
Il faudrait vraiment faire preuve d’un contorsionnisme intellectuel digne des éditeurs japonais – et Square Enix, qui détient Taito, est passé maître en la matière – pour nier toute ressemblance entre l’EGRET II mini et l’Astro City Mini… On ne serait même pas surpris de retrouver les mêmes concepteurs derrière, tant les similarités entre les deux bornes sont nombreuses, au-delà même du concept initial. Du marquee qui s’illumine quand on branche chaque machine sur le courant, au jingle quand on les éteint (un peu plus développé côté Taito cela dit) en passant par la répartition identique des boutons de A à F… Mais surtout, si l’on trouve bien des différences, outre le fait que les classiques intégrés proviennent de deux éditeurs distincts, Monsieur le capitaine de l’Évidence, ce sont presque systématiquement des points qui avaient été critiqués concernant la borne de SEGA, et qui ont ici été corrigés. Néanmoins, si Taito constitue indéniablement un géant de l’industrie de l’arcade au Japon, la nostalgie vis-à-vis de sa production est sans doute moins forte chez nous, et puis il est toujours plus facile de faire mieux en passant après. Taito a-t-il mis SEGA K.O. ou bien ces deux jouets de luxe s’adressent-ils à des publics d’esthètes différents ?
Astro City Maxi
Tout d’abord, la différence principale entre les deux machines, du moins la plus vantée d’emblée, ne correspond peut-être pas au plus gros défaut de l’Astro City Mini, mais il n’en reste pas moins fort appréciable. Il s’agit bien sûr de la possibilité de faire pivoter l’écran en mode vertical ou TATE et ce, de manière assez simple en le poussant vers l’intérieur pour qu’il se disloque, avant de le faire tourner dans le bon sens – attention à ne pas forcer dans le mauvais ! Cela fonctionne à tout moment, à la manière de l’orientation d’un smartphone, ce qui rend la chose très intuitive, et ça s’accompagne en plus d’une amélioration non négligeable ; le moniteur est sensiblement plus grand d’autant qu’il arbore un format 4/3 garantissant le plein écran dans les deux sens. Alors que, même s’ils étaient heureusement très peu nombreux, les jeux à affichage vertical devaient se contenter d’une image riquiqui sur la borne de SEGA… Mais surtout, de manière générale comme on le constate en photo ci-dessus, celle de Taito est plus grande, si bien que les contrôles intégrés se montrent encore plus confortables. Ce qui tombe bien car on trouve tout de même plus de classiques orientés solo sur EGRET II mini, rendant ainsi l’achat d’une manette supplémentaire plus dispensable a priori. En outre, si vous aviez déjà l’Astro City Mini, il se trouve que sa manette fonctionne dessus ! Quand on vous dit que les similarités sont quand même troublantes…
À ce sujet, les manettes (qui se branchent là encore via des ports USB au dos de la borne) sont elles-mêmes un peu plus grandes que chez SEGA, et surtout un peu agréables de prise en main car moins anguleuses. Mais sans surprise, le feeling est assez similaire, en particulier au niveau des boutons, et c’est surtout le pad directionnel qui est différent, un peu plus grand et un peu plus plat. Lui non plus n’a pas le même degré de précision d’une vraie croix directionnelle cela dit, mais cela ne m’a à vrai dire (un peu) gêné que dans les menus pour le moment ! Il faut dire aussi que la manette ne dispose pas d’une autre amélioration en matière d’ergonomie, réservée aux contrôles intégrés à la borne ; un bouton rotatif situé dessous permet de régler le joystick en mode quatre ou huit directions. La configuration recommandée pour chaque jeu est indiquée, et il est clair que le mode quatre directions se prête surtout aux titres les plus anciens, là encore nettement plus représentés chez Taito. À titre de comparaison, le classique le plus vieux de l’Astro City Mini remonte à 1984, alors qu’on dispose ici de base de près de dix jeux antérieurs à cette année… Mais l’ajout le plus bienvenu est sans doute le bouton supplémentaire (blanc) pour accéder directement au menu, plutôt que de devoir appuyer simultanément sur Credit (bleu) et Start (rose) – dont la position est d’ailleurs curieusement inversée par rapport à la machine rivale, en passant.
