6. L’accès facilité au retrogaming
Pour les fans d’Histoire du jeu vidéo comme nous, le dématérialisé permet, notamment grâce à certains jeux réadaptés et disponibles sur les markets, d’avoir facilement et surtout légalement accès à des anciens titres à succès (Final Fantasy VII par exemple) qui n’étaient bien sûr pas nativement compatibles avec les plateformes actuelles. La Console Virtuelle de la Wii accueille même par exemple des dizaines de jeux PC-Engine CD-ROM² (1990), ce qui est tout de même un certain tour de force puisque l’on parle ici d’un support incompatible avec les CDs classiques, ainsi que de nombreux jeux Mega Drive (1988), NES (1983) ou Commodore 64 (1982). Qui plus est, les sauvegardes dans ces jeux sont souvent possibles à n’importe quel moment de la partie, au contraire des titres historiques originaux, et ceux-ci peuvent donc être repris comme si de rien n’était lorsque le joueur le décide, ce qui peut être appréciable, au détriment de contourner certainement un tant soit peu l’œuvre originale, du moins dans son usage initial.
Ainsi, souvent à moindre coût et sans installation matérielle supplémentaire onéreuse et parfois compliquée (comme l’exemple du PC-Engine CD-ROM² donné ci-dessus), le joueur peut avoir accès en quelques minutes à certaines perles de l’Histoire des jeux vidéo, dans un catalogue tout de même, précisons-le dès maintenant, très limité. Il n’est pas non plus question ici, par exemple, que vous puissiez placer dans votre console vos propres ROMs comme on dit communément dans le milieu, issues des cartouches ou CD-ROMs de jeux de votre collection, à moins d’avoir vous-même installé un émulateur. Mais soulignons tout de même un certain intérêt de la part des éditeurs, ce qui tranche radicalement avec leur politique du début des années 2000 par rapport à l’émulation. Notons également d’ailleurs ici les efforts conséquents de notre partenaire DotEmu, qui n’utilise pas de DRM pour protéger leurs adaptations et montrent d’après nous l’exemple.
Il faut également noter la possibilité de trouver sur Internet, ce qui est en lien avec le dématérialisé, et avec un peu de recherche, des fansubs (traductions de fans) de jeux historiques comme les premiers Final Fantasy sur Famicom, mais traduits a minima en anglais, alors que le jeu d’origine est comme dans cet exemple précis disponible en japonais uniquement. Ce travail amateur, mais souvent de qualité puisque réalisé par des passionnés, du moment qu’il n’est pas remis en cause par une action en justice de l’éditeur lui-même, permet là aussi de découvrir des jeux vidéo anciens et souvent cultes dans de bonnes conditions, et toujours sur les plateformes modernes (ici, plus souvent de type ordinateur personnel vu l’emploi d’émulateurs légaux – pas toujours si légaux, NdR – trouvables sur Internet).
7. Replay value et allongement de la durée de nos jeux grâce aux DLCs
Un autre aspect très séduisant du dématérialisé se trouve souvent dans les boutiques spécialisées comme le SingStore, le Rock Band Network et autres. Ces jeux musicaux se voient complétés par de souvent très nombreuses extensions qui apporteront de la Replay Value (plaisir de rejouer), puisqu’ici le joueur achète généralement une chanson qu’il aime, à un prix constant et somme toute dérisoire à l’unité, même si, au final, une playlist digne de ce nom peut revenir très cher ! En effet, une collection de 500 chansons Singstar et votre jeu complet vous aura couté, si nous faisons l’addition : le prix du jeu seul plus toutes les extensions soit 500 × 1,49 € (si vous ne prenez pas l’option guitare ou danse !), autrement dit plus de 700 € ! Mais vous connaissez le dicton : « quand on aime, on ne compte pas » !
