Après notre première chronique consacrée à l’histoire de la société Atari, cette seconde chronique est une nouvelle fois la traduction d’un excellent article de la section Retro du site IGN. A l’occasion de la sortie aujourd’hui de Super Mario All-Stars sur Wii, qui commémore le 25ème anniversaire de Super Mario Bros., il était logique de vous proposer l’historique de cette série.
Par Rus McLaughlin (IGN)
Traduit de l’américain par Guillaume Verdin
It’s-a Mario ! Retour sur la plus grande franchise du jeu vidéo.
Après seulement trois ans, l’implantation agressive de Nintendo sur le marché nord-américain s’avère un véritable fiasco. Sur ses trois mille unités construites, son pourtant réputé Radar Scope, le shoot’em up arcade de la dernière chance, n’en a vendu que mille. Le reste prend la poussière dans un entrepôt.
Minoru Arakawa, l’homme qui a pris ce pari inconsidéré, implore son beau-père (le patron de Nintendo Hiroshi Yamauchi) de reprogrammer les bornes Radar Scope inutilisées pour en faire un nouveau hit. Dans le cas contraire, ce serait la fin des haricots pour Nintendo of America. Yamauchi accepte et confie cette mission à Gunpei Yokoi, le créateur des populaires Game & Watch, et à son jeune protégé, Shigeru Miyamoto… Un graphiste qui n’a jamais conçu un jeu de sa vie.
Pour la première fois, le scénario est venu en premier et le gameplay s’est construit autour. Miyamoto axe son récit sur le triangle amoureux de Popeye, une licence qu’ont détenue Nintendo puis qu’ils ont perdue. Rapidement, un gorille géant remplace Brutus tandis que Popeye le marin devient Jumpman, un charpentier sautant par-dessus les barils pour escalader un échafaudage afin de libérer « Lady ». Miyamoto souhaite un parcours linéaire à travers différents stages. Mais son équipe de quatre programmeurs refuse de coder le même jeu quatre fois. C’est idiot, comme redessiner un échiquier tous les cinq coups.
Face à ses protestations, ils lui livrent un énorme programme de 20k tandis que Miyamoto compose la musique et conçoit les intermèdes animés pour faire avancer l’histoire. Tout doit respecter les contraintes du hardware de Radar Scope.
Les processeurs et les kits de conversion sont envoyés aux États-Unis en 1981. Arakawa, sa femme et quelques autres modifient deux mille Radar Scope en Donkey Kong, mais Arakawa sait que « Jumpman » ne plaira pas aux Américains. Le personnage a besoin d’un vrai nom. Son baptême a lieu quand le propriétaire de l’entrepôt arrive en trombe en pleine réunion, réclamant son loyer très en retard.
Son nom est Segali… Mario Segali.
Autant sauter !
Vingt-six ans plus tard, Mario est la figure de proue du jeu vidéo, davantage reconnue à travers le monde que Mickey Mouse. Il est apparu dans deux cents jeux, vendant plus de deux cents millions d’unités en cumulé. Il a lancé des consoles, sauvé des industries entières et mené la révolution de la 3D. Sur les dix jeux les plus vendus de tous les temps, six sont des jeux Mario. Des orchestres jouent son thème musical. On a écrit des opéras. Il a eu droit à sa propre série TV et, malheureusement pour ceux qui l’ont vu, son film. Il a propulsé son créateur au rang de légende, admiré aux États-Unis, fait chevalier en France, et à la tête de sa propre division dans la troisième plus grosse société du Japon.
Bien avant que Mario ne devienne la mascotte officielle de Nintendo, le succès fou de Donkey Kong – 60000 bornes livrées – était attribué à sa star : Donkey Kong. Mario est à peine remarqué. Pour son apparition suivante dans Donkey Kong Jr. en 1983, il joue le rôle du méchant armé d’un fouet.
Miyamoto veut en faire son personnage à tout faire, un gars légèrement rondouillard, à l’air benêt, qui peut s’intégrer à n’importe quel jeu si besoin est. Ainsi, il conçoit son petit charpentier principalement pour résoudre des problèmes pratiques de l’ère 8-bit. Une salopette fait ressortir les bras. Une grosse moustache rend mieux qu’une bouche et accentue son gros nez. Les couleurs claires se voient mieux sur les arrière-plans sombres. Il porte une casquette pour que Miyamoto n’ait pas à lui imaginer une coupe de cheveux – c’est pas sa tasse de thé – et pour éviter aux programmeurs de les animer durant les sauts.
…Si ce n’est que sa profession ne colle pas. Un collègue de Miyamoto lui dit que son petit sprite ressemble plus à un plombier.
Ainsi Miyamoto place Mario dans un égout infesté de crabes, de tortues et de lucioles pour son troisième titre. A ces influences s’ajoute celle de Joust, un pionnier du jeu en coopération où les joueurs s’entraident ou s’affrontent en alternance. Pour le second joueur, Miyamoto adapte son personnage passe-partout, modifiant la palette de couleurs de Mario pour lui donner un « frère » identique.
Les histoires concernant l’origine du nom Luigi vont du jeu de mots sur « analogue » en Japonais, à la pizzeria baptisée « Mario & Luigi’s » près du bureau d’Arakawa. Dans tous les cas, les jumeaux se mettent à nettoyer les tuyaux de leur vermine dans Mario Bros., leur premier grand rôle. Les joueurs sautent sur des plateformes, étourdissent les nuisibles en frappant le sol en dessous d’eux, et les boutent en dehors de l’écran pour décrocher leur récompense en pièces d’or.
Mario Bros. ne connaît qu’un succès modéré. Les jeux d’arcade n’ont en général qu’une courte durée de vie en rayons de toute façon, et Yamauchi souhaite que Nintendo se lance dans le marché lucratif du jeu vidéo domestique… au moment où il vient d’imploser aux États-Unis.
Le Japon, lui, n’est pas touché. En 1985, la Nintendo Famicom surmonte un lancement mouvementé, entaché de retours, et domine l’Asie. Toutefois, après plusieurs faux départs dont un deal raté avec Atari, l’Amérique du Nord lui échappe toujours. Tout du long, Yamauchi s’en tient à une philosophie simple : les jeux font vendre des consoles, et le meilleur game designer au monde travaille pour lui. Il confie à Miyamoto sa propre division, R&D4, pour créer des jeux Famicom à temps pour la prochaine tentative de Nintendo sur le marché américain.
Mario et Luigi délaissent les égouts et l’arcade. Le Royaume Champignon est leur nouveau foyer, et la Famicom leur nouvelle plate-forme.