Après un long édito sur un thème si vaste qu’il resterait encore tant de choses à dire, je vous propose un sujet plus personnel, peut-être trop… Je n’avais d’ailleurs pas l’intention de le publier mais quelques-uns d’entre vous me l’ont réclamé (sans doute par curiosité malsaine) à la suite d’une allusion dans mon article sur la PlayStation Classic. Les plus flemmards pourront d’ailleurs y lire un résumé de ce billet d’humeur en commentaire, car il sera bien plus long que celui que j’avais improvisé sur le beat ’em up. Ce coup de gueule a en effet une dimension historique puisqu’il nous fait remonter vingt-cinq ans en arrière, alors que la première PlayStation s’apprête à sortir en Occident… Il est possible que des livres répondent plus précisément à mes interrogations mais, dans notre podcast dédié à la console et sa chronique associée, il est expliqué qu’à l’époque Sony of America « rejette presque toujours les décisions de [Sony Computer Entertainment au Japon] (la couleur de la console, la taille de la manette, le logo, le prix des jeux…) » tandis que Wikipédia se contente de justifier les disparités d’ergonomie par des équipes différentes pour chaque territoire. Et donc, encore aujourd’hui, selon qu’on utilise une machine et/ou des jeux occidentaux ou japonais, les boutons pour valider ou annuler dans les menus ne sont pas les mêmes…
Mais revenons encore plus loin en arrière car, et c’est bien le problème, cette décision a aussi un impact aujourd’hui pour les utilisateurs des consoles Nintendo ! Or, depuis 1983 et la Famicom, le bouton A sert à valider tandis que B annule. Et il est tout de suite important de préciser pour les profanes que, suivant une tradition bien japonaise (*), le bouton A se trouve toujours à droite du bouton B, bien que ce dernier ait pas mal bougé au cours du temps, tantôt aligné sur NES, tantôt plus bas sur Super Nintendo, ou plus haut sur Nintendo 64… Il faut donc surtout retenir que le bouton pour confirmer est à droite, ce que l’on retrouve sur PC Engine – où I est à droite de II, encore une fois à la japonaise. SEGA avait lui déjà marqué sa différence, du moins en Occident avec la Master System dont le bouton 1 (« Start ») est à gauche du 2, mais il est intéressant de noter qu’au Japon, les boutons des manettes de la SG-1000 ou de la SEGA Mark III ne présentent aucune indication pour les distinguer ! Bien entendu, quand Sony est entré sur le marché du jeu vidéo, les lettres et chiffres arabes comme romains étaient déjà pris, et le constructeur a donc opté pour des symboles (anecdote perso : j’avais eu la même idée quelques années auparavant pour une machine imaginaire). Et pour que ce ne soit pas trop ésotérique, il a fallu trouver une logique.
Important!
(*) : Les Japonais écrivent de plus en plus souvent de gauche à droite puis de haut en bas comme en Occident mais, traditionnellement, c’est de haut en bas puis de droite à gauche.
Toujours dans notre chronique, on peut lire : « le triangle représente la tête et doit servir à modifier le point de vue, typiquement passer d’une caméra à une autre ; le carré est là pour afficher les cartes et les menus » même si dans la pratique, le carré sert souvent de bouton d’action… Et concernant les deux boutons qui nous intéressent ici, Wikipédia explique qu’au Japon, (maru) signifie vrai, juste, alors que (batsu) signifie faux – on retrouve souvent ces symboles dans les tableaux, par exemple dans celui qui se trouve en bas de la page du Gear Converter de la Retro Freak, et qui indique la compatibilité des cartouches avec les différents modèles. S’il est vrai que l’on ne présenterait probablement pas un tel tableau de cette manière en Occident, le fait que Sony ait estimé qu’il fallait inverser la fonction des deux boutons est très discutable. Chez nous, on aurait certes mis des croix à la place des ronds (ou plutôt un symbole moins ambigu comme « √ »), mais on aurait plutôt laissé les autres cases vides. Mon neveu, par exemple, perçoit d’ailleurs plus rond comme une validation et croix comme une annulation – comme quoi… À la limite, c’est plus la couleur des symboles qui est problématique (rouge pour confirmer, bleu pour annuler) et il aurait sans doute été préférable de simplement changer les couleurs sur les manettes occidentales !
