ÉDITO : Quand les consoles américaines se rebiffent, épisode trois

L'Atari VCS, la Coleco Chameleon et l'Intellivision Amico

Après la Coleco Chameleon et l’Atari VCS dans les première et deuxième parties, on s’attaque comme promis à l’Amico dans la suite de notre dossier consacré aux comebacks des consoles américaines pré-NES. Et autant prévenir tout de suite : cette troisième partie est encore un peu plus longue que les deux précédentes, alors qu’elle ne traite que la moitié de son sujet, puisqu’il y en aura une quatrième dans un mois. Il faut dire que la console a été annoncée de manière informelle au printemps 2018, et cela fait donc déjà plus de quatre ans que ce feuilleton dure… En outre, il nous semblait indispensable de commencer en brossant un portrait rapide de Tommy Tallarico, tant l’ex-président d’Intellivision Entertainment a joué un rôle fondamental dans cette aventure. Et cela nous semble d’autant plus utile que ceux qui le connaissent ont encore tendance à lui attribuer à tort certaines de ses réussites. Or le compositeur prétendument prolifique, cocréateur du Video Games Live, pourrait bien se révéler une figure du jeu vidéo aussi sombre qu’un Billy Mitchell


Inintelligible vision

Si INTV Corporation a fermé ses portes en 1990 après avoir écoulé environ 500 000 exemplaires supplémentaires de l’Intellivision et avoir produit vingt-et-un nouveaux jeux pour celle-ci, il faut ensuite attendre 1997 pour que Keith Robinson et Stephen Roney, deux anciens de Mattel, récupèrent la marque et le catalogue de la console. Dans les faits, Intellivision Productions va surtout la faire (sur)vivre à travers la compilation bien nommée (mais mal fichue) Intellivision Lives! et en donnant leur aval à quelques consoles plug and play… Ironiquement, fin mai 2015, Robinson s’associe avec un certain Mike Kennedy, pourtant occupé alors à préparer son ambitieux projet de Coleco Chameleon, pour financer via Kickstarter les jeux Intellivision Gen2, des remakes de classiques de la console de 1979 ! Pas très engageants, ils sont plutôt mal accueillis par les fans de la première heure sur AtariAge, et la campagne est un échec cinglant. Mais parmi ses contributeurs et fervents soutiens, on trouve le compositeur de musiques de jeu vidéo Tommy Tallarico… Or en juin 2017, Keith Robinson décède et moins d’un an plus tard, Tallarico annonce qu’il a non seulement racheté ses parts à sa veuve, mais qu’il compte lancer une console en tant que nouveau président de sa société, Intellivision Entertainment. Ce dont il rêvait depuis son plus jeune âge selon ses dires – on pourra au moins le croire sur ce point.

Tallarico show

Il est clairement impossible de parler de l’Amico sans évoquer son initiateur, Tommy Tallarico, tant il est investi et omniprésent dans ce projet, et tant il en constitue à la fois l’un des atouts mais aussi ce qui l’a probablement condamné… Ce prétendu cousin (au mieux très éloigné) de Steven Tyler, le chanteur d’Aerosmith, se présente lui-même comme « un Italo-Américain de la côte est avec un complexe de Napoléon », compensant sa petite taille par son ambition et son côté extraverti. Il s’autoproclame « légende de l’industrie » mais cette légende, il l’a parfois écrite lui-même, littéralement sur Wikipédia ou ailleurs. Selon celle-ci, il serait arrivé en Californie à 21 ans, sans le sou, devant dormir dans sa voiture sous un pont (comme tout bon troll) alors qu’il cherche du travail dans l’industrie du jeu vidéo. Trouvant un job de vendeur dans une boutique de musique, il aurait été « découvert » par un employé de Virgin parce qu’il portait un T-shirt TurboGrafx, et aurait ainsi été débauché comme testeur. Et ce n’est que le début d’une success story puisqu’il aurait travaillé sur pas moins de trois cents musiques de jeu vidéo depuis, obtenant ainsi (ou s’offrant selon les mauvaises langues) quelques records dans le livre Guinness…

Chanson interprétée en mai 1987, à comparer à la piste du même nom sur la bande originale de The Terminator (1993, Mega CD) :

Le souci, c’est que si sa société a en effet travaillé sur de nombreux jeux, ils ont parfois été pris en charge par ses employés. Par exemple, bien qu’EarthWorm Jim (1994) soit souvent cité comme l’un de ses principaux faits d’armes, c’est pourtant Mark Miller qui est crédité au générique du jeu ! Mais Tommy Tallarico expliquera plus tard que son assistant l’avait été pour de mystérieuses « raisons légales » et qu’il en est bien l’auteur. Soit. De la même manière, certains vont jusqu’à affirmer que l’une des bandes originales dont il est le plus fier, celle de The Terminator (1992) sur Mega CD, est en fait l’œuvre de Joey Kuras. Or s’il est vrai que ce dernier est bien crédité sur certaines pistes, Tallarico l’est pour d’autres et il est même assez facile d’en prouver la paternité puisqu’il y a recyclé plusieurs chansons de son groupe de jeunesse, Diamondz In The Rough – à moins qu’elles aient été écrites par les autres membres, bien sûr…

