3. La disparition des points de vente physiques
Évidemment, à ne plus avoir besoin d’étaler dans un magasin les jeux vidéo de demain pour que vous puissiez y avoir accès physiquement, les points de vente traditionnels qui ont pour certains plus de vingt ans sont finalement les premiers qui vont pâtir de ce retournement du marché. Sans parler déjà des pertes d’emploi qui monteront rapidement à quelques milliers alors que le taux de chômage explose en cette année 2012.
Bon nombre de magasins proposent de l’occasion voire des vieux jeux disponibles en bac pour quelques euros, et qui feront l’immense joie de tous ceux/celles qui voudront les découvrir au fil de leur vie de passionnés de jeux vidéo. « Tiens je joue à Final Fantasy XIII-2, mais à quoi ressemble le VII dont tout le monde parle ? Il est chez MachinCash à seulement 10 €, ça vaut le coup de le prendre, j’y jouerais sur ma PS2 que j’ai toujours, bien sûr ! ». Et voila.
Ce qui est tellement évident et utile en terme de consultation d’œuvres culturelles classiques (envie d’un livre ? d’un film ? d’un CD ? vous trouverez facilement une boutique qui en vend même de seconde main !) risque de disparaitre pour nos jeux vidéo si tout est dématérialisé (NdR : il semble justement que la disparition avérée des boutiques spécialisées se fassent au bénéfice des enseignes généralistes, de plus en plus présentes « en ligne » et qui ont déjà le monopole de la vente de biens culturels physiques – livres, musique et vidéo).
4. Et donc la mort annoncée du marché de l’occasion
Nombre d’entre nous attendent quelques semaines voir quelques mois que les premiers acheteurs de tel nouveau titre phare le revendent sur le marché de l’occasion (magasins spécialisés, sites d’annonces, enchères, etc.), afin d’une part de ne pas passer à coté de ce jeu, mais surtout de pouvoir l’acquérir pour bien moins cher que le prix d’origine. C’est un choix, et un droit. Et c’est bien évidemment sans parler de tous les joueurs qui ne peuvent simplement pas se permettre d’investir 70 € dans un jeu, mais préfèrent économiser pour avoir un bon titre à 30 € maximum, ou bien encore du hardcore gamer qui finit rapidement ses jeux et a besoin de pouvoir les revendre pour financer les achats suivants.
Et puis il ne faudrait pas oublier bien évidemment les vendeurs spécialisés, les boutiques en ligne ou physiques qui ont pignon sur rue (comme la chaîne bien connue GAME, dorénavant en liquidation judiciaire), qui n’auraient dès lors que des jeux neufs à vendre comme tout le monde, ce qui nuirait certainement beaucoup à leur chiffre d’affaire et empêcherait également les joueurs concernés par le paragraphe précédent de s’approvisionner en jeux moins chers. Tout ceci donc disparaitrait du tout au tout avec la disparition du jeu vidéo physique et son format de diffusion classique ou historique.
Exit également les opérations de certains magasins ou chaines qui, comme pour le lancement de la Nintendo 3DS par exemple, offraient une bonne remise pour l’achat de la console neuve dans le cas où vous rameniez deux jeux DS en magasin. Que ramènerez-vous dans l’avenir ? Une carte SD avec du code inexploitable dessus ? Un QR Code ? Et ce n’est pas la seule menace qui pèse sur le marché de l’occasion, qui représente bien évidemment une perte potentielle pour l’éditeur si celui-ci se met en tête que tout jeu acheté doit l’être forcément par ses canaux. Un autre phénomène très inquiétant est en voie de s’instaurer : les jeux qui ne sont pas dématérialisés et que l’on peut encore trouver sur le marché de l’occasion doivent être une nouvelle fois activés sur un serveur en ligne pour fonctionner, activation bien souvent payante (NdR : la pratique la plus courante en la matière est le fameux code pour accéder à la partie multijoueur du jeu) ! Scandaleux !
5. Quel avenir pour la mémoire des créateurs de jeux vidéo ?
Nous connaissons tous majoritairement et avons joué aux jeux des créateurs comme Philippe Ulrich, Alexei Pajitnov, Éric Chahi, Paul Cuisset, Frédérick Raynal, Hideo Kojima, Yoshihisa Kishimoto, etc. (tous membres d’honneur de l’association MO5.COM au passage). Tous ces grands noms du jeu vidéo, créateurs voir artistes pour beaucoup d’entre eux, nous sont connus pour avoir conçu des œuvres magistrales qui amenèrent au moment de leur parution une nouvelle ère dans le jeu vidéo, ou du moins un titre devenu phare, donnant parfois naissance à de nouveaux genres.
Finalement, on peut dire que leurs œuvres donnent en partie encore aujourd’hui ses lettres de noblesse au jeu vidéo, et lui ont permis de se hisser des tréfonds des salles obscures des cafés jusqu’à la même place qu’un bien culturel classique, c’est-à-dire au même rang que les livres, les films, les albums de musique, etc. et cela tout simplement en tant qu’œuvres de l’esprit.
