Dans ma précédente chronique sur le projet NEMO, j’avais émis le souhait de traduire d’autres articles sur la full motion video (FMV) et ses expérimentations, en vue d’un éventuel podcast. Or, si la Control-Vision n’a finalement jamais été commercialisée, Hudson et NEC ont pu concrétiser son idée de baser une console, la PC-FX, sur cette technologie en vogue en 1992 avec les sorties de Night Trap et Sewer Shark, conçus pour la Control-Vision. Mais les consoles 16-bit n’ayant alors pas encore rendu les armes, elle a été lancée deux ans plus tard que prévu et, malgré la part de marché importante qu’avait obtenue la PC Engine sur la génération précédente, son successeur n’a clairement pas fait le poids face à la PlayStation, ni même face à la Saturn sortie également en 1994… Pour raconter ce destin pour le moins tragique, j’ai traduit un article mis en ligne sur NintendoLife et, comme ma chronique sur Donkey Kong, écrit par Damien McFerran d’après un texte publié dans son intégralité dans le magazine Retro Gamer, chez Imagine Publishing. Les sublimes photographies sont l’œuvre d’Aaron Nanto du site PCEngineFX.
Par Damien McFerran, publié sur NintendoLife le 9 mai 2015
Traduit de l’anglais par Guillaume Verdin
Ce que Hudson et NEC ont fait ensuite : les mésaventures de la PC-FX
L’histoire de l’un des plus gros flops de l’ère 32-bit
L’auto-satisfaction peut être mortelle. Il suffit de regarder le passage de la génération 16-bit à la suivante pour s’en assurer ; étonnamment, durant cette période de transition, tous les constructeurs confirmés – Nintendo inclus – ont été pris au dépourvu quand l’outsider Sony s’est jeté dans le tas pour s’approprier sans effort leurs précieuses parts de marché. Le pauvre SEGA en est ressorti amoché, d’abord avec la malencontreuse 32X puis la Saturn, et même si la chute a été un peu moins rude pour Nintendo, il serait bien audacieux d’affirmer que la Nintendo 64 a été à la hauteur des attentes suscitées par l’incroyable succès de son prédécesseur, la Super Nintendo. Et c’est sans compter le mort-né Virtual Boy, une autre machine de cette époque et le plus gros échec de Nintendo en matière de console à ce jour ! Cependant, la débâcle la plus humiliante revient sans doute à NEC et à son partenaire Hudson Soft. Ces deux sociétés avaient précédemment travaillé ensemble sur la légendaire 8-bit PC Engine, qui était parvenue au Japon à reléguer la Mega Drive de SEGA à la troisième place, et même à remettre en cause le monopole jusqu’à présent inébranlable de Nintendo. Hélas, comme les autres rivaux, ils ont totalement sous-estimé la difficulté d’offrir un vrai successeur à une machine archipopulaire.

Welcome To Pia Carrot (1997) et quelques autres jeux (oubliés) de la PC-FX
Mais n’anticipons pas ; révisons d’abord notre leçon d’Histoire. Comme mentionné précédemment, le partenariat entre NEC et Hudson s’était révélé particulièrement fructueux et il était quasiment certain que le duo de choc allait collaborer sur de nouveaux projets. Le développement de ce qui allait être connu sous le nom de « Tetsujin » (« l’homme de fer » en japonais) a quasiment débuté avec les années 1990, avec une annonce officielle dès 1992. Comme pour la PC Engine, Hudson a fourni l’architecture (comprenant cinq coprocesseurs) tandis que NEC a apporté son expérience considérable en matière de production de matériel électronique. La Tetsujin revendiquait des performances impressionnantes pour l’époque. Non seulement elle était basée sur le CD-ROM, mais elle intégrait un processeur RISC cadencé à 25MHz soutenu par 2Mo de RAM pour raccourcir les accès disque. La machine disposait aussi d’excellentes capacités en matière de 2D et pouvait jouer de la vidéo en 24 bits et plein écran. Un prototype a été présenté la même année devant un panel trié sur le volet, avec trois jeux en démonstration. Deux d’entre eux étaient de simples démos techniques mais le troisième a mis les participants sur leur séant ; c’était une nouvelle version du classique d’Hudson Star Soldier, qui donnait l’impression de tourner en 3D temps réel. En réalité, il s’agissait de quelques objets en 3D devant un décor précalculé – la même technique employée par Game Arts pour Silpheed sur Mega CD ou par Namco pour Starblade en arcade – mais c’était largement suffisant pour impressionner l’assemblée, et fort du succès de cette démonstration de leur nouvel hardware, NEC et Hudson se sont mis sérieusement au travail pour préparer la sortie de la machine.