Mais le cas le plus controversé est sans doute celui de Metroid Prime (2002). Le jeu GameCube a connu un développement mouvementé, et on sait par exemple qu’il était initialement prévu sur Nintendo 64 et à la troisième personne, avant de passer à la vue subjective à la demande de Shigeru Miyamoto qui a quasiment tout fait recommencer depuis le début. Celui que Tallarico qualifie de « bon ami » aurait aussi estimé que le travail fourni jusque-là (son compris) n’était pas assez bon pour présenter le jeu au SpaceWorld de 2001, et a exigé que Retro Studios abandonne ses autres projets pour se focaliser sur celui-ci. Et c’est là où les versions divergent. Pour Tommy, il n’a pas été viré mais son contrat est « arrivé à son terme » et la version finale du jeu reprend tout ou partie de son travail ; ce serait donc un oubli ou une erreur s’il n’apparait pas au générique… Mais le sound designer qui lui a succédé cette fois en interne, Clark Wen, prétend qu’il n’y avait à son arrivée que deux ou trois sons d’armes créés, qu’il aurait « plus ou moins repris » ! Une version de l’histoire affirme que Tallarico ayant été payé, son travail était devenu la propriété du studio et celui-ci l’aurait simplement archivé sans s’en servir.

https://www.youtube.com/watch?v=GZfX_Fx6Kn0
Cette visite de la maison de Tommy Tallarico a été filmée dans le style de MTV Cribs mais n’a jamais été diffusée dans l’émission (contrairement à ce qu’il affirme)

Autrement dit, pour quelqu’un qui détient le record du nombre de musiques composées pour un jeu vidéo, il n’en a peut-être pas écrites tant que ça… Cela remonte sans doute à son enfance mais Tommy Tallarico a une véritable obsession pour les prix et autres accolades. Ce qui ne serait pas gênant s’il ne les listait pas sur des prospectus servant à convaincre des investisseurs. Comme par hasard, ils ne sont pas toujours faciles à vérifier, comme le fait qu’il aurait participé au concert devant le plus large public jamais réuni (plus de 700 000, c’est énorme), sans doute en Chine. Tallarico aurait aussi mentionné des dizaines de fois avoir remporté un Emmy, ce qui est a priori plus simple à identifier. Le candidat le plus probable serait un prix donné par une division locale des Emmys pour une émission à laquelle son co-animateur Victor Lucas a participé, mais même en supposant que Tallarico en ait aussi été, il n’est pas mentionné parmi les récipiendaires listés… Plus délirant encore, le musicien se présente parfois comme un membre du Hall of Fame des Yankees, quand bien même cette équipe de baseball n’en possède pas au contraire de son Fantasy Camp. Il a donc reçu une jolie bague parce qu’il a participé à cinq séminaires coûteux (cinq mille dollars chacun) destinés aux fans. Mais le plus pathétique pour tout gamer, c’est quand il a prétendu (à plusieurs reprises) avoir été le premier américain embauché pour travailler sur un jeu Sonic. Parce que c’était pour Sonic et le Chevalier noir (2009) et il est de notoriété publique que le deuxième épisode sur Mega Drive a été en partie développé aux États-Unis dix-sept ans plus tôt…

Demande-toi pourquoi c’est comme ça

En résumé, Tommy Tallarico passe son temps à au mieux embellir ses exploits, mais on peut même franchement le soupçonner d’être un menteur compulsif, ce qui permet de mieux comprendre de nombreux malentendus qui ont émaillé le parcours de l’Amico. Et pour ceux qui pensent que ce sont des petits mensonges sans conséquence, il faut savoir qu’il a déjà eu affaire à la justice américaine suite à des faits remontant à octobre 2009, de retour d’un concert Video Games Live au Brésil. Il a été arrêté après le passage des douanes pour avoir fait passer plus de cent mille dollars sans les déclarer, prétextant que le paiement du spectacle avait été fait en liquide du fait de la grève (avérée) des banques. Empêtré dans ses explications, il finit par coopérer et reçoit le soutien de ses proches (dont une lettre surréaliste rédigée par son père, alors que Tallarico avait 42 ans), mais il doit plaider coupable et reverser l’intégralité de l’argent à la justice pour éviter pire. Évidemment, on ne saura sans doute jamais ce qu’il s’est réellement passé, mais peut-être que des investisseurs lui auraient moins fait confiance s’il évoquait aussi cet épisode dans son CV…

