
Après un édito pour le moins généraliste, je m’attaque au contraire à un sujet très spécifique et en profondeur : les tentatives récentes de comeback sur le marché des consoles des trois marques américaines emblématiques de la deuxième génération, Atari, Coleco et Intellivision. À vrai dire, si je n’ai pas abordé ici l’Amico depuis le lancement surréaliste des « produits physiques » en octobre de l’année dernière, c’est que je prépare depuis plus d’un an ce dossier destiné au site Gamekult et que j’ai finalement décidé de commencer à publier ici – ce « feuilleton » sera composé de quatre épisodes mis en ligne a priori chaque mois environ. Il faut dire qu’il a quasiment doublé de taille depuis la première version, la faute en particulier à la console d’Intellivision Entertainment qui fait très, très long feu… Et c’est d’ailleurs parce que d’autres rebondissements sont toujours possibles – on a par exemple appris cette nuit que les développeurs de Roblox allaient supprimer un célèbre bruitage de leur jeu à cause d’un litige les opposant à Tommy Tallarico, l’ex-nouveau PDG d’Intellivision – que l’on va évidemment débuter par les deux autres, elles déjà beaucoup abordées dans ces colonnes, la Coleco Chameleon et l’Atari VCS. Ce sera toutefois l’occasion de revenir en détail sur certains points, parfois découverts entretemps. Ce dossier débute toutefois par un rappel historique permettant de mieux éclairer les raisons de ces comebacks peut-être pas si inattendus…
Quand les consoles américaines se rebiffent
Les Expendables du retrogaming ?
Comme l’illustrent régulièrement les annonces de nouvelles mini-consoles, d’éditions physiques de productions homebrew ou d’innombrables livres sur l’histoire du jeu vidéo, le retrogaming a le vent en poupe. Et c’est devenu un tel business que l’on voit parfois des retours improbables, qui vont des rééditions dispendieuses de nanars en full motion video aux répliques d’accessoires factices pour une mini-machine, en passant par des T-shirts à l’effigie de mascottes oubliées… Mais les comebacks les plus « spectaculaires » (à défaut d’être toujours réussis) de ces dernières années sont sans doute ceux de trois constructeurs qui ont connu leurs heures de gloire durant les deux premières générations de consoles, et que les machines venues du Japon ont quelque peu fait oublier – et c’est bien là le problème… En Europe, et en particulier en France où l’on est très amateur de culture japonaise, des noms comme Coleco ou Intellivision (voire Atari dans une bien moindre mesure (*)) paraissent presque exotiques hormis pour les joueurs quinquagénaires qui les ont connus à l’époque, et on a forcément plus de mal à prendre au sérieux ces Coleco Chameleon, Atari VCS et Intellivision Amico. Pourquoi ces marques sont ressorties de leur placard en l’espace de quelques années ? Quel est le public visé par ces consoles ? C’est ce que nous allons tenter de comprendre…
Important!
(*) D’après le numéro de Tilt sur la guerre des consoles à la rentrée 1990, l’Atari 2600 resterait la console la plus vendue en France avec 100 000 exemplaires écoulés, mais elle coûtait beaucoup moins chère et était du reste déjà perçue comme une vieillerie. Cela demeure cependant étonnant vu le peu de gens qui en parlent aujourd’hui…
Big Haine
Le grand chambardement
Il serait exagéré de dire qu’il n’a eu aucun impact sur l’Europe, dans la mesure où l’on n’y trouvait pas vraiment de fabricant de console hormis Amstrad et sa malheureuse GX4000, mais le krach du marché des consoles de 1983 a avant tout bouleversé la donne aux États-Unis. On peut même dire que c’est l’un des évènements fondateurs de l’histoire vidéoludique américaine, tant il a redistribué les cartes et surtout déplacé le pôle de création vers le Japon, où il restera jusqu’au début des années 2000 au moins. L’onde de choc n’est toutefois pas aussi brutale pour tous ; certaines consoles comme l’Atari 5200, la ColecoVision et la Vectrex en ont d’autant plus souffert qu’elles viennent alors à peine de sortir, en 1982. Et comme la micro-informatique, elle, se porte alors très bien, le Commodore 64 en tête, le mouvement général est de transformer les consoles ou les remplacer à la va-vite par des micros. La ColecoVision laisse sa place à l’Adam, l’Intellivision à l’Aquarius et même SEGA transforme sa SG-1000 en SC-3000 que l’on a d’ailleurs davantage connu en France, distribué par Yeno (ironiquement, on assistera à partir de la fin des années 1980 au mouvement inverse quand les micros seront ringardisés par les consoles japonaises, avec la C64GS, l’Atari XEGS, l’Amstrad GX4000 puis l’Amiga CD32 et la Marty). Et Atari, qui avait du reste déjà lancé sa gamme de micro-ordinateurs 8-bit en 1979, se concentre d’autant plus sur ce marché que Warner Communications vend en juillet 1984 la division consumer (mais pas la branche arcade) à Jack Tramiel, qui vient justement de quitter Commodore… Cependant, toutes ces reconversions au chausse-pied ne sont pas couronnées de succès, loin de là, et la plupart de ces machines n’ont pas tenu longtemps.
