ÉDITO : Les vraies couleurs de la Coleco Chameleon

Qu'est-ce qui se cache à l'intérieur de la Coleco Chameleon ?

Précédemment, dans l’affaire de la Coleco Chameleon : notre dernier article présentait le line-up envisagé de la future console, comportant des compilations de jeux ColecoVision et Intellivision, mais aussi un soutien marqué de l’éditeur Piko Interactive, spécialiste des unreleased et autres raretés de la Mega Drive et de la Super Nintendo. La contribution de CollectorVision se limite en revanche à Sydney Hunter and the Caverns of Death désormais et on a également appris entretemps, via l’article détaillé de Retro Gaming Mag, la défection du studio NG:DEV.TEAM (RAZION, Kraut Buster) qui prépare apparemment sa propre machine qu’on imagine orientée arcade et Neo·Geo… Mais on attendait surtout la Toy Fair de New York le week-end des 13 et 14 février, où le fameux prototype de la console devait être présenté ! Ce devait être en plus à cette occasion que Mike Kennedy et ses associés devaient lancer la campagne Kickstarter visant à concrétiser la machine de ses rêves mais, vous l’aurez déjà compris, tout ne s’est pas déroulé comme prévu… Préparez votre pop-corn ; on va tâcher de vous raconter tout cela en détail.

On ne peut pas dire que la présentation de la console à New York ait contribué à dissiper les doutes des sceptiques, bien au contraire. Tout d’abord, la campagne de financement n’a pas été lancée ; seule sa date a été dévoilée : le 26 février. Et même cette promesse-là ne sera pas tenue, mais nous y reviendrons. Comme on le voit en vidéo ci-dessous, les visiteurs (pros, le salon étant fermé au grand public) pouvaient s’adonner au prototype de la Coleco Chameleon mais, même si on ne doute pas qu’ils se soient amusés sur Sydney Hunter and the Caverns of Death, la démonstration ne semble pas très convaincante. Déjà, il n’est pas très pertinent de présenter une console censée imiter un certain nombre de machines différentes – le caméléon ne vient pas de nulle part – en ne montrant que des jeux Super Nintendo. Et il n’en a pas fallu beaucoup plus pour éveiller les soupçons de la communauté, en particulier sur AtariAge. Il faut dire que de nombreux aspects du prototype intriguent, à commencer par la diode de la coque de la Jaguar qui ne s’allume désespérément jamais, alors que c’était très simple à réaliser.

On peut en effet penser qu’une équipe capable de créer une machine basée sur la technologie FPGA, encore loin d’être maîtrisée, serait au moins capable de souder une diode… Et puis il y a ce choix étrange d’avoir connecté des clones de manettes Super Nintendo plutôt que celles de la console, bien qu’ils soient censés être connectés en USB. Dans cette vidéo de présentation, Mike Kennedy prétend que les visiteurs passaient leur temps à manipuler les deux sticks analogiques, soi-disant réclamés par les développeurs mais bien entendu inutiles pour la plupart des jeux à l’ancienne… Il est assez comique en passant de le voir vanter ces sticks en haut de la manette, comme si c’était une invention de son équipe et pas une réplique du contrôleur pro Wii U ! La communauté des retrogamers a alors commencé à sérieusement se demander si ce prototype n’était pas en fait une Super NES 2 (SNS-101) cachée dans une coque de Jaguar, en voyant Kennedy dans la vidéo ci-dessus poser la cartouche plus qu’il ne l’insère, mais surtout en analysant plus en détail les quelques photos du prototype sous verre prises sur le salon.

Plusieurs éléments viennent étayer ces allégations, comme la forme du port cartouche, et surtout le positionnement des câbles vidéo et d’alimentation au dos de la machine, maquillé au scotch noir. Certains sont même allés jusqu’à créer une reconstitution du « crime » et encore une fois, Retro Gaming Mag propose un dossier très détaillé sur cette affaire, et d’autant plus précieux que beaucoup de publications et commentaires ont été supprimées de la page Facebook du projet. Bien entendu, Mike Kennedy a réagi en affirmant que le prototype comportait bien un processeur FPGA configuré pour émuler la Super Nintendo, quand bien même il avait reconnu que c’était très cher à produire, expliquant ainsi son absence au moment de la première campagne Indiegogo qui s’était d’ailleurs soldée par un échec… Dans une interview audio à SEGA Nerds, il rejette la faute sur son ingénieur John Carlsen puis défend maladroitement, par exemple, le choix étrange d’un câble composite. Mais le plus suspect est qu’il refuse de divulguer ouvertement le contenu de ce prototype, promettant que tout sera révélé au lancement de la campagne Kickstarter !