On notera aussi que pour un compositeur censé être extraordinairement prolifique, il a été nettement moins actif en la matière dans les années 2000. Il faut dire qu’à partir de la deuxième moitié de la décennie précédente, Tommy Tallarico devient animateur TV en testant des jeux en duo avec Victor Lucas, Tallarico jouant clairement le rôle du « mauvais flic ». Il tape alors souvent sur Nintendo, critiquant l’aspect enfantin de ses jeux et a surtout agacé pas mal de joueurs américains pour avoir été très sévère avec Super Smash Bros. Melee (2001). Mais il s’est surtout fait connaître à une échelle plus internationale en 2002 en étant l’un des créateurs (mais pas le seul) des concerts Video Games Live, où il fait le guitar hero devant un orchestre souvent local qui reprend les thèmes de classiques du jeu vidéo. Or déjà, certains guitaristes professionnels se demandent s’il ne fait pas du playback, en particulier quand il lâche sa guitare pour prendre la pose après une note épique, et que la corde s’arrête de vibrer comme par magie ! Et même parmi les profanes qui ne connaissent pas le personnage, on peut lire énormément de témoignages de spectateurs se plaignant de sa tendance à raconter sa vie entre chaque morceau, et de se mettre trop en avant au détriment des autres musiciens… Il aurait par exemple reçu le même prix du livre Guinness au milieu de chaque concert d’une même tournée !

Mais l’année 2006 est à l’origine de deux épiphanies pour Tommy Tallarico. Elle est déjà marquée par la sortie du livre Le Secret de Rhonda Byrne, ouvrage s’inscrivant dans le courant religieux « la Nouvelle Pensée » et qui explique qu’il suffit de croire très fort en son objectif pour qu’il se réalise… On ignore s’il l’a découvert dès sa publication mais, cette année-là, Tallarico est aussi l’un des trois experts de l’industrie (aux côtés du désormais célèbre Michael Pachter, gros soutien de l’Amico en passant) invités par Geoff Keighley pour parler du tournant audacieux pris par Nintendo avec la Wii. S’il se dit toujours fan de PlayStation aujourd’hui, il est évident qu’il s’est bien adouci depuis cette époque où il affirmait que les beaux graphismes étaient tout aussi importants pour les joueurs casual… Mais on peut déjà sentir le choc qu’a été pour lui de réaliser que la Wii pourrait être la première console à laquelle sa mère voudrait jouer. Forcément déçu par une Wii U plus gamer et qui réservait l’écran à la manette d’un seul joueur, il s’est donc mis en tête d’offrir au monde le vrai successeur de la Wii, quand bien même cela reste un défi très relevé – même pour Nintendo. Quel rapport avec l’Intellivision me demanderez-vous ? Eh bien de même que la Wiimote se transformait en manette NES tenue à l’horizontale, Tallarico cherche (en partie) dans les classiques du début des années 1980 des concepts de gameplay accessibles au plus grand nombre. Mais ce n’est effectivement pas si évident pour tous, et c’est bien ce qui va créer le premier gros malentendu dont a été victime l’Amico.

Ce serait quelque chose, pas vrai ?

C’est donc fin mai 2018 que Tommy Tallarico lance le site web d’Intellivision Entertainment, et annonce son intention de sortir une nouvelle console avec la complicité de Stephen Roney (le partenaire de feu-Keith Robinson) et Bill Fisher, un autre vétéran de l’époque Mattel. Mais il est alors question de donner plus de détails en octobre, et le premier communiqué fait plutôt l’erreur de rafraichir la mémoire des joueurs sur l’Intellivision de 1979, en rappelant qu’elle a été à l’origine de nombreuses « premières » (première console 16-bit (*), premiers jeux en téléchargement, première publicité comparative, etc.). Erreur parce que la console de Mattel est à peu près l’opposé de ce que cherche à accomplir Tallarico ; très chère pour l’époque, elle jouait la carte du « réalisme » et de la puissance par rapport à sa rivale, l’Atari 2600… Mais finalement, il n’attendra pas octobre et donnera les premières informations début juillet dans un podcast, première d’une longue série d’interviews-fleuves. Les bases sont déjà là : deux manettes par console, équipées d’un disque de contrôle comme l’originale mais modernisées avec un écran tactile en lieu et place du pavé numérique (qui accueillait à l’époque un overlay), des jeux à petit prix exclusifs et misant sur la qualité plutôt que la quantité, etc. Mais il y a aussi les premières promesses non tenues : des jeux uniquement en 2D (il fallait comprendre avec un gameplay 2D), pas de financement participatif, des jeux entre $3 et $7 (le maximum passera à $10 voire plus) et surtout une console bon marché qui ne doit pas dépasser $179 (elle coûtera finalement entre $70 et $100 de plus avant de voir son prix exploser encore en 2022). Et ce qui accentue encore le malentendu, c’est que c’est lors d’une convention rétro, la Portland Retro Gaming Expo, que l’Amico est dévoilée en octobre 2018…