L’Aquarius en particulier n’est commercialisé que quatre mois, et Mattel ne fabriquera plus de machine de jeu jusqu’en 2006 avec l’HyperScan – et ce sera un échec encore plus cinglant. Néanmoins, l’équipe en charge de l’Intellivision fonde INTV Corporation pour continuer de faire vivre la console (et ses nouveaux modèles) jusqu’en 1990, quitte à passer par la vente par correspondance. Ainsi, la console de 1979 (mais disponible plus largement en 1980) aura eu une durée de vie bien plus longue que la ColecoVision. L’Adam, qui désigne à la fois un micro-ordinateur dérivé et un module pour transformer la console en micro, connait des débuts catastrophiques ; les retards se multiplient et, quand les premiers exemplaires de la machine sont livrés fin 1983, beaucoup se révèlent défectueux… Coleco, qui du reste venait du cuir avant de se mettre au jouet, abandonne le marché du jeu vidéo début 1985, sans savoir que c’est ce caractère éphémère qui conférera à la console son aura culte. Chez Atari, alors qu’elle devait faire oublier la 5200 dès 1984, l’Atari 7800 est finalement repoussée à 1986 tandis qu’une nouvelle tête est dans la place depuis peu, la NES. L’Atari 7800 n’est pas sans qualités, mais le constructeur reste sur ses vieux réflexes de proposer des portages de ses classiques bien rentabilisés de l’arcade, quand les joueurs commencent à découvrir des jeux de plateforme et d’action/aventure plus profonds sur la 8-bit de Nintendo… La 7800 subsistera tout de même jusqu’en 1992 (et même l’été 1993 au Royaume-Uni), mais c’est sans doute grâce à la réputation de la vénérable 2600 avec laquelle elle est rétro-compatible. Atari met un terme à toutes ses machines 8-bit le 1er janvier 1992, alors que la société détient 12% du marché américain, contre 80% pour Nintendo.

Japan Go Home
Si elle sort de manière limitée fin 1985 (à l’instar de l’Intellivision six ans plus tôt), c’est surtout en 1986 que la NES inonde le marché américain et devient un phénomène assez vite, peut-être encore plus que dans son pays d’origine. La situation est tout autre en Europe où la console n’arrive que fin 1987 et connaît des débuts difficiles, limitée par un catalogue d’invendus de première génération… C’est ce qui permet à SEGA et sa Master System de faire jeu égal, voire mieux selon les pays du Vieux Continent, mais cela profite surtout aux micro-ordinateurs, d’abord à l’Amstrad CPC puis, derrière, à l’Atari ST et l’Amiga – machines confidentielles voire inconnues des Américains où le PC s’est mieux implanté dès le milieu des années 1980. Mais ce dernier est encore loin d’être perçu comme une plateforme de jeu ; si un Commander Keen in Invasion of the Vorticons (1990) ne risquait pas d’impressionner un joueur sur consoles même à l’époque, c’était déjà une réelle prouesse de la part d’id Software de créer un scrolling multidirectionnel fluide sur PC ! Autant dire que Nintendo n’a pas eu tellement de concurrence pour devenir synonyme de jeu vidéo là-bas.