Il existe également d’autres types d’extensions qui peuvent redonner un coup de jeune à nos vieux jeux, comme les add-ons de scénarios, grâce auxquels le joueur ajoute de nouvelles missions (ou nouvelles maps en mode multijoueur) à des jeux comme Fallout 3, GTA ou Gears Of Wars 3 pour des exemples récents. Cela permet de mieux rentabiliser encore en quelque sorte l’achat initial, en ajoutant encore de nombreuses nouvelles heures de jeu supplémentaires, et souvent pour un prix abordable.
Addentum : Notez que cela existait bien avant l’arrivée du dématérialisé, c’est ce que l’on appelait à l’époque les Mission Pack ou Data Disk par exemple.
8. Jouez n’importe quand et n’importe où !
Le dématérialisé permet aussi, parfois, non seulement de pouvoir jouer voire reprendre une partie en cours n’importe où et n’importe quand, mais aussi de s’affranchir d’une machine dédiée. C’est un enjeu fondamental pour les années à venir, car il est évident que la multiplication des supports est précisément ce qui empêche le jeu vidéo de se démocratiser au même niveau que le cinéma, la musique ou la télévision. Car si le chiffre d’affaire du jeu vidéo a effectivement dépassé celui du cinéma, c’est en grande partie parce qu’un jeu coûte environ six fois plus cher qu’une place de cinéma, et en moyenne trois fois plus qu’un BluRay.
Depuis quelques années, un nouveau système appelé cloud gaming fait parler de lui. Son principe est simple : le joueur n’a besoin que d’un simple terminal relié à une manette de jeu standard, et streame sur son téléviseur les images de son jeu qui tourne en réalité sur un serveur distant. L’avantage évident d’un tel dispositif, c’est que nous ne sommes plus tributaires de la puissance de notre PC par exemple, qui est en général dépassée au bout de quelques mois. Si ce concept continue de se répandre, cela peut à terme standardiser (mais peut-être aussi formater, donc) l’expérience de jeu. Ce n’est pas pour rien si les constructeurs actuels, au premier rang desquels Nintendo, misent depuis quelques années sur des interfaces originales (manettes à reconnaissance de mouvement, à écran tactile, etc.) pour justifier l’achat d’une console de jeu plutôt que de jouer à l’aide d’une simple manette compatible USB.
Mais là encore, tout n’est pas si rose. Le cloud gaming n’est en effet possible qu’avec une excellente connexion Internet, non seulement pour jouir d’une qualité d’image acceptable, mais pour avoir un minimum de latence (puisque vos appuis sur la manette doivent être envoyés au serveur distant avant que le résultat ne revienne sur votre écran !). Visiblement trop en avance sur son temps, le leader du marché OnLive a frôlé la faillite, et son concurrent GaiKai a été racheté par Sony, preuve que les constructeurs historiques le perçoivent comme un enjeu, ou au pire une menace. D’autant que ce système est associé à d’autres pratiques « modernes », comme le fait de payer un abonnement pour jouer à tous les jeux que l’on souhaite plutôt que de les acheter à l’unité. Ainsi, finie la cour de récré où les fans de Sega Mega Drive toisaient les fans de Super Nintendo et s’échangeaient leurs cartouches ; tout le monde peut avoir accès aux mêmes contenus, souvent gratuitement, et ce en quelques clics à peine. Fini également le temps des machines imperméables et isolées, l’heure du grand partage de jeux vidéo a sonné ! Et ce très notablement grâce à la dématérialisation, qui permet ainsi et quelque part de libérer le jeu vidéo de contraintes physiques.