Cela sera confirmé près de quatre ans plus tard via la fuite de documents destinés aux investisseurs, mais Tommy Tallarico utilise le « marketing évangéliste » qui consiste à cibler un public d’abord restreint (les vieux retrogamers) pour en faire de futurs ambassadeurs de la marque – une stratégie qui aurait pu être efficace si les personnes en question avaient été de vrais influenceurs… On les brosse donc dans le sens du poil en promettant « un processeur graphique spécialisé dans la 2D », en critiquant DLC et autres tares du jeu vidéo moderne, et en annonçant des remakes de nombreux classiques Intellivision, mais aussi Atari et Imagic – autrement dit des jeux qui ne parleront pas aux moins de 45 ans. De l’avis général, la présentation n’a pas déchaîné les foules, peut-être parce que le fait que les jeux soient uniquement en téléchargement ou qu’une application smartphone puisse remplacer la manette va franchement à l’encontre du message… Le public n’est peut-être pas impressionné non plus par le name dropping des membres de l’équipe, avec un Scott Tsumura méconnu même des retrogamers et une Perrin Kaplan qui a certes vécu la période faste de Nintendo, mais qu’on ne reverra plus jamais associée à l’Amico. Ah, et autre promesse qui ne sera pas tenue : la date de sortie, prévue le 10/10/2020. Mais pour l’heure, Tallarico ne s’avoue pas vaincu et passe à la seconde phase de sa stratégie de séduction des vieux ronchons, en février 2019.

En effet, du jour au lendemain, alors qu’il dit avoir consulté jusque-là les forums en simple lecteur, Tommy Tallarico envahit littéralement AtariAge. Il répond à chaque publication où l’Amico est citée, une par une, sans profiter de la possibilité de mentionner plusieurs messages dans un seul… Mais il crée aussi son propre sujet pour répondre aux questions et surtout « corriger les erreurs des personnes mal informées ». Son enthousiasme est indéniablement contagieux et une partie des membres est clairement flattée d’être en présence d’une « légende de l’industrie » qui n’hésite pas à complimenter (« Tu as mis 100% dans le mille ! »), ou faire miroiter à chacun que son jeu préféré est peut-être lui aussi dans les cartons – « ce serait quelque chose, pas vrai ? » Mais d’autres sont clairement agacés qu’Albert Yarusso laisse ce bonimenteur vendre sa camelote sur le forum qu’il a créé il y a plus de vingt ans déjà… Certains se sont demandés si ce n’était pas toléré de peur de représailles concernant la production de jeux homebrew (donc officieuse) sur Intellivision ; Tommy s’y déclare favorable mais a déjà interdit la distribution de T-shirts pour une convention, ayant de son côté pas mal de camelote en vente sur sa boutique. Quoi qu’il en soit, l’Amico a parmi ses plus ardents défenseurs le modérateur affecté au sujet en question (et à la section créée en février 2021 alors que la console n’est pas encore disponible). Et ce dernier finira même par avouer qu’il avait tendance à en bannir « par précaution » les nouveaux venus suspectés d’être des haters, quitte à inverser sa décision plus tard s’il reconnaissait s’être trompé – ce qui n’est pas arrivé semble-t-il… Ainsi, pas mal de fortes têtes ont été éjectées du sujet, parfois juste pour avoir réagi avec le mauvais émoticône à un message, voire mises « en probation » – tous  leurs messages doivent être validés par un modérateur – y compris des piliers d’AtariAge bien déçus de ce revirement d’un modérateur autrement plus sceptique à l’époque de la Coleco Chameleon et de l’Atari VCS… Autant dire que pas mal d’entre eux n’ont pas renouvelé leurs éventuels abonnements au forum.

Plus de 10 modèles de T-shirts disponibles sur la boutique Intellivision
Il y a sans doute plus de modèles de T-shirts que de prototypes fonctionnels de la console

