CHRONIQUE : la WOWOW, la console connectée de Taito

La WOWOW

Après la NEMO et la PC-FX, je vous propose une pause dans notre cycle full motion video même si la machine que nous allons aborder cette fois n’est pas si éloignée de ces deux consoles. Comme la première, elle n’a jamais été commercialisée, et même si elle a fait un choix technologique différent, celui-ci s’est également avéré mauvais pour l’époque. Car, sans doute encore plus en avance sur son temps, la WOWOW – à ne pas confondre avec WahWah ! – était basée sur la distribution des jeux par satellite, concept qui sera concrétisé d’ailleurs quelques années plus tard par SEGA puis Nintendo avec la SEGA Channel et le Satellaview respectivement. Ces deux initiatives ne connaîtront pas le succès pour autant, mais elles auront toutefois posé les bases du jeu dématérialisé, aujourd’hui largement répandu. Et dans ce court dossier, nous allons également faire un rapprochement avec une autre de nos chroniques précédentes, à savoir L’Histoire de Consoles +… En effet, pendant longtemps, les rares informations sur cette console se trouvaient dans le dixième numéro du magazine français !

C’est plus précisément à la page 10 de ce numéro publié en juin 1992 que la machine est présentée à l’occasion d’un dossier sur les différents projets de consoles émanant du Japon. Il est important de rappeler qu’à cette époque, nombreux sont les constructeurs qui tentent de détrôner l’hégémonie des consoles 16-bit. Et, plus particulièrement dans leur pays d’origine, beaucoup d’éditeurs aimeraient mettre fin au monopole de Nintendo mais, jusqu’à l’arrivée de la PlayStation, aucun candidat ne semble suffisamment sérieux. On sait désormais que plusieurs éditeurs ont donc envisagé de régler la question eux-mêmes, en réfléchissant à leurs propres machines. Avant de faire équipe avec Sony, par exemple, Namco aurait pu concevoir son propre hardware et le journaliste John Szczepaniak a obtenu la confirmation dans le premier tome de The Untold History of Japanese Game Developers que cela a été le cas chez Konami. Dans le cas de la WOWOW, son existence était donc avérée mais les informations à son sujet n’étaient hélas pas très nombreuses, jusqu’à une récente interview menée par le site Unseen 64

Consoles + n°10, juin 1992, page 10

Consoles + n°10, juin 1992, page 10

Mais revenons comme lui à Consoles + tout d’abord. À côté d’autres projets comme la PlayStation, les lecteurs CD de la Mega Drive et de la Super Nintendo, ce qui semble être la 3DO ainsi que la future 32-bit de Hudson, le dossier de Kaneda Kun aborde un prototype repéré lors d’un salon du jouet à Tokyo en 1992. Celui-ci est présenté comme le résultat d’une alliance entre trois sociétés : la mystérieuse JSB, a priori spécialisée dans la diffusion par satellite, la célèbre société ASCII, à l’origine du standard MSX, et enfin le géant de l’arcade Taito. La machine, aux dimensions très réduites, est équipée d’un lecteur CD-ROM dont l’intérêt peut susciter des questions dans la mesure où la console permet avant tout de télécharger des jeux par satellite. L’article évoque encore une possible facturation au temps passé – pas vraiment plus populaire aujourd’hui si l’on en croit les essais du PlayStation Now – mais aussi des jeux de qualité équivalente à l’arcade. Comme le journaliste semble établir implicitement un rapport entre la technologie employée et ce résultat, on peut penser à un système de streaming où le jeu tourne sur un serveur distant plus puissant mais à vrai dire, citer des classiques pas si récents comme Darius (1986), Bubble Bobble (1986) et Parasol Stars (1991) comme jeux de lancement ne permet pas vraiment de trancher…

La console a toutefois également été abordée dans la presse japonaise à l’époque, comme le prouve l’article ci-dessous relayé sur Assembler Games. Remontant lui aussi à l’été 1992, il évoque de la même manière les dernières innovations du jeu vidéo, casque de réalité virtuelle compris ! On y apprend notamment que Namco serait prêt à employer la réalité virtuelle en arcade, et que Nintendo pourrait bien sortir une machine basée sur ce procédé dans deux ou trois ans – soit une belle estimation de la date de sortie du Virtual Boy, bien que le terme « réalité virtuelle » décrive assez mal l’expérience de la console maudite de Nintendo… Le dernier paragraphe indique enfin que le téléchargement de jeu par satellite sera l’une des fonctionnalités d’une nouvelle machine signée JSB, sans plus de précision. Hélas, à cette époque, les journalistes ont encore des connaissances techniques limitées et on est clairement dans un nouvel exemple où l’on mélange allégrement différentes technologies dans le flou le plus total. L’idée est juste d’épater le lecteur avec plein de mots savants censés le rassurer sur l’avenir.

Article sur la WOWOW et la réalité virtuelle

Heureusement, le site Unseen 64 a pu s’entretenir avec Yukiharu Sambe, responsable de la R&D chez Taito Corporation et ingénieur au sein de l’équipe de la WOWOW à cette époque. Nous vous proposons donc une traduction en français de l’entretien publié en août 2015 même si l’original, dans un anglais truffé de fautes, est parfois bien difficile à interpréter :

Comment avez-vous débuté dans l’industrie du jeu vidéo ? Que faisiez-vous alors chez Taito ?
J’étais ingénieur électronicien et intéressé par les micro-ordinateurs à la fin des années 1970. Un jour, j’ai découvert Space Invaders en arcade et cela m’a fasciné. Après avoir rejoint Taito, j’ai conçu et supervisé de nombreux jeux et cartes d’arcade. Je suis content que vous connaissiez Darius dont j’ai créé et supervisé le hardware, le game design, le développement, etc.

