Fin novembre, on apprenait l’arrivée en 2023 d’un visual novel néorétro basé sur le récent manga Omega 6 de Takaya Imamura, mais on n’avait pas relayé immédiatement l’information car l’on savait qu’on allait en apprendre davantage à l’occasion d’une conférence organisée par Omaké Books. Mais surtout, comme à son habitude quand il rencontre les grands noms du jeu vidéo japonais tels que Yoshihisa Kishimoto, Hironobu Sakaguchi, Satoru Okada ou encore Tomohiro Nishikado, notre ami Florent Gorges nous a tout de suite proposé de demander à l’ancien directeur artistique de Nintendo s’il accepterait d’être intronisé membre d’honneur de l’association. Florent nous a également invité à l’une des conférences qu’il organisait en France avec M. Imamura et notre reporter de choc sseb22 s’est donc rendu sur place et vous en propose le compte rendu ci-dessous, qui revient en détail sur sa carrière que nous avons synthétisée pour le communiqué.
Guillaume Verdin, rédacteur en chef
Conférence de M. Imamura, ancien directeur artistique chez Nintendo, pour la sortie de son premier manga OMEGA 6 chez Omake Books
Dans le cadre de sa petite tournée française (Paris et Toulouse) organisée par Omaké Books, son éditeur, Takaya Imamura a donné une conférence à l’Espot le 2 décembre dernier, au centre de Paris, lui permettant de revenir sur ses trente ans de carrière chez Nintendo et présenter son premier manga, Omega 6.
Son enfance et ses inspirations
Takaya Imamura est né dans la préfecture de Nara, au Japon. Il dessine dès l’enfance avec notamment un manga en quatre cases publié dans le journal de l’école. Durant cette période, il voulait devenir mangaka, notamment car son père était mangaka et dessinait déjà des « 4 cases ».
Parmi ses influences, il cite de suite Star Wars qui a changé sa vie et dont il a vécu la folie qui s’était emparée du Japon. Il en a été fan pendant des années. C’est ainsi qu’il a reproduit vers quatorze ans les images qui se trouvaient dans un album de musiques des films. Il était alors dingue de cinéma hollywoodien (E.T., Gremlins, Steven Spielberg) et de science fiction (d’où les influences flagrantes dans Omega 6).
Avant d’entrer chez Nintendo, il a fait des études d’arts à l’université internationale d’Osaka. À l’époque, il n’y avait bien sûr pas d’ordinateur, uniquement du dessin à la main. En troisième année d’université, il apprend qu’un ami a été embauché chez Konami. Fan de jeu vidéo (il possédait des Game and Watch et jouait sur Famicom), il a connu à la fac le boum occasionné par Super Mario Bros. en 1985. M. Imamura connaissait donc le jeu vidéo mais pendant ses études, il n’avait pas fait le lien entre le dessin et le jeu vidéo. En effet, il pensait que c’était purement de l’informatique et que seuls des programmeurs pouvaient travailler dans ce milieu. À cette époque, il n’avait jamais vu un clavier d’ordinateur. Personne autour de lui n’en possédait. Il pensait devenir chara designer dans l’industrie du jouet (notamment pour créer des robots).
Mais le recrutement de son ami lui ouvre les yeux et il envoie alors des lettres de candidature à Nintendo et Konami. Les tests et examens d’embauche chez Konami se déroulaient dans un bâtiment flambant neuf alors que Nintendo, une société qui venait de fêter ses cent ans, disposait de locaux vieux et délabrés malgré leur position de leader. L’embauche se fait en plusieurs étapes et il a choisi Nintendo car ils ont répondu en premier et que sa mère l’a poussé à intégrer Nintendo.
Lors d’un des entretiens, Shigeru Miyamoto lui demande quel est son jeu préféré. De peur de passer pour un lèche bottes, il répond Metroid. Pour ses films préférés, il répond Indiana Jones (parce que c’est un film réussi qui plait à tous les publics) et Brazil (car cela représente la volonté et la façon dont un artiste peut imposer sa vision). En guise de portfolio de présentation, il a apporté des dessins académiques et personnels avec notamment des planches d’un prototype de manga ressemblant déjà beaucoup à Omega 6.
La période Super Nintendo
Il entre chez Nintendo en 1989 et participe directement au projet F-Zero. C’est une énorme surprise et un honneur pour lui d’apprendre qu’il va travailler sur la prochaine console de salon de la marque. Il débute donc sa collaboration avec un mélange d’excitation et de peur de ne pas être à la hauteur.