Il faut dire que, bien qu’il prétende le contraire, Tommy Tallarico supporte très mal la critique, même respectueuse. Ce que peu de gens savent alors, c’est que le compositeur a un sérieux passif de forumeur agressif, accusant déjà les autres d’être des « nazis communistes » dès 2002 ! Et ce n’est pas uniquement sur les forums qu’il répond à tous les sceptiques, mais aussi aux commentaires sur YouTube, sur les réseaux sociaux ou par vidéo interposée… Lorsqu’on lui fait remarquer sa brutalité, il prend pour prétexte ses « origines » d’Italo-Américain de la côte est, et traitera de raciste quiconque ironisera sur cette excuse. Quand on pointe ses erreurs, il prétend souvent « avoir fait exprès », même quand il s’agit d’évidentes fautes de frappe. Mais l’exemple le plus flagrant est arrivé lorsqu’il a été filmé en train de jouer à Finnigan Fox (un portage du jeu d’action/plateforme Fox ‘N Forests dont le pixelart signé Henk Nieborg a été saccagé pour justifier l’exclusivité) et que du lag a été repéré par les joueurs. Tallarico a alors prétendu avoir volontairement tenu la manette à l’envers – on pensait pourtant que son orientation se réglait automatiquement – « pour troller les haters »… Parmi ses détracteurs, sa Némésis est sans hésitation le duo formé par Ian Ferguson et Pat Contri, animateurs du Completely Unnecessary Podcast (CUPodcast). Ils ont en effet eu le malheur, dans la première émission dont ils ont consacré un segment à l’Amico, de se tromper dans le prix de la machine, donnant ironiquement le tarif qu’elle affichera au final. Tallarico leur répondra dans une longue vidéo où il les invite à tester la console chez lui, ce qu’ils refuseront contrairement à d’autres qui ont même parfois investi dans le projet. Le souci est qu’il n’est pas parvenu à attirer dans son camp les vloggeurs rétro les plus renommés (John Hancock, Metal Jesus), devant se contenter de petits YouTubeurs qui ont vu dans la machine, et la controverse qu’elle suscite, l’occasion de grappiller quelques abonnés… Du reste, on ne peut pas dire que Tallarico ne leur renvoie pas l’ascenseur, ce « super dormeur » qui ne dort que quatre heures par nuit multipliant les interviews et podcasts au long cours. Or le souci est qu’il parle trop, fait des promesses sur lesquelles il sera obligé de revenir, et donc de se justifier. Et surtout, contrairement à ce qu’il pense, le grand public peut se montrer bien plus impitoyable qu’une poignée de retrogamers nostalgiques…

Trois milliards de joueurs

Mais pour l’heure, quand Intellivision Entertainment est présent à l’E3 2019, son stand est fermé au public et seules quelques personnalités de l’industrie et de la scène rétro sont invitées à essayer la machine. Les retours semblent positifs quoique discrets. En revanche, l’ami Dean Takahashi profite de l’occasion pour publier un article dans lequel, hormis l’annonce de cinq coloris (dont le GTO Red qu’on ne reverra quasiment plus), Tommy Tallarico révèle que pas moins de sept studios bavarois développent onze des jeux de la console, histoire de profiter des subventions locales… Et il faut donc attendre la germanique Gamescom en août pour en avoir un premier aperçu. Cette présentation est incroyablement représentative du style Tallarico, puisqu’on le voit parler près de deux minutes alors que moins de vingt secondes sont dévolues à dix-sept jeux, accompagnés d’une musique pas vraiment casual. Pas de pixelart, Tallarico prétendant vouloir éviter que le public croie que l’Amico est une console rétro, mais on y voit pourtant une grande proportion de remakes (alors qu’ils ne sont censés constituer que 20% de la ludothèque) à la réalisation majoritairement 3D digne de jeux mobiles… Et pas le moindre aperçu du nouvel EarthWorm Jim alors que son programmeur David Perry fait partie de l’équipe.

On y voit aussi sa fameuse théorie des « trois milliards de joueurs » selon laquelle les trois gros constructeurs de consoles ne se disputeraient que quelques centaines de millions de clients. Or la difficulté que Tommy Tallarico prétend pouvoir surmonter est de vendre une console à un public qui n’en achète pas, et qui n’irait même pas dépenser de l’argent pour un jeu… Il s’est gargarisé en partageant sur AtariAge la liste des jeux les plus joués, faisant certes remarquer judicieusement que beaucoup de titres qui y figurent sont totalement inconnus des hardcore gamers, mais il semble oublier que la plupart sont aussi gratuits. Il a de toute façon réponse à tout, fait valoir les 600 ans d’expérience cumulés de son équipe, tout en évoquant de nombreux (mais mystérieux) tests utilisateurs qui lui donneraient raison – quand bien même ce genre d’enquête est délicate et qu’il est facile de lui faire dire ce que l’on souhaite. Tallarico a aussi beau rappeler que le cornhole (*) est devenu un sport très populaire aux États-Unis, et que la simulation intégrée dans l’Amico offre bien plus de contenu que WiiSports (qu’il qualifie de « démo technique »), il oublie là encore qu’il est autrement plus facile de s’adonner chez soi au cornhole qu’au bowling, y compris en intérieur… De même pour les jeux de cartes et de dés (Farkle fait aussi partie des jeux inclus) et on ne parle même pas de l’aspect très américano-centré d’une bonne partie de la ludothèque de la future console.