Comment le projet WOWOW a débuté ? Quel en était le concept ?
Le gouvernement japonais souhaitait développer la diffusion des données. De mon côté, je voulais distribuer des jeux par la télévision. Et il se trouve que je savais que JSB essayait d’intégrer un processeur et de la mémoire à ses boîtiers de réception pour la télévision par satellite. Je leur en ai parlé et le projet a débuté.

Pourquoi y a-t-il eu un partenariat entre le diffuseur JSB et ASCII Corporation ?
JSB avait son propre satellite et sa chaîne, tandis que ASCII développait des systèmes d’échanges de données par satellite.

Pouvez-vous décrire en détail votre rôle dans le projet WOWOW ?
J’étais responsable de la R&D des nouvelles technologies chez Taito à cette époque. J’ai supervisé certains jeunes ingénieurs et conçu/développé la console WOWOW, y compris le hardware, les démos de jeux et l’interface de sélection de programmes.

La console était-elle basée sur un hardware d’arcade spécifique ?
J’ai choisi et modifié certaines cartes d’arcade parce que je les connaissais bien.

Stand de Taito au salon du jouet à Tokyo en 1992

Stand de Taito au salon du jouet à Tokyo en 1992, où la WOWOW a été présentée

Comment la connexion satellite fonctionnait ? À quoi servait-elle : à télécharger des jeux, à les streamer ? Comment payait-on le service ?
Le satellite de JSB disposait non seulement d’une chaîne de diffusion vidéo mais aussi d’une chaîne de diffusion de données. Taito envoyait le flux de données à la base satellite de JSB (qui se trouvait près de Tokyo) par un connecteur RJ45 et JSB transférait ces données au satellite. La console détectait ces flux de données et les stockait dans sa mémoire. Si le souscripteur choisissait un jeu, le programme en mémoire se lançait. Nous étions responsables des jeux, JSB de la communication par satellite et ASCII des échanges de données. Nous avions l’intention de passer par JSB pour facturer les joueurs (NdT : l’anglais approximatif de Sambe manque hélas de clarté et au final, on ne sait pas vraiment si un paiement par abonnement était envisagé).

Quels jeux étaient prévus pour la console ? Surtout des portages de jeux d’arcade ?
Nous devions penser à la taille en mémoire des jeux. Il valait mieux qu’elle soit réduite et j’avais donc l’intention de proposer des jeux d’arcade du début des années 1980, de plus petite taille. Pour la démonstration, nous avions modifié et compressé le jeu Darius.

Devait-il y avoir des jeux exclusifs à la console ?
Comme jeu, nous avons juste modifié Darius, et développé l’interface de sélection de jeux qui présentait des graphismes et des sons originaux (NdT: WOWOW en effet).

Pourquoi le projet a-t-il été annulé ? Trop de compétition ? Des problèmes techniques ? La technologie du satellite était insuffisante ?
Nous avions deux raisons d’interrompre le projet. Premièrement, la vitesse de transfert était insuffisante et les nombreux paquets (NdT : les données se transfèrent par « paquets » dans le langage des réseaux informatiques) de correction d’erreur grignotaient cette précieuse bande passante. L’utilisateur devait attendre plusieurs minutes pour télécharger un seul petit jeu. Et si on essayait de diffuser plusieurs jeux en même temps, cela ralentissait d’autant le transfert. Deuxièmement, au début, JSB pensait intégrer le hardware de jeu au boîtier de réception. Or la mémoire coûtait cher et combiner les deux faisait grimper le coût du boîtier. Cinq ans plus tard, Nintendo a racheté la société de radio par satellite St.GIGA et a lancé son propre système de distribution par satellite en 1995. Le flux de données avait quasiment la même structure que le nôtre. Nintendo utilisait un accessoire dédié pour leur console mais cela n’a toutefois pas marché commercialement. Ils ont connu les mêmes difficultés que nous auparavant.

La WOWOW

La WOWOW – visuel issu de l’article japonais ci-dessus

Quand la console a été annulée, est-ce qu’elle était encore à ses balbutiements ou est-ce qu’elle était presque terminée ?
Le projet a été annulé au début. Nous avons fait une présentation et une démonstration pour la presse, les institutions, etc. La démo était bonne, mais il était difficile de rendre le marché du jeu par satellite rentable et j’ai décidé d’y mettre fin. Cependant, heureusement, ces expériences m’ont mené à un nouveau marché, celui du « télé-karaoke » (Tsūshin Karaoke X2000 en 1992) qui a connu le succès. J’ai aussi créé la X-55 en 1995 qui utilise la ligne téléphonique […] (NdT : Sambe évoque ici le téléchargement de jeux, mais la formulation ne permet pas de savoir si cela concerne le X-55 ou pas). Chaque expérience est précieuse.

Existe-t-il d’autres images et vidéos de la console (kit presse, publicité, articles de magazine) ? Existe-t-il encore un exemplaire fonctionnel de la machine au siège de Taito ?
Malheureusement, je n’ai ni images ni prototype de la console.

Via NintendoLife

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