CHRONIQUE : La techno qui a failli tuer l’industrie de l’arcade ! (1/2)

Partie d'une publicité sur le Laserdisc de Pioneer

Préface du rédacteur en chef (Guillaume Verdin) : Après un making of assez technique, nous revenons à l’Histoire du jeu vidéo avec un article consacré au LaserDisc et plus spécifiquement son impact sur le marché de l’arcade en plein krach du jeu vidéo aux États-Unis. Avec le recul, on a tendance à moquer la mode de la full motion video mais le jeu vidéo a toujours cherché à singer le cinéma d’une manière ou d’une autre, et on peut même estimer que les blockbusters d’aujourd’hui, photoréalistes et truffés de cinématiques, sont les héritiers de ce mouvement même s’ils sont désormais réalisés en temps réel. D’ailleurs, ces expérimentations reviennent pas mal dans l’actualité, via la réédition de classiques du genre sur les plateformes d’aujourd’hui qui peuvent bien plus facilement les accueillir que les consoles des années 1980, et Atari vient juste d’acheter les droits d’Atomic Castle (1984), le « chant du cygne » du jeu d’arcade sur LaserDisc comme expliqué dans ce dossier. Et il est de toute façon toujours pertinent de se pencher sur le passé, et pas seulement ses réussites, précisément pour éviter de refaire les mêmes erreurs. Cela dit, l’industrie ne pourra jamais s’empêcher d’innover et de (parfois) se tromper ce faisant, et c’est très bien comme ça.


La techno qui a failli tuer l’industrie de l’arcade !

(première partie)

Par Kevin Williams, publié sur Arcade Heroes le 3 février 2023
Traduit de l’anglais par sseb22

Dans un autre de ses articles pour lesquels on l’invite régulièrement dans ces colonnes, le spécialiste de l’industrie, Kevin Williams, s’intéresse, pour ses 40 ans, à une technologie qui avait à l’époque été saluée comme « le sauveur de l’arcade » mais qui a en fait failli la tuer sur le coup ! Voici un bref historique de l’utilisation du LaserDisc dans les bornes d’arcade :

L’innovation est un aspect qui a toujours défini le marché du jeu vidéo. Depuis la première apparition de points et de traits sur un écran, le médium du divertissement interactif du jeu numérique a attiré le public et rempli les caisses tout autour du globe. S’il est vrai que l’industrie du jeu existe, sous une forme ou une autre, depuis les flippers et les jeux électromécaniques, c’est à la fin des années 1970 que le virage vers le jeu vidéo a été pris, ce qui a défini toute une génération et démarré une industrie dont les bénéfices dépassent ceux de la musique, du cinéma et de la télévision combinés.

Les nouvelles technologies provenaient alors des industries du cinéma et de la télévision avant d’inspirer le secteur du jeu. En 1978 sortit le premier système LaserDisc, capable de lire un médium de stockage optique et qui pouvait afficher de la vidéo plein écran (Full Motion Video ou FMV en anglais) de haute qualité. En guise de bonus, les images pouvaient être manipulées par un ordinateur, une perspective séduisante pour le monde du divertissement interactif. À l’orée de l’année 1981, des machines compactes furent mises en circulation et tombèrent entre les mains de développeurs de jeu qui créèrent ce qu’on pourrait appeler des « jeux-films ».

Flyer de Dragon's Lair

La technologie du LaserDisc progressa bientôt à un niveau tel qu’il était désormais possible de s’en servir dans des machines de jeu contrôlées par une carte logique informatique qui, à son tour, permettait de s’en servir pour faire un jeu fonctionnel. On peut citer le DiscoVision de MCA, le lecteur produit en masse mais capricieux utilisé pour le très populaire en Occident Dragon’s Lair (1983) de Cinematronics (sous licence Atari dans certains territoires). Sorti le 19 juin 1983, ce n’était pas le premier jeu d’arcade à utiliser la technologique du LaserDisc mais il grimpa rapidement tout en haut des charts alors que les jeux vidéo vivaient une période de vaches maigres. Le jeu en lui-même était une simple aventure linéaire remplie de QTE (NdT : qui ne portaient pas encore ce nom) requérant du joueur des pressions de bouton à la fraction de seconde près pour réussir les séquences. Si l’idée était nouvelle, ce sont surtout les visuels de grande qualité et les fantastiques animations de Don Bluth, ancien animateur chez Disney, qui permirent d’attirer les foules.