Cela aurait d’autant plus évité des complications inutiles que l’inversion des boutons n’a même pas été systématique dans un premier temps ! Au départ, en Occident, les boutons et servaient tous deux à confirmer, tandis que et servaient à annuler… Ce n’est que par la suite, et ça s’est généralisé sur PlayStation 2, que est devenu le bouton pour valider et celui pour annuler en Occident. Avant ça, il y a eu des exceptions, en particulier dans les jeux japonais comme R4: Ridge Racer Type 4 (1998) chez Namco, Final Fantasy VII (1997) chez Square et Metal Gear Solid (1998) chez Konami pour citer trois jeux inclus dans la PlayStation Classic, qui eux suivent la convention originale. À l’inverse, Gran Turismo (1997) utilise lui des contrôles à l’occidentale même au Japon ! Donc déjà à l’époque, cela a créé la confusion chez les joueurs, même si l’on s’y faisait bien sûr après un temps d’adaptation. Après tout, bien avant l’ère du tout dématérialisé, le CD-ROM restait souvent dans la console ; on lançait et on quittait le jeu en allumant et en éteignant la machine, sans avoir à passer par le menu général où les contrôles pouvaient être inversés… Ce qui n’est hélas pas le cas sur PlayStation Classic où il faut même quitter le jeu pour pouvoir sauvegarder, via un menu qui suit la convention occidentale. Autant dire qu’il est facile d’écraser sa partie ou au contraire de ne pas la sauvegarder par erreur…
Mais cela n’a pas attendu la PlayStation Classic pour empoisonner la vie des utilisateurs de consoles Sony, du moins ceux qui importent leurs jeux ou leurs consoles. Beaucoup de joueurs se sont pris par exemple une Vita japonaise (dézonée) sur le tard car elle est devenue difficile à trouver ailleurs, ce qui signifie que les menus de la portable suivent la convention japonaise mais que les jeux achetés chez nous suivent la convention occidentale… En outre, même si c’est plus secondaire, les contrôles en dehors des menus ne sont pas modifiés pour autant. Par exemple, quand sert souvent à sauter et à attaquer, le bouton est alors un bouton d’action plus général pour interagir avec le décor et les personnages. Il arrive régulièrement qu’il soit utilisé pour parler, or là où au Japon on continue de s’en servir pour avancer dans le dialogue, il faut souvent repasser sur pour le faire en Occident ! Il est donc un peu triste que Sony ne permette toujours pas aux joueurs de choisir la convention utilisée par sa console comme il le ferait pour la langue des menus (*). Là, il y a toujours un idiot pour faire remarquer que l’on peut entièrement remapper les boutons sur PlayStation 4, mais cela inverse la fonction des touches pour tout, et pas seulement les menus. Alors s’il faut ensuite les réinverser dans les options de chaque jeu…
Important!
(*) Mise à jour : Moins d’un mois après la publication de cet article, le 7 mars pour être précis, Sony mettait en ligne la mise à jour 6.50 du firmware de la PlayStation 4. Ajoutant principalement la lecture à distance depuis un appareil iOS, elle permet enfin d’inverser la fonction des deux boutons pour les menus… mais seulement sur une console japonaise. C’est donc essentiellement pensé pour les joueurs occidentaux qui auraient importé une machine japonaise (ou vivraient au Japon en jouant à des jeux étrangers) mais, bien que ça se comprenne, on ne voit pas en quoi proposer aussi l’option inverse aurait été un problème…
C’est sans doute d’ailleurs parce que les jeux suivent la convention de la zone où ils sont édités, indépendamment de celle de la console utilisée, que le problème est aujourd’hui difficile à résoudre à moins de patcher tous les jeux – ou que ce soit corrigé pour la PlayStation 5… Mais il est peut-être trop tard d’autant que SEGA a empiré la situation sans le vouloir. Jusqu’à la Dreamcast, l’ex-constructeur suivait sa propre voie en matière d’ergonomie. Sur Mega Drive et Saturn, A et C servent à valider tandis que B annule (comme chez Nintendo) – ou le contraire, ou tous les boutons valident et il faut sélectionner manuellement une option pour revenir en arrière… Contrairement à beaucoup de gens, j’estime qu’il est préférable que le bouton central (le plus accessible) annule car il vaut souvent mieux annuler que confirmer sans faire exprès, mais cela pose parfois problème ; demandez à nos animateurs de tournois Saturn Bomberman, qui s’arrachent les cheveux (quand ils leur en restent) avec des joueurs qui, en voulant valider leurs personnages, annulent le choix de leurs prédécesseurs… Et puisque l’on parle de la Saturn, il est clair que son échec a été vécu comme un traumatisme par SEGA, qui a donc fait table rase avec la Dreamcast en ravalant sa fierté et surtout en se pliant aux « standards » de la concurrence.
