Une série de tubes
Les premiers jeux étaient en général conçus par leurs programmeurs. Shigeru Miyamoto, lui, est un graphiste de formation. Son approche est artistique. Les jeux qu’il imagine sont extrêmement différents des autres simplement parce qu’il ne sait pas vraiment ce qu’il est supposé faire ou ne pas faire. Cela le laisse libre d’explorer, et l’exploration allait devenir une partie intégrante de ses jeux.
Avec Donkey Kong et Mario Bros., il crée les premiers vrais jeux de plate-forme, et il souhaite désormais développer ces concepts. Assez tôt, Miyamoto aime l’idée d’un Mario et d’un Luigi qui changent de taille selon qu’ils gagnent ou perdent des pouvoirs. La progression serait linéaire, mais un peu d’exploration et d’expérimentation permettrait de révéler des bonus cachés, des salles et des raccourcis. Si l’on trouve une pièce emmurée, il y a forcément un moyen d’y accéder en brisant les bons blocs.
La création des épreuves du Royaume Champignon a demandé beaucoup d’attention. Miyamoto veut que l’expérience du joueur soit tout le temps positive et évolue constamment… toujours intéressante, jamais décourageante. Les ennemis allient menace et fantaisie. Les « champignons traîtres » goombas et les lentes tortues koopa troopas révèlent leur intérêt quand Mario (Luigi pour le second joueur) les piétine ou leur balance une coquille de koopa vide. Les power-ups le transforment en géant Super Mario, en Mario de Feu lanceur de boules enflammées, ou le rendent temporairement invincible. Trouver et collectionner les pièces fait gagner des vies supplémentaires, et un compte-à-rebours encourage à ne jamais rester immobile. Des tuyaux et des Warp Zones permettent de sauter des niveaux entiers. Miyamoto crée des niveaux lumineux et colorés, bourrés de secrets, dont chaque centimètre est marqué de son génie et accompagné de la musique immédiatement entraînante de Koji Kondo. Même le son bondissant que produit chaque saut de Mario est un régal pour les oreilles.
Miyamoto passe tellement de temps à perfectionner Mario, qu’il n’a d’autre choix que de mettre de côté l’autre grand projet de la R&D4, The Legend of Zelda, et de céder à d’autres une bonne partie de Wrecking Crew, un jeu Famicom mettant en scène les frères Mario.
En octobre 1985, la Famicom, rebaptisée Nintendo Entertainment System, arrive aux États-Unis sous différentes éditions – l’une d’elle comprenant R.O.B. et Super Mario Bros. qui ne nécessite pourtant pas le robot. Arakawa ne trouve qu’un seul distributeur, peu enthousiaste, pour tenter le pari de proposer un stock restreint dans ses boutiques de New York. On n’en attend pas grand-chose. Cette mode est dépassée. Tout le monde suppose que la NES va prendre la poussière en rayon pendant toute la saison des fêtes.
Mais ça ne se passe pas comme ça. La rumeur vante une machine surpassant l’Atari, et l’excellent jeu qui l’accompagne.
Son scénario n’est pas très profond, mais devient la base de quasiment tous les jeux Mario suivants. Un dragon-tortue nettement déplaisant, appelé Bowser (ou King Koopa, un jeu de mots sur les démons-tortues kappas du folklore japonais), kidnappe la Princesse Peach (ou Toadstool) et conquiert le Royaume Champignon. Le petit Mario franchit les gouffres, piétine ses ennemis, et traverse huit vastes mondes pour la sauver. Difficile de ne pas trouver que ce petit gars a un cœur gros comme ça.
Tous les chemins mènent à un combat avec Bowser au-dessus d’un bassin de lave, puis finalement à Peach et une chaste récompense… C’est-à-dire un gentil « Merci, Mario ! » D’habitude, les héros veulent une récompense. Mais Mario est un vrai bosseur, qui fait ce qui doit être fait.
Super Mario Bros est un pur moment de bonheur, et donne rapidement raison à la philosophie de Yamauchi. En février, des dizaines de millions de consoles Nintendo ont trouvé preneurs aux États-Unis, donc à peu près autant de personnes jouent à Mario. En bundle ou séparément, les jeux Super Mario totalisent un record de 40 millions d’unités, dix millions de plus que le plus proche compétiteur, même deux décennies plus tard.
Le crash de 1983 est officiellement de l’histoire ancienne, tout ça grâce à un brave petit plombier italien. Une suite va de soi, mais c’est là que les choses se compliquent de toutes les manières possibles.