SHANTAE AND THE SEVEN SIRENS
Windows, Apple Arcade, Xbox One, PlayStation 4, Switch
Catégorie : action/aventure
Joueurs : 1
Développeur : WayForward
Éditeur : WayForward
Date de sortie : 28/05/2020, 04/06/2020 (Switch)
Prix : 24,99 € (PC), 27,99-29,99 € (consoles)
Site Officiel : https://wayforward.com/shantaesevensirens/
(testé sur PS4, Vita – via remote play – et Switch)
« T’as fait le bon choix » (Leslie, 2002)
J’imagine aisément que vous savez que tout ce qui se passe dans ce monde, bon ou mauvais, mais surtout mauvais, est la faute à le grand complot. L’hydroxychloroquine, la GX4000, le design de la PS5 et le classement de l’OL en ligue 1 cette saison (ou de Sedan en Nationale 2, selon votre niveau de hardcore en football français), c’est la faute au grand complot. Et la particularité des événements ourdis de cette manière c’est que tout est lié. Alors bien entendu vous m’objecterez que, rétrospectivement, on peut tout relire à la lumière du complot mais ici, j’ai des preuves de ce que j’avance. Outre donc ce morceau de Leslie, que vous n’avez bien entendu pas oublié, vous savez ce qui date aussi de 2002 ? Shantae sur Game Boy Color. Et ouais, ah vous faites moins les malins, hein ? Et qu’est-ce qui est lié ici ? Eh bien le fait que je vais vous parler du cinquième épisode des aventures de la demi-génie (son père était complotiste et sa mère était un génie), épisode qui me semble-t-il opère un tournant historique, sans doute sous l’influence larvée de forces qui vous dépassent mais qui expliquent aisément que le monde tel qu’il est n’est pas celui qu’on croit… Enfin il parait, mais les gens n’en parlent pas trop parce que voyez-vous, ça dérange…
Retour-2-Go
Shantae est de retour mais cette fois-ci pas à Scuttle Town, ni sur Sequin Land, sa patrie, sa nation. Non, elle revient dans une toute nouvelle aventure sur une île de villégiature où elle a été invitée de toutes les autres demi-génies du monde connu, pour des vacances all inclusive pour elle et sa bande d’ami.e.s bras cassés – voire détachés du corps quand il s’agit de Rottytops, son amie zombie. Et tout ceci vous est introduit en une poignée de secondes dans une cinématique d’intro signée par le Studio Trigger à qui l’on doit des choses aussi peu marquantes en animation japonaise que Tengen Toppa Guren Ragan ou plus récemment Promare.
Et là, le ton est immédiatement donné sur deux niveaux : le jeu va aller à la vitesse de cette intro et rarement ralentir son rythme ; vous allez entendre un nombre incalculable de bêtises, carabistouilles et billevesées, dans la plus pure tradition de la saga. Ce qui veut aussi dire d’emblée que vous devez faire le jeu uniquement en version originale pour goûter la saveur unique de l’humour de la création de Matt Bozon. Les autres versions sont moins catastrophiques que dans l’épisode précédent – vous savez, celui sur Kickstarter, mais on va en reparler – mais entre les fautes de grammaire dans la langue de traduction et l’incapacité à traduire une excellente vanne dans une langue étrangère, les versions française, italienne ou que sais-je vont vous faire saigner du sang plus d’une fois. Juste un simple exemple, pour une raison que j’ignore tout à fait tant il n’y a aucune explication logique (mais peut-être que le grand complot va se terrer jusque là), les « Sirens » du titre sont nommées en VF des « ensorceleuses ». Alors ok, il y a en effet de l’ensorceleuse dans la sirène (et pas forcément l’inverse), mais pourquoi avoir été chercher midi à 16h46 (heure où j’écris ces choses-là) ?
Et c’est d’autant plus déraisonnable que cet épisode, à la différence majeure du précédent, n’est pas issu d’une campagne Kickstarter pour laquelle il manquerait quelques deniers pour utiliser un être humain pour la traduction du jeu, plutôt que Google Translate ou DeepL. D’ailleurs, on voit immédiatement sur la longueur que cet épisode est bien un projet mené de bout en bout, carré et cohérent, encore une fois pas comme le précédent. Ici, tout a été prévu, pensé et peaufiné pour offrir une expérience absolument Shantaesque et pas un peu montée de bric et de broc. De sa direction artistique impeccable en passant par son unité thématique, ses mécaniques de jeu et son rythme, on a bien là l’épisode le plus abouti de la série et de loin, très très très loin.