Et puis, comme au Japon, le constructeur a mis en place des contrats assez drastiques avec les éditeurs tiers pour les contraindre à réserver l’exclusivité de leurs jeux à la NES, ce qui a nécessairement nourri la rancœur des possesseurs des consoles rivales… Il est toutefois important de rappeler que les développeurs n’auraient sans doute pas accepté de tels deals s’ils n’étaient pas plus intéressants que de faire du multiplateforme, mais cela a forcément contribué à accélérer un cercle vertueux – enfin pour Nintendo, car très vicieux pour les autres. Les Américains ont en plus la fibre patriotique et, comme on l’a vu, leurs consoles à eux ont continué d’exister sur le marché, quitte à faire tapisserie. C’est pourquoi il existe, comme ailleurs pour des raisons plus ou moins similaires, une génération de joueurs gardant de l’amertume, voire vouant une certaine haine vis-à-vis du constructeur japonais qui a largement éclipsé tout ce qui a précédé la NES dans l’inconscient collectif, et même dans une bonne partie de la littérature sur le jeu vidéo… Un peu comme la génération suivante en voudra à Sony d’avoir encore chamboulé l’industrie avec la PlayStation (et chassé SEGA). Là où cette console est parfois accusée d’avoir « tué » la 2D, certains reprochent à la NES – aussi étrange que cela puisse paraître avec le positionnement actuel de Nintendo – d’avoir sonné le glas d’un jeu vidéo plus « accessible », reposant sur un gameplay typé arcade à un seul bouton. Il est vrai que la 8-bit demeure connue pour de nombreux classiques purement solo et réputés pour leurs challenges relevés, qui ont biberonné pas mal de pros du pad d’aujourd’hui… Et n’oublions pas que la société est aussi à l’origine du standard des manettes avec le contrôle du mouvement à gauche, quand les consoles américaines étaient jusque-là majoritairement ambidextres !

(et pas qu’eux…)
Tout cela est bien entendu une généralisation, d’autant qu’on trouvait déjà sur Atari 2600 des jeux parfois incompréhensibles pour un non initié (au hasard le fameux E.T.). Mais c’est un sentiment que l’on retrouve souvent dans cette génération de quinquagénaires américains, nombreux à traîner sur AtariAge. Créé en 1998 alors qu’Internet était à peine démocratisé, et initialement dédié à Atari comme son nom l’indique (et plutôt à ses consoles encore une fois), ce forum est depuis devenu un éditeur de jeux homebrew mais s’est aussi largement ouvert aux autres machines rétro, et tout particulièrement aux autres consoles pré-NES, d’autant qu’il existe déjà des équivalents consacrés à Nintendo (comme NintendoAge d’ailleurs). Il n’est donc pas très étonnant que les Coleco Chameleon, Atari VCS et Intellivision Amico aient trouvé dans ce forum leur public initial, leurs premiers soutiens comme leurs premiers détracteurs. Car cette communauté reste multiple et, même si la majeure partie est habitée par la nostalgie, ses réactions lorsqu’on stimule celle-ci peut aller du « shut up and take my money » au sentiment de trahison. Par exemple, si certains continuent de soutenir la VCS juste parce qu’ils ne se lassent pas de l’idée qu’Atari ait sorti sa première console depuis la Jaguar, d’autres n’ont jamais digéré que l’Ataribox ait finalement repris le nom de la première console de la société – l’Atari VCS n’est en effet devenue Atari 2600 qu’en 1982 avec la sortie de la 5200, pour harmoniser la gamme. Mais conquérir ce public de niche n’est pas sans intérêt ; c’est le principe même du marketing évangéliste qui consiste à convaincre un petit groupe de fans invétérés qui vont ensuite jouer le rôle d’ambassadeurs et relayer la bonne nouvelle – l’Amico a en particulier beaucoup joué cette carte, même si cela a fini par se retourner contre elle…
License To Get, Permis de douter
Avant d’aborder chaque cas de manière plus spécifique, il nous reste un écueil commun à souligner. Car si ces trois consoles ont voulu exploiter la nostalgie des joueurs, leurs initiateurs semblent avoir oublié que, par définition, celle-ci embellit les souvenirs jusqu’à souvent les fausser. Encore une fois, les deux premières générations de consoles ont surtout marqué les esprits pour leurs portages de jeux d’arcade, autrement dit de classiques dont les constructeurs de l’époque n’ont fait que « louer » la licence sur le moment. C’est surtout flagrant pour la ColecoVision, qui doit avant tout son succès de courte durée à son adaptation de Donkey Kong (1981), bien supérieure à celles que proposaient alors ses rivales (lire notre chronique sur le sujet). Mais c’est aussi vrai pour l’Intellivision dont les titres les plus populaires sont BurgerTime (1982), les jeux estampillés Tron ou Donjons & Dragons. Il a fallu par exemple négocier avec G-Mode, détenteur heureusement généreux des droits du catalogue Data East, pour préparer un nouveau BurgerTime sur Amico, et Cloudy Mountain (1982) a perdu sa licence D & D sur la console. Et même s’il prétend essayer régulièrement, on doute que Tommy Tallarico parvienne à décrocher Tron des mains de Disney…

