe qui ne correspond pas du tout aux propriétés de la gravité terrestre. Néanmoins, dans l’histoire du jeu vidéo, compte tenu de l’augmentation des capacités des machines, et des évolutions techniques comme la gestion d’environnements en 3D, le nombre de paramètres a plutôt eu tendance à augmenter et ce, d’autant plus que la quête du réalisme, vaine mais inévitable dans toute forme d’expression (voir mon édito sur la notion de progrès), a toujours été très présente.
En un sens, donc, le RPG n’a pas de raison d’être dans le jeu vidéo, car tous les jeux vidéo tiennent plus ou moins du genre, et il est assez vain de vouloir recréer l’expérience d’un jeu de rôle papier puisque la machine ne remplacera jamais un vrai meneur de jeu. Du coup, le phénomène de disparition par assimilation évoqué à la fin du podcast est sans doute moins préoccupant que pour le beat ’em up, puisque l’on trouvera certainement davantage de RPG traditionnels, quitte à les chercher sur la scène indépendante comme le souligne Raphaël Lucas. Et ce n’est peut-être pas une tragédie si les RPG à gros budget sont aussi des beat ’em up, des TPS, des roguelike, des tactical ou autres… D’une certaine manière, si l’on appelle Zelda un jeu d’action/aventure, les JRPG classiques sont tout simplement des jeux d’aventure et d’ailleurs, en dehors des combats au tour par tour, ils ont à peu près la structure d’un point & click, mais avec une interface bien entendu différente… Et encore, la frontière entre un dungeon-RPG en vue subjective et un jeu plus statique comme Shadowgate n’est pas toujours évidente…
Cela nous renvoie à la notion de genre qui, dans le jeu vidéo comme ailleurs, est souvent bien floue et finalement peu pertinente. Un genre peut être défini par son gameplay, par son mode de représentation (FPS, TPS), voire par son thème (survival horror), et c’est au fond une bonne chose qu’on ait de plus en plus de mal à mettre les jeux dans des cases. C’est un réel signe de maturité qu’une œuvre, tout en laissant transparaître éventuellement ses influences, ne puisse pas être réduite à des codes inviolables. Mais de même qu’il me semble que les beat ’em up modernes sont parfois, paradoxalement, plus pauvres que certains classiques d’antan, je peux comprendre que certains puristes du RPG, à la japonaise ou à l’occidentale, regrettent le manque d’ambition narrative ou de liberté donnée aux joueurs dans les jeux d’aujourd’hui. Mais c’est, encore une fois, une bête question de budget. Il était beaucoup plus facile de générer une infinité de donjons quand ils étaient affichés en mode caractère dans Rogue, et d’offrir les étendues vastes d’Ultima quand les micro-ordinateurs n’avaient pas à les représenter en 3D !