Une autre brique dans le jardin de SEGA
Le menu de pause est en revanche très proche, avec le rappel des commandes et la possibilité de charger et sauvegarder sa partie parmi trois emplacements. Ce qui est toutefois dommage, c’est qu’il ne soit pas possible d’y régler les options du jeu, même en redémarrant celui-ci ; il faudra impérativement revenir au menu principal et relancer le titre pour accéder à l’habituel écran de présentation, de nouveau similaire, avec les explications en haut et les slots de sauvegarde en bas. Cependant, c’est donc ici que l’EGRET II mini corrige ce qui est pour nous le plus gros défaut de sa rivale (éliminé aussi à ce que l’on a compris dans la future Astro City Mini V). En appuyant sur E comme on le fait sur l’écran de choix du jeu pour les options principales, on accède ici à quelques réglages spécifiques à chaque classique. Il ne s’agit peut-être pas des dip switches exhaustifs d’époque, mais on peut au minimum régler le nombre et l’obtention de vies supplémentaires. Pour les jeux pas trop anciens, on a souvent le choix entre quatre modes de difficulté, et certains proposent même de désactiver les collisions avec les ennemis, rendant ainsi le joueur invulnérable ! A priori, cela semble surtout proposé pour les cute games, logiquement en force sur une machine de l’éditeur de Bubble Bobble (1986), et susceptibles d’être joués avec des enfants. Et comme vous le savez, ce n’est pas parce que c’est mignon que c’est forcément enfantin manette en main…

Outre son écran pivotable, la grosse nouveauté de l’EGRET II mini par rapport à sa rivale est l’existence d’un troisième accessoire en plus de la manette et du stick arcade. En photo ci-dessus, cet impressionnant contrôleur est doté d’une trackball et d’une molette, permettant de jouer à dix classiques supplémentaires (cf. la liste en fin d’article) inclus dans une carte SD fournie avec. En plus des quarante jeux de base, on arrive donc à un total de cinquante, contre trente-sept pour l’Astro City Mini. Ce qui est cela dit un peu dommage, c’est que même s’il ne permet évidemment pas de jouer aux autres titres, on ne pourra pas naviguer parmi les cinquante sur le menu principal. Dès que l’on allume la borne avec la carte insérée, ce sont les dix jeux correspondant qui s’affichent, rien d’autre, et il faudra donc penser à la retirer après… On conseillera aussi d’utiliser le stick intégré à la borne pour lancer une partie, car la trackball manque sérieusement de sensibilité et la molette ne fonctionne hélas pas pour les menus, et certains boutons ne sont de toute façon pas disponibles sur cette manette, comme le E des options ou le D des favoris. En passant, on a justement repéré un (petit) bug car si vous sélectionnez des titres préférés parmi les dix premiers des quarante de base, vous retrouverez les « étoiles » au même endroit parmi ceux de la carte SD… On espère donc que le port dédié permettra des mises à jour pour corriger ça.
En revanche, il se trouve que le bouton du menu est particulièrement peu sensible et il faut donc l’enfoncer un peu fort, mais je pense que ça vient spécifiquement de ma manette pour le coup. Quoi qu’il en soit, cet accessoire reste très plaisant, et tous ceux qui ont déjà eu l’occasion d’utiliser une molette sauront à quel point c’est infiniment plus agréable pour les jeux où l’on contrôle une raquette. Je suis pour le moment moins convaincu par la trackball, mais ça ne vient pas tant de sa qualité de fabrication que du gameplay lui-même des jeux concernés, puisque cela n’a pas la précision d’un stick analogique… Mais au-delà de ça, on ne peut s’empêcher d’imaginer d’autres périphériques du même type, chacun accompagné d’une poignée de classiques pensés pour, d’autant que cela permettrait de combler certaines lacunes dans la sélection des jeux. On a conscience qu’un pistolet optoélectronique pourrait poser des difficultés techniques mais un volant pour – au hasard – Chase H.Q. (1988) et sa suite Special Criminal Investigation (1989) notamment, ce ne serait pas de refus. N’oublions pas qu’Out Run (1986) faisait partie des absents les plus remarqués au sein de l’Astro City Mini, même si ce n’est effectivement pas le type de titre qui se pratique a priori sur une borne générique… Or malheureusement, il faudrait sans doute que l’EGRET II mini fasse un carton pour que ce genre d’accessoires se justifie réellement.

Bulles, molette et boulettes
Comme on le disait en intro, les retrogamers français ont sans doute moins de nostalgie pour les classiques de Taito que ceux de SEGA, or c’est la sélection de jeux qui motivera avant tout l’achat de la borne. Et il faudra donc faire preuve d’un peu de curiosité… Il y a en effet davantage de vieilleries, avec l’emblématique Space Invaders (1978), les vénérables Qix (1981) et Elevator Action (1983), mais ils ont plutôt bien vieilli. On recommande aussi de découvrir Lunar Rescue (1979), mélange intéressant concocté par notre membre d’honneur Tomohiro Nishikado entre Lunar Lander (1979) et son propre Space Invaders… Et comme on l’évoquait aussi plus haut, ce que Michel Louvet (cf. son émission dédiée aux jeux ci-dessous) appelle les cute games sont très bien représentés, avec pas moins de trois versions de Bubble Bobble mine de rien et d’autres titres du même genre, du précurseur The Fairyland Story (1985) à l’excellent Liquid Kids (1990) en passant par le trognon mais brutal Don Doko Don (1989). Et puis écran pivotable oblige, on a droit à beaucoup de shoot ’em ups (dont les indispensables Truxton (1988), RayForce (1993) et Darius Gaiden (1994)) qui faisaient défaut à l’Astro City Mini même si SEGA n’a jamais été très réputé pour le genre (du moins en 2D). Les amateurs d’action apprécieront sûrement Rastan Saga (1987), Cadash (1989) et surtout Elevator Action Returns (1994), et citons aussi quelques pépites méconnues comme un Lupin III (1980) basé sur le célèbre manga, Volfied (1989) qui est un Qix « modernisé » ou encore Runark (1990), un beat ’em up spectaculaire à la sauce Indiana Jones.