De ce point de vue, il est clair qu’Atari est celui qui s’en sort le mieux grâce à quelques licences célèbres comme Pong, Missile Command et Asteroids, mais aussi une poignée de titres cultes comme Tempest et Yars’ Revenge. Hélas, ce sont des titres si anciens et rudimentaires, et surtout qui n’ont pas connu d’évolutions majeures depuis, qu’il est bien difficile de les « moderniser » sans trop les dénaturer… En outre, on constate encore souvent que beaucoup de joueurs associent à tort la société à des jeux d’arcade japonais (Pac-Man, Space Invaders) et surtout à ceux d’Atari Games (Paperboy, Rampage, Gauntlet, etc.) qui n’est pas le « même » Atari. Comme on l’a rappelé plus haut, Warner avait uniquement cédé en 1984 la division consumer à Jack Tramiel, renommée Atari Corporation. Celle dédiée à l’arcade (mais qui sortira aussi des jeux NES via son label Tengen), porte initialement le nom d’Atari Games. Elle deviendra un temps Time Warner Interactive au milieu des années 1990 puis, deux ans après son rachat en avril 1996 par WMS Industries qui détient déjà Bally et Midway, elle sera rebaptisée Midway Games. Lors de sa faillite en 2009, Warner Bros. Interactive Entertainment en a récupéré les droits et le catalogue et ainsi, l’Atari d’aujourd’hui, qui a lui-même énormément changé de forme et de propriétaire depuis sa création en 1972, n’a absolument pas accès à toutes ces licences – à moins de payer pour, comme n’importe quelle autre société.
Ce rappel historique fait, nous allons à présent aborder les cas particuliers de la Coleco Chameleon, morte et enterrée depuis quelques années déjà, de l’Atari VCS, finalement sortie à la surprise de pas mal d’observateurs mais qui reste comme ils l’avaient prévu circonscrite à un public de niche, et enfin l’Intellivision Amico dont le sort n’est pas encore totalement scellé, mais dont le parcours a déjà été semé de nombreuses embuches…

Le Fiasco Coleco
Rêves de cuir
Comme on l’expliquait en préambule, Coleco a totalement abandonné le marché du jeu vidéo début 1985, mais cela ne veut pas dire que les joueurs ont laissé tomber la ColecoVision pour autant. En 1996, Kevin Horton, l’actuel ingénieur d’Analogue, code le premier jeu homebrew pour la console, Kevtris, qui deviendra dès lors son pseudonyme. Et grâce au kit de développement créé par Amy Bienvenu, la scène va prospérer de manière impressionnante, avec au moins trois « gros » éditeurs sur ce marché : CollectorVision, Team Pixelboy et Opcode Games. Beaucoup de jeux sont toutefois des « portages » de titres MSX, SG-1000 et des nombreuses autres machines au hardware très proche, comme si les développeurs amateurs voulaient avant tout réparer l’injustice du krach de 1983… Quant à la société Coleco elle-même, elle existe toujours bien que ses jouets aient été récupérés par Hasbro en 1989. En 2005, la marque Coleco est récupérée par River West Brands, une société spécialisée dans la gestion de propriétés intellectuelles et en particulier dans la résurrection de vieilles marques ; elle a d’ailleurs opté pour le nom plus explicite Dormitus Brands depuis. Ainsi, le nom Coleco a été utilisé pour commercialiser divers jeux électroniques (comme la Coleco Sonic incluant des jeux Master System et Game Gear !), mais les relations ont été assez tendues avec la scène homebrew qui l’utilisait sans en avoir le droit… En particulier quand Chris Cardillo, un jeune entrepreneur au profil bien inhabituel (cf. encadré) investit fin 2015 dans Coleco Holdings, la filiale dédiée que River West Brands a créée l’année précédente ; on peut d’ailleurs consulter une liste de contentieux l’opposant à la communauté sur AtariAge.
Important!
Fils de Chris Cardillo Sr., patron d’une grande entreprise fabriquant des fenêtres, Chris Cardillo s’est vu confier avec son frère Nick la gestion de la succursale de New York en 2001 en guise de test, avant de prendre le contrôle de la société en 2005 et d’en faire, en une dizaine d’années, une entité pesant 75 millions de dollars. Mais il n’est pas un homme d’affaires comme les autres, ayant aussi œuvré dans le cinéma, le rap et ayant écrit un bouquin expliquant comment obtenir des bonnes notes sans rien glander !
