La communauté Jaguar et même une bonne partie de celle d’AtariAge a été ébranlée cette semaine en apprenant l’annonce, par le responsable du site Albert Yarusso, du bannissement immédiat d’Alexander von Knorring alias PhoBoZ, un nouveau-venu sur la scène Jaguar mais qui avait déjà fait ses preuves avec Kings of Edom et Asteroite, et travaillait sur plusieurs jeux alléchants comme Hammer of the Gods et SplatterVania… Des projets qui, on l’espère, ne sont pas remis en cause par cette décision mais qui rendra indéniablement plus difficile notre travail de relayer ici leurs avancées. Nous reviendrons dans cet article sur les raisons qui ont conduit à son éviction du site, mais nous aborderons aussi d’autres « affaires » car, malheureusement, il ne s’agit que d’un énième débordement au sein de la scène homebrew sur la console d’Atari. Il existe cela dit d’autres communautés toxiques, en particulier du côté des collectionneurs, mais il s’agit ici de programmeurs et concepteurs de jeux, mus avant tout par la passion, et le spectacle qu’ils nous « offrent » n’en est que plus affligeant. Qui plus est, la Jaguar a connu un destin pour le moins tragique en son temps, et on peut réellement se demander ce que les Tramiel ont fait pour que, trente ans plus tard, leur console continue de déchaîner les passions tristes et d’entacher encore sa réputation…
VladR ou la folie des grandeurs
Je tiens tout d’abord à préciser que je ne suis la scène Jaguar que depuis une dizaine d’années, et il était assez difficile pendant longtemps de savoir qui était qui, donc je n’évoquerai ici que des cas relativement récents et dont j’ai été le témoin direct. Je commencerai ainsi par celui du fameux VladR, développeur ambitieux qui voulait (lui aussi) démontrer que la console en avait plus dans le ventre qu’on ne le pense. Projet louable sur le papier, mais qu’il a mené de la pire manière possible. En gros, son idée était de sortir sur la console un équivalent à The Need for Speed (1994) publié sur la rivale 3DO, et il affirmait disposer d’un impressionnant moteur 3D pour ce faire. Hélas, il n’en montrait jamais rien, et passait le plus clair de son temps à rejeter avec dédain les sceptiques voire, pis, à dévaluer le travail de ses confrères comme le très respecté Lawrence « Cyrano Jones » Staveley (Gravitic Mines) parce qu’ils insultaient pour lui la communauté en se « contentant » de produire des jeux en 2D… Pour être honnête, il s’est nettement radouci sur la fin, en particulier au moment d’une convention où il a finalement présenté le fruit de son travail. Or même s’il est toujours cruel de se moquer des efforts fournis par des développeurs bénévoles, il faut bien avouer que son jeu de course futuriste était très loin d’être impressionnant – on a vu largement mieux sur la console, y compris côté homebrew. Et il a d’ailleurs totalement disparu de la scène depuis…
Wave1 Games ou la flemme pathologique
Wave1 Games est d’une certaine manière le cas opposé : un développeur prolifique, mais qui mise sur la quantité plutôt que sur la qualité, profitant du fait que beaucoup de collectionneurs Jaguar se jettent hélas sur le moindre nouveau jeu, quel qu’en soit le prix. Que ses créations soient rudimentaires sur le plan du gameplay et assez repoussantes graphiquement, cela peut s’excuser, mais le souci est qu’elles sont aussi truffées de bugs et de problèmes de collisions. Tout le monde, même ses défenseurs, s’accorde à peu près sur le fait qu’il n’a pas forcément de mauvaises idées mais qu’il ne les pousse jamais jusqu’au bout, et bâcle au lieu de prendre le temps de tester et déboguer comme il faut. Ce qui est d’autant plus problématique que ses jeux sont commercialisés en édition physique, et à des tarifs assez élevés comme souvent sur la console… Récemment, un acheteur a dû se plaindre publiquement sur AtariAge non pas pour la qualité du jeu mais parce qu’il avait reçu le mauvais coloris de cartouche et l’éditeur en herbe ne donnait plus de réponse. Et alors que le sujet s’était transformé en pilori, il est finalement intervenu mais en a profité pour reprocher à la communauté de le rabaisser, alors qu’elle cherche avant tout à l’aider. Pour le coup, ce type de situation n’est pas propre à la Jaguar et est courant dans le homebrew où des amateurs « jouent » aux professionnels et n’ont pas toujours conscience que les attentes de leurs « clients » suivent.