Cela dit, les amateurs de castagne risquent d’être un peu déçus, avec un Violence Fight (1989) sans doute trop en avance sur son temps, et un Kaiser Knuckle (1994) correct mais qui n’avait pas marqué les esprits à l’époque. Du reste, il vaut mieux lui préférer Dan-Ku-Ga qui n’est autre qu’une révision inédite à l’époque – la vidéo de démo est d’ailleurs identique – car il est autrement mieux équilibré et on peut donc au moins battre le premier adversaire dans le niveau de difficulté minimal… Et puis certains titres semblent plutôt là pour la « culture » comme KiKi KaiKai (1986), un ancêtre purement solo et un peu austère des Pocky & Rocky, ou un The Legend of Kage (1985) pour le moins « exotique » mais qui a probablement inspiré des jeux comme Ninja Spirit (1990). Enfin, la manette évoquée à la section précédente amène encore plus de variété à cette sélection. Alors certes, sur les dix jeux inclus dans la carte SD, il y a tout de même trois épisodes d’Arkanoid et deux autres casse-briques : le mignon Plump Pop (1987) mâtiné de Circus (1980) et un Puchi Carat (1997) qui lorgne plus sur Puzzle Bobble – inclus dans la borne de base via sa populaire version 2X. Mais on a également droit à du bowling et à du golf, le second se maniant pour moi étonnamment bien à la trackball (j’ai cela dit vu un testeur trouver au contraire Strike Bowling (1982) plus intuitif, ce qui n’est pas mon cas), un Syvalion (1988) à la maniabilité un peu laborieuse mais vraiment original, et surtout un Cameltry (1989) qui n’a jamais été aussi agréable à jouer !
Taito does what SEGA don’t ?
Mais aussi pertinente et variée une sélection de jeux soit-elle, ce n’a pas grand intérêt si l’émulation n’est pas de qualité. À notre grande surprise, celle-ci ne semble pas signée M2 ni même Hamster, qui a pourtant réédité pas mal de jeux de la borne à l’unité sur PlayStation 4 et Switch au sein de sa gamme Arcade Archives… D’après les crédits, on trouve derrière la société japonaise Zuiki, qui mentionne précisément l’Astro City Mini parmi ses créations. Et l’émulation est globalement de qualité, même si elle n’est pas parfaite, en particulier sur Darius Gaiden (1994) qui présente des coupes de son et des scrollings pas tout à fait propres, mais rien de rédhibitoire. Sur la borne, l’image est vraiment en plein écran au point que le bezel en plastique peut masquer les bords si l’on n’est pas bien en face, et si l’image paraît floue initialement, c’est parce qu’il faut (curieusement) activer le filtre dans les options pour passer en pixel perfect – ce n’est pas une erreur de traduction – mais les amateurs de scanlines seront donc déçus… Sur une TV, il faudra parfois toucher aux réglages pour avoir des scrollings nickels, mais le résultat est plutôt plaisant, surtout avec les superbes cadres aux couleurs des jeux. Histoire de chipoter, j’aurais cela dit préféré la version monochrome de Space Invaders (1978) avec une illustration de fond (superposée via un miroir dans certaines bornes), plutôt que la variante « couleur » proposée ici. À noter que l’orientation TATE demeure disponible, mais il faut évidemment pouvoir faire pivoter sa TV !…
Peu avant la sortie de la machine, la paranoïa a gagné ceux qui avaient précommandé la machine, suite à des premiers échos concernant un possible problème de latence, y compris venant du très respecté Hideki Kamiya, apparemment très déçu. Mais peut-être devrait-il plutôt se soucier de son propre Sol Cresta, loin d’être parfait en la matière, car l’EGRET II mini ne présente pas d’input lag particulièrement marqué, en tout cas pour ce type de machine… À condition du moins de correctement l’alimenter (2,4 A minimum). Ayant eu des soucis de crashes avec l’Astro City Mini pour les mêmes raisons, j’avoue ne pas avoir tenté le diable et directement connecté le câble USB-C/USB-A fourni à une prise électrique dotée de ports USB. Comme c’est hélas désormais la tendance, la prise murale n’est en effet pas incluse. En revanche, le marquee en plastique à fixer au-dessus de la borne l’est, alors qu’il était réservé au Game Center Style Kit de sa rivale, mais les cartes d’instruction à glisser dedans ne sont pas fournies, à moins d’avoir opté pour le gros bundle avec la totale des accessoires… Au moins, on a droit à une planche d’autocollants. Dans la version vendue par Amazon Japon, le manuel est uniquement en japonais et, même si l’on peut configurer la borne pour que les menus soient en anglais, les jeux restent hélas dans leur langue natale comme chez SEGA. Mais ce n’est ici gênant que pour l’action-RPG Cadash (1989) – et encore. Enfin, également au rang des critiques mineures, on a le choix entre trois musiques pour le menu principal, mais la désactiver aurait été une bonne idée vu qu’elle tape sur le système à la longue.