Flyer de Quarter Horse

Si le premier jeu à utiliser cette technologie n’était pas Dragon’s Lair, alors lequel était-ce ? Beaucoup pensent que c’est Astron Belt (1983) de SEGA qui a atterri dans les salles quelques semaines avant Dragon’s Lair mais même ceci est inexact. La vraie genèse du couple LaserDisc et arcade vient d’un appareil plus proche du domaine du pari que du jeu vidéo, Quarter Horse d’ESI. Sorti en 1981, cette obscure machine permettrait donc de fêter le 42e anniversaire du mariage entre cette technologie et les bornes d’arcade. Cependant, pour ne pas compliquer la donne, nous allons conserver la date de 1983 car son succès n’a pas été réel auprès du public avant que Dirk l’Audacieux arrive pour sauver la princesse Daphné. Bien que Quarter Horse ait été fabriqué selon différents modèles, comme ses ventes se sont concentrées autour des casinos et des jeux d’argent pour la plupart, il n’a jamais été remarqué dans nos cercles.

Mais il ne faut pas en oublier Astron Belt (1983). Arrivé sur le marché américain sous licence Bally Midway, il aurait dû sortir en 1982, mais c’était sans compter les multiples retards à cause des droits et de problèmes techniques qui affectèrent sa production. Ici, à la place d’un personnage suivant un chemin comme dans Dragon’s Lair, ce jeu était un shoot them up avec des décors en FMV ce qui lui permet d’avoir des visuels paraissant bien plus avancés que ce que n’importe quelle autre machine d’arcade pouvait dessiner à l’époque. Malgré les retards, ce fut l’un des titres ayant eu le plus de succès parmi les premiers titres sur LaserDisc, permettant à SEGA d’envisager d’en produire environ 10 000 bornes.

Flyer d'Astron Belt
Flyer de Cube Quest

Astron Belt (1983) créa également un précédent pour d’autres studios voulant attraper le train du laser en marche. Ce n’était pas forcément à la portée de toutes les sociétés d’avoir des animateurs expérimentés en interne, et encore moins des studios d’animation entiers mais il y avait déjà des films animés dont on pouvait se servir. Dans le cas d’Astron Belt, c’était des extraits de films de cinéma comme Star Trek 2 : La Colère de Khan (1982) ou Les Mercenaires de l’Espace (Battle Beyond the Stars, 1980), le reste étant complété avec des productions maison selon les besoins du jeu. En superposant des sprites par-dessus les séquences FMV, SEGA fut capable de mélanger les deux sources, même si le résultat n’est pas complètement sans accroc. Cette façon de faire sera aussi utilisée par Data East avec Bega’s Battle (1983) et par Simutrek avec Cube Quest (1983).

Et c’est aussi ce que Stern fera quand la compagnie sortira Cliff Hanger en 1983 aux États-Unis. Au lieu de créer leurs propres animations, ils sélectionnèrent des séquences d’action provenant de l’anime populaire Le Château de Cagliostro, basé sur Lupin III (alias Edgar, le détective cambrioleur, NdR) et réalisé par Hayao Miyazaki, afin de les assembler pour en faire un jeu.

L’idée que les développeurs de jeu pouvaient utiliser d’innombrables heures de contenu déjà prêt était suffisamment attirante pour qu’Atari et Bally Midway commencent à produire des jeux LaserDisc basés sur des films et séries préexistants ; Atari travaillant sur Battlestar Galactica, Knight Rider (NdT : K2000 en France) et Road Runner (NdT : Bip-bip et le coyote) et Midway sur Star Trek III : À la Recherche de Spock et NFL Football. Toutefois, la plupart de ces titres ne virent pas l’obscurité d’une salle d’arcade.

Utiliser du contenu préexistant était certainement une façon rentable de créer un jeu en LaserDisc à moindre coût mais certains développeurs étaient prêts à débourser beaucoup d’argent pour créer ce qu’ils espéraient être le prochain jeu à succès, à l’image de Badlands (1984) de Konami. La capacité de ce jeu à afficher des séquences d’anime de qualité FMV attira les foules malgré un gameplay très simple voire simpliste. C’était un parfait exemple de ce qu’on pouvait obtenir lorsque des artistes d’anime chevronnés étaient disponibles.