Fin janvier, les précommandes sont ouvertes pour les 2600 (!) exemplaires de la Founders Edition qui reprend le look doré et imitation bois de la console d’origine. S’ils partent tous rapidement semble-t-il, cette prévente cause des remous, déjà parce que certains y voient une forme de financement participatif puisqu’un acompte de $100 (cependant remboursable à tout moment) est nécessaire. Mais surtout, même s’il s’agit d’une édition spéciale accompagnée de goodies, elle coûte $299 alors que la console ne devait pas dépasser $179… Et cette hausse, l’Amico ne s’en remettra jamais vraiment. L’excuse que brandit Tommy Tallarico, selon laquelle la grande distribution aurait elle-même conseillé un tarif élevé pour éviter l’image d’une console plug and play bas de gamme, ne passe pas. En critiquant la Wii U qui limitait son GamePad à un seul joueur, Tallarico a peut-être négligé qu’il aurait coûté bien trop cher vendu séparément. En voulant proposer des manettes dotées en standard d’écran tactile, il pouvait certes exploiter des idées seulement effleurées par la Dreamcast et son VM ou la connectivité GameCubeGBA, mais en faisant le choix final d’un écran capacitif, la note a grimpé… D’autant que l’Amico est censée être la première console à être vendue avec deux « vraies » manettes depuis bien longtemps, Tallarico jugeant les Joy-cons insuffisants.

Et depuis les « fuites » du site dédié aux développeurs dévoilées par Ars Technica fin juin 2021, on comprend mieux les difficultés techniques que pose ce contrôleur. Les ingénieurs de Nintendo avaient dû se creuser la tête pour limiter le lag sur Wii U puisque les commandes sont envoyées à la console, qui diffuse en retour un flux vidéo au GamePad. Le système employé par l’Amico évoque plus une sorte de navigateur web s’affichant sur l’écran tactile, et le hardware limité des manettes (1 Mo de RAM) explique sans doute les retards dans l’affichage qui seront observés par la suite… Et c’est vraiment dommage car si le nouvel EarthWorm Jim n’est qu’au stade de l’animation publiée sur Twitter en janvier 2020, certains jeux comme le nouveau Breakout de Choice Provisions ou le Night Stalker revu et corrigé par Mike Mika sont plutôt prometteurs :

Le vrai marketing n’a pas commencé !

En mars 2020, alors que Microsoft et Sony sont en pleine guerre de communication et que la France est sur le point de se confiner, Intellivision Entertainment annonce de nouveau des précommandes pour la fin du mois, mais cette fois pour l’édition VIP qui coûtera $249 en blanc ou en noir, et $279 pour la version or et imitation bois – sans les goodies de la Founders Edition bien entendu… Le communiqué est accompagné d’une bande-annonce où apparaissent pas moins de vingt-trois jeux, mais elle ne convainc de nouveau qu’une certaine frange de retrogamers nostalgiques de l’ère pré-NES. Il faut se souvenir qu’à l’époque de la Wii, Nintendo imposait que les captures d’écran et vidéos soient accompagnées d’images montrant les joueurs pour mieux faire comprendre cette « nouvelle façon de jouer ». C’est ainsi qu’on a droit fin mars à des vidéos de ce genre pour le remake de Missile Command et pour SideSwipers (un jeu de voitures rebrandé Hot Wheels par la suite), mais cela reste bien insuffisant. De manière générale, le débit d’informations va franchement s’amoindrir avec la pandémie, et il faudra souvent se contenter d’annonces peu excitantes, surtout d’un point de vue européen, comme l’acquisition des licences de la Major League Baseball, du cascadeur des années 1970 Evel Knievel et de l’American Cornhole League. Et ce, alors qu’on commence à sérieusement douter qu’il y ait un E3 pour dévoiler tous les mystères qui entourent encore la console, en particulier le « Karma Engine » censé adapter la difficulté de chaque joueur individuellement pour plus d’équité, ou le système breveté d’éditions physiques…

J Allard

En revanche, Tommy Tallarico promet une annonce fracassante censée bouleverser l’industrie et faire taire les détracteurs. Le communiqué tombe en mai 2020 et indique que J Allard, le créateur de la première Xbox (et l’un des artisans du Xbox Live Arcade, mais pas grand-chose d’autre depuis côté jeu vidéo), rejoint Intellivision Entertainment en tant que Global Managing Director ! Or non seulement beaucoup avaient deviné l’identité de cette nouvelle recrue à force de teasing appuyé, mais celui-ci ne se montrera jamais et pour cause : il n’y est pas resté bien longtemps… Début 2021, Tony de The Geek Gataway, l’un des principaux « haters » de l’Amico (*), découvre la disparition de toute mention de la société sur son LinkedIn, puis GeekWire apprend début mars 2021 qu’Allard était en fait partie au bout de quelques semaines, durant l’été 2020 ! Il a notamment participé à un podcast en marge de la Gamescom fin août avec une partie de l’équipe où il a bien du mal à en placer une. « Pas de drame, mais ça ne collait tout simplement pas » déclarera-t-il plus tard à GeekWire. Confronté à ses mensonges, Tallarico a minimisé en prétendant qu’il n’avait jamais été un employé, seulement un « consultant » pour la réalisation de l’interface de l’Amico. Néanmoins, cela a tout de même incité le SEC, l’organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers, à exiger de la plateforme Fig une clarification sur le rôle qu’Allard a réellement joué dans le développement de la console, puisqu’il est évident que ce nom prestigieux a probablement motivé des investisseurs…