Mais la Coleco Chameleon ne portait justement pas ce nom au départ ; le concept est né en tant que Retro VGS. C’est en février 2015 sur les forums de NintendoAge que Mike Kennedy, le fondateur du magazine RETRO, annonce son intention de concrétiser son rêve de créer sa propre console de jeu avec l’aide du programmeur Steve Woita (Kid Chameleon). Mais il commet d’emblée une première erreur : se focaliser sur le contenant au détriment du contenu. Car ce qui est d’abord gravé dans le marbre, c’est que la machine utilisera des cartouches et qu’elles auront la forme de celles de la Jaguar, dont la Retro VGS reprend également la coque ! Il faut savoir qu’après l’échec de ce qui fut jusqu’à récemment sa dernière console, Atari avait revendu les moules de la machine et de ses cartouches à Imagin Systems, une société spécialisée dans l’imagerie dentaire qui s’en est servi pour un système de caméra utilisé par les dentistes !… Kennedy a ainsi pu les racheter fin 2014, ce qui devait lui permettre de faire de sacrées économies pour la production de cartouches, un moule dépassant souvent les dix mille dollars. Et ironiquement, même s’il devait être possible d’en brancher d’autres en DB9 (connectique utilisée par l’Atari 2600, la plupart des micro-ordinateurs 8 et 16-bit, la Master System et la Mega Drive), la manette officielle devait s’inspirer du contrôleur classique de la Wii U !
SNES Inside®
Mais ce qui scelle souvent le destin d’une console, ce sont ses jeux, et Mike Kennedy a de grosses ambitions en la matière… Voulant aussi bien accueillir des classiques que des productions indé, son idée est de faire de la Retro VGS une console rétro universelle reposant sur la technologie FPGA. La console disposerait ainsi d’un circuit logique reprogrammable et chaque cartouche contient non seulement le jeu mais également le « cœur » émulant le fonctionnement de la machine correspondante. Le problème, c’est que la technologie coûte alors encore cher, surtout quand on veut recréer aussi des consoles 16-bit – et l’équipe n’y connaît rien… Elle se tourne logiquement vers l’une des sommités en la matière, Kevin « Kevtris » Horton, alors qu’il s’apprête justement à rejoindre Analogue cette année-là, en 2015. Jusqu’ici, il a le projet de créer sa propre console à base de FPGA, la Zimba 3000, mais il se rend vite compte du manque de sérieux de Mike Kennedy (notamment quand il est question d’intégrer un mini « disque dur » dans chaque cartouche) et il décline la proposition. Pourtant, à la rentrée 2015, au lancement de la campagne de financement que l’on attendait sur Kickstarter, mais qui a préféré un Indiegogo bien moins regardant sur l’existence d’un prototype, il est encore question d’utiliser la technologie FPGA, et la console coûte déjà la somme rondelette de $299 minimum, ce qui effraie beaucoup de joueurs ; la campagne est un échec cuisant, ne récoltant que 3,4% de son objectif… Peu après, Mike Kennedy s’épanche sur AtariAge pour expliquer que les choses se passent très mal en coulisses, surtout depuis que John Carlsen est l’ingénieur en chef de la console, car il est évident qu’il faudrait que celle-ci coûte bien plus pour concrétiser l’ambition de Kennedy. Carlsen perd en plus beaucoup de crédibilité à la publication d’une vidéo censée montrer le prototype sur son établi, couvert d’oscilloscope, ressorts et autres accessoires pour faire « plus vrai » mais qui ne fait guère illusion auprès des connaisseurs :
Mais peu avant Noël 2015, un chevalier blanc vient sauver la Retro VGS ; c’est le fameux Chris Cardillo, qui vient de prendre les rênes de Coleco Holdings. Au risque d’embrouiller tout le monde puisque la machine conserve la forme d’une console Atari, la Retro VGS devient la Coleco Chameleon. Au moins, la deuxième partie de ce nom est un peu plus représentative d’un hardware s’adaptant à la cartouche insérée, mais celui-ci va-t-il bien se concrétiser, au moins ? C’est en février 2016 que tout part en vrille, alors que la console est présentée lors de la Toy Fair de New York et qu’une seconde campagne est prévue cette fois sur Kickstarter à la fin de ce même mois… La démonstration laisse en effet grandement à désirer, ne montrant que des jeux Super Nintendo, ce qui laisse vite penser aux plus sceptiques que c’est la PCB de la 16-bit qui est planquée dans la coque du « prototype » dont la diode d’allumage ne fonctionne pas, même en état de marche. Surtout que Mike Kennedy semble davantage poser la cartouche qu’il ne l’insère, et que les visiteurs utilisent aussi des manettes Super Nintendo alors que la Chamelon est censée être dépourvue des connectiques idoines. Dans une interview filmée, Kennedy tentera de se justifier en expliquant que les joueurs avaient tendance à utiliser les sticks analogiques de la future manette, non fonctionnels pour les jeux présentés… C’était sans compter sur l’opiniâtreté d’AtariAge qui va disséquer toutes les images pour essayer de dévoiler le subterfuge. Un membre du forum a même recréé son propre faux prototype et un article de Retro Gaming Mag a tenté de compiler les différentes théories, d’autant que la page Facebook de la Retro VGS, sur laquelle se trouvaient certaines publications, a bien entendu été supprimée depuis.