Maintenant, que se passera t-il à l’avenir si nous n’avons pas le loisir de consulter leurs œuvres comme nous le faisions avant la dématérialisation du jeu vidéo ? Sans sauvegarde des supports, et des jeux eux-mêmes donc, sans la possibilité de rejouer dans plusieurs années à leurs œuvres fondatrices, nous ne pourrons garder que des traces sous formes de vidéos et encore, comme témoignages incomplets de ces œuvres et de ceux qui y jouèrent (nous !), et c’est là aussi certainement dommage. C’est comme si pour découvrir la Joconde, nous n’aurions accès à l’avenir qu’à une image JPEG avec des artefacts de compression, ou à une version colorisée artificiellement voire en 3D de Metropolis de Fritz Lang !
6. Le nivellement pas le bas de la qualité des jeux vidéo ?
Le dématérialisé a entraîné la création d’une profusion de nouveaux jeux qui, il ne faut pas s’y tromper, sont souvent aussi simples voire, admettons-le, aussi creux que les premiers jeux des consoles 8 bits de 1980. Le dématérialisé permet à n’importe qui ou presque de créer n’importe quoi et de le mettre rapidement sur un market à moindre frais, et si l’on est un tant soit peu critique sur la qualité même de ces jeux, qu’observe-t-on ? Que majoritairement, à part éventuellement pour le côté graphique, ils ne sont pas plus aboutis que des jeux de 1981 sur Atari VCS 2600. Certains sont mêmes plus basiques encore. Les plus évolués d’entre eux sont souvent des remakes souvent grossiers de jeux existants et à succès sur console de salon (Halo, God Of War, Final Fantasy, etc.) et perdent au passage sur les plateformes mobiles la maniabilité d’origine autour de laquelle le jeu a été créé (sans parler des aberrantes interfaces uniquement tactiles, une horreur pour tout joueur de jeu vidéo d’action qui se respecte).
Bien sûr, nous ne tirons pas à boulets rouges sur les petits studios et les jeunes créateurs, bien au contraire, mais il faut garder à l’esprit que le jeu vidéo en tant que potentiel nouvel art a un besoin continuel de mûrir, de se développer, de s’améliorer, et ce n’est pas avec l’aide des [innombrables clones de jeux d’escalade perpétuelle] ou bêtises du genre que cela va se produire. Fort heureusement, certains jeux vidéo même très simples sont des antithèses de ce que nous racontons ici, et nous prenons volontiers le risque d’en nommer quelques-uns : Flower, Journey, Angry Birds (on prend le risque on vous disait !), World Of Goo, etc. Mais c’est un aspect à garder en tête si nous aimons vraiment le jeu vidéo, et le pousser plus haut sur le point de vue qualitatif, pas forcément quantitatif.
Et puis, au risque de passer pour de vieux grincheux, permettez-nous de vous rappeler ce qu’il s’est passé en 1983 : le krach des jeux vidéo, principalement aux États-Unis. Toute une industrie pourtant florissante et engrangeant déjà des centaines de millions de dollars s’est retrouvé au plus mal en quelques mois à peine, car les éditeurs de l’époque avaient sans vergogne tenté de vendre tout et n’importe quoi aux joueurs, pour en extraire jusqu’au dernier dollar et faisant totalement fi de la qualité de ce qu’ils vendaient. Et finalement, tout le monde a arrêté d’acheter leurs jeux exécrables et les consoles sur lesquelles ils tournaient, du jour au lendemain. L’histoire, comme chacun le sait, n’est souvent qu’un long recommencement, et une certaine console portable double écran en a fait les frais encore récemment (NdR : pas avec les mêmes conséquences heureusement, même si de nombreux éditeurs ont été fragilisés et se sont retournés vers la nouvelle poule aux œufs d’or, l’iPhone). Et ensuite ?
7. Le jeu vidéo, le futur parent pauvre des biens culturels à transmettre ?
Prenons un exemple précis, peut-être pas le meilleur puisque cette sélection est très subjective, mais en tout cas qui permet de donner du sens à ce propos. La bande-dessinée Scott Pilgrim. Rien n’empêchait la prochaine génération et les potentiels futurs yeux qui liront ces lignes, d’apprécier à sa juste valeur la célèbre bande dessinée, qu’ils téléchargeront certainement sur un market de l’avenir, et qui potentiellement auront envie de découvrir les produits dérivés de cet univers si particulier, très empreint de culture du jeu vidéo justement. Dès lors, ils tomberont très facilement sur le film de 2010, qui quoiqu’on en pense, décrit fort bien l’univers décalé de la bande-dessinée. Et par la même occasion, ils apprendront certainement au détour d’un site web qu’il a existé un jeu vidéo tiré de la fameuse licence lui aussi, intitulé Scott Pilgrim Vs. The World, disponible uniquement en dématérialisé sur la Xbox… 360. Hein ? La génération d’avant ou d’encore avant ? Qu’est ce que c’est que cette machine ? Ah oui, il parait qu’elle tombait en panne au bout de trois mois. Il est impossible d’en trouver une fonctionnelle et avec le jeu installé. CQFD.