Mais Konami n’était pas la seule société à vouloir créer leur propre titre. De nombreux exemples peuvent être cités. En 1983 sortait M.A.C.H. 3, jeu en FMV avec affichage de graphismes en surimpression. Il fut développé par Mylstar Electronics et édité par Taito au Japon et Gottlieb en Occident. Le joueur contrôle un avion de combat survolant des cibles aériennes ou au sol, générés par ordinateur pendant que le LaserDisc s’occupe de lire les séquences de FMV tournées spécialement pour le jeu. Un ancien cadre d’Atari lança Cube Quest (1983) avec un gameplay proche d’Astron Belt mais avec des décors FMV faits à 100% sur mesure. Midway donna son feu vert à l’un de ses artistes, Brian Colin, de filmer son aventure d’enquête à choix multiples, The Spectre Files: Deathstalker (filmé en 1984 mais sorti en 2016) pendant qu’Owen Rubin (Atari) travaillait sur un simulateur de golf original. Tandis que Cinematronics et Don Bluth ne se reposèrent pas sur leurs lauriers et produisirent Space Ace pour octobre 1983.

Alors que la concurrence devenait plus rude, certains développeurs placèrent la barre plus haut en confectionnant des bornes d’arcade assises sophistiquées en plus des bornes debout usuelles. Des types de jeu éprouvés furent transformés à la sauce FMV comme les jeux de course. Le succès de Pole Position (1983) fut égalé avec un jeu appelé Laser Grand Prix par Taito (1983) mais avec un gameplay dilué pour s’accommoder des contraintes de la technologie. Ils furent rapidement suivis par SEGA avec GP World (1984) et Midway avec Star Rider (1983).

Flyers de M.A.C.H. 3 et Laser Grand Prix

Mais en réalité, personne à part les joueurs ne se rendaient compte de la véritable qualité et de l’impact durable que cette technologie avait sur les jeux. Il n’y avait en fin de compte que deux types de gameplay qu’on trouvait : soit de simples graphismes superposés soit une invite pour appuyer sur un bouton permettant la lecture de séquences vidéo. Et ces deux types, au final, énervaient plus les joueurs qu’ils ne les captivaient car ils n’offraient que peu de rejouabilité et, plus inquiétant encore, beaucoup de ces jeux semblaient injustes, surtout enclins à grappiller les crédits de la poche des joueurs juste pour quelques secondes d’effets vidéo en plein écran.

Tout ceci n’était pas seulement les conséquences de la technologie en elle-même mais aussi de son contenu. Que ce dernier soit original ou sous licence, les coûts nécessaires au développement de jeux LaserDisc impliquaient des bornes onéreuses, ce qui se répercute sur les clients. Non, en effet, Dragon’s Lair n’était pas le premier jeu à faire payer 50¢ pour une partie, cependant, c’est le premier jeu dont la plupart des joueurs se souviennent qu’il coûtait deux fois plus cher que tout ce qu’ils auraient pu croiser dans une salle d’arcade.

Flyer de Firefox d'Atari

Un bel exemple de ces coûts élevés peut être pris avec le seul titre LaserDisc d’Atari : Firefox (1983). Basé sur le blockbuster avec (et de, NdR) Clint Eastwood, Firefox, l’arme absolue (le Top Gun: Maverick de l’époque) est un film à gros budget qui a donc requis des droits de licence élevés alors même qu’Atari appartient également à Warner à ce moment-là. La borne d’arcade en version « assise » était certes impressionnante mais revenait tellement cher qu’elle était hors de portée de l’opérateur d’arcade moyen. Et le fait que ce jeu ne semblait rien ajouter de plus à M.A.C.H. 3 à part un plus bel écrin n’arrangeait rien.

À la fin de l’année 1984, les dés étaient jetés : cette technologie n’avait qu’une corde à son arc. Le marché était en train de fléchir sous le poids de jeux trop chers, restant invendus alors que les coûts de développement ne cessaient de gonfler. En plus d’un gameplay simpliste et d’un ticket d’entrée propice à repousser les joueurs, ces machines étaient notoirement peu fiables. Un jeu cassé ne peut évidemment pas rapporter d’argent et encore moins devenir rentable et les bornes d’arcade à base de LaserDisc étaient plus souvent en panne que fonctionnelles. C’était en partie dû au fait que les premiers modèles utilisaient des stocks ou des surplus de lecteurs de LD dont la qualité les destinait au marché grand public. La volonté de faire des économies de bouts de chandelle est d’ailleurs rapidement revenu au visage de Midway car leurs jeux utilisaient en fait une variation du LaserDisc appelée CED. Cette technologie n’utilisait pas un laser mais une aiguille sur une surface d’un médium s’apparentant à un LaserDisc. Il n’est pourtant pas nécessaire d’avoir une imagination débordante pour réaliser à quel point cette idée est mauvaise pour une utilisation dans des environnements éprouvants de salles d’arcade, bien que Midway n’ait pas semblé le réaliser assez vite.