En résumé, si elle corrige la plupart des soucis de l’Astro City Mini, il serait simpliste de vous conseiller celle-ci à la place, d’autant qu’elle revient encore plus cher, surtout si vous optez pour le contrôleur paddle & trackball à côté duquel il est un peu dommage de passer… Si vous êtes fan de SEGA, vous avez quand même intérêt à opter pour l’Astro City – si vous ne l’avez pas déjà évidemment. À moins d’être un inconditionnel de Taito et/ou de certaines de ses licences, en particulier Bubble Bobble et Arkanoid très bien représentées ici, l’EGRET II mini s’adressera plutôt aux amateurs d’arcade et/ou à ceux qui s’intéressent à l’histoire du jeu vidéo, ayant la curiosité de découvrir des titres peu voire pas portés sur micros et consoles à l’époque. Si vous êtes surtout amateur de shoot ’em up, vous trouverez de quoi vous amuser mais il vaut peut-être mieux attendre l’Astro City Mini V, qui propose d’ailleurs quelques classiques de Toaplan en commun et qui corrige elle-même certains défauts de son aînée, même si elle demeure plus compacte. Enfin, si vous cherchez juste des jeux d’arcade à l’ancienne pour vous amuser avec des potes, vous avez plutôt intérêt à vous tourner vers des compilations comme il commence à y en avoir pas mal sur les machines actuelles ; dommage que la future Taito Milestones ne soit pas la plus excitante…
Un grand merci à tous ceux qui nous soutiennent sur Tipeee.
Les 40 titres inclus dans la borne :
(v = orientation verticale de l’écran, h = horizontale)
- Space Invaders (1978, v)
- Lunar Rescue (1979, v)
- Steel Worker (1980, h)
- Lupin III (1980, v)
- Qix (1981, v)
- Pirate Pete (1982, h)
- Adventure Canoe (1982, v)
- Elevator Action (1983, h)
- Chack’n Pop (1983, h)
- Outer Zone (1984, h)
- The Fairyland Story (1985, h)
- The Legend of Kage (1985, h)
- Halley’s Comet (1986, h)
- Bubble Bobble (1986, h)
- KiKi KaiKai (1986, v)
- Scramble Formation (1986, v)
- Rastan Saga (1987, h)
- Kyūkyoku Tiger/Twin Cobra (1987, v)
- Rainbow Islands Extra (1988, h)
- Raimais (1988, h)
- The NewZealand Story (1988, h)
- Tatsujin/Truxton (1988, v)
- Don Doko Don (1989, h)
- Volfied (1989, v)
- Violence Fight (1989, h)
- Cadash (1989, h)
- Liquid Kids (1990, h)
- Gun Frontier (1990, v)
- Runark (1990, h)
- Hat Trick Hero (1990, h)
- The Ninja Kids (1990, h)
- Metal Black (1991, h)
- RayForce (1993, v)
- Kaiser Knuckle (1994, h)
- Darius Gaiden (1994, h)
- Bubble Symphony (1994, h)
- Elevator Action Returns (1994, h)
- Dan-Ku-Ga (1994, h), version améliorée de Kaiser Knuckle ci-dessus
- Puzzle Bobble 2X (1995, h)
- Bubble Memories (1995, h)
Les 10 titres inclus avec la manette Paddle & Trackball :
- Marine Date (1981, v)
- Strike Bowling (1982, v)
- Birdie King (1982, h)
- Arkanoid (1986, v)
- Plump Pop (1987, h)
- Arkanoid II Revenge of Doh (1987, v)
- Syvalion (1988, h)
- Cameltry (1989, h)
- Arkanoid Returns (1997, h)
- Puchi Carat (1997, h)