Terminé. L’aventure et la recherche de nos jeunes compatriotes s’arrêtera ici en ce qui concerne ce jeu vidéo. La chaîne classique des biens culturels liés à une œuvre s’arrêtera avec le jeu vidéo dématérialisé. Impossible, une nouvelle fois, de remettre la main sur le jeu dérivé, de l’expérimenter, de se forger un avis critique dessus même quinze ans après, au contraire de l’œuvre originale, la bande-dessinée qui existera certainement toujours même numérisée, et le film certainement lui aussi. Pourquoi dès lors le jeu vidéo, lui, devrait disparaitre ? Au nom de quoi les futures générations qui s’intéresseront aux jeux vidéo dématérialisés d’aujourd’hui, pourquoi pas même des étudiants ou des chercheurs, certainement sur une plateforme propriétaire absolument pas pérenne, ne trouveraient rien à l’avenir que des vidéos du jeu ou des tests ? Ceci rendant donc le jeu vidéo moderne comme le parent pauvre des biens culturels au milieu des classiques comme le livre, la bande-dessinée, le cinéma ou la musique. N’aurons-nous donc, joueurs de jeux vidéo, plus rien à transmettre à nos enfants que nous aurions aimé partager avec eux en termes d’expériences et d’œuvres ?
8. Le cas « Oscar »
J’exprimais pour ma part de grandes craintes dans une interview datée de quelque temps pour l’excellent site Eklecty-City. J’imaginais le pire en supposant que les utilisateurs auront face à eux des systèmes de téléchargement qui nous permettront de télécharger une seule fois seulement tout contenu acheté. Et bien évidemment, ce « pire » est arrivé, sous la forme d’une histoire arrivée à l’un des membres de l’association que nous appellerons « Oscar ».
Oscar a acheté une console portable très répandue et comme beaucoup de joueurs, s’est empressé d’acheter des jeux téléchargeables, dématérialisés donc, sur le marché en ligne de la firme. Jusque là, le dématérialisé lui apportait ce qu’il attendait : des jeux sympathiques à moindre coût. Mais un jour, la console portable d’Oscar tomba en panne. Plutôt que d’attendre l’envoi/retour au SAV standard de la machine défectueuse, ce qui peut prendre plusieurs semaines voir mois, et comme Oscar est un gros joueur avec pas mal de temps à tuer dans les transports en commun et qu’il n’est pas près de ses sous, il acheta donc une deuxième console portable identique à la première. Dès son retour à la maison, Oscar voulut bien évidemment re-télécharger les jeux qu’il avait acheté pour continuer à jouer, et cela s’avéra juste impossible.
Bien que vous ayez acheté ces jeux, et que légalement ils vous appartiennent, vous ne pouvez pas les télécharger sur un autre support que le support originel avec lequel vous avez effectué l’achat. Du moins, vous n’êtes pas habilité et n’avez pas la possibilité même technique de le faire, sauf si votre machine tombe effectivement en panne et que vous demandez à la firme et son SAV de faire le transfert de compte à votre place. En attendant, notre Oscar est bien embêté et a furieusement l’impression de s’être fait avoir en ayant acheté au final que du vent. Pour terminer notre petite histoire somme toute assez triste, nous pouvons également citer la réponse du SAV de la dite firme qui fut, en regard de sa 4ème lettre recommandée, de lui conseiller de racheter les dits jeux ! Tout va bien ! (NdR : peut-être parce que la même firme avait exceptionnellement remboursé tous les achats en ligne d’Oscar dans le cadre d’une affaire précédente, mais passons)
Addentum : Il semble que ce problème soit toujours de mise avec la dernière console de salon sortie chez la même firme (NdR : la firme s’est en réalité engagée à résoudre le problème, mais il ne l’est pas à l’heure actuelle. Pour expliquer ces difficultés techniques, et cela ne fait que souligner la problématique du dématérialisé, les constructeurs imposent ces contraintes pour éviter, par exemple, qu’une personne achète plusieurs consoles, n’achète les jeux qu’une fois et revendent toutes les machines avec en mémoire une copie de chaque jeu. Une société concurrente permet, elle, la copie sur plusieurs machines, mais l’acheteur ne peut télécharger son jeu qu’un nombre fixé de fois, en tout et pour tout ! La meilleure solution reste sans doute celle trouvée par Steam sur PC, qui exige que l’utilisateur s’identifie via un code envoyé par mail chaque fois qu’il change de machine, ce qui peut toutefois s’avérer très pénible pour un joueur qui passe beaucoup de son ordinateur de bureau à son portable par exemple).