La PC-FX sous toutes les coutures – galerie détaillée sur NintendoLife
Au départ, les deux sociétés pensaient pouvoir sortir la Tetsujin en 1992, mais le manque de jeux finalisés les a contraints à repousser la date au printemps 1993. Quand cette échéance a été encore ratée, des rumeurs ont commencé à circuler selon lesquelles NEC et Hudson hésitaient à délaisser la PC Engine alors qu’elle marchait encore très bien, du moins au Japon. Et au fur et à mesure que les mois passaient, la Tetsujin était de moins en moins à la pointe de la technologie et pendant ce temps, pas grand chose ne semblait être fait pour s’assurer que la machine puisse rivaliser avec de nouvelles consoles comme la 3DO et la Jaguar d’Atari ; NEC et Hudson avaient l’air de se reposer sur leurs lauriers, du moins tant que leur machine courante rapportait de l’argent. C’est alors que, début 1994, le projet Tetsujin fut officiellement annulé. Des sources indiquaient que son développement avait été interrompu par NEC et Hudson en raison des performances annoncées pour les consoles 32-bit de SEGA et Sony, qui dépassaient non seulement la Tetsujin mais promettaient également des capacités élevées en matière de 3D. Face à une telle concurrence, les partenaires n’avaient d’autre choix que de tout reprendre à zéro. Mais il était hélas bien trop tard pour totalement repenser le concept et par conséquent, une bonne partie de l’architecture (désormais) totalement dépassée de la Tetsujin a été intégrée dans la nouvelle machine. Si Hudson a fondu son chipset de cinq coprocesseurs en une seule puce, le choix d’axer la technologie sur la full motion video plutôt que le temps réel a été conservé. Le nom de code de cette nouvelle plateforme était « FX » et devint rapidement PC-FX – le « PC » servant sans doute à surfer sur la popularité de la marque PC Engine au Japon à cette époque. Mais contrairement à ce que ce nom laissait penser, on a su très tôt que la nouvelle machine ne serait pas rétrocompatible avec le catalogue de la PC Engine.

Team Innocent, Battle Heat et Graduation 2: Neo Generation FX (1994)
La PC-FX a été dévoilée au monde au Tokyo Toy Show de 1994 où elle a rivalisé avec la Saturn, la PlayStation, la Neo·Geo CD et la Playdia de Bandai pour attirer l’attention du public. Le design inhabituel de la console a immédiatement fait parler de lui, beaucoup de commentateurs déplorant sa ressemblance malvenue avec les tours PC massives de l’époque. Néanmoins, les visiteurs du salon furent scotchés par FX Fighter, un titre judicieusement conçu pour voler la vedette au portage du Virtua Fighter de SEGA, également en démonstration. Le jeu de Hudson avait de quoi impressionner, affichant des combattants très détaillés et finement modélisés. Il mettait clairement le titre cubique de SEGA à l’amende mais attention, il y avait un truc ; la PC-FX streamait en fait la vidéo précalculée directement depuis le CD et ne générait aucune image en temps réel. Cela n’était pas encore une évidence à l’époque mais la machine ne disposant pas d’un hardware dédié à la 3D, cela signifie donc qu’elle n’avait aucun espoir de concurrencer la Saturn ou la PlayStation en la matière. À leur décharge, NEC et Hudson n’ont jamais prétendu que c’était de la 3D temps réel ; ce sont les suppositions du public de la démonstration qui ont fait perdurer ce malentendu. Quoi qu’il en soit, les magazines ont repris ces images impressionnantes et ont ainsi contribué à susciter l’attente vis-à-vis du lancement de la console.