Il était donc a posteriori bien normal que le père de la Xbox n’apparaisse pas lors de l’Amico Special Event diffusé début août 2020. Intellivision Entertainment avait essayé de préparer le buzz avec deux teasers rigolos (ici et ), qui faisaient d’ailleurs déjà douter qu’elle n’ait alors pas encore dépensé « le moindre centime » du budget marketing, comme le répétait encore Tallarico récemment. Mais hélas, ce Nintendo Direct en moins maîtrisé et bien plus long a été décalé d’un jour à la dernière minute, sans prévenir Eurogamer qui en a donc évoqué tout le contenu avant même sa diffusion ! La raison invoquée pour ce report était d’intégrer un aperçu (pourtant concis) du nouveau EarthWorm Jim, mais celui-ci aura créé plus de remous qu’autre chose du fait de l’implication de l’équipe d’origine, en particulier le très controversé Doug TenNapel. Au moins l’émission a eu le mérite de mettre davantage en valeur les développeurs bien que Tallarico y soit évidemment omniprésent, versant la larmichette à l’annonce du (premier) report de la console à avril 2021, le 10 octobre initialement prévu marquant l’anniversaire de sa défunte sœur… Heureusement, ce retard n’a pas attristé son petit harem de groupies sur AtariAge, convaincus que ça allait bien entendu rendre l’Amico encore meilleure (<insérer une citation attribuée à tort à Shigeru Miyamoto>).

Pour s’excuser du retard, un stream spécial est justement diffusé le 10 octobre 2020. La première partie évoque le hardware de l’Amico mais surtout la soixantaine (!) de LEDs incluses dans la console comme ses manettes, tandis que la seconde montre encore les jeux, mais rien de bien nouveau hormis quelques remakes de plus… Cela dit, une démo PC de celui de Breakout (1976) est diffusée pour une durée limitée, et elle se montre plutôt convaincante. Mais alors que cet hiver-là, humiliation suprême, l’Atari VCS sort bel et bien quoiqu’au compte-goutte, un nouveau report est annoncé fin février, la console retrouvant ainsi sa date de sortie du 10 octobre mais en 2021 au lieu de 2020, donc. Dans la vidéo dédiée, Tommy Tallarico a cette fois eu la bonne idée de s’entourer de son équipe, mais prendre la pandémie comme seule excuse passe de moins en moins ; beaucoup d’activités ont alors déjà repris et la majorité des jeux sont de toute façon développés par des studios externes. Or rien ne semble prêt, hardware comme software. Et plus le monde va émerger de la pandémie, plus les problèmes vont se multiplier pour Intellivision Entertainment

Tu ne critiqueras point

Il y a déjà, début mai 2021, un article d’IGN Middle East qui a pu essayer la machine via les bureaux d’Intellivision Entertainment à Dubaï. Celui-ci est plutôt optimiste, mais c’est là qu’on repère le problème du retard d’affichage sur l’écran tactile de la manette, illustré par une vidéo embarrassante. Tommy Tallarico est donc contraint de se lancer dans une opération de damage control, et la publication a disparu depuis… Mais cela cause un véritable « effet Streisand » où plus on essaie de cacher les choses, plus elles se voient. Tallarico n’aura de cesse de faire dire par la suite à tous ceux qui testent la console qu’il n’y a pas d’input lag, quand bien même le retard n’est pas tant entre la manette et la télévision qu’entre le contrôleur et son propre écran ; on verra plus tard une vidéo du remake de Bomb Squad (1982) dans laquelle, lorsque l’on coupe un fil sur l’écran tactile, le résultat est reflété d’abord sur la télé et quelques secondes plus tard sur l’affichage de la manette… On apprendra bien plus tard, en juillet 2022, que cette vidéo du jeu avait été publiée en mode privé par les développeurs précisément afin d’alerter Intellivision Entertainment des problèmes qu’ils rencontrent avec le hardware. Or même si le travail sur le jeu sera en effet suspendu peu après, un extrait de cette vidéo sera bel et bien montré dans la « conférence » de l’E3 2021