Super NES 2 dans la coque d'une Jaguar

Reconstitution visant à prouver que l’on peut bien mettre une Super NES 2 dans la coque d’une Jaguar

Pendant ce temps, la communauté continue de spéculer et certaines langues se délient comme celle, encore, de Kevin « Kevtris » Horton, ancien collaborateur de Kennedy. Celui-ci s’amuse sur AtariAge de constater que, depuis l’époque où il participait au projet alors appelé Retro VGS, la console a plutôt évolué pour ressembler de plus en plus à son propre concept de machine rétro, la Zimba 3000… Mais en tant que spécialiste de l’émulation hardware via le FPGA, il estime que Mike Kennedy ne sera jamais en mesure de fournir une console émulant la Super Nintendo pour $150 (et même $135 pour les contributeurs de la campagne), sans parler de toutes les autres plateformes que la Chameleon est censée imiter… Un autre ancien collaborateur de Kennedy s’est exprimé sur les méthodes du fondateur du magazine RETRO, et dresse le portrait accablant de quelqu’un qui exploite les gens en leur faisant miroiter un partenariat équitable, et finit par les éjecter pour les remplacer par une autre victime – tout en ayant profité en passant de leur expertise… Et bien entendu, il leur attribuera toute la responsabilité en cas d’échec.

Mais si on peut penser que ce ne sont que les calomnies d’anciens partenaires frustrés et jaloux, cette affaire a également mis les alliés du projet, comme Eli de Piko Interactive, dans une position inconfortable. Dans un article évoquant son retour du salon, il explique qu’il n’a lui-même pas pu voir l’intérieur du prototype, mais demeure confiant dans un projet dans lequel, il faut dire, il est très investi. Ironiquement, il promet lui aussi un second avis… une fois le Kickstarter lancé. Bien entendu, pendant ce temps, la presse spécialisée se montre plus positive tout en prouvant qu’elle est mal informée, mais ce véritable Watergate du jeu vidéo finira quand même par l’aveu, dans le podcast Talk RETRO #24 affilié au magazine créé par Mike Kennedy lui-même, que le dos du prototype était bel et bien celui d’une Super NES 2 ! C’est un premier pas, mais rien n’est cédé concernant le port cartouche et, bien entendu, le reste des composants électroniques. Inutile de dire que l’attente du 26 février a été très fébrile sur AtariAge, qui a tué le temps avec d’innombrables gifs et autres images et vidéos parodiques. Et le 26 est finalement arrivé.

Un prototype certes plus crédible

Un prototype certes plus crédible, mais qui ne dément pas les précédentes accusations…

Après une longue attente poussant certains à vérifier s’il avait été précisé si ce serait le 26 au matin ou plus tard, on n’a eu droit qu’à un communiqué Facebook annonçant le report de la campagne Kickstarter. Le texte est un petit bijou de marketing ciselé, évoquant des réactions « au-delà de tout ce [qu’ils] auraient pu imaginer » à la présentation du salon de New York, la volonté de studios majeurs (qu’ils ne peuvent bien entendu pas nommer) de leur fournir des jeux, et le fait que ce report a bien sûr uniquement pour but d’offrir une console encore meilleure – sans que sa date de sortie ne soit repoussée pour autant ! Le communiqué est aussi accompagné de cinq nouvelles photos du prototype. Cette fois, la cartouche est bien enfoncée, la diode allumée, et la coque est judicieusement transparente mais suffisamment opaque pour qu’il soit difficile d’identifier les composants… Il ne s’agit certes plus d’une Super NES 2, mais placer la machine à côté d’un téléviseur allumé ne prouve pas qu’elle soit fonctionnelle pour autant ! Bref, ce n’est qu’une pirouette de plus pour Mike Kennedy et ses « acolytes » de chez Coleco.

Il aurait sans doute été plus drôle et pathétique qu’ils annulent le Kickstarter, voire tout le projet, pour cause de « méchanceté de la communauté » mais hélas, celle-ci ne saura peut-être jamais si elle a eu raison d’être suspicieuse. Car Retro Gaming Mag a relayé un tweet de David Giltinan, l’actuel dirigeant du magazine RETRO créé par Mike Kennedy, et il indique que la piste du financement participatif serait abandonnée. Ce qui au fond serait une excellente nouvelle, aussi bien pour l’équipe qui bénéficierait donc d’un autre mécène, que pour les joueurs qui n’auraient rien d’autre à débourser que le prix de la console, une fois disponible. Il faut dire aussi que, contrairement aux autres plateformes, Kickstarter ne permet plus le financement d’une machine sans qu’un prototype existe déjà et, si quelqu’un souhaite lancer spécifiquement une campagne pour fabriquer un prototype, la machine finale ne peut pas faire partie des récompenses proposées aux donateurs. On n’est donc pas près de voir l’intérieur de la Coleco Chameleon, mais Mike Kennedy, lui, a indéniablement commencé à nous montrer ses vraies couleurs…

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