Pourtant, quand la PC-FX est finalement arrivée sur les rayons japonais en décembre 1994, le mystère de ces performances 3D s’est vite évanoui. FX Fighter avait disparu, même si l’un des titres majeurs du lancement, Battle Heat, s’est révélé similaire sur le principe. C’était en gros un jeu de combat revisité à la Dragon’s Lair, dans lequel les séquences animées étaient jouées depuis le disque en fonction des commandes du joueur. Pour être honnête, c’était (et c’est toujours) un impressionnant tour de passe-passe ; il n’y a quasiment aucun délai entre les actions du joueur et le résultat à l’écran, et la qualité de la vidéo est incroyable. Cela a été rendu possible par le fait que NEC et Hudson ont décidé de délaisser le traditionnel format MPEG – qui donne une vidéo compressée de mauvaise qualité, pixelisée et souvent avec un faible taux de rafraichissement – au profit du système JPEG bien plus gourmand en mémoire, qui peut afficher une image de bonne qualité pour chaque frame de la vidéo, et le tout à trente images par seconde (NdT : il s’agit sans doute du format MJPEG 2000 employé pour les projections au cinéma). Parce qu’elle avait été conçue sur les bases du projet Tetsujin, la console avait donc été d’emblée pensée pour exploiter cette technique. Tetsuya Iguchi, un membre de l’équipe de développement des produits électroniques de NEC, avait fièrement expliqué au magazine EDGE à l’époque que la PC-FX était une machine « d’Accès Direct en Mémoire » (NdT : Direct Memory Access) ; au lieu de faire transiter par le bus du CPU les données du CD, la PC-FX transmettait directement l’information vers la sortie vidéo via un processeur spécialisé en traitement vidéo. Ce procédé permettait à la console de générer de la vidéo en un éclair, et il n’est donc pas surprenant qu’elle soit devenue la plateforme de choix pour les jeux basés sur les anime.
Toutefois, en dépit de toutes ces astuces liées à la full motion video, il était difficile d’ignorer que la Saturn et la PlayStation permettaient d’avoir chez soi le nec plus ultra des graphismes 3D pour le même prix, la PC-FX ayant l’air totalement dépassée en comparaison. Mais il n’y avait pas que les problèmes techniques qui frustraient les possesseurs de la console ; la ludothèque laissait tout autant à désirer. Le très attendu FX Fighter a été discrètement annulé et dans un élan qui semble pour le moins téméraire rétrospectivement, Hudson a établi une ligne éditoriale stipulant que les licences célèbres comme Bomberman ou Adventure Island ne feraient jamais d’apparition sur la console (*). La société a peut-être cherché à montrer que la PC-FX était trop puissante pour accueillir ces jeux rudimentaires ; quelle que soit la raison de cette étrange décision, la console devait par conséquent se battre sans l’aide des meilleurs atouts de Hudson : ses licences à succès. Pourtant, même dans ce tableau bien sombre subsistaient quelques lueurs d’espoir. Des jeux comme Chip-Chan Kick!, Der Langrisser FX ou encore Kishin Doji Zenki: Vajura Fight sont parvenus à attiser l’intérêt des joueurs du monde entier – le jubilatoire Zenki, avec ses sublimes graphismes 2D et son gameplay prenant, a même presque suffi à justifier à lui seul l’achat d’une PC-FX pour de nombreux joueurs. Beaucoup de jeux basés sur les anime en FMV se sont révélés finalement très divertissants et ont quasiment réussi à démontrer les mérites d’un genre jusque-là tourné en dérision. Malgré tous ses défauts, la console de NEC pouvait sans conteste offrir de beaux jeux en 2D et pouvait gérer la vidéo avec une aisance remarquable, mais NEC et Hudson n’avaient hélas tout simplement pas misé sur le bon cheval ; l’ère était désormais à la 3D, comme le succès éclair de la PlayStation allait en témoigner.
Important!