9. Les Browser Games, l’accès au jeu vidéo facilité pour tous
Nous utilisons tous un ordinateur, une tablette, un smartphone voire même une console de jeu pour naviguer sur Internet ou nous connecter à nos réseaux sociaux favoris, pour partager une information, une image, et pourquoi pas un jeu vidéo ? En effet, avant que la technologie flash ne soit mise à mal (NdR : elle n’est en général pas compatible avec les smartphones et tablettes car trop gourmande en ressources), elle permettait déjà de pouvoir profiter d’un immense parc de jeux (dits flash justement) aussi bien sur son ordinateur personnel que celui du bureau, etc. Elle a été ces dernières années remplacée par la technologie HTML5, qui permet également de rendre interactif votre navigateur Internet et donc, de jouer. Et c’est surtout sur les réseaux sociaux que ces jeux vidéo se sont développés, notamment sur Facebook. Ainsi, connecté avec votre compte personnel et moyennant d’accepter que les éditeurs accèdent à certaines informations personnelles, dont vos contacts pour leur faire profiter du même service pour ainsi dire, des milliers de jeux vidéo dont certains relativement sophistiqués comme The Sims Social sont disponibles. Et ce, que vous soyez chez vous, sur votre ordinateur, à votre travail (si votre firewall vous le permet), sur votre console portable, sur votre smartphone jusque dans le métro, etc. Ce système est même indépendant du système d’exploitation utilisé.
Vous êtes ainsi libérés de la contrainte du support propriétaire, et avez également accès à du jeu vidéo en ligne, multijoueur, pour tous ! Le rêve ! Et cela uniquement grâce au dématérialisé, puisque le contenu même du jeu vidéo est uniquement sur un serveur, votre navigateur ne faisant qu’interpréter en continu les informations qu’il reçoit (NdR : à la différence du cloud gaming, l’image est ici générée par votre machine, seul le « déroulement du jeu », bien plus léger, transite). La mort à venir des plateformes propriétaires peut-être ? Qui sait. Et ne pensez pas que cela se limite à des jeux simples « en 2D », vous seriez surpris de voir les prochains grands jeux d’aventure en ligne (MMORPG) en 3D !
Le bilan est donc à ce stade globalement positif, avec un jeu vidéo beaucoup plus accessible qu’avant, qui coûte moins cher, que l’on peut souvent télécharger n’importe où et n’importe quand, voire même au travers d’un ou plusieurs portails centralisés et qui facilitent l’accès et l’achat des œuvres. Mais comme nous l’avons sans doute déjà fait comprendre en filigrane, les choses ne sont pas si roses.
CONTRE
1. Le problème de ceux qui préservent l’Histoire du jeu vidéo
Comme vous le savez certainement, sinon nous sommes ravis de vous l’apprendre, le but de l’association MO5.COM est de préserver le patrimoine numérique, entre autres domaines l’Histoire du jeu vidéo, dans le but de créer un musée national. Nous ne sommes bien sûr pas les seuls, mais peut-être les plus actifs sur le sujet en France, en attendant la création d’une institution d’envergure nationale qui aurait pour seul but de réaliser la même chose, dans le cadre idéal du musée que nous appelons de nos vœux (Monsieur le Président, nous tenons là votre projet culturel du quinquennat !).
Comme nous l’avons vu, depuis que le jeu vidéo existe sous la forme devenue très rapidement populaire de la console de jeu ou du micro-ordinateur familial, les supports contenants les programmes informatiques des jeux vidéo n’ont cessé d’évoluer, capables de contenir un plus grand nombre de données, accompagnant ainsi la montée en performance des machines et la sophistication technologique, scénaristique, artistique du jeu vidéo.
Jusqu’alors, nous étions capables, grâce à de nombreux moyens dont il n’est pas ici question, de trouver des exemplaires de ces jeux, de ces machines, de les restaurer, de rencontrer les personnes qui utilisèrent ces dispositifs du temps de leur mise sur le marché, afin d’acquérir leur expérience et leurs connaissances, et retranscrire celles-ci sous forme informatique (numériser leur mémoire en quelques sortes), afin de pouvoir revaloriser cet ensemble au sein d’espaces permanents ou temporaires qui seront ceux du futur musée national, où finalement ces données pourront être conservées pour les générations futures.