Des essais furent testés pour essayer de redresser la barre. Universal a ainsi sorti son Universal System 1. L’idée était d’offrir une plate-forme de divertissement standardisée pour le LaserDisc et beaucoup de jeux devaient en profiter mais ce fut le cas pour un seul d’entre eux : Super Don Quix-ote (1984) [NdT : qui est un clone de Dragon’s Lair et non pas un Qix dont les décors de fond seraient en FMV].

Le facteur nouveauté était clairement la raison du succès des jeux d’arcade sur LaserDisc au début mais à la lumière de la dure réalité pragmatique, leur capacité à générer des profits sur la longueur était presque inexistante. Dans les années 1980, l’industrie du divertissement était basée en grande partie sur la possibilité de déplacer les machines dès que leurs profits commençaient à décliner. Mais à cause de leur prix initial élevé et leur difficulté à être revendue, le manque de vie d’occasion cassa le modèle économique.

Les gains de ces machines de jeux s’écroulaient et l’industrie entière s’embourbait dans une période de récession – souvent appelée le Grand Krach du Jeu Vidéo [NdT : surtout aux États-Unis, moins dans le reste du monde]. La revue professionnelle Replay Magazine rapportait que les gains bruts hebdomadaires moyens des machines de type « debout » se sont effondrés en 1983, revenant à des niveaux proches de ceux de 1979, le début de l’ère de la révolution vidéoludique, comme on peut le voir dans le graphique ci-dessous [NdT : Je laisse à l’auteur la responsabilité de cette affirmation qu’on peut aisément discuter à l’aune de la décroissance plutôt linéaire de ces chiffres entre 1980 et 1983].

Les ventes générées par les bornes d'arcade "debout" entre 1978 et 1983
Flyer d'Atomic Castle par Stern

L’un des derniers projets ambitieux de la mode du LaserDisc provient d’une start-up appelée Laser Disc Computer Systems, fondée en 1982. La société s’essaya aux juke-boxes LaserDisc mais engloutit ses investissements dans la création de leur propre jeu d’arcade qui utilisait des effets de cinéma avec de vrais acteurs. Employant des avancées technologiques comme un système de double disque, et l’augmentation des prix qui va avec, ils sortirent Atomic Castle (dont Atari vient de racheter les droits, NdR) en 1984. Ce jeu était distribué par Stern mais restera l’un des derniers de cette période. Considéré comme beaucoup comme le jeu qui sonna le glas des jeux-films sur LaserDisc et força Stern (et tant d’autres) à se retirer du marché du jeu vidéo. La grande majorité des titres alors en développement chez Atari et Midway furent annulés discrètement et la création de jeux se concentra sur des technologies informatiques plus traditionnelles.

La prise de conscience que les jeux LaserDisc étaient des usines à gaz chères, surestimées et peu fiables, dont les bénéfices pour le joueur étaient souvent minimes se révéla être un vrai choc. Ils étaient censés sauver l’industrie, pas contribuer à sa chute. Entre début 1983 et fin 1984, les salles d’arcade fermaient et les opérateurs et fabricants faisaient faillite, la bulle de la mode du divertissement ayant éclaté sans autre forme de procès. La période des jeux-films sur LaserDisc dura donc au plus deux ans, période durant laquelle une vingtaine de jeux de ce type sortit. Mais il faut cependant noter que, dix ans plus tard, American Laser Games tenta de faire un nouvel essai en développant une série de jeux pour pistolet optique utilisant des séquences sur LaserDisc – Mad Dog McCree (1990) étant le plus mémorable d’entre eux. SEGA aussi essaya une dernière fois dans les années 1990, se servant d’un LaserDisc pour leur jeu Holosseum (1992). Mais face aux avancées technologiques concurrentes que sont le CD-ROM ou le texture mapping hardware, les LaserDiscs n’arriveront pas à retrouver de la pertinence.

Avec maintenant près de 40 ans de recul, de nombreuses personnes de l’industrie du divertissement ayant vécu cette période souhaiteraient l’oublier même si le syndrome des habits de l’empereur ne part pas facilement. Cette histoire est une des raisons pour lesquelles l’industrie est réticente à changer et adopter de nouvelles technologies – expliquant ainsi pourquoi des innovations comme l’e-sport ou la Réalité Virtuelle ont du mal à prospérer dans une industrie pourtant basée sur les hautes technologies et l’innovation.

La question est maintenant de savoir si, alors que l’industrie vidéoludique a l’air d’être sur le point de revivre un certain nombre de conditions qui ont créées le krach des jeux vidéo de 1983, les métiers du divertissement peuvent apprendre de leur histoire et relever ce défi.

Si vous voulez voir une liste de tous les principaux titres LaserDisc de cette période, voici une super petite vidéo :

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