En effet, si la manette de la Dreamcast prend comme base le fameux pad analogique Saturn créé pour NiGHTS Into Dreams (1996), elle rompt quand même sacrément avec la tradition SEGA, et pas uniquement en termes de couleur. Les six boutons en lignes de trois, adulés par les amateurs de jeux de combat, laissent en effet leur place à une bonne vieille disposition en losange – celle de la concurrente PlayStation, elle-même pompée sur la Super Nintendo. La manette Dreamcast reprend d’ailleurs les lettres A, B, X et Y ainsi que les quatre couleurs de cette dernière… Mais, comme si SEGA n’assumait pas totalement cette inspiration évidente alors que ça n’a au fond rien de honteux, le constructeur est allé intervertir les couleurs de B et de X, et a surtout inversé les positions de A et B d’une part, et de X et Y d’autre part. Or, si l’on valide également avec le bouton A, ce qui est assez logique vu que cette lettre devance B dans l’alphabet comme dans l’inconscient collectif, cela signifie donc que l’on valide désormais avec le bouton du bas, à l’occidentale, et non celui de droite… Et d’ailleurs, comme la PlayStation dont elle a tenté en vain d’imiter le succès, la Dreamcast a eu son lot d’exceptions avec des jeux (comme Resident Evil – Code: Veronica si mes souvenirs sont bons) qui suivent la convention japonaise et nous font donc valider avec B !
Compte tenu de la mort prématurée de la console, on aurait pu penser que cet écart de conduite serait sans lendemain… Or il a fallu que Microsoft, comme on le rappelait dans notre podcast dédié à sa première console, s’inspire de la manette Dreamcast pour concevoir celle de la Xbox. Les couleurs ont toutefois été encore changées, cette fois non pour masquer la copie mais vraisemblablement pour suivre une logique plus occidentale avec un bouton A pour confirmer en vert et un B pour annuler en rouge. Mais la disposition est en revanche rigoureusement la même, et tant pis pour le Japon que le constructeur n’a d’ailleurs jamais bien compris – et il le lui rend bien ! Et rien n’a été changé pour la Xbox 360, qui a dominé la génération HD et dont la manette est même devenue quasiment standard sur PC (en dépit de l’une des pires croix directionnelles de l’Histoire des jeux vidéo). Il faut dire aussi que non seulement le Japon était en retrait à cette époque, mais que Nintendo avait tenté tout autre chose en matière de manettes avec la Wii… Le constructeur est bien revenu au losange de la Super Nintendo pour la DS, mais la prise en main d’une portable étant très différente, la mémoire musculaire s’adapte sans doute mieux et on peut facilement alterner entre des machines suivant des conventions différentes. Et pourtant…
Alors que je n’avais aucun problème à alterner entre la Wii U et la 3DS d’une part, et les manettes Xbox sur PC d’autre part, les choses ont étrangement changé à l’arrivée de la Switch, six mois après l’achat d’une PlayStation 4 Slim. Et pourtant, on ne peut pas dire que la prise en main d’un DualShock 4 et de la console de Nintendo en mode portable soit similaire… Cela a commencé avec Breath of the Wild, alors que je me surprenais à refermer mon inventaire au lieu d’utiliser l’item qui devait m’empêcher de mourir ! Et à l’inverse, il m’est arrivé de lancer sans le vouloir la lecture d’un film sur Netflix – oui, j’utilise hélas plus la PS4 pour regarder de la VoD ou des Blu-rays que pour jouer… J’ai évidemment fini par m’y faire et j’ai désormais l’habitude d’utiliser sans réfléchir deux conventions différentes selon la console que j’utilise. Enfin, à condition que les jeux respectent celle de la machine sur laquelle ils tournent ! Dans mon expérience, la grande majorité des développeurs jouent heureusement le jeu. Il y a eu l’exception notoire de Shovel Knight (à l’époque sur Wii U et 3DS) qui a toutefois corrigé le tir dès son premier patch pour permettre aux joueurs d’inverser les boutons de menu. Inti Creates propose aussi l’option dans Blaster Master Zero par exemple, mais cela reste quand même étrange de suivre la convention occidentale par défaut, de la part d’un studio japonais et pour un jeu exclusif aux consoles de Nintendo !…
Je ne joue évidemment pas à tous les jeux et il m’est impossible de le vérifier, mais la plupart des blockbusters occidentaux comme les titres indé respectent la convention utilisée par Nintendo, même s’ils sont multiplateforme comme The Messenger, Celeste, Iconoclasts ou encore Wargroove récemment… Il y a eu toutefois une exception récente, Battle Princess Madelyn. Or il se trouve qu’ayant reçu en avance une copie du jeu qui a connu un lancement bien difficile, j’ai eu l’occasion de signaler cet impair à son créateur Christopher Obritsch comme à son éditeur, Hound Picked Games. Le premier a ignoré cette partie de mon message mais le second a eu le culot de me dire que c’était fait exprès… pour suivre la tradition japonaise ! Et quand je lui ai expliqué pourquoi c’était très exactement le contraire, il m’a répondu « Ok, amusez-vous bien ! » Alors bon, dans ce cas précis, on va dire que ce n’est pas tant un manque de respect des joueurs qu’un bête cas de flemme ; ils avaient après tout plein d’autres problèmes bien plus graves à régler sur le moment dont je n’avais moi-même pas encore conscience à ce stade. Et puis cela reste un petit jeu indé néorétro, développé par presque une seule personne. Ce n’est pas… Dark Souls Remastered.