Car au moins, l’Amico y est présente mais, comme il s’agit d’une édition 100% en ligne, c’est au travers d’une courte présentation passée plutôt inaperçue le lundi au milieu des mastodontes de l’industrie. Elle aura quand même remporté le prix de l’émission « la plus surprenante » de l’évènement ! Mais elle a sans doute coûté cher contrairement, là encore, à ce que Tallarico prétend et il n’est pas sûr qu’elle ait apporté beaucoup en retour… Il faut dire que, si le patron d’Intellivision Entertainment semble davantage y assumer le côté rétro de sa console, public de hardcore gamers oblige, elle se fait globalement démonter par ces spectateurs impitoyables, malgré la seconde apparition d’un successeur spirituel d’Ecco the Dolphin (*)… Heureusement, les groupies permettent de monter une vidéo de réactions très positives au point d’en être embarrassantes. Car même pour celui qui attend la console avec optimisme, cette conférence mal éclairée montre encore beaucoup trop le compositeur, se vantant une nouvelle fois d’avoir inventé le son « oof ! » de Roblox ou montrant son selfie avec Stan Lee, au détriment des jeux.

Et puis avec ce public plus large, l’Amico est beaucoup plus scrutée qu’avant ; le journaliste Sam Machkovech d’Ars Technica étale ainsi sur Twitter ce que certains avaient déjà repéré près d’un an plus tôt : l’utilisation de photos retouchées de familles qui s’amusent avec la console, pratique certes courante au stade du prototype, mais qui semble alors bien incongrue pour une machine censée sortir dans moins de quatre mois ! L’historien Frank Cifaldi surenchérit en notant qu’il y a beaucoup d’autres choses bien plus louches entourant la console, comme son financement via Fig et Republic (avec en plus l’implication du business angel sulfureux Neil Patel), et surtout que pas grand-chose n’a changé en deux ans ; Intellivision Entertainment diffuse en effet peu après une nouvelle bande-annonce, étrangement similaire à celle publiée deux ans plus tôt. Mais ce mois de juin 2021 devient un véritable cauchemar lorsqu’un portail web dédié aux développeurs, censé être confidentiel, est découvert totalement par hasard puisqu’il est référencé par un moteur de recherche ! Et non seulement il lève le voile sur les spécifications de la machine et de ses manettes qui s’avèrent bien limitées, mais il comporte tout un tas de conseils aux développeurs rappelant parfois la maladresse d’un Mike Kennedy (éviter les bugs, mettre de l’humour dans les jeux, etc.).

Les dix commandements du game design pour Intellivision Entertainment

Ils font souvent référence aux fameux « dix commandements » de game design de l’Amico, dévoilés en octobre 2019 mais modifiés à plusieurs reprises et surtout rarement respectés dans les faits, en particulier concernant l’exclusivité des jeux. En effet, nombreux sont les titres (Evel Knievel, Dynablaster, etc.) empruntés à d’autres supports mais maquillés avec l’ajout de nouveaux modes ou une refonte graphique pour en faire des « versions exclusives » à la console… Sam Machkovech tire de cette fuite un article accablant qui va bien entendu pousser Tallarico hors de ses gonds ; ce dernier menacera le journaliste de poursuites judiciaires mais, bien que les captures du portail aient été supprimées de l’article par la suite, il sera contraint de s’excuser d’une manière encore très maladroite, fautes d’orthographe comprises. Nouvel effet Streisand avec ce tweet clash qui attire d’autant plus l’attention de manière négative sur la console, alors que son hardware modeste n’a rien d’une surprise et gagnerait à être assumé plutôt que caché. Tommy Tallarico tentera aussi un mea culpa dans une interview-tribune donnée à Nintendo Life, site dont le précédent article sur l’Amico était pour le coup moqueur mais qui a perdu beaucoup de crédibilité journalistique avec ses nombreux papiers célébrant la Polymega, une autre console rétro à la genèse bien difficile… Celui qui affirmait que la Switch n’est pas une console familiale, à cause des nombreux jeux dépeignant torture et pédopornographie sur son eShop – il en a publié « la preuve » dans une publication sur AtariAge qui n’avait pas été supprimée bien qu’elle enfreigne les règles du forum – essaie à présent d’arrondir les angles et reconnait même « qu’éviter les clashes sur Twitter est un domaine dans lequel [il devrait] s’améliorer. » Pourtant, quelques jours après, il s’en est pris au très respecté Frank Cifaldi sur ce même réseau social, l’accusant d’être jaloux de sa réussite…

Suite et fin dans l’épisode quatre !

Un grand merci à tous ceux qui nous soutiennent sur Tipeee
Mon recueil de nouvelles Torpeurs est disponible

Lien Permanent pour cet article : https://mag.mo5.com/231364/edito-quand-les-consoles-americaines-se-rebiffent-episode-trois/