« Je suis et je resterai » (toujours Leslie, toujours 2002)
À l’exception donc du précédent volet ½ Genie Hero (testé par votre serviteur, tout est lié je vous dis), les Shantae avaient pour caractéristiques communes des choses aussi disparates qu’une héroïne qui fouette avec ses cheveux les ennemis, se transforme en divers animaux pour étendre le domaine ludique dans lequel elle se meut, une B.O. volontairement lo-fi et une écriture consciente. Alors attention, pas consciente dans le genre « rap conscient » et politique, mais conscient d’être un jeu. Le quatrième mur est toujours étonnamment perméable dans les Shantae mais ici, on a atteint un climax dès la cinq ou sixième minute de jeu. En effet, lors d’une discussion avec une autre demi-génie, Shantae révèle que sa magie à elle est de se transformer en dansant. Ce à quoi sa comparse répond « Tu te transforme en clef pour ouvrir des portes, des trucs comme ça ? » Alors là, deux solutions : soit Matt Bozon lit mes tests (j’y crois à mort, après tout c’est le grand complot) et ma façon d’envisager le jeu d’action/plateforme à progression non nécessairement linéaire ; soit Shantae a muté, l’air de rien. En effet, jusque-là, les Shantae étaient largement plus des proto-Metroidvania, voire des Wonder Boy-like qui basaient plus la progression sur la réussite de sessions de plateformes que sur la perception et la compréhension de puzzle environnementaux. Et désolé pour les fanatiques du complot mais je crois que la seconde hypothèse est la bonne. Artistiquement, on a de nombreux nouveaux ennemis qui rendent des hommages un peu trop appuyés à ce titre obscur qu’était Super Metroid (1994) et du point de vue de la progression, on a un canevas systématique ; on croise un PNJ avec un souci qui nous enjoint à l’aider, cela nous mène dans un nouveau biome, lequel révèle un donjon où se trouve une autre demi-génie qui nous donne une transformation laquelle étend le domaine ludique praticable pour permettre de résoudre le donjon, à sa sortie la demi-génie sauvée vous propose son pouvoir en échange d’une pierre que vous allez trouver en… croisant un PNJ avec un souci qui nous enjoint à l’aider, cela nous mène dans un nouveau biome lequel…

Le jeu tente dans son dernier tiers une nouvelle approche des quêtes en mode Dark World de A Link to the Past (1991) mais en version accélérée, avec toujours un dernier niveau en maxi best of des pouvoirs jusqu’ici acquis, et avec une part d’exploration plus importante. Shantae a choisi son camp et est devenu un objet moins exotique d’un point de vue générique – toujours selon Dominic Arsenault, lisez-le bon sang ! – mais fini comme rarement pour un jeu WayForward. Alors je ne vous dirais pas que les errements du système de téléportation de Risky’s Revenge (2009) ou les donjons semblables de The Pirate’s Curse (2015) me manquent mais la maîtrise de l’ensemble, le niveau de finition rendent l’expérience absolument « lisse ». Un jeu qui souffre d’une certaine forme de perfection, c’est étonnant, non ?
Four to the Floor, I was sure
Et le gameplay dans tout ça ? « Streamliné » lui aussi ! Rendu accessible et parfaitement pensé pour une progression toujours logique et balisée. En effet, par le passé, les transformations passaient par un pas de danse (une touche pour danser puis une direction) ; ici elles se lancent une fois que vous les avez et que le « milieu » dans lequel vous évoluez les nécessite. À l’exception de deux d’entre elles qui se lancent en appuyant sur les deux boutons de tranche – je t’ai aimé petite Vita mais ton dos tactile pour remplacer L2/R2, c’est nul, ça lag, ce n’est pas fait pour les jeux nerveux –, vous deviendrez une grenouille en tombant dans l’eau ou un crustacé qui perce les sols meubles en touchant… un sol meuble. Mais du coup, on fait quoi des danses ? Eh bien c’est une nouveauté, elles agissent comme des smart bombs de shoot ’em up en nettoyant l’écran des ennemis mais avec une touche élémentaire qui révèlera des dispositifs qui demandent de l’eau ou de l’air, ou de la visibilité. On retrouve les armes à distance qui s’achètent dans les différents villages de l’île (et non plus dans la ville hub unique jusqu’ici) ainsi que les améliorations de votre tignasse, mais on a en plus des améliorations passives sous forme de cartes qu’on récupère sur les ennemis ou en échangeant des « nuggets » pour que les objets de soins rendent plus d’énergie ou pour ramper plus vite – bref, pour personnaliser dans les moindres détails votre balade sur l’île.
Car oui, malheureusement, c’est une balade tant la difficulté est absente même des combats de boss. Trente secondes pour comprendre le pattern, cinq minutes à cogner ce sac à PV et c’est plié. Mais dans le mouvement d’ensemble quasi-supersonique qu’est le jeu (8h01 pour le plier la première fois, moins de 6h la seconde), ça permet au rythme de ne jamais retomber tout comme notre intérêt. Au final, on a vraiment très peu de choses à reprocher au jeu et des tas de choses à lui envier : beau, rapide, bien bâti, riche (trop même avec une carte peu utile dans la mesure où les endroits où vous pourriez vouloir repasser ne sont pas indiqués clairement) et malin. Un peu trop malin d’ailleurs, trop lisse. Pour autant, vous adorerez les sessions que vous voudrez bien lui accorder mais les souvenirs ne seront pas forcément immortels.
Verdict : Épisode de la maturité pour la série, Shantae and The Seven Sirens est maîtrisé de bout en bout – peut-être même trop maîtrisé… Adorable certes, mais pas forcément inoubliable.