En guise de préparation, il suit une formation pour dessiner en pixel art. Il découvre ainsi le mode 7, une sacrée sensation ! Grâce à cette formation, il apprend comment créer décors et personnages avec les contraintes techniques des consoles de l’époque : des sprites d’une trentaine de pixels de haut et uniquement en seize couleurs. Heureusement, à l’époque, les graphistes savaient utiliser les caractéristiques des écrans CRT pour apporter de la nuance dans les teintes.
Quand il débute sur F-Zero, il n’y a alors aucun personnage. On ne voit pas le pilote dans le véhicule. Malgré cela, il trouve que c’est dommage. Il en dessine donc plusieurs pour développer l’univers de F-Zero et l’équipe accepte de les intégrer. Sans ça, il n’y aurait probablement eu aucun personnage et rien d’autre que des véhicules sur la boîte. Et cela permettait ainsi au jeu de se démarquer des autres jeux de course, genre dans lequel il y avait à l’époque rarement des personnages et de développer aussi un peu l’univers du jeu. Dans le manuel, beaucoup de joueurs se souviennent de la présence d’une bande dessinée. C’est effectivement M. Imamura qui l’a dessinée mais ce sont les Américains qui l’ont finalisée et colorisée.
Le projet important sur lequel il a travaillé ensuite est Star Fox (1993). Entre les deux, il donne un coup de main pour rendre les boss d’A Link to the Past (1991) plus effrayants et conçoit ainsi la moitié d’entre eux.
Sur Star Fox, tout comme pour F-Zero, M. Imamura tient à ce qu’il y ait des portraits de personnages en 2D qui apparaissent à l’écran afin de compenser quelque peu la 3D très « low poly » – même par rapport aux standards de l’époque. De plus, il trouve qu’il y a un contraste intéressant entre les animaux avec des portraits en 2D et le jeu en 3D. C’est en effet la force de Nintendo que de marier des éléments hétérogènes et innover en les combinant alors qu’ils seraient considérés comme classiques voire banals s’ils étaient pris seuls (dans l’esprit de la fameuse maxime de Gunpei Yokoi : « La pensée latérale des technologies désuètes »).
La période Nintendo 64
En 1996, Nintendo passe officiellement dans l’ère de la 3D et tout le monde est formé à la création et au développement de jeux en 3D. Ayant travaillé sur Star Fox (1993), M. Imamura voulait se contenter d’un simple Arwing avec peu de polygones et a finalement été très impressionné par la possibilité de faire du texture mapping si réaliste pour l’époque. Le développement de Star Fox 64 (1997) commence en 1995, juste après l’annulation de Star Fox 2 sur Super Nintendo (dont il a entre autres créé l’illustration pour la SNES Mini). Star Fox 64 est le jeu sur lequel M. Imamura a consacré le plus de temps : il a réalisé 70% des graphismes et il a suggéré le système de voix. Ce fut le jeu le plus important de sa carrière.
En parlant de voix, il se souvient avoir insisté pour que le jeu parle beaucoup. En effet, la PlayStation est alors sortie et écrase la concurrence. Or, une grande quantité de jeux sont entièrement doublés sur cette console grâce au CD et il voulait prouver que Nintendo aussi pouvait faire quelque chose d’équivalent. Malheureusement, entre un CD de 650Mo et une cartouche de 8Mo (64Mb), il y avait un problème de place mémoire. Ils firent des tests avec la voix d’Imamura mais il fallait compresser beaucoup, tellement que ça ressemblait à de la radio, ce qui finalement allait bien avec les transmissions radio entre les personnages durant le jeu.
Après Star Fox 64 (1997), M. Imamura travaille sur F-Zero X (1998) pour lequel il créa beaucoup de personnages. Partant d’un défi technique, la Nintendo 64 permet d’afficher trente véhicules. Le but était d’en afficher un maximum tout en restant à soixante images par seconde. Du coup, quitte à avoir trente véhicules, M. Imamura décida d’en faire trente différents avec trente pilotes.
Au début, il était « director » du jeu mais la charge de travail avec ces trente personnages à créer devint alors trop importante car il faisait aussi l’interface utilisateur, le design des circuits… donc un second director est arrivé, Tadashi Sugiyama.
Et pour autant de personnages, il fallait donc beaucoup d’idées. C’est ainsi que, notamment, le singe anthropomorphe Billy vient de Billy Jean pour le nom et du singe de Michael Jackson car le chanteur était venu au Japon avec son chimpanzé quelques années auparavant. Mais il parle également de Mr EAD. Le nom de ce personnage est évidemment un hommage à l’équipe EAD chez Nintendo et le perso est une caricature de Mario avec l’étoile sur la ceinture et deux espèces d’antennes sur la tête en guise d’oreilles qui représentent en fait les sticks analogiques de la manette de la Nintendo 64.