Je me faisais pourtant une joie de découvrir enfin le jeu avec lequel tout le monde me (dark) saoule, mais j’ai déjà été refroidi comme beaucoup par le test réseau mis en ligne quelques semaines avant sa sortie (retardée) sur Switch. Déjà parce que c’était très difficile (même pour la série) car la zone proposée n’était pas du tout au début de l’aventure, mais aussi parce qu’en plus de problèmes de son (autre point de crispation de cette version), les boutons de menu étaient donc inversés ; ce n’était pas forcément bienvenu dans un titre de base délicat à prendre en main… Mais là où on est à la limite du trolling, c’est qu’il propose un grand nombre d’options pour configurer les contrôles, suivant plusieurs onglets dont un dédié aux menus justement. Sauf que les lignes concernant A et B pour annuler et confirmer sont… grisées. Beaucoup se sont plaints, y compris ceux qui avaient l’habitude de jouer à la série sur consoles Sony et Microsoft figurez-vous, pour la bonne et simple raison que la mémoire musculaire est encore une fois liée à une plateforme donnée. C’est quand les conventions changent d’un jeu à l’autre sur une même machine, voire d’un jeu au menu de cette machine, que cela devient perturbant. Hélas, j’ai commis l’erreur de croire ceux qui affirmaient que l’option serait disponible dans la version finale…
Nintendo Life a même réalisé une vidéo sur le sujet, certes parodique pour ironiser sur les proportions que cette affaire a prises, mais cela prouve bien que je suis loin d’être le seul à être gêné. J’ai même fini par envoyer un mail à Bandai Namco qui a répondu poliment que le problème serait pris en considération – il ne l’a pas été – puis à Nintendo qui a prétendu pouvoir ne rien faire n’étant pas l’éditeur… Ce qui est un peu fort de café quand on sait qu’un constructeur accompagne ses kits de développement d’un certain nombre de guidelines à respecter – même le guide de l’Atari Jaguar contenait des recommandations sur l’utilisation des boutons ! Il est clair que le constructeur s’est énormément adouci en la matière depuis quelques années et en particulier avec la Switch mais, même s’il faut savoir aussi respecter les choix des développeurs, on ne parle ici que des menus et From Software est un studio japonais ; il y a fort à parier que la version originale du jeu sur PlayStation 3 suit la convention japonaise. C’est donc décevant de la part de Nintendo qui place d’habitude le confort avant beaucoup de choses… J’ai fini par contacter le développeur du portage, Virtuos, qui ne m’a pas répondu, mais j’ai eu une petite vengeance via un sarcasme bien accueilli en commentaire d’un article vantant ses mérites !
Alors bien sûr je pourrais, comme la plupart des joueurs j’imagine, faire l’effort de m’habituer à cette incongruité ergonomique, mais comme je n’ai de toute façon pas vraiment eu le temps d’y jouer depuis, j’en profite pour poursuivre mon boycott. Pourquoi devrais-je me faire violence alors qu’ajouter l’option d’échanger les boutons serait enfantin – je pourrais sans doute la programmer moi-même si on me donnait le code source… Ce qui m’agace davantage, ce sont ceux qui font semblant de ne pas comprendre ou affirment qu’on est censé se plier à la « majorité » suivant un calcul simpliste : Microsoft + Sony > Nintendo. Ce qui non seulement oublie les utilisateurs de PlayStation japonaises, mais aussi la 3DS qui était encore active il y a peu. Or si l’on raisonne en parc installé, d’après mes calculs approximatifs car les constructeurs ne communiquent pas tous sur leurs chiffres, on arrive à une majorité pas si écrasante de 53% pour la convention occidentale… Encore une fois il y a bien plus grave, mais c’est quand même dingue de constater qu’une décision prise il y a vingt-cinq ans a encore aujourd’hui des conséquences insoupçonnées à l’époque ! Rien de tout cela ne serait arrivé si un employé de Sony of America (je suppose) n’avait pas fait du zèle en estimant qu’il fallait impérativement inverser les commandes pour l’Occident.
Si seulement il s’était abstenu…
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