Phoboz ou le besoin maladif de reconnaissance
Et l’on en arrive donc au cas pour le moins surréaliste d’Alexander von Knorring, banni pour avoir utilisé plusieurs comptes sur AtariAge. Mais pourquoi a-t-il fait cela ? On n’est évidemment pas dans sa tête et il ne s’est pas encore expliqué (d’autant qu’il ne peut plus le faire sur le forum techniquement), mais il semble qu’il ait surtout utilisé son second compte pour se faire passer pour un simple fan de Jaguar, ouvertement positif envers tous les projets. Alexander était-il attristé de la mauvaise ambiance régnant entre développeurs ? C’est possible, mais il aurait pu distribuer la positivité avec son propre compte, surtout qu’il est allé jusqu’à se complimenter lui-même voire, sans doute pour plus de crédibilité, se réclamer une démo de ses jeux ! Un membre de la communauté a récemment témoigné en expliquant qu’il connaissait un autre développeur, par ailleurs lui aussi relativement équilibré, qui s’était créé plusieurs comptes sur les réseaux sociaux pour s’envoyer davantage de fleurs. Est-on arrivé à un tel point de négativité et de toxicité que les gens ont besoin de se fabriquer des fans ? C’est d’autant plus ridicule que les productions d’Alexander étaient assez unanimement bien accueillies, et il n’a donc fait que scier la branche sur laquelle il se trouve, mettant un terme malencontreux au principal outil de promotion de son travail. Un énorme gâchis.
L’Atari Jaguar ou la console maudite par excellence
Et comme on le disait en introduction, ces trois cas sont d’autant plus pathétiques que la Jaguar a assez souffert « de son vivant » pour devoir s’infliger une telle communauté… Mais est-ce que tout cela n’est pas lié ? Dans nos articles sur la scène homebrew, on évoque souvent cette particularité de vouloir réparer les injustices de l’Histoire en favorisant parfois des plateformes qui n’ont pas eu droit à certains classiques ou genres durant leurs vies commerciales. Or la Jaguar en est peut-être l’exemple le plus flagrant, tant le dynamisme de sa scène contraste avec son destin tragique. Et non seulement c’est l’un des plus gros échecs commerciaux de l’Histoire des jeux vidéo, mais il faut rappeler que c’est aussi la dernière console d’Atari (du moins jusqu’à la récente VCS). Elle tient donc une place très spéciale dans le cœur des fans de la marque qui, comme on le rappelait dans un récent édito, sont souvent mus par un esprit de revanche, en particulier contre Nintendo et les consoliers japonais de manière générale… Car il est peut-être judicieux de rappeler que la Jaguar était (en partie) fabriquée aux États-Unis (par IBM), ce qui n’est pas le cas des machines américaines de Microsoft aujourd’hui. Il est donc probable qu’elle résonne de manière encore plus forte auprès des joueurs américains, comme une sorte de dernier rempart à la production nippone. Et de fait, il semble que cette mauvaise ambiance touche surtout la communauté américaine.
Et puis comme on le disait précédemment, c’est sans doute parce que la Jaguar a reçu trop peu de jeux durant sa vie commerciale que les collectionneurs ont tendance à accueillir d’autant mieux la moindre nouveauté, en étant parfois trop indulgent sur la qualité or, si cela ressemble à de la positivité au premier abord, cela dessert sans doute la machine sur le long terme. Et puis il ne faut pas sous-estimer l’effet négatif que peuvent avoir les forums. Entendons-nous bien, ils sont très utiles pour échanger et conserver une trace des informations et en particulier du processus créatif mais, s’ils ne sont pas modérés suffisamment bien, ils peuvent facilement dégénérer. Surtout qu’une atmosphère toxique a tendance à faire fuir les utilisateurs plus nuancés, et donc à pousser la communauté à se renfermer autour de ses membres les plus intégristes. Heureusement, la passion est souvent plus forte et tous ces incidents ont rarement raison de la motivation à créer des jeux, mais il est clair qu’on s’en serait bien passé. Et il faut surtout espérer que les autres communautés ne prennent pas modèle sur celle-ci, en offrant un environnement sain et propice à la création. Car même si c’est amusant, il serait dommage que soit entérinée la théorie lancée par les vétérans selon laquelle la console d’Atari émette des vapeurs toxiques qui rend les fans zinzins…
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