(*) NdT : Dans le même ordre d’idée, on peut s’étonner que Hudson n’ait pas souhaité capitaliser sur la réputation de la PC Engine en matière de shoot ’em up, puisqu’on ne trouve qu’un seul représentant du genre sur la PC-FX, Chôjin Heiki Zeroigar, au sein d’une ludothèque qui compte tout de même soixante-deux titres !

Kishin Doji Zenki: Vajura Fight (1995, en haut à gauche) et d’autres jeux PC-FX – galerie détaillée sur NintendoLife
Comme beaucoup de machines de cette période, la PC-FX a été autant vendue comme un appareil « multimédia » qu’une console de jeu. La coque façon tour de PC, à l’opposé total du design habituel des consoles qui favorise les machines présentées à l’horizontale, n’a peut-être pas été du goût de chacun, mais il a conféré à la PC-FX un look plus adulte, presque professionnel. La possibilité de recevoir (mais pas d’envoyer) des fax était une tentative originale de préfigurer les fonctionnalités en ligne qui nous semblent aujourd’hui standard ; en effet, avant le lancement de la console, Iguchi évoquait la création d’une connectivité avec différents produits électroniques, comme les ordinateurs et les systèmes téléphoniques. La machine disposait de ports d’extension et bien que le seul accessoire à en faire usage fut le module de sauvegarde de jeu FX-BMP, des rumeurs circulaient qu’une véritable carte graphique 3D était en chantier, et qu’elle aurait permis à la PC-FX de rivaliser d’égal à égal avec les machines de Sony et SEGA. La lecture de CD audio et de CD-ROM de photos était également gérée et, grosse nouveauté, la console pouvait être connectée à un PC-98 (NdT : un micro-ordinateur 16-bit très populaire de NEC) via un adaptateur SCSI et faire ainsi office de lecteur CD-ROM. Mais, aussi innovantes soient-elles, ces fonctionnalités ne pesaient pas bien lourd face aux consoles rivales plus puissantes. Renforcée par des performances impressionnantes et un soutien sans faille des éditeurs, la PlayStation s’est rapidement accaparée la majeure partie du marché, ne laissant que des miettes à ses rivales. La PC-FX avait à peine voix au chapitre ; les ventes étaient misérables, avec moins de 100 000 exemplaires en une année – à comparer avec la réussite de la PlayStation, qui avait déjà dépassé le million au Japon à ce stade. Étonnamment, les chiffres ne semblent pas avoir surpris NEC qui n’avait d’emblée pas placé très haut ses attentes, Iguchi confiant à EDGE qu’il pensait vendre « environ 50 000 » PC-FX en 1994 et autant l’année suivante.

Encore d’autres très beaux visuels – galerie détaillée sur NintendoLife
Comme cela devenait de plus en plus délicat, NEC a ouvert les vannes et laissé arriver ce que beaucoup considèrent comme le lourd héritage de la console : les simulations de drague hentai avec des écolières typées anime et prenant des poses provocantes. Mais la nature très japonaise de sa ludothèque avait déjà réduit à néant, bien avant cela, les maigres chances d’une sortie de la PC-FX en Occident. On pourrait toutefois objecter qu’après l’échec cuisant de la TurboGrafx-16, l’équivalent américain de la PC Engine, NEC n’allait pas refaire la même erreur mais si la PC-FX avait été un succès dans son pays d’origine, les probabilités qu’elle arrive jusqu’en Occident auraient été bien plus grandes. Néanmoins, la PC-FX a su se créer une niche au Japon et s’accrocher à cette toute petite part de marché pendant plus de trois ans. Le dernier jeu publié, appelé First Kiss Story – vous avez compris, c’est un jeu de drague – a fait son arrivée tant bien que mal sur les rayons japonais en avril 1998, alors que la génération 32/64-bit touchait à sa fin. Des rumeurs ont circulé que d’autres jeux, dont un nouvel épisode très attendu de la série de RPG Far East of Eden, devaient être développés « si le marché avait été favorable » mais ils ne se sont bien sûr jamais concrétisés. La PC-FX était sans conteste une machine obsolète dès sa sortie, et à des années-lumière de l’héritage triomphal laissé par la PC Engine ; elle marqua aussi la fin du partenariat jusqu’ici fructueux entre NEC et Hudson.