Dans l’avenir, si nous partons massivement vers du jeu vidéo dématérialisé, que va t-il se passer ? Nous ne trouverons bientôt plus rien à collecter, à préserver. Les jeux vidéo de demain, s’ils sont tous dématérialisés, disparaitront aussi vite ou presque que nous aurons bien pu les télécharger : en un simple clic. Ils disparaitront pour plusieurs raisons : premièrement, sans support externe tel qu’une carte mémoire standard au minimum, les données de nos appareils numériques disparaitront en même temps qu’eux, puisque, on l’a déjà dit, ils ont une espérance de vie de plus en plus courte. Si ceux-ci ne fonctionnent plus, les données qu’ils ont enregistrées ne pourront plus être lues. On ne peut faire plus simple comme raisonnement !
Deuxièmement, même si vous arriviez à les transporter sur une autre plateforme compatible, la majorité des contenus dématérialisés sont à la fois liés à votre compte individuel ou pire, à votre matériel d’origine et son identifiant unique, et ne fonctionneront pas pour une autre personne et une autre machine pourtant du même modèle. C’est le fameux problème des DRMs (Digital Rights Management) au sein même des contenus téléchargeables.
Troisièmement, dans certains cas qui ont malheureusement tendance à se généraliser, l’activation même du jeu vidéo que vous avez pourtant réussi à acheter d’occasion ne peut être faite qu’en ligne sur un serveur appartenant à l’éditeur, et qui lui aussi à coup sûr ne vivra pas au delà de 3 à 4 ans. Et de toute façon, que vous achetiez un jeu ou n’importe quel bien dématérialisé, rien ne permet de vous assurer que vous le retrouverez disponible en ligne et de nouveau téléchargeable plus tard, pour tout un tas de raisons plus ou moins valables. Ce qui est certain, c’est que vous aurez perdu le droit d’en jouir comme bon vous semble, alors que la loi est censée depuis bien longtemps vous protéger en cas d’achat d’un bien, quel qu’il soit.
Inutile de noircir davantage le tableau, nous pensons que vous avez compris. Sans support physique dissocié, isolé, asynchrone par rapport à une politique d’obsolescence programmée généralisée, point de salut ou presque pour les jeux vidéo dématérialisés aujourd’hui, qui demain devront pourtant être préservés si jamais nous voulons en garder au moins un exemplaire jouable. La situation idéale que connaissent les collectionneurs actuels, notamment grâce aux consoles et cartouches de jeux de la catégorie des 16 bits, réputées pour être les plus solides et les plus fiables de l’Histoire, ne se retrouvera plus jamais. Nos confrères, dans quelques années, ne trouveront plus rien à collecter et préserver, et finalement, nous aurons perdu toute trace utilisable de tout ce que nous sommes en train de créer. Nous ne pourrons pas exposer de consoles actuelles avec des contenus téléchargés, du moins officiels, et c’est bien dommage pour nos enfants et les futurs chercheurs de ce nouvel art en devenir.
2. La fin de la collection et des collectionneurs de jeux vidéo
Si nous allons vers le tout dématérialisé et sans aucune alternative, nous autres collectionneurs de jeux vidéo allons disparaitre. En effet, qui pourra se vanter de posséder dans 5 ou 10 ans « la collection complète des jeux dématérialisés sur telle ou telle console » ? Déjà que nous ne parlerons certainement plus d’une machine mais d’un écosystème lui-même, comme par exemple « la complète de Steam », qui pourra se faire valoir comme connaisseur ou détenteur de tout une gamme de jeux dématérialisés, puisque tout le monde aura eu accès – ou n’aura plus accès d’ailleurs – à la même et unique œuvre, exactement au même moment ?
À l’avenir donc, nos chercheurs, étudiants, scientifiques ne pourront plus contacter tel ou tel vieux sage et collectionneur, détenteur certes de la connaissance mais également des œuvres éventuellement encore utilisables dans leur vraie nature (et non pas un remake ou un reboot HD par exemple), et c’est certainement bien dommage.