Simple comme bonjour
Acculé, Mike Kennedy commence par rejeter la faute sur John Carlsen avant d’avouer lors d’un podcast qu’il s’agissait bien d’une Super NES 2 dans le prototype. Mais il ne cède pas sur tous les aspects de la supercherie pour autant, et la campagne doit encore être lancée. Sans surprise, elle est toutefois repoussée « pour rendre la console encore meilleure » suite aux retours soi-disant dithyrambiques des visiteurs, et compte tenu de l’intérêt de nombreux partenaires prestigieux qu’il est bien entendu impossible de révéler pour le moment, etc. Le communiqué est de plus accompagné de photos d’un nouveau prototype, cette fois allumé, chargé avec une cartouche, connecté à un téléviseur et dont la coque est même (légèrement) transparente ! Mais c’était une nouvelle fois sous-estimer le talent des limiers d’AtariAge qui n’ont eu besoin que d’à peine quarante-huit heures pour identifier les entrailles de la console à travers la coque : cette fois une carte de capture vidéo Hicap50B destinée à la télésurveillance !
Après ce dernier rebondissement croquignolesque, de nombreux associés de Mike Kennedy se retirent du projet et surtout son financeur, Coleco Holdings, annonce vouloir enquêter sur ce prototype, tandis que d’anciens collaborateurs en profitent pour multiplier les anecdotes sulfureuses sur Kennedy… Et de toute façon, comme un prototype est obligatoire pour lancer une campagne sur Kickstarter, le projet est finalement annulé début mars 2016. Or ironiquement, à l’automne 2020, une campagne Kickstarter sera bien lancée, mais par un ancien partenaire de podcast de Kennedy, Mike James (alias « UK Mike » pour le différencier de « SoCal Mike »), et pour financer un livre sur ce fiasco. Hélas, de l’avis général, il n’est pas très bien écrit, bourré de digressions personnelles, et ne reflète pas aussi bien cette histoire que les milliers de publications d’AtariAge… Il s’appelle Smoke And Mirrors comme le site que Mike James avait créé pour suivre l’affaire au jour le jour. On y trouve notamment de nombreuses citations, dont une de Mike Kennedy est devenue célèbre au point de créer un mème sur le forum (voire au-delà). Une personne avait en effet demandé à Kennedy, sans doute sur Facebook, comment il comptait gérer le fait que des cartouches ne permettraient pas les mises à jour. Il a alors répondu « tout d’abord, nous allons demander aux développeurs de nous livrer des jeux sans bug » puis, après avoir détaillé les tests voire les remplacements de cartouches envisagés, il a conclu avec un légendaire « Simple as that! » (« Aussi simple que ça ! »).
Cette affaire mémorable a bien entendu créé un précédent auquel à peu près tous les projets de consoles rétro qui ont suivi ont été comparés, du moins sur AtariAge. Certains ont toutefois réussi comme l’Evercade qui a d’ailleurs ironiquement repris le concept de consoles à cartouches, bien qu’elles puissent elles être mises à jour indirectement grâce au firmware de la portable, et que l’initiative soit par ailleurs assez différente – ce qui explique peut-être son succès… En revanche, d’autres ont refait les erreurs de Mike Kennedy car, contrairement à ce que beaucoup affirment, ce n’était sans doute pas un escroc mais avant tout un passionné, clairement naïf et incompétent, et qui voulait tout simplement réaliser le rêve que beaucoup d’entre nous partagent probablement : créer sa propre console. Hélas pour lui, l’art ne réside pas dans l’intention mais dans l’exécution.
L’épisode deux sera consacré à l’Atari VCS !
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