Passant d’une franchise de Nintendo à une autre, M. Imamura est sollicité par toutes les équipes de développement de la firme de Kyōto. The Legend of Zelda: Ocarina of Time sort en novembre 1998 au Japon, soit quatre mois après F-Zero X (1998). Dès la première semaine, les ventes dépassent toutes les prévisions. Hiroshi Yamauchi annonce immédiatement qu’il veut une suite pour l’année suivante. Le développement de Majora’s Mask (2000) commence donc immédiatement – il semblerait que l’équipe ait quand même pu passer les fêtes de fin d’année en famille. Aonuma était réticent à l’idée de travailler sur la première idée consistant en un Ocarina of Time avec un simple remaniement des donjons et réussit à convaincre Miyamoto qu’il peut faire mieux que ça tout en respectant les délais. Ce sera finalement fait en dix-sept mois (Majora sort en avril 2000 au Japon), notamment parce qu’ils reprendront le même moteur graphique.
Au début du développement de Majora’s Mask, M.Imamura teste les premières ébauches mais il n’y voit aucune différence par rapport à Ocarina of Time car le moteur graphique et les assets n’ont pas changé. On lui demande donc de rejoindre l’équipe car il a la réputation de travailler et de dessiner très vite. Même s’il sait que le temps de développement est restreint, il accepte de les aider à condition d’avoir « carte blanche » pour changer l’ambiance graphique.
En effet, il trouva qu’elle est trop proche de celle d’Ocarina of Time. Il pensait qu’il fallait prendre une autre voie pour la direction artistique. Il se trouve qu’il y avait déjà le concept de la lune qui s’écrase. Partant de là, une ambiance plus tragique, il a la volonté de créer une direction artistique sombre et glauque. Il avait d’ailleurs déjà dessiné une lune grimaçante dans Star Fox (1993). Passionné de science-fiction et de cinéma, il avait fait des recherches pour découvrir Le Voyage dans la Lune (1902) de Georges Méliès.
Et n’oublions pas non plus qu’il a créé un personnage marquant en la personne de Tingle. Son design est parti de besoins fonctionnels pour le gameplay : c’est un vendeur de cartes qui doit être repérable facilement. C’est pourquoi il le fait voler avec des ballons pour le mettre en hauteur et le fait de les éclater. Mais comme c’est bizarre de procéder ainsi, il en a fait un personnage bizarre. Justement, son collant intégral vient du fait que les comiques japonais s’habillent parfois comme ça, pour être ridicule intentionnellement.
Takaya Imamura a également travaillé sur une pléthore de jeux Nintendo et a créé plus de cent-cinquante personnages pour tous ces jeux. Des personnages principaux comme secondaires, des boss, des méchas… sont sortis de son imagination fertile pour des productions, outre les sagas F-Zero et Star Fox, aussi diverses que Steel Diver (2011) et Tank Troopers (2016)…
Mais comme nous le mentionnons en début d’article, M. Imamura voulait devenir mangaka étant jeune. Et c’est ainsi que, plus de trente ans plus tard, il peut réaliser ce rêve : terminer et publier un manga.
Son manga Omega 6
Il annonce son départ de chez Nintendo à Florent Gorges, qu’il connaissait déjà depuis plusieurs années, et lui fait part de ses projets de devenir enseignant à la fac – il travaille actuellement à l’Université technologique professionnelle internationale d’Osaka – et de faire des illustrations en freelance. Dans cette conversation, M. Imamura lui fait également part, à moitié en rigolant, qu’il allait dessiner un manga. Florent le pousse alors à aller jusqu’au bout et lui promet de publier son manga, au moins en France.
Omega 6 est un manga de science-fiction, un condensé hyper référencé de ce qui plaît à Imamura-san. Au début, il voulait en faire une version courte en noir et blanc mais son éditeur l’a convaincu d’en faire une version intégralement en couleurs pour l’édition collector permettant de profiter encore plus de son ambiance SF avec un look rendant hommage aux années 1970, que ce soit avec les couleurs des arrière-plans ou les trames « à picots ».
Et petite annonce supplémentaire en fin de conférence, il y aura même un jeu vidéo qui sortira en 2023 adaptant le manga sur Switch. C’est un jeu d’aventure textuelle par Happymeal, qui a créé plus de cinquante jeux sur Android, et prévu pour 2023 sur Switch avec une ambiance rétro futuriste. M. Imamura réalisera l’intégralité des graphismes pour le jeu et promet que ce sera une histoire inédite par rapport au manga.